dimension gothique.

J'avais patiemment attendu que le sommeil gagne la population australienne, aussi détraquée soit-elle par cette nuit continue. Les cycles lunaires étaient peut-être pipés par cette éclipse, néanmoins, je souhaitais croire que lors de cette nuit, le pouvoir de la pleine lune s'appliquerait sur nous. Ainsi, j'avais regroupé mes plantes et cristaux et je me préparais à m'orienter vers l'autel que j'avais dissimulé dans les murs de l'église St Stephen's pour user de cette énergie céleste dans le cadre de mes incantations et communications avec l'au-delà.

Néanmoins, mon ventre gargouillait avec entêtement durant ce trajet, si bien que je m'aventurais vers la cuisine de l'église. Je farfouillais frénétiquement dans les buffets, tiroirs et garde-manger et finissais par regrouper un méli-mélo d'ingrédients liés à la magie et à ceux consacrés à la sustentation. De mon raid j'avais jeté mon dévolu sur un visqueux pied de cochon, des brocolis croquants, une mandarine juteuses et des oeufs crus. Sur une tranche de pain de mie et de noix, je déposais les fines tranches de viande avant de les parsemer de brocolis. Puis, je cassais deux œufs sur ce sandwich improvisé, avant d'éplucher ma mandarine pour en faire mon dessert. Pour accompagner ce met atypique, je me servais un verre de lait de vache trait la veille, auquel je mêlais quelques gouttes de citron - un antiseptique reconnu et j'appréciais l'amertume de cet agrume qu'importe les conditions.

Je m'apprêtais à prendre une gorgée de ma boisson lorsqu'une ombre me fit sursauter. Je virevoltais, manquant d'éclabousser le lait citronné, puis fis face à une jeune femme. « Vous m'avez fait peur ! » Je réagissais. « Il faut dormir à cette heure. » Je rappelais en toute hypocrisie.

Greta devait occuper ses journées même si celles-ci demeuraient sombres. Après avoir tenté de trouver à manger pour les siens et avoir été sauvée de justesse de la transformation en loup par Lena, elle n’était plus apte à continuer à chercher la solution à l’éclipse. Arthur avait disparu, chacun était occupé, et sa blessure l’empêchait de les aider. Alors elle déambulait, tentant le Diable, le bras amoché et les espoirs brisés. Elle avait poussé les portes de l’eglise pour s’y réfugier après s’être sentie observée par un loup au milieu des tombes. Le lieu semblait vide et un calme olympien y régnait. A la lueur des bougies, Greta retrouvait un instant le plaisir d’une lumière moins timide que celle de la lune et elle avait osé un sourire. Ses pas résonnaient dans l’édifice et entre deux bruits sourds, elle avait entendu un grognement dont elle avait suivi le son. « Vous m'avez fait peur ! » Elle avait sursauté en même temps que l’inconnu qu’elle avait surpris entre les cuisines et l’autel. « Il faut dormir à cette heure. » « Alors pourquoi ne dormez-vous pas ? » La question pouvait lui être retournée, lui qui était en train de s’empifrer d’un sandwich dont la simple odeur lui provoquait des hauts-le-cœur. La lune avait un effet étrange sur la population et si elle ne s’étonnait pas de cette étrange association d’aliments, elle avait tout de même fait un pas en arrière pour protéger son odorat. « J’ai perdu la notion du temps, ma montre à gousset ne m’est plus d’aucune utilité. Vous dites qu’il faut dormir, mais comment trouver le sommeil quand le jour ne se lève plus ? » Elle divaguait devant l’inconnu parce que le trouver en ces lieux signifiait qu’il n’était pas dangereux, l’église étant un lieu où les démons n’entraient pas. Parce qu’ils n’en avaient pas envie et parce qu’elle était protégée. « Que faites-vous ? » avait-elle demandé en s’asseyant sur le banc face à l’autel qu’elle n’avait jamais vu auparavant et qui semblait dissimulé. Elle posait trop de questions à en juger par les sourcils froncés du garçon, mais que pouvait-elle faire d’autre à part tenter de trouver un peu d’occupation ici et là ?

La présence de cette étrangère ne me plaisait guère. Je me sentais pris en flagrant délit d'une fringale peu séduisante tout comme de ma volonté d'aller me recueillir à mon autel aussi interdit que secret. Sous l'impulsion de l'émotion, je signifiais à la jeune femme qu'elle devait dormir à cette heure avancée de la nuit, ce à quoi elle me rétorquait, terre-à-terre : « Alors pourquoi ne dormez-vous pas ? » « Je n'appartiens pas au dessein imminent du Grand Soigneur. » Je formulais, faisant référence au sommeil réputé par les moines pour composer le plus immuable et indétrônable des remèdes. En réponse, la femme m'évoquait sa montre à gousset dérisoire tout en se questionnant sur la soumission au sommeil lorsque nuit est perpétuelle. « Morphée obéit à aucun astre, » je répondais, persuadé que le corps humain requérait ses phases d'endormissement peu importe l'heure qu'il était. Il nécessitait de se ressourcer, de se revigorer ; l'organisme atteignait forcément un point de rupture où le repos était immuable, peu importe le nombre d'étoiles ou de nuages visibles dans les cieux.

L'inconnue me questionnait sur mes agissements et je fronçais les sourcils, peu appréciatif de cette curiosité. « La curiosité détient des pouvoirs assassins, » je mettais en garde froidement. Réaliser de la sorcellerie était sévèrement condamné par l'église et je ne souhaitais pas être chassé à coups de balai, être excommunié de mon lieu de vie depuis mon abandon sur le perron du couvent. « Néanmoins, le troc adoucit les mœurs et je m'y plierais pour affurer des connaissances » j'ajoutais, intrigué du comportement de la blonde et de ses propres motivations pour se retrouver en ce lieu à cette heure précise. « Le sombre manteau perpétuel nourrit le Malin, » je prévenais, faisant allusion à cette nuit tenace qui abritait dans sa pénombre de nombreuses créatures malveillantes, humaines ou pas.

Ce moment où elle se retrouvait face à face avec quelqu’un était toujours rédouté parce que les créatures prenaient un malin plaisir à se dissimuler parmi les simples humains. La nuit perpétuelle leur accordait un pouvoir de plus en plus intense et les simples humains devenaient à l’inverse bien plus vulnérables. Elle était convaincue de ne rien craindre dans l’église, mais en voyant cet homme manger tout et n’importe quoi, Greta restait sur ses gardes, n’avançant que très peu pour l’apostropher. Qui, si ce n’est une bête, pouvait se permettre de manger une pareille association d’aliments ? Mais le premier réflexe du jeune homme avait été de lui dire qu’elle aurait dû dormir à cette heure et l’ordre semblait presque risible maintenant qu’ils ne distinguaient que difficilement le jour de la nuit. « Je n'appartiens pas au dessein imminent du Grand Soigneur. » Et elle avait arqué un sourcil à l’entendre parler comme elle l’avait fait avec Siham durant leur périple dans les rues commerçantes où elles devaient rester sur leurs gardes. « Morphée obéit à aucun astre, » Il n’avait pas tort, pourtant, la nuit leur octroyait un sentiment de fatigue constant et lui aussi aurait pu être amené à devoir dormir. Alors à nouveau, elle avait tenté une approche, en le questionnant sur ce qu’il était en train de faire. « La curiosité détient des pouvoirs assassins, » Et en un instant, elle avait senti l’inquiétude la gagner - il semblait menaçant même si la douceur de ses traits juvéniles l’empêchait de sombrer dans la terreur. « Néanmoins, le troc adoucit les mœurs et je m'y plierais pour affurer des connaissances » Elle avait croisé les bras pendant qu’il semblait essayer de la distraire par un discours un peu alambiqué. « Le sombre manteau perpétuel nourrit le Malin, » « De ce que j’ai cru comprendre, vous souhaitez savoir pourquoi je suis moi-même ici. Et bien peut-être que je cherche un peu d’adrénaline, que j’essaie de profiter de cette éclipse à ma façon. » Greta n’avait aucune idée d’où cette conversation la mènerait mais ils étaient d’accord sur un point : la nuit profitait aux démons. « Je m’appelle Greta. » avait-elle dit, la banalité de sa réponse venant souligner son appartenance à la race humaine. « Et j’en déduis que vous êtes inoffensif, sinon vous ne seriez pas là, et moi je n’y serai plus. » Il l’aurait tuée, croquée ou dévorée seulement s’il avait trouvé un moyen de déjouer la protection du lieu sacré.

Avec regret, je délaissais mon sandwich composé de mes goûts atypiques du moment pour être confronté à cette étrangère à la curiosité égalable à la mienne. « De ce que j’ai cru comprendre, vous souhaitez savoir pourquoi je suis moi-même ici. Et bien peut-être que je cherche un peu d’adrénaline, que j’essaie de profiter de cette éclipse à ma façon. » Je hochais la tête à l'affirmative, mon intrigue néanmoins décuplée. « Quel genre d'adrénaline une femme de votre vénusté recherche-t-elle ? » Je questionne, sincère sur la beauté qui irradie indéniablement de la blonde, qui se dit prénommée Greta. Je ris doucement lorsqu'elle me qualifie d'inoffensif, trouvant le terme quelque peu fort lorsque la condition humaine est capable de blesser d'innombrables manières. « Vous jugez promptement. » Greta, surtout, paraissait être une femme très terre-à-terre. « Aujourd'hui normalement est la nouvelle lune, » j'explique à mon interlocutrice. Cependant, l'éclipse, l'œil maudit, privait l'humanité de tout acte lunaire comme solaire. « J'aime me promener ces soirs de nouvelle lune, j'apprécie l'atmosphère qu'elle libère. Je souhaitais constater si l'effet était toujours présent malgré la nuit perpétuelle qui nous est imposée. » Je finis par céder à mon sandwich pour le dévorer vivement en quelques bouchées. « Voulez-vous m'accompagner ? » En réalité, je désirais surtout éloigner la trentenaire de mon autel interdit. Je ne connaissais rien de cette intruse et je redoutais sérieusement qu'elle pipe mot de mes pratiques en sorcellerie aux membres du couvent, de l'orphelinat ou encore de l'église. Ces endroits étaient mon foyer, ma demeure, je ne saurais où aller si j'en étais banni. Pour autant, je ne pouvais pas me priver de la sorcellerie, aussi réprimandée soit-elle ; il s'agissait là de ma nature, d'une communication que je ressentais grandement le besoin d'exécuter. « Comment se fait-il que je ne vous ai jamais vue avant, Greta ? » Je sollicitais, curieux et méfiant.

Greta ne trouvait pas un grand réconfort à se trouver ici en la maison de Dieu car plus le temps passait, plus il semblait les avoir abandonnés à leur triste sort. Etait-il lui-même aux pris avec Lucifer, pendant que les humains luttaient contre les démons ? Le monde n’était plus ce qu’il était et la blonde craignait qu’il ne le redevienne jamais. En entrant dans l’église, c’était la froideur de l’endroit qui l’avait surprise, avant même de voir cet homme extrêmement mystérieux. « Quel genre d'adrénaline une femme de votre vénusté recherche-t-elle ? » Elle savait que le Malin pouvait utiliser de bien des subterfuges pour entraîner les crédules humains dans ses filets, aussi, elle se méfiait de ce compliment qui n’avait peut-être pas lieu d’être. « Vous jugez promptement. » avait-il répondu lorsque celle-ci l’avait décrit comme inoffensif et cette fois-ci, elle avait fait un pas en arrière. Le jeune homme usait peut-être de ses charmes et de son éloquence pour faire d’elle une proie plus facile à atteindre, ou tout simplement pour l’utiliser en guise de sacrifice, tout était envisageable. « Aujourd'hui normalement est la nouvelle lune, » avait-il finalement dit. . « J'aime me promener ces soirs de nouvelle lune, j'apprécie l'atmosphère qu'elle libère. Je souhaitais constater si l'effet était toujours présent malgré la nuit perpétuelle qui nous est imposée. » Au moment où elle n’attendait plus de réponse de sa part, il le lui avait donnée. « Voulez-vous m'accompagner ? » Il l’avait prise au dépourvue et elle n’oserait pas le suivre avant qu’il ne lui en ait dit plus sur ce qu’il manigançait. Elle devait elle-même ruser pour qu’il parle. « Je pense préférer la sécurité de ce lieu. » Aussi subjective était-elle. « Comment se fait-il que je ne vous ai jamais vue avant, Greta ? » Elle avait haussé les épaules. « Je passe le plus clair de mon temps à écouter mon père me parler de la gestion halieutique … » Parce qu’il ne pouvait plus s’adonner à son passe-temps préféré, la pêche étant maintenant déconseillée : la rivière regorgeait de démons des ténèbres qui n’avaient pas encore été découverts et la perpétuité de la nuit rendait difficile la moindre activité. « Mais ce soir j’ai voulu sortir. Peut-être que j’ai eu tort, êtes-vous en train de vous adonner à un rite ? » Il tentait de dissimuler ce qu’il faisait mais les yeux de lynx de la jeune femme ne la trompaient pas, quelque chose se tramait derrière lui, elle pouvait sentir l’encens par-dessus l’odeur de son casse-croûte nauséabond.