@Auden Williams

Ruben avait l’impression qu’ils marchaient dans les couloirs depuis des heures et des heures, qu’ils tournaient en rond et qu’aucune âme vivante ne croisait leur chemin. Ce n’était pas tout à fait le cas, puisqu’ils avaient au moins croisé l’élève effrayé dans une salle de classe où Ben avait eu espoir de croiser le responsable des dérangements de la soirée, mais le reste des bâtiments était beaucoup trop calme. Ils avaient suivi les indications du gamin, comme quoi le tueur aurait fui par la sortie de secours de la salle de classe, mais il commençait à douter des informations qu’ils avaient reçu parce-qu’à part descendre aux sous-sols et parcourir des nouveaux couloirs toujours plus vides, il ne se passait rien.

Ruben finit par soupirer et s’arrêter au milieu du couloir; il se tourna vers Auden. « Il n’y a rien ici. » Et bien sur qu’il le défiait en silence de lui prouver le contraire: cela voulait dire qu’ils pourraient potentiellement avancer davantage sur leur traque. « Mais je comprends pas pourquoi il n’y a rien ici. » Toutes les portes de secours devant lesquelles ils avaient pu passer étaient toujours fermées, il n’y avait pas de débordement dans le matériel qui s’entassait au sous-sol et le silence était d’or. « Va falloir qu’on remonte. » Jouer au chat et à la souris alors que le tueur avait quatre longueurs d’avance par rapport à eux et ne se situait même plus dans le même secteur n’avait pas d’importance. Et puis le temps continuait de s’écouler malgré tout: dans peu de temps, le reste de l’équipe allait se demander où ils se trouvaient.

« J’aime pas ça. » Que Ben finit par avouer alors qu’ils rebroussaient chemin. « J’ai l’impression qu’on est passés à côté de quelque-chose d’important. » Souvent, il avait bon instinct, et il ne se trouvait que peu lorsqu’il avait un mauvais pressentiment; mais en réfléchissant un peu aux choses qu’il avait pu voir et croiser, il finissait souvent par comprendre la source de ce ressenti. Là, rien ne lui venait - et ça commençait à le tarauder de façon insupportable.

« Il n’y a rien ici. » Non, Auden doit bien en convenir. Ils n’ont vu personne, ils n’ont entendu personne, et cela n’a rien de proche d’une bonne nouvelle. Bien au contraire, c’est loin d’en être une. « Mais je comprends pas pourquoi il n’y a rien ici. Va falloir qu’on remonte. » En guise s’approbation, Auden se contente de grogner. Il n’a rien contre le fait de remonter, mais il doute que cela suffise à régler tous leurs problèmes. Ils n’ont rien trouvé au sous-sol, ils ne trouveront sans doute pas davantage au rez-de-chaussée. S’il n’est pas stupide, le tueur s’est enfui dès qu’il l’a pu, et il l’a fait il y a bien longtemps, après avoir tué et terrifié autant de personnes que possible. « T’attend pas à un miracle. » Il précise simplement, n’y mettant pourtant pas davantage de mauvaise foi puisqu’il consent à suivre Ruben.

« J’ai l’impression qu’on est passés à côté de quelque-chose d’important. » Quelque chose cloche, c’est évident, mais le problème c’est qu’Auden autant que lui semblent être passés à côté d’un indice pourtant capital. Les radios sont silencieuses, personne ne pipe mot. Ils sont venus pour exfiltrer un possible tueur de masse de l’endroit, mais ils ne mettent la main sur aucun tueur pour commencer, et c’est tout un problème. « Contacte Wilson. » L’idée lui vient soudainement, alarmante au possible. Il ne précise pas le fond de sa pensée mais toute sa crainte se lit aisément dans ses prunelles claires: s’ils ne sont pas tombés sur le tueur durant tout ce temps, c’est sûrement parce qu’il n’est plus dans les locaux. Et dans la mesure où ils n’ont trouvé qu’un seul rescapé ; qui leur assure qu’il n’est réellement qu’un rescapé, justement ? Qui leur assure qu’il n’est pas justement le garçon ayant attenté à la vie de tous les autres ? « Maintenant. » Il presse avec urgence, ne supportant pas de ne pas avoir de réponse à ses craintes.

Le grognement d’Auden lui indiqua, surement malgré lui, que c’était là la bonne décision que de remonter. Ruben ne comprenait pas pourquoi ils n’avaient rien trouvé à l’étage inférieur, parce-que toutes les indications qu’ils avaient eu tendaient à leur donner raison en cet instant. Mais ils devaient se rendre à l’évidence: ils seraient plus utiles à revenir sur leurs pas et chercher ailleurs plutôt qu’à tourner en rond où ils se trouvaient. « T’attend pas à un miracle. » - « Je sais, je sais. » Ce fut presque à son tour d’émettre un grognement - il se contenta de soupirer lourdement.

Ruben avait beau remuer les événements qui s’étaient déroulés dans son esprit, il sentait que quelque-chose n’allait pas mais il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce que cela pouvait être. Mais en son sein, il ressentait qu’ils étaient passé à côté d’une information capitale. « Contacte Wilson. » Alors qu’ils arrivaient en haut de l’escalier, la voix d’Auden résonna dans son dos - il se tourna pour le regarder, ses yeux accrochant les siens. Il n’eut pas besoin d’ajouter quelque-chose d’autre puisque tout se lisait dans ce dernier: c’était surement ça, l’information qu’ils avaient manqué. « Maintenant. » - « Yep. » Et Ruben ne perdit pas un instant de plus pour attraper sa radio et appuyer sur le bouton. « Wilson, c’est Hartfield, réponds. » Il lâcha le bouton tout en accélérant progressivement le pas alors qu’Auden et lui atterrissaient de nouveau dans cette fameuse salle de classe. Ben commença à fouiller les alentours pour tenter de tomber sur aux moins quelques indices. « Wilson réponds s’il te plait, c’est Hartfield. » Le mauvais pressentiment remontait petit à petit dans sa gorge, amer au possible - quand un grésillement se fit entendre dans l’émetteur du brun. « Je suppose que prétendre ne servirait à rien, hein ? » Relevant son regard vers Auden, ils eurent là la réponse à leur question silencieuse: ce n’était pas la voix de Wilson de l’autre côté de l’appareils mais celle bien moins pleurnicharde du gamin qu’ils avaient croisé en arrivant dans cette même pièce, du cri qu’ils avaient entendu aussi. « Tu as bien joué ton petit cinéma, je dois l’avouer. » Relâchant le bouton, il s’adressa cette fois-ci à Auden. « Va le chercher, faut pas qu’il m’entendre arriver, je vais le faire parler. Si je reçois son signal, il est encore proche. »

Lorsque leurs regards se croisent et qu’ils comprennent tous deux la raison pour laquelle les soupçons se portent non pas sur Wilson mais bel et bien sur le gamin qui l’accompagnait jusque là, ils restent plus que jamais suspendus à la réponse possible de l’autre côté du talkie walkie. « Wilson, c’est Hartfield, réponds. » l’engin grésille à peine mais il est évident que personne ne tente même d’y répondre de l’autre côté. Ce qui n’est évidemment pas normal: les forces de police sont tenues de répondre au talkie en tous temps, s’ils en ont la possibilité. C’est une des premières règles mais surtout l’une des plus importantes.

« Wilson réponds s’il te plait, c’est Hartfield. »
« Je suppose que prétendre ne servirait à rien, hein ? »

Auden déglutit. Cette voix n’est pas celle de Wilson, et la personne au bout de l’émetteur ne prend même pas la peine d’essayer de le faire croire. Au contraire, il reconnaît cette voix, même si elle a gagné quelques octaves dans les graves: le foutu gamin. Le foutu gamin dont personne ne s’est jamais méfié. « Va le chercher, faut pas qu’il m’entendre arriver, je vais le faire parler. Si je reçois son signal, il est encore proche. » Bien sûr qu’il est encore proche: il veut observer son chef d’oeuvre et il veut observer le visage de quiconque l’apercevrait pour la première fois. Il jubile, l’intouchable, et Auden bouillonne d’une rage nouvelle. « Demande lui ce qu’il a fait de Wilson. » Il émet un autre ordre avant de répondre à celui de Ruben, parce que toute l’attitude qu’il aura à l’égard du gamin dépend de ce qu’il a décidé de faire de leur troisième collègue, et il est déjà évident qu’Auden n’a jamais promis de l’attraper sans violence, et qu’il a tout aussi peu promis de l’attraper en vie. « Je veux savoir ce qu’il lui a fait. » Et si Wilson est mort, alors le gamin l’est tout autant, peu importe ce qu’en dit l’idée de justice: il fonctionne à la seule vengeance. Oeil pour oeil et dent pour dent.

La voix à l’autre bout du talkie fit naitre un frisson malsain le long de la colonne vertébrale de Ruben. Ce n’était pas de cette façon là que les choses auraient du se dérouler - ils n’auraient dans un premier temps jamais du intervenir dans une école pour ce motif là, il en était parfaitement conscient. Mais d’entendre la voix du gamin qu’ils avaient croisé quelques poignées de minutes plus tôt en pleures ne même pas chercher à cacher son identité… Son regard accrochait celui d’Auden à qui il venait de donner un ordre; ce dernier ne bougeait pourtant pas d’un pouce. « Demande lui ce qu’il a fait de Wilson. » Hartfield savait exactement pourquoi il lui demandait ça, si cela pouvait être assimilé à une demande plutôt qu’à un ordre. « Auden… » - « Je veux savoir ce qu’il lui a fait. » Pinçant les lèvres et soupirant, Ben se rendit à l’évidence: il ne pourrait rien changer au comportement de son compagnon d’aventures du jour.

Alors, il reprit l’émetteur de son talkie pour le porter devant ses lèvres. « Prétendre ne servirait à rien, t’as tout compris. » Il n’hésita qu’un instant supplémentaire. « T’es plus avec notre collègue ? » - « Wilson, ce lâche vous voulez dire ? » Fermant ses yeux un instant, se pinçant l’arête du nez de sa main disponible, Ruben finit par appuyer de nouveau sur le bouton. « Wilson, celui qui est parti avec toi tout à l’heure. » Un petit rire se fit entendre de l’autre côté de l’émetteur entre deux grésillements. « Non, il est plus avec moi… » Et déjà, toutes les fibres musculaire de Ruben se tendirent à entendre ce début de réponse; autant pour lui, pour Wilson que surtout parce-qu’il connaissait déjà la réaction qu’allait avoir Williams à une telle réponse - il se devait d’agir vite. « Qu’est-ce que tu lui as fait, à lui ? »

WIN: « Il a réussi à s’enfuir en comprenant qui j’étais. »
SO CLOSE: « Il m’a laissé partir aux toilettes sans surveillance. »
FAIL: « Ce que j’ai fait à d’autres: l’envoyer en enfer. »

Suite à la demande insistante d’Auden, Ruben cède et finit par demander ce qui est arrivé à leur collègue. Celui qui était simplement supposé raccompagner un garçon blessé jusqu’à un endroit en sécurité. Rien de moins, mais surtout rien de plus. « Prétendre ne servirait à rien, t’as tout compris. T’es plus avec notre collègue ? » La mâchoire serrée et plus que jamais tendue, Auden craint d’entendre une réponse qu’il connaît déjà, au fond. « Wilson, ce lâche vous voulez dire ? » Il est soulagé de ne pas être de l’autre côté du talkie à la place de Ruben, parce que jamais il n’aurait pu tenir son calme comme le fait son collègue. Cela ne l’empêche pas d’échanger un long regard lourd de sens avec ce dernier, pourtant. « Wilson, celui qui est parti avec toi tout à l’heure. » Wilson, celui qu’il a sûrement tué lâchement, parce qu’il ne s’était pas préparé à se défendre face à une personne aussi menue et sûrement insouciante. « Non, il est plus avec moi… » - « Qu’est-ce que tu lui as fait, à lui ? » - « Ce que j’ai fait à d’autres: l’envoyer en enfer. » - « Je vais le tuer. » Il ne prend pas la peine d’attendre de savoir si Ruben a activé ou non le talkie. Que le tueur l’entende. Il va le tuer quoi qu’il en soit, qu’il soit préparé ou non. Il va le tuer de la même façon dont il a tué Wilson, lui.

« T’es où ? Où est-ce que tu te caches, espèce de lâche ? » Et cette fois-ci, le talkie porté à ses lèvres et son doigt appuyé contre le bouton, il s’assure que l’homme de l’autre côté de la ligne l’entende parfaitement. Qu’il sache qu’il est traqué. Qu’il se prépare à mourir. Qu’il appréhende sa fin. Face au simple rire qu’il reçoit en retour, la haine d’Auden grandit aussitôt. « Tu m’aides ou pas, je m’en fous, mais je vais le traquer et je vais le tuer. » Il s’adresse cette fois-ci à Ruben, son regard plongeant dans le sien durant une seule seconde. La suivante, il part déjà en chasse. Ils ont une proie à abattre.

Il pouvait le voir dans le regard d’Auden bien avant de l’entendre dans ses mots: il n’allait pas rester bien longtemps avec ce calme apparent en avant. D’ici à quelques instants, il perdrait le moindre contrôle qui pouvait encore être sien, pour céder aux pulsions qui menaçaient depuis plusieurs poignées de minutes. Ce n’était pas de cette façon là que Ruben avait vu les choses - même s’il ne s’était jamais vu intervenir dans un lycée pour traquer un tueur qui n’était encore qu’un enfant, au fond. Mais au moins, il ne s’était pas attendu à devoir en plus tenter de tempérer les décisions de son collègue. Et pourtant, à peine la réponse à travers le talkie du tueur se fit entendre qu’il savait exactement les mots qu’allait prononcer Auden. « Je vais le tuer. » - « Williams… » Il avait relâché le bouton de l’appareil pour les deux dernières phrases prononcées: il n’était pas question que le tueur entende qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde.

Mais ce ne fut là pas l’avis d’Auden, qui s’empara de la machine pour faire entendre ce qu’il pensait de la situation. « T’es où ? Où est-ce que tu te caches, espèce de lâche ? » - « T’as qu’à me trouver comme un grand. » Un rire se fit entendre de l’autre côté de la communication, ce qui fit fermer un instant les yeux de Ruben: la situation était de pire en pire, là où elle démarrait en rien correctement initialement. « Tu m’aides ou pas, je m’en fous, mais je vais le traquer et je vais le tuer. » - « C’est pas ton rôle, de jouer au chasseur. On a des lois à respecter… » Mais qu’importait les paroles que Hartfield pourrait lui adresser, Auden n’en avait rien à faire: dans son esprit, il allait se débarrasser de l’individu pour se venger de ce qu’il avait fait subir aux enfants. Sur le principe, l’idée n’était pas mauvaise ou déplaisante. Sur le principe ils ne devaient pas non plus s’abaisser à une telle démarche. « Tu joues à son jeu, il t’entraine dans sa chute Auden… » Ruben dut se mettre à marcher à la suite de Williams, accélérant le pas pour passer devant lui et bloquer son avancée de son corps. « On va le traquer pour l’arrêter, pas pour le tuer. Je peux pas te laisser aller sur cette voie là. » Et il userait de la force s’il le fallait.

« Williams… » Dans une telle situation, il n’y a plus aucun Williams qui tienne: je ne peux pas laisser impuni un tel crime, et je peux encore moins laisser impuni toute l’attitude de ce tueur et le pied de nez qu’il tente de nous faire. Ce ne sont pas des actes qui peuvent être atténués, pardonnés, ou bien oubliés. La justice ne fera jamais son travail à la hauteur de ce qu’il mérite, alors je décide de m’en charger personnellement. « T’as qu’à me trouver comme un grand. » Mon sang bouillonne à une température jamais atteinte.

« C’est pas ton rôle, de jouer au chasseur. On a des lois à respecter… Tu joues à son jeu, il t’entraine dans sa chute Auden… » Il parle derrière moi sans que je cherche à l’écouter un seul instant. Mon rôle n’est pas de jouer au chasseur, non, mais mon rôle reste tout de même de faire respecter la loi, et c’est bien ce que je compte faire sans plus tarder ni même faire dans les détails: il doit payer, il doit souffrir. Jamais il ne pourra nous rendre la vie de notre collègue, mais il peut au moins payer de la sienne et il le fera. Je le sais déjà. « On va le traquer pour l’arrêter, pas pour le tuer. Je peux pas te laisser aller sur cette voie là. » Aucun de mes mots ne répond aux siens. Je ne compte pas aller dans son sens et il le sait déjà, comme le prouve mon arme dont je vérifie une fois de plus qu’elle soit bel et bien chargée, bel et bien prête à ôter la vie d’une façon plus juste et adéquate que jamais.

Toutes mes connaissances sont réutilisées en cet instant. J’écoute chaque bruit, je fais attention à chaque détail. Ma respiration est calme, apaisée. Je vais le débusquer et je sais que son arrogance va lui jouer un tour: le prouve l’instant suivant. Il est trop imbus de sa personne pour oser jouer à un jeu de cache cache et moi, outre une véritable force brute, je suis aussi un viseur hors pair. Ainsi, lorsque la balle transperce l'hémisphère droit de son cerveau, je ne tremble pas et je ne panique pas non plus. L’angle est calculé, précis. Il passe pour une simple erreur. « Il courait vers nous. Légitime défense. » L’axe de défense est donné à Hartfield, et je ne prends même pas la peine de lui demander s’il est d’accord de mentir pour moi. Je m’en moque et attrape déjà son talkie pour annoncer la mort de l’assaillant. Mission terminée.