@Abraham Taylor

Se regardant dans le miroir une dernière fois, Ruben soupira: il avait l’air purement et simplement ridicule. De tous les costumes qu’il aurait pu porter ce soir, il avait fallu que ce soit celui de l’araignée dont il hérite. Ce dernier était d’un noir passé, comme si les poils gris prenaient plus de place que leur congénères de couleur plus foncée, s’emmêlent pour former des petites boules - qui, de plus, grattaient depuis l’intérieur du costume. Sur la tête, il portait une capuche avec deux antennes - avaient-elles réellement des antennes ? Il n’était même pas sur - et les huit pattes étaient bien présentes de part et d’autre de son corps, devenant ballantes et surtout rentrant dans tout ce qu’il frôlait de trop près tant elles étaient envahissantes. A ses poignets lui avaient été attachés des manchettes remplies de fausse-toile digne de la pire adaptation de Spider-Man dans un film, rien que pour le voir tendre et appuyer sur l’appareil au moins toutes les deux maisons, prétendre être la pire créature du répertoire prête à manger les vilains enfants. Et le dernier détail qui n’était pas des moindres et surement la pire partie de tout ça: un derrière rembourré avait été rajouté. Oh,  ce denier n’était pas là pour récupérer une chute si jamais cette dernière arrivait tant le costume était encombrant, mais juste pour faire soit-disant joli. Alors qu’honnêtement, à part lui donner bien trop chaud avec la tonne de poils et le poids qu’il faisait, ce costume n’était en rien joli.

Le seul autre effet qu’il provoquait, c’était des rires de la part de son frère ainé qui se trouvait en haut de l’escalier, remontant le col de son tee-shirt pour prétendre cacher son rire à son cadet. « C’est vraiment pas drôle Garrett. » - « C’est parce-que tu te vois pas ça. » Ruben leva les yeux au ciel, attrapa sa citrouille qui lui servirait pour récolter les friandises et claque la porte de la maison: ce n’était pas par gaité de coeur qu’il se farcissait toute cette partie là de la soirée d’Halloween avant de rejoindre le lycée - où se déroulait la vraie soirée -, mais simplement parce-qu’il avait perdu un pari avec ses amis quelques semaines plus tôt et que le gage était de prêter main forte aux enfants du quartier pour la soirée. Ce n’était pas le pire des gages: cela permettait aussi aux enfants dont les parents n’étaient pas disponibles de faire un tour du quartier en ayant quelqu’un qui veille sur eux. Même deux personnes en l’occurence, puisqu’il n’était pas le seul à se joindre à cette aventure: Abraham était de la partie. Comment son ami s’était retrouvé empêtré dans ses conséquences, il n’avait pas trop compris mais c’était le seul point qui redonnait un peu le sourire à Ruben dans toute cette situation. Marchant d’un pas déterminé, il alla frapper à quelques portes de chez lui, grand sourire forcé aux lèvres: il avait hâte de voir le costume d’Abe.

Abraham Taylor & @Ruben Hartfield

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« Quoi ? Pourquoi moi ? »
« Parce que je te le demande. »
« Et Chad ? Il peut pas s’y coller pour une fois ? »
« Ce n’est pas à Chad que j’ai demandé. »

(ua slasher) Un échange frustré comme il en existait tant d’autres entre Maggie Taylor et le troisième de ses fils, toujours prompt à négocier ce qu’il estimait n’être qu’une succession d’injustices faites à son encontre, et au bénéfice exclusif du benjamin de la fratrie – le préféré, bien sûr. C’était la troisième année consécutive qu’Abraham se retrouvait de corvée de treat or treating, une activité à laquelle il avait pourtant cessé de trouver le moindre plaisir en même temps qu’était arrivée la puberté. Et une activité qui l’emballait d’autant moins lorsqu’elle consistait à baby-sitter ses cousins et d’autres enfants du quartier, alors même que se tenait au même moment la soirée Halloween du lycée. Il avait bien convaincu son frère Samuel de se lancer dans un pari stupide pour tenter d’échapper à la sentence, mais même la chance avait refusé d’être de son côté, et tandis que son aîné se préparer pour la “meilleure soirée de l’année” Abe quant à lui observait d’un air déconfit son reflet costumé dans le miroir de l’entrée. Même là-dessus sa mère ne l’avait pas épargné, ayant visiblement décidé de ruiner son estime en plus de sa soirée en confectionnant un impressionnant déguisement … « De courge. » – « C'est une citrouille. » Peu importe, il avait l’air d’une courge, d’un imbécile, d’un parfait crétin. Le corps enfermé des épaules au milieu des cuisses dans une boule orange criarde en tissu feutre, sous laquelle un collant noir donnait à ses jambes une allure de pattes de grenouille, il lui semblait que le sourire jaune et édenté de la citrouille se moquait de lui dans le miroir. Il se sentait comme un homme-sandwich, et aurait parfaitement eu sa place à la sortie d’un primeur pour vanter les promotions sur les courges et autres légumes de saison – il aurait même préféré, il aurait été payé pour être ridicule, alors que le baby-sitting ne lui rapporterait rien si ce n’était quelques bonbons. Touche finale, le chapeau qu’il n’avait pas encore osé poser sur le sommet de son crâne, vague allure de chapeau marin dont le pompon aurait été subtilisé pour y poser à la place une tige verte en tire-bouchon, et qui ne tenait en place sur la tête que grâce à l’élastique qui enserrait le tour de sa tête. Entre citrouille et œuf de Pâques, on ne savait plus trop à quel Saint se vouer.

Pour cette raison, le costume dans lequel il avait retrouvé Ruben quelques instants plus tard et qui lui aurait à coup sûr provoqué une crise de rire s’il n’avait pas été aussi mal loti, ne lui avait inspiré qu’un immense soupir de soulagement … Les choses semblaient toujours moins terribles lorsque l’on n’était pas le seul à les subir. « J’vois qu’on t’a pas épargné non plus. Tu penses que c’est un complot de toutes les mères de la ville, ou bien c’est juste après toi et moi qu’on en a ? » Il imaginait totalement Maman et Taylor et Maman Hartfield comploter en ricanant comme des sorcières, c’était pour sûr. « Ah la vache, j’ai à peine la place de passer les portes avec ça. » Il avait donc l’air d’une courge obèse et non plus d’une simple courge, et avait empoigné le bas de son costume pour descendre les marches du perron en soupirant d’un air rageur. Marchant quelques dizaines de mètres, suffisamment loin pour que sa mère n’ait plus aucune chance de pouvoir les observer depuis la fenêtre de sa cuisine, il s’était néanmoins délesté d’une partie de sa mauvaise humeur, poussée à l’extrême dans le simple but de signifier à sa mère sa mauvaise volonté habituelle. « T’es l’araignée la plus ébouriffante que j’ai jamais vu, tho. Et c’est un compliment. » avait-il alors repris à l’intention de Ruben, un sourire narquois étirant ses lèvres tandis qu’il remettait en place le chapeau qui, il ne le savait pas encore, passerait le reste de la journée à glisser vers l’une ou l’autre de ses oreilles.

Son costume à lui était ridicule, il tenait chaud et il aurait préféré ne jamais avoir à le porter. Mais lorsque la porte de la maison des Taylor s’ouvrît devant ses yeux et que son regard put tomber sur le costume d’Abraham, Ruben dut pincer ses lèvres très fort l’une sur l’autre pour ne pas éclater d’un rire franc et moqueur. Alors que clairement, il n’était pas en positon pour le faire. « J’vois qu’on t’a pas épargné non plus. Tu penses que c’est un complot de toutes les mères de la ville, ou bien c’est juste après toi et moi qu’on en a ? » Le rire qu’il échappa la fut sarcastique. « J’espère que c’est tout le monde. J’aurais jamais du lui dire que j’allais faire le porte à porte ce soir, j’ai vu dans le regard de ma mère que c’était une erreur. » Son costume en soit était très bien et réalisé avec beaucoup d’amour, il aurait été parfait. Pour un enfant de huit ans. « Je sais que le but c’est pas de faire peur aux enfant, mais si ça aurait pu être je sais pas, au moins un vampire ou un loup, un truc stylé. » A la place, il s’était retrouvé en un Spiderman de Wish.

« Ah la vache, j’ai à peine la place de passer les portes avec ça. » - « Et fais gaffe tu vas me bousculer aussi. » Le costume de Ruben prenait un peu de place également et ils avaient désormais l’air de deux empotés. Ils avançaient doucement sur le trottoir, s’éloignent de leurs maisons et laissant davantage court à leur bonne humeur - et témoignait l’air renfrogné d’Abe qui disparaissait peu à peu. « T’es l’araignée la plus ébouriffante que j’ai jamais vu, tho. Et c’est un compliment. » Ruben échappa une rire franc, secouant quelque peu sa tête. « Je t’envoie la mes remerciements, face à de telles paroles prononcées, et je te retourne même le compliment; car sous tes allures dignes de l’automne installé, tu représentes fièrement la famille des courges, qui sont parfois un peu trop oubliées alors qu’elles ne sont pas que pour les bourges. « Il avait agrémenté son petit discours d’une main sur le cœur et d’un air dramatique à souhait - Ils étaient là pour s’amuser après tout. « Comment tu t’es retrouvé coincé avec moi cette d’année encore d’ailleurs ? Je croyais que tu voulais plus te faire avoir ? »

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Dans le cas où aurait encore subsisté un mince espoir quant au fait que son accoutrement ne soit pas aussi ridicule qu’il n’en avait l’impression, le rictus avec lequel l’avait accueilli Ruben lorsqu’il avait ouvert la porte venait de le balayer sans ménagement. Bien heureusement, ou simplement parce qu’il se savait tout aussi mal loti, le benjamin des Hartfield avait gardé ses moqueries pour lui, mais laissé échapper un bref rire quand Abe avait souligné la possibilité d’un complot des matriarches du quartier. « J’espère que c’est tout le monde. J’aurais jamais dû lui dire que j’allais faire le porte à porte ce soir, j’ai vu dans le regard de ma mère que c’était une erreur. » Arquant un sourcil, le Taylor avait laissé son ami poursuivre « Je sais que le but c’est pas de faire peur aux enfants, mais si ça aurait pu être je sais pas, au moins un vampire ou un loup, un truc stylé. » mais avait fini par secouer la tête comme s’il n’était pas certain d’avoir bien compris « Attends, attends … T’es là de ton plein gré ? » Ou du moins, si sa mère semblait coupable d’un choix de costume laissant à penser qu’elle voyait toujours son rejeton avec dix ans de moins que la réalité, elle ne semblait pas à l’origine de la corvée de baby-sitting. « T’es trop serviable pour ton propre bien, c’est ça ton problème. » Si l’hôpital se moquant de la charité devait avoir une illustration, ce serait probablement celle-ci.

Engoncé dans son costume de potiron – pardon, de citrouille – Abe avait fait mine de ne pas entendre Ruben marmonner « Et fais gaffe tu vas me bousculer aussi. » et mis autant de distance que possible entre lui et sa maison, comme dans la plus pure tradition de l’adolescent ingrat. Adolescent qui, une fois à distance raisonnable de parents et de frères dont il jurait que chacun avait pour but de le contrarier, s’était aussitôt déridé pour retrouver sa bonhomie naturelle et gratifier Ruben d’une plaisanterie affectueuse. « Je t’envoie la mes remerciements, face à de telles paroles prononcées, et je te retourne même le compliment; car sous tes allures dignes de l’automne installé, tu représentes fièrement la famille des courges, qui sont parfois un peu trop oubliées alors qu’elles ne sont pas que pour les bourges. » Sifflant d’un air admiratif, Abe avait – tenté de – croiser les bras par-dessus son corps de cucurbitacée « Tu causes bien, Hartfield. c’est pour ça que t’es premier de la classe et pas moi. » Pour ça et pour quelques autres bricoles du type notes catastrophiques et comportement dissipé. Il essayait pourtant vraiment, juré. Mais pour en revenir à leurs moutons : « Comment tu t’es retrouvé coincé avec moi cette année encore d’ailleurs ? Je croyais que tu voulais plus te faire avoir ? » Agitant les bras d’un air dépité, il avait offert son meilleur soupir pour accompagner sa réponse « Ouais, j’pensais qu’on refilerait le bébé à Chad pour une fois, mais faudrait pas que le petit chéri se fatigue. J’ai parié le résultat du dernier match des Lions avec Samuel, mais y’a fallu que ce crétin de Pike loupe deux goals d’affilée, alors c’est moi qui suis de corvée de baby-sitting. » Bref, un drame en trois actes.

« Attends, attends … T’es là de ton plein gré ? » Il haussa un sourcil. « T’es trop serviable pour ton propre bien, c’est ça ton problème. » Peut-être qu’un petit rire lui échappa alors qu’il secouait quelque peu son visage. « Non, je suis pas vraiment là de mon plein gré, il ne faut pas pousser le bouchon non plus. » Il plissa quelque peu le bout du nez. « J’ai perdu un pari avec les gars du lycée, où le gage était de faire le porte-à-porte avec les enfants avant d’avoir le droit de se rendre à la fête du lycée. C’est de là que ma mère s’est dit que de faire un costume comme celui là était une bonne idée. » C’en était une uniquement pour elle, en rien pour le jeune homme qui se serait bien passé de l’humiliation. « J’ai pas résisté longtemps, c’est plus ça mon problème. Ni pour le gage à effectuer, ni pour le costume. Peut-être que t’as raison, finalement. »

« Tu causes bien, Hartfield. c’est pour ça que t’es premier de la classe et pas moi. » Il lui fit une petite courbette - autant que son costume d’araignée le lui permettait, c’était dire pas grand chose malheureusement. La question qu’il se posait surtout en réalité en cet instant, c’était de comprendre comment Abe s’était trouvé à ses côtés ce soir alors qu’initialement il avait dit ne pas désirer être de corvée cette année. « Ouais, j’pensais qu’on refilerait le bébé à Chad pour une fois, mais faudrait pas que le petit chéri se fatigue. J’ai parié le résultat du dernier match des Lions avec Samuel, mais y’a fallu que ce crétin de Pike loupe deux goals d’affilée, alors c’est moi qui suis de corvée de baby-sitting. » Peut-être que Ben ne sut retenir un petit rire en cet instant, même s'il voyait bien que cela irritait d’une certaine façon Taylor. « T’as qu’à aller lui en toucher deux mots pour lui montrer que t’es vraiment pas content de ses prouesses. » Il taquinait, se moquait gentiment. « J’aurais pas vu ton super costume si t’étais pas venu. J’aurais été déçu. Et t’aurais pas vu le mien non plus ! Quel gâchis. » Il fallait bien qu’ils se trouvent des excuses positives, sinon ils pourraient effectivement passer une mauvaise soirée. « En parlant de baby-sitting, tiens c’est le petit groupe qu’on doit accompagner. » Un groupe d’enfants les attendait un peu plus loin.

Abraham Taylor & @Ruben Hartfield

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Il y avait parfois chez Ruben les mêmes réflexes horripilants de petit dernier que chez Chad, la différence étant que puisqu’Abe n’en était pas la victime collatérale permanente, il parvenait à faire comme si de rien n’était. Pour cette raison, et quand bien même il ne voyait pas sur quelle planète cela puisse être une option, il n’aurait été que moyennement étonné d’apprendre que Ruben s’était effectivement proposé de son propre chef pour manquer la fête du lycée et baby-sitter des petits Draculas en devenir. « Non, je suis pas vraiment là de mon plein gré, il ne faut pas pousser le bouchon non plus. » s’en était néanmoins défendu l’intéressé, le nez retroussé d’un air dubitatif. « J’ai perdu un pari avec les gars du lycée, où le gage était de faire le porte-à-porte avec les enfants avant d’avoir le droit de se rendre à la fête du lycée. C’est de là que ma mère s’est dit que de faire un costume comme celui-là était une bonne idée. » Le problème de leurs mères, c’était qu’elles continuaient de raisonner comme si leurs enfants étaient encore à l’école maternelle … Enfin, sauf lorsqu’il s’agissait de leur refiler des tâches ménagères, là elles savaient se souvenir qu’ils étaient de grands garçons dégourdis. Mais au moment de les accoutrer pour Halloween ? Non, ils avaient de nouveau cinq ans et demi, et la capacité surnaturelle de ne pas vieillir d’un pouce. « J’ai pas résisté longtemps, c’est plus ça mon problème. Ni pour le gage à effectuer, ni pour le costume. Peut-être que t’as raison, finalement. » Bon prince, Abe s’était abstenu d’appuyer sur ce dernier point et avait préféré souligner ce qui n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd : « Tout ce que je retiens, c’est que si on expédie la tournée des bonbons rapidos, on a encore une chance d’arriver à la fête du lycée avant de louper tout le fun. » Et même peut-être de se changer entre les deux, histoires que leur honneur s’en sorte à peu près sauf.

Bougonnant sur les propres raisons qui le poussaient ici, du favoritisme envers son cadet en passant par les mauvais résultats sportifs d’une équipe dans laquelle il n’aurait probablement pas dû faire reposer tous ses espoirs, Abe avait à son tour plissé le nez face aux taquineries de Ruben « T’as qu’à aller lui en toucher deux mots pour lui montrer que t’es vraiment pas content de ses prouesses. » mais laissé échapper un bref rire lorsqu’il avait ajouté « J’aurais pas vu ton super costume si t’étais pas venu. J’aurais été déçu. Et t’aurais pas vu le mien non plus ! Quel gâchis. » – « C’est vrai, c’est vrai … Ton allure est gravée dans mon esprit pour toujours, j’aurai qu’à y repenser les jours où j’ai le bourdon. » Et peut-être même qu’avec quelques années de recul ils repenseraient avec nostalgie à ces costumes … Ou peut-être pas. « En parlant de baby-sitting, tiens c’est le petit groupe qu’on doit accompagner. » A quelques dizaines de mètres, une dizaine d’enfants attendaient en effet accompagnés de deux adultes, armés de petits seaux à bonbons et costumés de façon majoritairement adorable. Pourtant, c’est bien à eux que l’un des parents présents avait lancé « Oh, mais qu’ils sont adorables tous les deux. » arrachant à Abe une grimace courroucée destinée au seul Ruben, avant de reprendre un masque nécessaire de politesse le temps que les adultes confient leurs chérubins puis les laissent gérer la chasse aux sucreries.

« T’as vu ça Ruben ? Trois sorcières, un épouvantail, deux vampires, une fée, un dragon, et Mario et Luigi – si avec ça on ne récolte pas un max de bonbons ! » S'enthousiasmant à cette idée dans une joyeuse cacophonie, et trop jeunes pour relever les solécismes de son élocution contrairement à sa mère, les garnements semblaient par ailleurs tous particulièrement fiers de leurs costumes, et attrapant la main du plus jeune de la bande tandis que les plus jeunes se rangeaient deux par deux en démontrant bien de ce qu’on leur avait appris à l’école, Abe avait repris à l’intention du petit garçon « Tu sais que le dragon est mon monstre préféré ? Je les trouve beaux et majestueux, avec leurs écailles multicolores, leurs grandes ailes, leurs pics, leurs grands yeux et leurs grandes pattes. Et puis ils crachent quand même du feu, est-ce que ça aussi c’est pas super cool ? Quand j’avais ton âge je rêvais d’avoir un dragon de compagnie, je trouvais ça vachement plus stylé que des chevaux ou des poules, et j’aurais pu monter sur leur dos pour aller à l’école plutôt que de prendre le car scolaire. Je suis sûr que dressés ils feraient aussi de bons gardiens de troupeaux, après tout ils gardent bien des princesses et font fuir les chevaliers pas assez courageux. » Buvant ses paroles, ou se révélant simplement très doué pour feindre l’intérêt malgré son jeune âge et la faible capacité d’attention qui allait avec, le petit dragon s’était tourné ensuite vers Ruben et avait questionné « Et foi f’est quoi fon monftre fréféré ? » en zozonant sur le dentier de vampire recyclé par sa mère pour lui faire des crocs de dragonneau.

« Tout ce que je retiens, c’est que si on expédie la tournée des bonbons rapidos, on a encore une chance d’arriver à la fête du lycée avant de louper tout le fun. » Cela arracha un petit rire à Ruben: il ne perdait pas le nord à travers tout ça, là où pourtant ils étaient dans des costumes ridicules à désormais parcourir les rues de la ville. Même s’il n’avait pas refusé sa présence ici, Ben aurait tout de même préféré se faire mordre par un vampire plutôt que de perdre trop de temps ici. « T’as raison: perdons pas de temps. »

Sur le reste du chemin qui les menait à leur petite groupe, il chercha tout de même à comprendre comment Abe lui s’était retrouvé ici alors qu’il aurait pu échapper aux canines de sa mère, n’étant pas le petit dernier de la fratrie et donc celui le plus proche en âge de ce genre d’envies un soir d’Halloween. Il lui cherchait même maintenant des raisons positives d’être venue - aussi positives que pouvaient l’être les groupes sanguins. « C’est vrai, c’est vrai … Ton allure est gravée dans mon esprit pour toujours, j’aurai qu’à y repenser les jours où j’ai le bourdon. » Ben lui fit un petit clin d’oeil. « Tu vois ? Ca rend ce moment pas si pire. » Il reporta son attentions sur la route. « Bon, il est vrai par contre que je n’ai pas la classe comme j’aurais pu avoir si j’avais pu me déguiser comme je le voulais. A la base, je voulais venir en vampire - je trouve que de toutes les créatures de la nuit, et de celles que tu peux retrouver dans les costumes d’Halloween, c’est ceux qui ont le plus de classe. Ils s’habillent avec des vêtements d’un autre temps, souvent avec un costume trois pièces, ont cet air énigmatique mais attirant sur leur visage, savent te parler comme s’ils voulaient t’hypnotiser tout le temps - oh, je crois que c’est ce qu’ils veulent, parce-qu’après quand tu tombes sous leur charme ils peuvent te mordre et boire ton sang… Même ça, ça a la classe ! Se nourrir du liquide le plus précieux au monde, imagine Abe ! » Refaisant tomber ses bras le long du corps, Ruben soupira un instant. Il secoua la tête. « Mais non: la grosse araignée pour moi cette année. » La déception totale. « Oh, mais qu’ils sont adorables tous les deux. » Ils arrivaient au niveau de leur groupe, et Ben se pencha vers Abe. « C’était exactement ça que je voulais éviter comme réaction. »

« T’as vu ça Ruben ? Trois sorcières, un épouvantail, deux vampires, une fée, un dragon, et Mario et Luigi – si avec ça on ne récolte pas un max de bonbons ! » Il émit un petit rire. « Une citrouille et une araignée, t’as oublié de rajouter à ta liste. » Mais les enfants avaient des déguisements qui en jetaient plus que les leur, alors il faisait bien de les souligner. Lorsque son ami finit par lui récrire que c’était le dragon de son côté son monstre préféré, le petit dragon de leur groupe se retourna, tout content d’entendre ça, avant de regarder Ruben. « Et foi f’est quoi fon monftre fréféré ? » Lui faisant les gros yeux et ayant un sourire aux lèvres, il fit un clin d’oeil au petit garçon. « C’est le vampire moi. » - « Plus tard, fe ferai un fampire moi ! » Il eut un petit rire, intimant le gamin à se mettre en route comme le reste du groupe. « Je me rappelais plus que quand t’es gamin, tu crois que tout est possible comme ça. T’as déjà pensé que tu pouvais devenir un suceur de sang toi, Abe ? »

Abraham Taylor & @Ruben Hartfield

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« T’as raison : perdons pas de temps. »
Les voilà donc sur la même longueur d’onde, obligés de s’en tenir de bout en bout à ce pourquoi ils s’étaient engagés, mais bien décidés à expédier leurs obligations au plus vite dans l’espoir de pouvoir eux aussi profiter de leur soirée d’Halloween. Reste qu’ils n’étaient à leur avantage ni l’un ni l’autre dans leurs costumes, et tandis que Ruben se rêvait en suceur de sang allergique au soleil, Abe se serait pour sa part tout à fait imaginé en cow-boy zombie, assoiffé tout comme son acolyte à l’idée de planter ses crocs dans de la chair fraîche. Mais non, il n’était qu’une citrouille inoffensive, un bibendum orange en collants. « Mais non: la grosse araignée pour moi cette année. » Les voilà donc à se lamenter, malgré tout, la réaction du seul adulte présent à leur arrivée au point de rendez-vous terminant de leur prouver la perte de leur dignité adolescente. « C’était exactement ça que je voulais éviter comme réaction. » Certes, et néanmoins il y avait fort à parier que tout cela relevait du compliment sincère dans la bouche de celle qui l’avait formulé … À moins que les adultes n’éprouvent un malin plaisir coupable à rendre la vie impossible aux adolescents qu’ils étaient, mais ils atteignaient probablement là une limite dans le syndrome de persécution.

Reste que les enfants, eux, n’étaient pas responsables des circonstances dans lesquelles leurs chaperons s’étaient retrouvés là. L’humeur d’Abe changeant donc aussi vite que Dracula se muait d’aristocrate roumain à suceur de sang, il avait fait le compte des différents déguisements arborés par les enfants comme on s’extasiait devant un dessin gribouillé au feutre, et obtenu le « Une citrouille et une araignée, t’as oublié de rajouter à ta liste. » de Ruben, y mettant autant de bonne volonté. « C’est le vampire moi. » avait-il d’ailleurs poursuivi lorsque le petit dragon du groupe s’était renseigné sur son monstre préféré comme si le choix revêtait d’une importance capitale. « Plus tard, fe ferai un fampire moi ! » Ses quenottes en plastiques claquant à la fin de ses phrases, le petit bonhomme avait arraché malgré lui à Abe un soupir attendri, et le regard remontant à Ruben lorsqu’il avait questionné « Je me rappelais plus que quand t’es gamin, tu crois que tout est possible comme ça. T’as déjà pensé que tu pouvais devenir un suceur de sang toi, Abe ? » il avait fait mine de prendre la question avec le plus grand sérieux, comme si de cela dépendait son examen d’entrée à l’école des hommes-chauve-souris. « Je sais pas, j’aime un peu trop le grand air et la lumière du soleil pour devoir les fuir, je crois ? » C’est qu’Abe passait le plus clair de son temps libre à crapahuter et monter à cheval. « Et j’avoue que je préfère mon bon vieux lit au fait de devoir dormir dans un cercueil. » Le cauchemar de tous les claustrophobes, aussi sûr que celui des vampires tenait en une gousse d’ail. « Mais l’immortalité, la rapidité et le pouvoir de persuasion ? J’avoue que ça en jette. » Du moins, l’immortalité en jetait tant que l’on n’avait pas le recul suffisant pour se rendre compte que l’on devrait enterrer toute sa famille, et errer dans les allées d’un cimetière les soirs de pleine lune pour organiser les réunions familiales.

La conversation se poursuivant autant que le parcours de maison en maison et de commerce en commerce pour obtenir des bonbons ou un sort, voir même des “pistolets à eau bénite” de la part du gérant de la quincaillerie, qui savait décidément comment parler aux enfants pour provoquer leur enthousiasme, le petit groupe de fanatiques de vampires était finalement presque arrivé à la fin de sa tournée. Alors qu’ils remontaient la rue principale néanmoins, leur attention à tous avait été attirée par des cris perçants, et un groupe de quatre ou cinq lycéens courant dans leur direction comme si Nosferatu lui-même était à leurs trousses. « Il y a un tueur fou au lycée !! » Se prenant les pieds dans ses lacets, la jeune femme qui venait d’émettre cette information avait trébuché et écorché ses genoux contre l’asphalte, un filet de sang s’en échappant aussitôt lorsqu’elle s’était remise debout à la hâte. « Oh, wow, ça va ? » N’ayant absolument pas pris la première phrase au sérieux, Abe avait ajouté sur le ton de la plaisanterie « Joli, le numéro de la victime de slasher, haha. Et le faux-sang de ta copine ? On dirait du vrai, c’est ouf. » Observant Ruben et Abe avec un mélange de peur et d’incompréhension devant le peu de réaction que venait de susciter leur mise en garde, le groupe d’adolescents ne comptait néanmoins pas s’attarder plus longtemps, et criant encore « Il est peut-être déjà dehors, barrez-vous !! » ils avaient repris leur course sans se retourner, visiblement soucieux de s’éloigner au plus vite du lycée, de là où ils venaient. « Je savais que j’aurais dû faire option théâtre, ils sont vraiment convaincants. » Oh, et comment qu’ils l’étaient.

Les dents en plastique en forme de canines de vampire que le gamin portait l’empêchaient de parler correctement, lui donnant l’impression de zozoter et d’être en manque de sa substance vermillon préférée, mais il était tout du moins toujours possible de le comprendre. Et puis, cela le rendait attendrissant, assez pour qu’il donne presque envie qu’on lui croque les joues à pleines dents. Ils n’étaient cependant pas là pour se laisser aller à la contemplation d’une fournée de chaire fraiche qu’étaient les enfants, mais pour les guider lors de cette traque - aux bonbons, traque aux bonbons - à travers la rue. Ils finirent de se concentrer sur les costumes pendant un instant, discutant des capacités surnaturelles des vampires celui d’après. « Je sais pas, j’aime un peu trop le grand air et la lumière du soleil pour devoir les fuir, je crois ? Et j’avoue que je préfère mon bon vieux lit au fait de devoir dormir dans un cercueil. Mais l’immortalité, la rapidité et le pouvoir de persuasion ? J’avoue que ça en jette. » Ruben eut un petit rire, pas assez strident cependant pour être entendu par les chauves-souris. « J’avoue, le cercueil qui pue le bois pourri, ça me tente pas non plus. » Encombré d’araignée et toutes créatures à pattes des greniers et des grottes - non merci. « Mais les autres là, l’immortalité surtout, ça doit être génial ! T’as toute la vie devant toi, littéralement. Et puis à part un peu d’eau bénite et de l’ail, t’es plutôt tranquille. Enfin si oui, les rayons du soleil. Mais qui a besoin de vitamine D quand tu peux la prendre directement dans le sang des humains, hein ? » Il l’avait dit un peu sur un ton énigmatique pour filer la chair de poules aux gamins - qui riaient des discours des deux gars.

Pendant la chasse, Ruben prit à part quelques gamin pendant un moment donné, et il leur expliqua qu’ils allaient embêter un peu Abraham - pas quelque-chose de méchant, il n’était pas vilain comme les buveurs de sang pour de vrai et puis avec son costume d’araignée, Dracula riait de loin dans sa tombe - afin de lui redonner un peu plus le sourire. Le but: voir ses canines et prouver que c’était un vampire. Ce serait un échec de mission, bien sur, mais cela donna assez envie aux gamins pour plonger la tête la première dans le projet, toutes dents dehors prêtes à mordre en cas d’attaquer qui mettraient à mal le plan. Deux ou trois gamins avaient fait le tour d’un jardin pour se mettre en travers de leur route et faire peur à Abe en le faisait un gros BOUH à vocation de le faire au moins sursauter. Ce n’était pas la blague de l’éternité, mais cela fonctionna assez pour faire rire les gamins et c’était tout ce qu’ils pouvaient tous attendre de cette farce faite en déguisements de vampire et sans en être réellement un. Leur rire fut rapidement interrompu malheureusement par un groupe d’adolescents en cavale, qui semblait courir comme si leur vie en dépendait - peut-être avaient-ils croisé la route d’un vrai Dracula ? C’était la soirée réservée aux créatures de la nuit après tout, rien n’indiquaient qu’elles ne sortaient pas en plein jour pour braver les rayons du soleil à ce moment là de l’année. « Il y a un tueur fou au lycée !! » Elle tomba, s’écorcha le genou, du sang s’échappant au niveau de ce dernier - pas de quoi remplir une poche, mais assez conséquent pour couler le long de sa jambe. « Oh, wow, ça va ? Joli, le numéro de la victime de slasher, haha. Et le faux-sang de ta copine ? On dirait du vrai, c’est ouf. » Abe avait l’air amusé de voir l’hémoglobine se répandre, mais une certaine peur se faisait entendre dans la voix de la jeune femme - comme si elle avait effectivement vu un monstre des ténèbres. « Il est peut-être déjà dehors, barrez-vous !! » - « Je savais que j’aurais dû faire option théâtre, ils sont vraiment convaincants. » - « Ils courent comme s’ils étaient poursuivi par un vampire, je pense pas que ce soit vrai mais ils ont l’air d’avoir vraiment peur. Aidons les enfants à rejoindre leurs cryptes respectives, pour être surs. Les parents chauves-souris seront contents de les voir rentrer avant que la nuit tombent - après tout, chez eux les vampires peuvent pas rentrer. » Il haussa un sourcil en direction de Abe. « Façon de parler, t’as compris les métaphores utilisées en parlant de vampires et tout ça, bref, mettons nous en route parce-qu’on a pas de vitesse surnaturelle pour nous. Et on a bien avancé dans la ville tellement j’ai l’impression qu’on est arrivés en Roumanie. »