« Reste professionnel, fais comme si on ne se connaissait pas. » Il sourit mais n’en fait pas davantage, répondant ainsi à la demande de Marley. Si c’est ce qu’elle souhaite, il n’ira évidemment pas contre son avis, et c’est pour cette raison qu’il se contente à son tour de tendre la main pour qu’elle le lui serre. « Madame Lynch, venez avec moi. » Il se contente donc de stipuler, avant de prendre les devants pour qu’elle puisse reconnaître quelle porte est la sienne dans ce tout nouveau cabinet dont les murs sentent parfois encore la peinture. Une fois la porte fermée et l’intimité assurée, il lui désigne la table pour qu’elle puisse s’asseoir dessus. « Tu veux pas qu’on sache que tu es une patiente spéciale ? » Il sourit simplement et l’observe d’un coin de l’oeil, sans pour autant chercher à insister davantage sur la question. Il se moque bien de ce qu’elle pourrait répondre, au fond, et ses raisons lui appartiennent sans qu’il n’ait à insister d’aucune manière. Si elle veut que ce soit le cas, alors il jouera le jeu.

« Un verre d’eau ? Comment tu t’es remise de tes bobos depuis la dernière fois ? » Il enchaîne les deux questions comme si elles étaient équivalentes et préfère dire bobo pour ne pas entrer dans les détails de les blessures qui avaient été siennes à ce moment. Tous les deux savent déjà qu’elles étaient bien loin d’être des petites blessures anodines et c’est pour cette raison qu’il lui a proposé de venir au cabinet, pour qu’il puisse effectuer un suivi nécessaire avec tout le matériel adéquat. Parfois, être kinésithérapeute est la meilleure excuse qui soit pour oser interroger ses proches au sujet de leur corps et de leurs douleurs, et ils pourraient sans doute tous approuver ces propos tant Swann a mené un interrogatoire plus ou moins poussé avec chacun d’eux. « Tu as encore des douleurs ? » Il précise finalement la question, pas certain qu’elle le lui aurait précisé sinon, telle la véritable louve agressive et sur la défensive qu'elle représente parfois.

« C'est plutôt que je ne veux pas qu'on t'accuse de faire du favoritisme ! » Et il ne sait pas s’il s’agit de lard ou de cochon (il mangerait volontiers l’un comme l’autre de ses crocs éternellement affamés), mais cela le fait tout de même sourire doucement: n’importe lequel de ses patients apprendra rapidement à le connaître et saura par extension qu’il est du genre à faire du favoritisme avec tout le monde et à se plier en quatre pour le bien de ses patients. Mais si tous les patients recoivent un certain traitement de faveur, est-ce que cela peut toujours être considéré comme tel ? Il réfléchit trop et se fait la remarque par lui-même, avant d’abandonner la suite de la réflexion pour uniquement se concentrer sur Marley. « C'est joli. » Ce n’est pas vraiment son chez lui, mais il sourit face à cette remarque, parce que le cabinet est déjà comme son second enfant à ses yeux et il a longtemps travaillé sur ce dernier, à bien des niveaux.

Marley répond positivement à la proposition d’un verre d’eau et il le lui donne donc sans faire de commentaire à ce sujet. « La cheville va beaucoup mieux mais l'épaule ce n'est pas encore tout à fait ça. Y a encore certains mouvements que je n'arrive pas à faire... » Il observe avec minutie les gestes qui sont les siens, déjà entré dans un mode professionnel alors qu’il commence peu à peu à retrouver des réflexes jamais vraiment oubliés. Rory a été son seul patient pendant plusieurs mois mais il n’aurait jamais pu oublier sa formation, ce qui le pousse effectivement à tomber d’accord avec Marley et à craindre que son épaule soit bien loin d’être remise d’une façon convenable. « Elle devrait être en meilleure état, depuis le temps. » Il ne veut pas être alarmant et il ne le sera pas davantage, mais Swann a tout de même à coeur de se montrer transparent avec elle. Qu’elle soit en retard sur sa guérison n’est pas un problème, tant qu’elle finit bel et bien par guérir. « On dirait des instruments de torture » Il sourit, n’ayant même pas à poser son regard derrière lui pour savoir qu’elle parle des différents objets et autres instruments utiles à diverses rééducations et exercices. « Enlève ta veste, je te dirai si tu as droit à l’un d’eux. » Il demande simplement, déjà prêt à manier doucement son épaule pour se rendre un peu mieux compte de ce qu’il en est. « Tu en es où dans la pratique du sport ? » Il lui laisse une large amplitude de réponse, gardant pour lui ses conseils d’amis et se contentant de ceux de kiné.

Marley répond par un grimaçant de douleur, ce qui confirme à Swann que la guérison de son épaule ne se passe pas aussi simplement qu’elle le devrait donc. « Je n'en fais plus spécialement depuis que j'ai appris que j'étais enceinte. » Il comprend qu’elle n’a pas terminé de lui expliquer son quotidien, raison pour laquelle il garde le silence pour la laisser aller jusqu’au bout de ses pensées. Il faut qu’elle lui explique autant que possible la façon dont elle gère son quotidien, pour qu’il puisse ensuite l’aider autant que possible et comme il l’entend. « Je continue simplement à faire des footings » Il hoche la tête, sans doute rassuré que ce soit finalement tout ce qu’elle ait à lui avouer. « Je devrais pas courir c'est ça ? Quand on est enceinte on ne doit plus faire de sport ? » Une certaine panique s’entend dans sa voix, ce qui pousse l’anglais à déjà bouger sa tête de droite à gauche et lui faire comprendre que la réponse est négative: « Tu peux faire du sport en étant enceinte, c’est pas un souci. » Et il vaut sans doute mieux qu’elle continue d’en faire, justement, tant que cela reste raisonnable. « Tant que ça reste raisonnable. Pas de marathon, hm ? » Pour le footing, comme pour n’importe qu’elle sport, elle doit accepter l’idée que ses capacités sont tout de même réduites et qu’elle ne peut pas tout se permettre, pour le bien et la sécurité de son enfant.

« Je vais te donner quelques exercices à faire ici, et d’autres à faire chez toi. » Aussi simplement que cela. Il ne propose pas une solution miracle, mais il espère au moins en proposer une qui l’aidera à aller mieux. « Ta douleur, tu l’estimes à combien sur dix ? » Avant de lui donner les exercices à faire, il a besoin de connaître la gravité de sa douleur, sans doute parce qu’il la soupçonne de s’être gardée de grimacer autant qu’elle aurait pu le vouloir. Marley est du genre à toujours vouloir se montrer forte et à garder pour elle, et c’est justement parce qu’elle est son amie et une patiente toute particulière qu’il creuse toujours ses questions. Elle a toujours un peu trop à coeur de n’inquiéter personne, ce qui est une attitude qu’il connaît très bien, pour souvent l’utiliser lui-même.

« Tu préfères pas me masser l'épaule plutôt ? » Il sourit, amusé par sa tentative de négociation. Il sait que l’idée de gagner un massage est bien plus plaisante que celle d’avoir à faire des exercices, surtout alors qu’il ne lui fera pas miroiter l’idée que tout se passera sans douleurs ni difficultés. La rééducation est nécessaire mais ce n’est pas un chemin simple à emprunter, et il en sait quelque chose pour l’avoir observé à des centaines de reprises. Bien souvent auprès de ses patients, mais aussi avec Rory une fois, et cette fois-ci tout a été bien plus difficile à supporter. Il ne pouvait pas aider à la hauteur de ce qu’il voulait, il ne pouvait pas user de quelconques pouvoirs magiques, et ça l’a complètement détruit de l’intérieur. « Non mais tu peux tenter de négocier si ça t’occupe. » Et pendant qu’il lui conseille une façon comme une autre de s’occuper, il pose dans sa main un poids encore léger et lui donne les instructions de l’exercice. Si elle pense un minimum à son plaidoyer, ce sont autant de neurones qui ne seront pas utilisés pour jauger sa douleur et la difficulté de l’exercice.

Elle détaille son niveau de douleur et il note mentalement la façon dont elle ressent les choses autant que l’amplitude de la douleur qu’elle décrit. Déjà, il espère sincèrement que cette visite ne sera pas sa dernière, parce qu’il continue de penser qu’elle devrait continuer à consulter un professionnel de santé et qu’il est sans doute l’un des rares à être assez bien placé autant que tenace pour lui imposer des visites et un minimum de bonne foi. « Ça ne doit pas vraiment t'aider n'est-ce pas ? » Elle est inquiète de ne pas être assez utile, alors il la corrige avec patience. « Si, ça m’aide. A te comprendre, et à comprendre comment soigner cette épaule pour qu’elle ne t’embête plus. » Il apprend aussi à connaître son échelle de résistance à la douleur, parce qu’elle n’est pas la première à lui rendre visite pour une blessure du genre. Et peu se contentent de viser aussi bas, ce qui le pousse à croire qu’elle diminue elle-même les chiffres de la douleur. Il ne peut pas le prouver, et il n’a pas à cœur de le confronter à ce sujet non plus, mais c’est une information qu’il note mentalement, tant en tant qu’ami qu’en tant que médecin. « Tu sais ce que tu peux gagner si tu réussis cet exercice avec le meilleur temps ? Mon sandwich préféré que j’ai fait à 3h30 cette nuit, en même temps où Robin a décidé que c’était l’heure de manger. » Et elle le connaît assez pour connaître ses goûts culinaires assez douteux, raison pour laquelle il aborde le sujet avec humour: personne n’a envie de son sandwich fait avec tout ce qu’il a pu trouver dans le frigo ou presque. Le pain a été cuit dans un four avec de l’ail sur un côté et des épices de l’autre. Il a choisi de l’agrémenter de morceaux de poulets cuits au caramel, d’ananas, de fromage à raclette et de cacahuètes. Bien décidé à se faire un festin royal, du miel s’est aussi ajouté à la dégustation toute particulière, le tout ayant été fait avec une attention toute relative alors que Robin buvait goulûment son lait - qui n’a pas été agrémenté par Swann, évidemment. Près d’une demie-heure après le réveil, Swann s’est décidé à ajouter du fromage râpé sur le dessus de son sandwich ainsi que des œufs brouillés à l’intérieur, pour parfaire son chef d’oeuvre qui donnerait sûrement envie de vomir à n’importe qui d’autre que lui. L’odeur dans la cuisine était toute particulière, il faut bien l’avouer, mais cela ne l’a pas empêché de juger nécessaire de rajouter quelques oignons ainsi que de nouvelles épices, pour parfaire son mélange digne des pires scènes de la gourmandise dans Seven. « Mais tu peux surtout gagner le droit de rentrer chez toi sans que je te retienne. » Et sur ce point là, il est un peu plus sincère. Swann n’a pas à coeur de faire de Marley son otage, surtout alors qu’il nourrit l’espoir qu’elle revienne de son propre gré au cabinet. Elle serait capable de montrer les dents et même de mordre et il ne veut pas avoir à se battre avec elle.