Si elle avait eu la chance de venir au monde une centaine d’années auparavant, Greta n’aurait pas eu à combattre les forces du mal, les vampires, sorciers ou loups-garous qui la tourmentaient chaque jour. Elle n’aurait pas non plus assisté à cette éclipse et peut-être qu’elle s’en serait mieux portée parce que c’était bien là le début de tous les drames. Mais pour autant, elle aurait également eu une vie bien plus banale que celle qu’elle menait aujourd’hui. Une vie bien différente, dans un pays qui aurait été découvert seulement une trentaine d’années auparavant. Elle aurait été l’une des premières habitantes, une pionnière et peut-être que cela aurait tout changé. Si elle était née plus tôt, alors la Louisiane aurait encore été française et le Rhin aurait encore été Autrichien, la géographie ne serait pas la même qu’actuellement mais cela n’aurait probablement pas eu grand intérêt pour cette Australienne d’origine. Si son espérance de vie aurait dû être meilleure grâce à l’évolution amenant des avancées démographiques importantes, elle ne l’était pas, parce que si cent ans avant elle était plus courte, aujourd’hui, elle était raccourcie par les menaces qui planaient sur l’humanité et qui touchait au surnaturel. Mais si elle avait vécu cent ans plus tôt, Greta n’aurait pas pu lire les écrits concernant les premiers jeux sportifs ou la première exposition universelle de Paris. Peut-être que tout aurait été plus facile s’ils n’avaient pas eu une avancée en sciences leur permettant de chercher une explication rationnelle à l’éclipse. Et puis dans les années mille huit-cent, Greta était persuadée que les sorciers qui essayaient de les tourmenter en réveillant les morts n’auraient pas encore été présents sur cette planète, leurs ancêtres ayant été tous brûlés. C’était difficile pour elle de penser comme cela, mais il était vrai qu’une partie d’elle aurait préféré naître bien avant tout ce qu’elle était en train de vivre et qui la rendait folle.

Dans les couloirs du couvent où on l’avait assignée, Greta faisait les cent pas. « Je te rappelle que tu n’es pas ma mère, Maritza. » Elle n’était que sa nourrice, celle chargée de s’occuper d’elle depuis sa plus tendre enfance parce que les nobles qu’étaient ses parents n’en avaient pas le temps. Maritza était douce, maternelle, et parfois, Greta se surprenait à ressentir plus de tendresse pour elle que pour sa mère biologique mais depuis l’éclipse, ce lien avait légèrement changé. La femme l’étouffait, l’obligeant à rester cloîtrée au couvent comme si elle était elle-même une Soeur. Il n’en était rien, elles avaient juste élue domicile ici depuis que le couvent était devenu l’un des lieux les plus sûrs de Brisbane. Aucune des deux n’était en mesure de combattre les monstres des ténèbres et Maritza aurait probablement payé de sa vie s’il était arrivé quoique ce soit à Greta. « Il ne m’arrivera rien si je sors, j’ai de quoi me protéger. » Pieux, cristaux, aconit, plusieurs éléments qui pourraient repousser les forces du mal.

Le couvent était maintenant semblable à une prison, Greta ayant arpenté l’ensemble des couleurs et connaissant chaque recoin. Elle n’en pouvait plus de errer en ces lieux et elle se demandait comment les soeurs avaient pu choisir cette vie, recluse, à voir les même personnes encore et encore et à fouler le même sol. C’était peut-être justement le fait de pouvoir choisir qui rendait les choses moins désagréables parce que Greta ayant été obligée de suivre les obligations de ses parents ne pouvait voir cela autrement que comme une très grande injustice. Elle suffoquait et elle qui aimait tant Maritza s’en prenait à elle, comme si elle était devenue son défouloir. « Non, mais à ce que je sache, ta mère n'est pas dans les environs. C'est donc à moi de veiller à ce que tu ailles bien. » Pour simple réponse, Greta avait croisé les bras et frappé son pied sur le sol froid du couvent. Maritza ne voulait que son bien, elle continuait à s’atteler aux tâches ménagères sans broncher alors qu’elle devait elle aussi être frustrée de cette situation mais également et surtout totalement terrifiée. Elles n’étaient pas seule, le couvent était rempli, et pourtant, les Soeurs ne seraient probablement d’aucune utilisé si une attaque venait à les viser. Le lieu était religieux et supposé les protéger mais Greta ne croyait plus en rien et surtout pas en la capacité qu’avait Dieu de les protéger - n’avait-il pas sa part de culpabilité dans tout cela. Elle avait tenté d’obtenir la permission de sortir, pleine d’espoir. « Bien sûr. C'est bien connu que tu sais comment te servir de cristaux... » Sa colère montait alors que Maritza la prenait une nouvelle fois de haut, elle n’était plus une enfant et elle avait tendance à l’oublier. « Et autre chose... Je veux pas que tu traînes avec cette Lynch... » Haussant un sourcil, Greta s’était plantée devant elle pour répondre. « Qu’est ce que Marley vient faire là-dedans ? Elle est mon amie, je ne te permets pas de parler d’elle comme ça ! » Elle était furibonde et tentait de se donner l’air plus âgé en haussant la voix et en se dressant sur la pointe des pieds. « Ne me dis pas que tu n’en as pas assez toi aussi de rester coincée ici… » Elle n’était que sa nourrice, sa vraie famille devait l’attendre, et un instant, Greta s’était même imaginée ce qu’il avait pu advenir d’eux durant l’absence de leur mère.