Le Nemrod n’est pas un endroit qu’il a pour habitude de fréquenter mais l’ambiance lui plaît - la plupart du temps, du moins. La clientèle de l’endroit est parfois rafraîchissante et parfois un peu trop alcoolisée pour être amusante d’une quelconque façon, et il faut croire que ce soir seule la seconde partie semble l’emporter sur le reste. Ainsi, Swann n’hésite pas longtemps avant de décider de jeter un sort au groupe d’amis particulièrement bruyant et malpoli. Rien de bien méchant, simplement des visions d’horreur qui n’auront rien de réelles. Rien qu’il n’a le temps de mettre en place non plus, sa statue immobile lui valant de se faire rentrer dedans et, surtout, de se faire renverser l’équivalent des chutes du Niagara sur le visage et le torse. Sous le coup de la surprise, il ne sait même pas comment réagir. « Je suis tellement désolée ! Vraiment, je suis confuse... » La serveuse tente d’éponger ses vêtements, ce qui est bien évidemment une aventure qui est faite en vain. « Je peux vous offrir un verre ? C'est pour me faire pardonner ! » Elle est sincèrement désolée et cela s’observe facilement sur son visage. « Sur mon t-shirt ou sur le comptoir, ce verre là ? » Il répond avec humour pour lui faire comprendre que cela n’a rien d’un problème, et qu’il accepte volontiers ses excuses.

Après s’être concentré un instant et avoir gardé le silence, il jette un sortilège sur ses propres vêtements pour les nettoyer et surtout pour les décorréler de toute odeur nauséabonde - non pas qu’il n’aime pas la bière, mais disons simplement qu’il préfère la boire plutôt que la porter. « Ce sont des habitués ? Ils m’ont l’air particulièrement agaçants. » Pour ne pas dire autre chose. D’un geste de la tête, il désigne le groupe d’amis attablés derrière lui en attendant sagement que Marley lui serve un nouveau verre. « J’admire votre patience, et je comprends que je n’étais pas supposé me trouver au milieu de votre chemin, alors je m’excuse à mon tour. » Swann rétorque à son tour, sincère et poli comme à son habitude. Selon la réponse qu’elle pourrait lui donner au sujet des garçons, cependant, il reprendra son sort là où il l’avait laissé. Ils le méritent sans doute.

« Je poserai le verre sur le bar et vous n'aurez qu'à le prendre. »
« Ce n’était que de l’humour, ne vous en faites pas. »

Elle a murmuré mais de son côté Swann répond d’une voix plus forte, qui ne flanche pas. Il ne veut pas qu’elle pense qu’il a honte de parler avec elle, ou même qu’il se moque d’elle et de ses possibles capacités à être une bonne serveuse. Il n’y a rien de tout ça, pas alors qu’il sait très bien qu’elle a agi à cause de la pression que lui met la table à côté d’eux. Et que la malchance y a aussi joué: tout le monde fait casser un verre un jour dans sa vie. Pour lui prouver que rien n’est grave, il n’attend pas davantage avant de sécher ses vêtements.


Ses mots suivants sont dédiés au groupe à la table à côté d’eux, et Swann ne cache pas ne pas les apprécier. « Je ne suis pas sûre que le terme agaçants soit assez fort pour les caractériser. » Il confirme ses soupçons, sans que le blond n’ait nourri l’idée d’un quelconque suspens à un moment ou à un autre: il est évident qu’ils sont des troubles-fêtes de premier ordre. Le portrait qu’elle dessine de celui qu’elle qualifie comme le leader du groupe confirme encore un peu plus l’idée que Swann se fait d’eux, ainsi que toute la haine qu’il ressent à leur égard. Son regard s’assombrit et alors que Marley se confond en excuses, il ne l’écoute déjà plus et préfère préparer son sort.

Quelques secondes plus tard, ils se retrouvent enfermés dans une bulle de verre d’où ils ne peuvent sortir ; mais d’où, surtout, plus personne ne les entend ni ne subit leurs frasques. Ils sont comme des animaux en cage, dans une sphère où ils ne peuvent pas se poser en étant à l’aise et où, surtout, l’entrée d’air est trop petite pour qu’ils en aient suffisamment: ils ne vont pas en mourir, mais le manque d’oxygène va les forcer à rester calmes. « Vous ne savez pas de qui le sortilège est venu, n’est-ce pas ? » Il retourne son regard vers Marley et lui pose une question rhétorique, affichant en même temps un sourire particulièrement doux. « Ils vont prendre peur et apprendront de leur leçon, j’en suis certain. »

« Non, mais qui qu'il soit je l'en remercie. » Elle consent à préserver avec lui le secret de sa véritable nature et il l’en remercie d’un simple hochement de tête, sans chercher à trop en faire. Se fondre dans la masse est la priorité. « Le bougre a sûrement attendu chape-chute. » Il déprécie les talents du sorcier derrière ce sortilège qui les tourne en ridicule, mais il est pourtant vrai qu’il a attendu le moment propice avant de le lancer. Simplement, chape-chute ou non, il aurait pris le temps de faire regretter à ces garçons leur attitude, qu’ils se soient montrés négligents ou non. Ils méritaient d’être remis à leur place. « Ils ne vont tout de même pas mourir ? »

La sollicitude de la jeune femme touche le sorcier, qui dévie son regard de la bulle leur servant de prison pour plutôt le poser sur elle. « Rien de tout ceci. » Il veut leur apprendre une bonne leçon mais il n’a pas à coeur d’en faire davantage, et certainement pas de les tuer. C’est une des raisons pour lesquelles il se tient loin de toute magie noire: son cœur n’en a pas la même couleur. « J'ai toujours cru qu'il fallait une baguette ou une formule magique claironnée sur un ton mystérieux pour pouvoir lancer un sort. » Elle se montre curieuse, ce qui tend au moins à prouver qu’il ne l’a pas trop effrayée, et c’est tant mieux. Les humains effrayés sont toujours voués à faire d’énormes sottises. « On en a une mais on la garde pour les pouvoirs plus difficiles, où la minutie est de mise. » Il dévoile les secrets de son espèce sans trop en dire: elle est une amie pour l’heure, mais il n’a aucune idée de qui elle est réellement. Et la lune éternelle lui a plus que jamais appris à se méfier de tout le monde, même de son ombre. « Elle se dispercera d’ici une petite heure, je pense qu’ils jugeront bon de rentrer chez eux d’ici là. » Et pour la première fois, il porte enfin le verre à ses lèvres et en boit quelques gorgées. « Vous pouvez être tranquille. » Elle peut retourner vaquer à ses occupations sans craindre qu’ils l’importunent de nouveau.