Le vaisseau avait décollé et c'est à ce moment précis que Greta avait commencé à avoir des regrets, même des remords. Elle laissait derrière elle sa mère qui avait déjà perdu son père avant ça et elle ne savait pas comment elle réagirait quand elle constaterait que sa fille n'était plus là. Mais elle ne pouvait pas lui demander de continuer à accepter tous ses choix, à accepter de la voir prendre des décisions qui condamnaient des innocents. Prenant une grande inspiration, elle avait finalement croisé le regard de Rose qui était installé sur les sièges qui leur avaient été attribués. Un maigre sourire avait dessiné ses lèvres depuis sa cachette, peu importe où ils atterriraient, elle serait avec lui. Au dernier moment, une fois assurée que tous les adultes avaient rejoint la base, elle s'était montrée et le vaisseau avait atterri non sans encombre. A l'ouverture, tout le monde affichait le même visage étonné : la Terre était là, belle et accueillante et c'était la chose la plus merveilleuse qu'elle avait pu voir de sa vie. « Tu avais raison, Rose... » Elle avait tourné son visage vers lui pour qu'il puisse voir son sourire, elle savait déjà combien il jubilait d'entendre ces mots. Attrapant sa main par réflexe, ils avaient fait leur tout premier pas à l'extérieur ensemble et elle n'avait jamais ressenti de sentiment aussi fort. « Je veux me baigner, voila ce que je veux faire en premier ! » Elle avait enlevé ses chaussures, enivrée par toutes les nouveautés que cette planète avait à leur offrir et elle avait apprécié l'herbe sous ses pieds. La nature était belle, mais elle en voulait plus, toujours plus, parce qu'elle ne savait pas combien de temps ce sentiment de plénitude durerait. Elle ne savait pas non plus si tout cela était bien réel ou si d'autres déconvenues les attendaient.

Ses yeux brillent d’une lueur nouvelle alors qu’il observe un monde qui l’est tout autant. Dans ce nouveau monde, tout lui semble magique, magnifique. Les oiseaux chantent (il y a des oiseaux), les feuilles bougent et bruissent selon le vent (il y a des feuilles, il y a du vent). Il pense à la merveille que cette vie avait dû être dans l’ancien temps, quand ce monde était la seule évidence et la vie dans l’espace parfaitement impossible. Il y repense, et il est horrifié à l’idée que tout a pu être perdu pour des raisons futiles. « Tu avais raison, Rose... » Greta sourit plus que jamais et il en fait de même, subjugué par la beauté du monde les entourant. A deux, mains dans la main, ils font leur premier pas sur le sol meuble de l’endroit. Un jour, ils pourront y faire pousser des plantes, et tous ceux restés dans l’espace les jalouseront.

« Je veux me baigner, voila ce que je veux faire en premier ! »
C’est un terme qu’ils ne connaissent même pas, dans l’espace, où chaque goutte d’eau est précieuse et où l’idée de remplir un récipient bien trop grand simplement pour s’y plonger en entier semble impossible, même pour les plus riches et les plus influents. « Le premier qui trouve un lac. » Un lac, un fleuve, une rivière. Il ne connaît plus toutes les nuances de ces mots, trop peu usités et trop peu utiles dans l’espace. Ce qu’il sait, néanmoins, c’est qu’il a hâte d’y être et il en profite pour retarder Greta en lui donnant un coup de coude, à avant de s’élancer à toute vitesse vers ce qu’il pense reconnaître comme le bruit de l’eau. Mais qu’en sait-il, après tout ? « Tu crois qu’elle peut se boire ? Tu crois qu’on y verra des animaux ? Tu crois qu’ils savent à quel point ils se sont trompés, ceux qui pensaient nous envoyer à la mort ? » Au contraire, ils les ont rendus plus vivants que jamais.

Le tumulte du trajet avait vite été oublié, à la seconde même où la porte du vaisseau s’était ouverte pour découvrir un monde qu’ils croyaient tous perdus. Ceux qui l’avaient connu, qui étaient montés sur le vaisseau avant l’explosion nucléaire, n’étaient plus là pour en témoigner mais de précieux livres parlaient encore de ce qu’était la Terre avant la catastrophe. Bien souvent Greta se demandait ce qu’aurait été sa vie si cette planète était encore viable, presque aussi souvent qu’elle se demandait ce qu’il pouvait bien se passer sur les autres planètes du système solaire. Et aujourd’hui, l’une de ses questions trouvait une réponse qui s’illustrait devant ses yeux émerveillés, un sentiment décuplé par la main d’Ambrose dans la sienne. « Le premier qui trouve un lac. » Un vocabulaire qu’ils n’avaient que grâce à des cours spécifiques sur ce qu’était le monde autrefois, des professeurs qui leur apprenaient ce à quoi ils seraient un jour inévitablement confrontés. Ils ne s’y étaient pas préparés, n’avaient pas pu anticiper que ces leçons étaient amenées à être autre chose que théorique. Ils écoutaient pour s’évader et rêver plus que pour s’assurer de survivre sur place et il y avait fort à parier qu’ils devraient bientôt piocher dans ces souvenirs de classe. « Hey triche pas ! » avait-elle crié en mimant le côté enfantin d’un Ambrose qui tentait de la ralentir pour pouvoir gagner le défi. Elle l’avait suivi, après tout, peu importe le gagnant, ils partageraient la récompense d’avoir trouvé un endroit où s’immerger pendant autant de temps qu’ils le souhaitaient.  « Tu crois qu’elle peut se boire ? Tu crois qu’on y verra des animaux ? Tu crois qu’ils savent à quel point ils se sont trompés, ceux qui pensaient nous envoyer à la mort ? » Rose était égal à lui-même, sa curiosité décuplée par l’aventure qui s’offrait à lui. Baissant la tête, Greta avait d’abord répondu à la partie la plus difficile de ses questionnements.  « Ils ne voulaient pas réellement nous envoyer à la mort… Ils pensaient réellement que c’était la solution. » Greta était triste, elle tentait de minimiser les actions d’une mère qui lui manquait déjà. Très vite, elle avait cependant remonté l’humeur.  « L’eau de la rivière se boit, pour les lacs par exemple, mieux vaut la faire bouillir. Si seulement t’avais écouté en classe, hin ? » avait-elle plaisanté en en profitant pour lui rendre son coup de coude. Leurs pas les avaient guidés au bon endroit, à moins que ce ne soit leur instinct. « Regarde ! » Et sans attendre, elle s’était mise à courir tout en enlevant un à un chaussure et vêtements inutiles pour ensuite se jeter à l’eau. Derrière elle, elle n’était pas consciente de cette étrange masse sombre qui remuait l’eau.

« Hey triche pas ! »
« Ja - mais. »

Dit celui qui triche toujours, évidemment. Mais à fouler le sol meuble de cette nouvelle planète, tout a un goût particulièrement différent. Un goût d’interdit autant que de liberté qu’il est particulièrement heureux de sentir pour la toute première fois de son existence. Tout est bien mieux de cette façon. Lancé à pleine allure, il prend néanmoins le temps de se retourner pour offrir à Greta un sourire plus immense et plus étincelant que jamais. « Ils ne voulaient pas réellement nous envoyer à la mort… Ils pensaient réellement que c’était la solution. » Ce n’est pas ce qu’il retient de cette histoire, mais il refuse de laisser les souvenirs s’imposer entre eux et les rendre malheureux alors qu’ils ont tout pour que les choses soient différentes. Ils sont sur Terre, bordel de merde. Ils sont de retour, et ce qu’il advient de ceux dans l’espace devient bien le cadet de ses soucis.

« L’eau de la rivière se boit, pour les lacs par exemple, mieux vaut la faire bouillir. Si seulement t’avais écouté en classe, hin ? » - « Pour quoi faire ? Je savais que tu serais là. » Ambrose nargue une fois de plus, bien qu’il n’ait effectivement jamais douté de la présence à ses côtés de son acolyte de toujours. Ils sont inséparables, sur le vaisseau comme sur Terre, c’est évident. « Regarde ! » Et sans plus tarder, Greta se jette à l’eau en ayant à peine pris le temps de se dévêtir pour ne pas risquer de mouiller ses vêtements. Il observe la scène avec amusement, encore difficilement capable de se rendre compte que ceci est leur nouveau quotidien. « Eh ! Attends moi ! » Il crie, il demande, il sourit encore et toujours. Il enlève à son tour son pantalon et son t-shirt et commence à courir en direction de l’eau, avant de s’arrêter au dernier moment, de justesse.

« Greta ! Sors de là ! Vite ! » Et il lui tend son bras pour tenter de l’attraper et la faire sortir au plus vite de l’eau, pour éviter que l’immense masse sombre à ses trousses ne lui fasse la peau.

« Ja - mais. » Il était un peu moins morose, Ambrose, depuis qu’il avait accédé à cette mission - ou génocide, selon les visions - et il retombait encore un peu plus en enfance à chaque nouveau pas qui venait fouler le sol de cette planète nouvelle. Ils n’étaient pas effrayés, ils ne pensaient pas aux conséquences que cet oxygène pur qui leur arrivait directement en plein poumons pouvait avoir sur leur système. Ils avaient encore l’innocence de l’adolescence alors que ce monde avait bien des défis à leur offrir. « Pour quoi faire ? Je savais que tu serais là. » Elle avait levé les yeux au ciel, il n’avait jamais montré de réel intérêt pour ce que pouvait tenter de leur inculquer la hiérarchie et c’était peut-être cette différence qui les avait liés. Elle était descendante du commandement, lui était un rebelle et ils trouvaient l’un chez l’autre ce qui pouvait manquer à leur caractère. Ils se dirigeaient vers la rivière parce que Greta profitait justement de cette part d’insouciance et de spontanéité que lui avait partagée Ambrose et c’est en se pressant qu’elle avait sauté dans l’eau. « Eh ! Attends moi ! » Son rire résonnait dans l’épaisse couche de verdure qui entourait la petite rivière en contrebas et elle avait plongé, tête la première, inconsciente des dangers qu’on lui avait évoqué en cours. « Greta ! Sors de là ! Vite ! » « Pourquoi ? Allez te dégonfle pas !  » s’était-elle écriée alors qu’elle faisait face à Rose et bientôt elle avait vu son regard changer, son front se plisser alors qu’il semblait fixer quelque chose. A la hâte, elle avait tenté de s’extirper d’une eau profonde où elle était incapable de nager n’ayant jamais appris la discipline en apesanteur. « Rose !! Ma jambe, elle est bloquée ! » Une algue la maintenant sur place et Greta pouvait maintenant sentir l’odeur de cet étrange poisson ainsi qu’entendre ses rugissements sous-marin qui présageaient son attaque. « Amène le vers là bas pendant que j’essaie de me détacher » Et la tâche n’était pas aisée quand on ne maîtrisait pas l’élément, Greta paniquait et plus c’était le cas, moins elle réussissait à accéder à sa jambe immergée et bloquée.

« Pourquoi ? Allez te dégonfle pas ! » Dans un premier temps, elle ne comprend pas pourquoi il lui urge soudainement de sortir de l’eau et cela correspond évidemment à un réflexe humain, mais Ambrose n’a pas le temps pour lui expliquer le problème plus largement: ils doivent repartir, et vite. Surtout elle. Ils ne connaissent rien de la faune ni de la flore sur une planète qui a changé particulièrement rapidement pour s’adapter à son nouvel atmosphère: les humains représentent sans doute des moustiques pour eux, ou alors de jouets très curieux qu’il ne leur a encore jamais été donné d’observer. Et à en juger par l’attitude de la créature, elle prend Greta pour sa friandise qui croquera sous la dent. « Je déconne pas, sors de là ! » Il répète à nouveau et la presse, certain qu’elle comprendre à son expression sur le visage qu’il n’est pas question d’une quelconque blague.

« Rose !! Ma jambe, elle est bloquée ! » Il panique, lui qui n’avait pas anticipé cette éventualité et le voilà qui observe les environs comme si un fusil de chasse capable de tuer une telle bête allait soudainement se métamorphoser devant lui. Si seulement. « Amène le vers là bas pendant que j’essaie de me détacher » Il commence par jeter des cailloux sur l’animal pour tenter de dévier son attention et puisque cela ne fonctionne pas, il court plus loin sur la berge pour s’émerger à son tour et frapper à la surface de l’eau. Fort heureusement, cette méthode-ci fonctionne davantage et lui permet d’amener l’animal en sa direction. Simplement, à partir de là, il ne sait pas comment faire pour s’en sortir à son tour, tout en laissant à Greta le temps de s’extirper de ses algues. « Si t’arrives pas à les défaire, plonge, l’eau est claire ! » Elle y verra sans doute mieux, et ce serait une opportunité pour elle de s’extirper de ce marasme - et Ambrose avec elle. « Greta dépêche toi ! » L’animal est désormais à une distance incroyablement dangereuse de lui.

« Je déconne pas, sors de là ! » Ce ton autoritaire, il avait tendance à ne le prendre que lorsqu’un réel danger les menaçait parce qu’elle lui avait fait comprendre un bon nombre de fois qu’il ne l’impressionnait pas. Et pourtant, elle aurait adoré savoir qu’il ne s’agissait là qu’une façon d’asseoir son égo alors qu’elle était presque tétanisée. La bête effleurait ses jambes sans jamais attaquer et les remous de l’eau empêchait Greta d’y voir dessous. Elle se sentait piégée, comme dans un piège à loup, et elle avait envoyé Ambrose distraire l’animal sans réaliser qu’elle l’envoyait lui-même dans la gueule du loup. « Si t’arrives pas à les défaire, plonge, l’eau est claire ! » Elle aurait eu plusieurs choses à lui rétorquer si la situation n’était pas aussi catastrophique mais elle tentait désespérément de libérer sa jambe. L’eau n’était pas claire et elle n’avait aucune envie de plonger, parce que ce qu’elle verrait là dessous pourrait potentiellement la tétaniser. « Greta dépêche toi ! » Mais Rose était maintenant la cible principale du poisson alors en réalisant que sa vie à lui était en jeu, elle avait plongé, retenant machinalement sa respiration, pour enfin se défaire de l’algue. Avançant aussi vite que possible hors de l’eau, espérant que les menaces terrestres ne seraient pas aussi vives, elle avait attrapé un bâton assez épais et long pour qu’il puisse s’y accrocher. « Tiens ça et remonte à la surface ! » Elle ne savait pas pourquoi il avait sauté, il aurait pu faire diversion depuis la berge, et elle se demandait pourquoi ils mettaient toujours un point d’honneur à se mettre en danger. Ambrose avait attrapé la branche et il avait regagné la berge où ils s’étaient tous les deux écroulés avant de rire. « Putain ça m’aurait emmerdé de mourir ici à cause d’un poisson-lune géant… » Elle n’avait en réalité aucune idée de ce qu’était réellement l’animal mais malgré la terreur, elle ressentait l’envie de découvrir tout ce que ce monde avait à offrir.