dimension fantôme.

La colère grondait férocement en moi, je serrais si puissamment mes ongles contre mes paumes que ceux-ci équivalaient à des griffes acérées perçant ma chaire. Puis, je hurlais de toute mes force à la lune, je beuglais ma rage, mon désespoir, mon chagrin. "Soyez bannis ! Soyez tous bannis dès la prochaine pleine lune, satanés fantômes !"

Je tremblais de tous mes membres, avachi sur le sol, aussi faible que le lycanthrope qui se réveille après sa transformation. Ma tête contre mes mains, je glissais mes doigts dans les poils hirsutes qui me procuraient l'apparence d'un véritable loup-garou et qui recouvraient ma mâchoire saillante. J'avais parcouru mille lieux pour retrouver Prue, j'avais franchi multiples villages pour récupérer les ingrédients nécessaires à sa guérison ; l'aconit, ou tue-loup, en particulier, m'avait donné du fil à retordre. J'avais dû marchander avec toutes sortes d'individus, j'avais dû me jeter dans la gueule du loup dans de nombreuses situations pour récupérer les ingrédients nécessaires. Je savais que pendant ce temps, les fantômes sévissaient à Brisbane, que des êtres maléfiques causaient des inondations, des séismes, des incendies. Je savais que je laissais Prue en danger mais j'avais fait confiance en Jacob, qu'on surnommait le loup blanc, pour maintenir mon amie de coeur en vie. Jacob était un vieux loup de mer, il savait y faire pour survivre, il saurait s'occuper de ma dulcinée. Mais je la retrouvais entre le pub et la banque, glaciale et raide, enlevée par les fantômes ; me voilà plus esseulé que jamais. "Prue, je t'en supplie, mon amour, ma louve, reviens-moi. Je serais prêt à tous les sacrifices pour te serrer une nouvelle fois dans mes bras. Je hurlerais avec les loups et cesserais de m'opposer à l'opinion publique. Je me jetterais dans la gueule de tous les loups quitte à vendre mon âme au Diable pour te ravoir à mes côtés." Je pleurais et frémissais par le froid de loup qui émanait de la jeune défunte. "Rappelle-toi comment tu m'appelais le loup solitaire quand nous nous sommes rencontrés. Tu m'as apprivoisé avec ta douceur, à pas de loup, tu m'as enveloppé dans ta tendresse amoureuse. On faisait notre meute à tous les deux, qu'on voulait élargir de nos bébés, de nos louveteaux." Je me ressassais en sanglotant.

@Greta Moore

Greta avançait à pas de loup au moment de dépasser le saloon, ne souhaitant pas croiser le chemin de ces hommes qui avaient sombré dans le whisky dès que les choses s’étaient compliquées. Pour survivre, il fallait se comporter en loup solitaire. Après tout, ne disait-on pas que l’Homme était un loup pour l’homme ? Ses botillons se retrouvaient bientôt couverts d’une épaisse couche de poudre que charriait le sable chaud des alentours et elle marchait, sans réel but, cela lui permettait uniquement de réfléchir. La blonde n’avait jamais été effrayée par les histoires de fantômes parce qu’elle avait toujours été convaincue que si les esprits revenaient les hanter, ce ne serait que pour leur bien puisqu’ils étaient le souvenir de leurs ancêtres. Il n’en était rien, et les catastrophes naturelles s'enchaînaient pour tenter d’anéantir le monde des vivants. Ils auraient pu se contenter de venir briser les verres des grands buveurs contre les murs ou de faire léviter les piège à loup des chasseurs mais, à l’inverse, les fantômes s’étaient réveillés avec une rage qu’elle ne comprenait pas et c’était les éléments qu’ils utilisaient pour mener leur terreur. Et alors qu’elle songeait à la façon dont tout cela pouvait finir, Greta avait vu plus loin un homme recroquevillé, tenant la main d’une femme qui avait quitté ce monde. « Monsieur, ça ne sert à rien, elle est … elle est partie et j’en suis navrée. » avait-elle dit en s’agenouillant délicatement à ses côtés, appuyant une étreinte rassurante sur ses épaules alors qu’elle voulait le faire s’éloigner du corps. C’est ce moment qu’avait choisi feu la femme pour réapparaître, et elle n’avait plus rien de semblable au corps qui gisait au sol. Elle semblait presque transparente et son air apaisé d’autrefois s’était changé en un air sévère, le même que Greta avait déjà pu voir sur les fantômes qu’elle avait croisés depuis la malédiction. « Parlez-lui, dites-lui quelque chose, s’il vous plait ! » L’homme était encore trop chamboulée par le décès et Greta, terrorisée, le suppliait en tirant légèrement sur le tissu de sa chemise.

Noyé dans un chagrin incommensurable, je n'avais pas eu conscience de la femme qui s'était approchée, quand bien même elle l'eût fait à pas de loup. Éperdu contre le corps de Prue, la blonde avait beau m'assurer que ma dulcinée n'était plus de notre monde, je ne cessais d'implorer le retour à la vie de celle que j'avais convoitée comme le loup lorgne l'agneau. Si j'avais confié Prudence aux bons soins de mon ami Jacob, je n'avais jamais crié au loup face à la brutalité qu'elle puisse me quitter. Or, ce vieux loup de mer qui savait tout sur tout n'avait su rescaper la femme qui était une raison à ma survie et aujourd'hui, j'en étais profondément épleuré.

Un froid de loup m'habita et je sanglotais de plus belle, l'interprétant par le corps glacial et raide de la femme que j'aimais. L'inconnue pressait affectueusement mon dos, comme pour me réconforter. Elle ne craignait pas de se jeter dans la gueule du loup de ma déchéance ou même des possibles maladies dont avait succombé Prudence et qui pourraient être contagieuses. « Parlez-lui, dites-lui quelque chose, s’il vous plait ! » Je me redressais, les yeux larmoyants, brillant comme le lycanthrope en pleine transformation. « Prudence, ma louve ! » Je m'exclamais, m'agenouillais, reprenant vigueur. « Prudence, je t'en supplie, reviens-moi ! Tu ne peux pas me laisser. Qu'est notre meute sans toi ? Tu portais notre louveteau. C'est terriblement injuste de vous perdre tous les deux ! » Je reniflais bruyamment. « Savez-vous comment la faire revenir ? » Je demandais en portant enfin mon attention sur la blonde. Je prenais ses mains précieusement dans les miennes. « Elle n'est pas encore partie dans l'au-delà. Il y a une chance, non ?! » Mes yeux revinrent sur le spectre de Prue. « N'est-ce pas que tu veux revenir, mon amour lupin ? »

La présence des esprits à Brisbane pouvait venir rassurer les âmes esseulées par le deuil : les spectres continuaient bel et bien de veiller sur elles. Et pourtant, celles qui décidaient de se montrer à eux n’étaient là que pour les narguer et faire planer des dangers inévitables sur eux. Les incendies, les raz de marée et autres catastrophes continuaient de faire un nombre incalculable de morts, qui engendraient de plus en plus d’esprits vengeurs venant agrandir les rangs d’une armée d’intouchables. C’était un cercle sans fin, et pourtant, en appuyant sa main sur les épaules du garçon, Greta tentait comme elle le pouvait de lui faire réaliser la présence toujours forte de celle qu’il appelait sa louve. « Prudence, ma louve ! » Cette femme avait effectivement quelque chose de bestial dans les traits, il comprenait qu’il puisse la surnommer ainsi. « Prudence, je t'en supplie, reviens-moi ! Tu ne peux pas me laisser. Qu'est notre meute sans toi ? Tu portais notre louveteau. C'est terriblement injuste de vous perdre tous les deux ! » Devant cette dernière affirmation, les yeux de Greta s'étaient parés d’un voile de tristesse, le destin tragique de ces deux amants étaient difficilement acceptable et elle aurait voulu hurler à la pleine lune pour crier sa peine.   « Savez-vous comment la faire revenir ? » Son coeur avait raté un battement alors qu’il lui demandait l’impossible. « Elle n'est pas encore partie dans l'au-delà. Il y a une chance, non ?! » Greta se sentait démunie, cherchant dans son esprit les possibles stratagèmes pouvant ramener une âme au sein même de son corps gisant sur le sol. Elle l’avait vu faire, les humains faisant au mieux pour réduire les effectifs de l’armée fantomatique, mais elle ne saurait le reproduire. Comment annoncer cela à ce jeune homme déjà si tiraillé par la douleur de sa perte ? « Permettez-moi de vous demander à quoi a succombé votre louve ? » avait-elle demandé sur un ton aussi doux que celui d’un louveteau criant joyeusement pour appeler sa mère. « N'est-ce pas que tu veux revenir, mon amour lupin ? » Il s’adressait directement à son aimée, les yeux grisâtres de cette femme toujours empreints d’un éclat malgré la transparence de son fantôme. Elle écoutait, attentivement, et sa fureur la quittait peu à peu. « Si je pouvais savoir avec certitude que votre fin était dûe à une injustice, alors peut-être y aurait-il un moyen… » Elle ne voulait pas vendre la peau du loup avant de l’avoir tué mais elle s’adressait au couple, plaçant sur un pied d’égalité spectre et vivant.

Epleuré, je me sentais comme si on m'avait violemment arraché le coeur de mes entrailles, comme le loup éviscère avidement sa proie pour le dévorer tout entier. La fatalité m'avait ôté Prudence, l'amour de ma vie, ma louve, celle qui m'avait tant donné. Elle m'avait extrait de mon glacial statut de loup solitaire. A nous deux, nous avions formé notre meute atypique que nous aspirions à voir grandir en créant la vie à s'aimer si fort. D'ici quelques mois, nous devions accueillir un louveteau, fruit de notre union ; les ancêtres avaient lu qu'elle portait un garçon dans les feuilles de thé. Mais tout ceci s'était envolé, tout ceci m'avait été cruellement arraché, malgré le fait que j'eus confié Prudence aux bons soins de Jacob, ce vieux loup de mer érudit respecté de tous.

Je ne pouvais me résoudre à quitter son corps raide gisant au sol. Mes mains tremblaient de chagrin et je ne sentais pas le froid de loup qui me mordait l'échine, tout comme je n'avais perçu la blonde qui s'était approchée de moi à ce que pouvait être qualifié de pas de loup. J'implorais l'inconnue de me ramener ma bien-aimée, figure désormais spectrale voletant devant nous, comme le loup hurle à la mort d'être abandonné par sa meute ou son loup alpha. « Permettez-moi de vous demander à quoi a succombé votre louve ? » Le visage inondé de larmes, je reniflais avant de me redresser. Recroquevillé de la sorte, je donnais l'impression d'être un homme venant tout juste de subir une métamorphose lycanthropique. « Si je pouvais savoir avec certitude que votre fin était dûe à une injustice, alors peut-être y aurait-il un moyen… » L'espoir naquit de mes yeux, alors perçants. Serait-il aussi assassin que le loup qui pénètre dans la bergerie ? « Elle s'est faite mordre. Deux petites entailles qui l'ont rendue horriblement malade. Elle crachait du sang, elle devenait de plus en plus froide, amorphe. Ses gestes étaient de plus en plus désordonnés. Je suis parti en quête d'un remède, notamment ces fameux tue-loup et valériane, mais je suis arrivé trop tard et aucun soigneur ne m'a donné de réelle recette. Ils m'ont tous dit qu'elle était condamnée. Oh, ma louve. » Je sanglotais. « Il s'agit d'une injustice. Prudence n'a jamais fait de mal à une mouche. Elle était douce comme l'agneau, bien qu'une véritable louve lorsqu'il était question de protéger les siens. »

La mise en abîme était difficile à encaisser pour Greta qui était depuis longtemps une louve solitaire, n’ayant aucune attache, ni amour ni l’ombre d’une famille. Et elle le voyait là, agenouillé auprès de sa bien-aimée, à pleurer ce qu’il était sur le point d’avoir et qu’elle n’aurait sûrement jamais. Elle n’était pas jalouse, elle était attristée qu’un homme et une femme sur le point de former leur meute en soit privé aussi tragiquement. Le destin était cruel, et les fantômes ne semblaient prendre aucun répit quant au désarroi des humains qui devenaient des pions dans leur guerre. « Elle s'est faite mordre. Deux petites entailles qui l'ont rendue horriblement malade. Elle crachait du sang, elle devenait de plus en plus froide, amorphe. Ses gestes étaient de plus en plus désordonnés. Je suis parti en quête d'un remède, notamment ces fameux tue-loup et valériane, mais je suis arrivé trop tard et aucun soigneur ne m'a donné de réelle recette. Ils m'ont tous dit qu'elle était condamnée. Oh, ma louve. » Greta avait haussé un sourcil, mordue ? « Est-ce un animal, qui l’a mordue ? Un loup, peut-être ? » Les loups étaient omniprésents sur le territoir ces temps-ci quand bien même étaient-ils devenus un fléau bien moins oppressants que les esprits qui frappaient sans sommation. « Il s'agit d'une injustice. Prudence n'a jamais fait de mal à une mouche. Elle était douce comme l'agneau, bien qu'une véritable louve lorsqu'il était question de protéger les siens. » Greta ne savait plus comment venir sécher les larmes de cet homme qui en perdant sa louve, semblait avoir tout perdu. Elle était elle-même attristée et Prudence ne semblait plus capable de dire le moindre mot, alors que les esprits sinistres semblaient pressées de la voir les rejoindre. « J’aurais aimé vous dire que sa mort n’était que le résultat d’un embrouillamini mais Prudence ne semble pas prête à revenir pour s’adonner à sa passion de ripoliner les meubles, à la place, elle vole comme une pipistrelle, faisant profiter les esprits des ténèbres de sa lueur. » Elle lisant dans les yeux de cette femme qui avait quitté le monde et qui semblait en être heureuse parce qu’elle n’en pouvait plus de se battre avec les fantômes et elle craignait de faire naître son louveteau dans le chaos le plus total. « C’est ce qu’elle me confie, elle ne veut pas prendre le risque que son louveteau naisse dans un climat de terreur, elle ne veut pas risquer de le perdre dans une inondation ou un incendie … » Elle était devenue l’oiseau de mauvais augure lorsqu’elle aurait tant aimé être celle qui sécherait ses larmes.

Avec la disparition de Prudence, j'étais désormais de nouveau réduit au rang de loup solitaire. Je n'appartenais plus à aucune meute lupine, ma louve s'en était allée, mon louveteau en son sein. Le chagrin était incommensurable : il s'était d'abord immiscé en moi à pas de loup puis me mordait sévèrement comme le froid de loup tétanise le corps humain. Mon coeur était brisé en mille morceaux et je ne m'imaginais pas me sortir de ce désespoir. Je sombrais dans la gueule du loup de la dépression, la mort était entré dans ma vie comme le loup pénètre la bergerie et avait saccagé ce que j'avais de plus précieux.

« Est-ce un animal, qui l’a mordue ? Un loup, peut-être ? » Je levais des yeux larmoyants vers l'étrangère. Un loup m'aurait-il retiré la femme de ma vie ? Pourtant, dans mes souvenirs, je ne percevais qu'un homme, à moins que celui-ci soit mi-loup mi-homme. Etait-ce un lycanthrophe, comme la légende le conte ? Il arborait des yeux jaunes étincelants, comme le sont décrits les yeux des loups bêtas d'une meute. Ses crocs acérées avaient peut-être rompu le cou de Prue. « On... On aurait dit un homme. Vous pensez qu'il s'agissait d'un homme-loup ? » Je sanglotais, hurlais de douleur comme le loup hurle à la lune. « Il avait de longues crocs et des griffes acérées. » Je présentais. « Son regard était flamboyant, mais pas rouges, non : jaunes, comme les loups des récits pour enfant. » Je décrivais. « Il était musclé, rapide et agile, comme le loup qui jaillit sur sa proie. » La femme avait probablement vu juste, finalement ; ce drame était une œuvre signée de la pate d'un loup sanguinaire. Mon coeur se brisa davantage quand mon interlocutrice m'indiqua le refus de Prudence de revenir sur terre. « Je vais vous rejoindre, alors, ma louve. » J'annonçais avant de quitter les lieux, déterminé et totalement aveuglé par la peine.