dimension gothique.

J'avais veillé toute la nuit sur Siham, ses dernières confession se ressassant dans mon esprit. De ce que j'en comprenais et que j'en interprétais, la jeune femme avait dû être guidée vers moi, d'une manière ou d'une autre. Que ce soit ces rumeurs sur mon cas qu'elle avait entendues, ou ces sorcières qui l'accompagnaient qui avaient pu, sans qu'elle en ait conscience, les inciter dans ma direction. Je me saisissais de la mission de Siham désormais, en particulier depuis que je savais que Jina la soutenait. Néanmoins, il était difficile d'avancer dans cette pénombre, de maîtriser les ténèbres de ces mystères et de la malédiction qui sévissait sur Brisbane. Nous ne pouvions que conjecturer, d'expériences et de constats, et si je ne me terrais pas dans la crainte, persuadé être prédestiné, je veillais à agir de la manière la plus judicieuse possible, surtout lorsqu'un vecteur comme Siham m'était compagnie.

La nuit avait été riche de créatures. Plusieurs entités avaient rôdé près du dôme ou même l'avaient traversé sans repérer notre présence, mes incantations et sortilèges de protection efficaces. J'avais été témoin de vampires, de loups-garous, d'autres sorciers, de centaures, de licornes et de vulgaires animaux de la forêt. La source d'eau qui nous réchauffait avait fait naître et périr la vie en son sein, respectant ce précieux et précaire équilibre indispensable à notre planète.

Le sommeil de Siham était précieux. Il fallait que celle-ci récupère, se régénère, avant que nous avancions. Elle représentait en quelque sorte la clef vers une possible fin de cette éclipse et il fallait donc la préserver, celle-ci encore fragile. J'avais préparé un encas protéiné pour son réveil et lorsque Siham se réveillait, une soupe de légumes, racines, plantes et quelques morceaux de viande, vestiges d'animaux que j'avais attrapés dans la noirceur, l'attendait. Je lui servais un bol. « Comment te sens-tu aujourd'hui, Siham ? Sens-tu quelque chose de particulier ? »

Siham s’était laissée portée dans les bras de morphée et semblait avoir dormi comme un bébé. Comme si, pour la première fois, elle avait connu un sommeil réparateur, un sommeil digne d’une vraie nuit complète, celles qu’elle avait connu avant l’éclipse, avant la nuit perpétuelle. Siham n’avait pas été dérangée, ni par les bruit de la forêt, ni par les animaux qui s’y promenaient, ni par les créatures maléfiques qui y rodaient. Elle n’avait pas non plus été perturbée par Kaï qui s’était agité autour d’elle. Elle n’avait rien remarqué, elle était plongée dans un sommeil profond. Elle ne faisait ni mouvement, ni aucun son et il aurait été aisé de la confondre avec une femme sans vie. Sa poitrine se mouvait faiblement tant les battements de son cœur étaient lent, sa respiration était apaisée.
Alors qu’elle sentait qu’il était le bon moment, ses yeux s’ouvraient, l’odeur du met préparé par les soins de Kaï venait lui chatouillait les narines et elle se demandait depuis quand elle n’avait rien mangé. « Hm, qu’est-ce que c’est ?. » elle se redressait, curieuse de savoir de quoi il s’agissait, elle se penchait vers la gamelle fumante. « Comment te sens-tu aujourd'hui, Siham ? Sens-tu quelque chose de particulier ? » « je ne sens que l’odeur de ce que tu as cuisiné. » fit-elle, un brin amusée, prenant le bol qu’il lui tendait. Elle se doutait bien qu’il ne lui parlait pas de son odorat. Mais bien des sensations qu’elle avait pu vivre durant son sommeil et ce qu’elle en percevait à présent éveillée. « Je n’ai pas dormi aussi bien depuis… » elle se frottait le crâne, mortifiée d’admettre « depuis la mort de mon père. » le début de l’apocalypse. « Cette forêt est particulière, elle regorge d’âme en peine et d’esprit malveillants et pourtant, en même temps, je n’ai pas senti d’insécurité. » mais elle savait bien qu’elle devait ça à la protection de Kai et de ses enchantements. « Je me sens bien mieux qu’hier en tout cas. Je suis en pleine forme à présent. » et elle le sera davantage quand elle aura mangé cette soupe. Elle gouta une première gorgée. « excellent. » qu’est-ce que ça faisait du bien. « C’est à l’orphelinat qu’on t’a appris à cuisiner ainsi ? »

A son réveil, Siham paraissait reposée et plus sereine que lorsqu'elle avait sombré dans les bras de Morphée. Je m'étais évertué à laisser dormir la jeune femme aussi longtemps que possible, protégeant et favorisant ce sommeil qui lui était sans nul doute réparateur. En amont de son réveil, j'avais préparé un repas dans l'ambition qu'elle puisse récupérer davantage de force. Mon objectif était non seulement que la sorcière novice soit sur pieds mais qu'elle soit plus vigoureuse qu'elle ne l'ait été. En effet, la suite des événements, le prolongement de sa quête, promettait d'être aussi fastidieux que laborieux.

« Hm, qu’est-ce que c’est ? » Siham demanda en reprenant conscience. Un fin sourire apparut sur mes lèvres. « Ton futur repas, si tu l'acceptes, » je présentais avant de m'enquérir sur son état. « Je ne sens que l’odeur de ce que tu as cuisiné. » Mon sourire s'élargit quelque peu, comprenant l'amusement. Une complicité naissait-elle entre nous, après cette nouvelle confiance ? « Je n’ai pas dormi aussi bien depuis… Depuis la mort de mon père. » Je l'interprétais comme une bonne chose : Siham avait pu faire assez la paix avec ses drames récents pour récupérer cette nuit. La tentative de communication avec l'esprit de ses parents puis l'intervention de Jina avait sans doute aidé en ce sens. « Peut-être les éclarcissements d'hier t'ont permis de tourner une page et t'apaiser. » « Cette forêt est particulière, elle regorge d’âme en peine et d’esprit malveillants et pourtant, en même temps, je n’ai pas senti d’insécurité. » J'acquiesçais. « J'en suis satisfait. Mes sorts ont été efficaces, » je faisais, modeste. « Mangrove est riche de bien comme de mal. Un puissant écosystème à elle seule. » « Je me sens bien mieux qu’hier en tout cas. Je suis en pleine forme à présent. » Je ris doucement, heureux de l'entendre si optimiste et positive. « Cela me fait plaisir à entendre. Je pense que le fait que tu sois sur la bonne voie t'aide aussi à te sentir mieux. » Je conjecturais. L'appel de la quête également était un bon stimulant. « Excellent. » Je me servais un bol de ma soupe improvisée. « Merci, » je lâchais avec reconnaissance. « C’est à l’orphelinat qu’on t’a appris à cuisiner ainsi ? » Le silence nous enveloppa quelques instants avant que je ne prenne la parole : « Oui, entre autres. Une croyante m'a appris tout ce qu'elle savait et j'ai beaucoup improvisé selon les ingrédients que je trouvais sur ma route. Je joue avec un mélange de connaissances et d'expériences. » Je prenais une gorgée avant de questionner, curieux : « Tu as encore de la famille à Brisbane, Siham ? »

Siham avait l’impression de ne plus prendre le temps pour rien, de ne plus prendre le temps de dormi, de manger, de se reposer, de penser à elle, de profiter du temps qui passe. Plus le temps, le temps presse, le temps cours, le temps leur manque. Cette fois, elle appréciait de se poser, elle profitait de se sentir en pleine forme et d’avoir de quoi bien manger entre ses mains. Elle en appréciait chaque gorgée. Elle se sentait en sécurité avec Kai et elle voyait bien qu’il y mettait du cœur à l’aider dans sa quête. Lui qui était méfiant dans un premier temps, alors qu’elle l’avait accosté pour son propre intérêt. A Présent, la requête de Siham n’était plus, il avait répondu, il s’était lié à elle, ça lui avait couté en énergie également. Pourquoi était-il toujours présent ? Pourquoi n’avait-il pas estimé qu’il avait répondu à sa demande et qu’à présent, il ne lui devait plus rien ? Siham avait brouillé la communication avec sa mère alors qu’elle pensait à son père, elle n’avait pas rempli le contrat, celui qu’elle-même avait tenté de mettre en place. Kai était toujours présent, après tout ça.
« Oui, entre autres. Une croyante m'a appris tout ce qu'elle savait et j'ai beaucoup improvisé selon les ingrédients que je trouvais sur ma route. Je joue avec un mélange de connaissances et d'expériences. » et le hasard semblait lui convenir, il avait mélangé à merveille tous ces ingrédients que la nature leur avait offert. « Tu as encore de la famille à Brisbane, Siham ? » elle secoua la tête, sentant son cœur s’atrophier dans sa poitrine. « Je n’ai plus personne. » elle n’avait que son père, n'avait jamais connu sa mère. « Je suis orpheline, fille unique. » elle avait bien un oncle encore, mais elle n’avait pas eu de ses nouvelles depuis la mort de son père. « Mon père n’a pas eu droit à sa cérémonie, il n’a pas droit à son hypogée, il est dans une fosse commune, personne ne peut se reccueillir sur sa tombe. J’ai croisé le gardien des morts, le jardinier du cimetière, il m’a conduit sur une tombe sans nom, sur laquelle je peux m’adresser à mon père, mais ce n’est pas pareil… personne ne sait que mon père est décédé. Il est parti, dans l’oubli, comme bon nombre de victime des loups ou des vampires. Les gens disparaissent et on n’sait pas où ils sont, ce qu’ils deviennent… »

J'étais satisfait que Siham ait pu jouir d'une longue nuit de sommeil, quand bien même l'éclipse nous plongeait perpétuellement dans l'obscurité. Les heures défilaient, réparant le corps et l'esprit de la jeune sorcière, et pendant ce temps, je n'avais dormi que d'un oeil, veillant les âmes et les corps s'approchant du dôme de protection que j'avais érigé. Bien heureusement, le temps était passé sans encombres et lorsque Siham se réveillait, celle-ci annonçait se sentir mieux, une excellente nouvelle à mes yeux.

L'épopée qui s'amorçait pour la sorcière ne serait pas de tout repos. Si j'espérais qu'elle soit bouclée rapidement, je comprenais qu'il ne fallait pas mêler vitesse et précipitation, aux recommandations lancées par Jina. Ainsi, je m'évertuais à solidifier la santé physique, mentale et magique de mon interlocutrice, la soupe que j'avais concocté regorgeant de vertu. La Fowler s'en délectait et je l'invitais à se resservir autant qu'elle le souhaitait. Un estomac plein était toujours bénéfique.

« Je n’ai plus personne, » m'annonça-t-elle et je grimaçais, compréhensif, comprenant sa tristesse. « Je suis orpheline, fille unique. » J'avais pour ma part été abandonné à ma naissance. Si j'étais incapable de dire si j'étais orphelin, je n'avais pour autant pas de parent. Je ne souffrais pas d'avoir perdu des êtres chers puisque je ne les avais jamais connus, néanmoins, je souffrais de ne pas connaître mes origines tout comme d'avoir été rejeté à ma venue même dans ce monde. J'écoutais Siham me relater la mort de son père et comment ce dernier reposait désormais dans une fosse commune. Sa sensibilité me touchait et délicatement, je posais mes doigts gelés sur le dos de sa main, gage de soutien.  « Tu es brave, Siham. Tu ne te perds pas dans un marasme. » Je me redressais et proposais : « Quand nous aurons terminé ta quête, nous pouvons récupérer le corps de ton père et créer une sépulture dans la forêt, si tu le souhaites. » Je proposais. « J'ai fait un plan. Regarde-le, dis-moi ce que tu vois ou ressens. » Je tendais le parchemin à Siham. Le dessin était crypté, par mesure de protection, mais quelque chose me disait que la trentenaire saurait le lire et y déceler la direction vers les tréfonds de la forêt, là où reposait le grimoire de l'esprit Mangrove.

« Tu es brave, Siham. Tu ne te perds pas dans un marasme. » elle accueillait le geste bienveillant de Kaï sans chercher à le fuir, elle acceptait tout ce qui pouvait la conforter, et le jeune homme savait exactement comment s’y prendre. Jamais un mot de travers, jamais un geste déplacé. Les valeurs avec lesquelles il avait été élevé à l’intérieur de l’orphelinat ont surement aidé à le forger ainsi. « Quand nous aurons terminé ta quête, nous pouvons récupérer le corps de ton père et créer une sépulture dans la forêt, si tu le souhaites. » Siham redressa sa tête, surprise et à la fois touchée par cette proposition. Seulement, comment savoir où était réellement son père ? Récupérer son corps dans la fosse revenait à déranger tous les morts qui reposaient à ses côtés. Peut être que Kai saurait comment s’y prendre pour que personne ne soit perturbé par leur démarche. Et finalement, même si le corps de son père ne reposait pas dans la forêt, elle serait ravi d’y ériger un autel en son nom, un endroit bien à elle où elle pourrait se recueillir et parler à son père sans que personne ne puisse interférer. Même si, au fond, elle pouvait s’adresser à lui d’où qu’elle le souhaitait. Mais, elle ressentait l’importance d’un endroit sacré pour le faire. « Tu n’imagines pas à quel point j’en serais reconnaissante et ravie. J’espère qu’il ne me voudra pas d’espérer ripoliner son souvenir pour les siècles à venir. » Et d’un geste rapide, elle saisie les doigts de Kai pour les serrer entre ses paumes un peu froides, geste de reconnaissance absolu. Pour tout ce qu’il faisait jusqu’à présent pour elle.
« J'ai fait un plan. Regarde-le, dis-moi ce que tu vois ou ressens. » Siham saisi le parchemin qu’il lui tendait et elle observait ce qui y était indiqué. Un dessin dont elle avait eu du mal à saisir le sens dans un premier temps, puis, comme si tout devenait limpide, comme un aveugle à qui on avait rendu la vue, les traits qu’il avait dessinés se mouvaient sous ses yeux pour former un plan très précis, menant à ce qui semblait être une crypte. Les yeux de Siham brillaient sous le spectacle vivant qu’elle avait devant elle. « Tu crois que nous devons nous y rendre ? » Elle avait l’impression d’une sorte de carte qui, selon celui qui la tenait dans ses mains, vous mène directement à l’endroit où vous devez vous rendre. Pas là où vous aimeriez être, mais là où votre destiné vous dit d’aller. « Un grimoire… » elle repensait à ces mots de Jina, avant qu’elle ne s’effondre de fatigue. « C’est à ça qu’elle faisait allusion ? Nous ne devrions être qu’à quelques heures de marches à en croire les indications… » Quelques heures qui lui semblaient être une éternité, mais parce qu’il le fallait, elle le ferait. « Nous devons nous rendre dans l'embrouillamini des chemins forestiers. » une chauve-souris les surpris, laissant Siham sous l’extase, elle observait au-dessus de leurs têtes. « Une pipistrelle… » et l’animal tournoyait au-dessus de leurs têtes sans s’arrêter. « Tu crois qu’elle vient pour nous guider ? » elle regarda à nouveau la carte dansant sous ses yeux.

Touché par l'histoire de Siham, je lui avais proposé, une fois sa quête principale achevée, de nous orienter vers où reposait son père afin de lui dédier une sépulture digne de l'amour que sa fille lui vouait. « Tu n’imagines pas à quel point j’en serais reconnaissante et ravie. J’espère qu’il ne me voudra pas d’espérer ripoliner son souvenir pour les siècles à venir. » Je souris tendrement, accueillant le geste affectueux des mains de Siham qui serrèrent, en gage de reconnaissant, mes doigts. « Je pense qu'il l'accueillera avec plaisir, considérant le bien que cela fera à son enfant. » Si je croyais aux esprits, je pensais que les rites liés à la mort étaient davantage élaborés au nom des vivants, qui se voyaient démunis de leur être cher. « Nous nous y mettrons, je te donne ma parole. » Je m'engageais. « Tu choisiras un endroit et je m'occuperais d'y faire sommeiller ton père. » J'expliquais.

Je revenais à la raison principale pour laquelle Siham et moi étions désormais ensemble. Prudemment, je lui tendais le parchemin sur lequel j'avais dessiné un plan, dont les lignes changeaient selon l'âme qui y pose ses pupilles. Je lisais la surprise et la compréhension sur le portrait de la sorcière novice et finalement, je l'entendais revenir au grimoire. Satisfait, nous étions sur la même longueur d'ondes, nous interprétions de la même manière les paroles de Jina et la suite des événements. « C’est à ça qu’elle faisait allusion ? Nous ne devrions être qu’à quelques heures de marches à en croire les indications… » « Oui. J'en suis persuadé, » je confirmais les conjectures de mon interlocutrice. « Nous devons nous rendre dans l'embrouillamini des chemins forestiers. » J'opinais du chef. « Une pipistrelle… » Si Siham l'accueillait avec tendresse, j'émettais pour ma part un mouvement de recul accompagné d'un regard noir. J'abhorrais les chauves-souris. « Tu crois qu’elle vient pour nous guider ? » « J'ai tendance à me méfier des pipistrelles. Mais vu votre comportement à toutes les deux, assurément. » Je me levais et transvasais ma soupe dans ma bourse. « Suivons-la. » J'incitais, tendant une main à Siham.