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Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&hillsidepacks

Allongée sur mon flanc sur le sofa en velours rouge de la chambre de maître de mon riche et luxueux manoir, le coude replié et mon bras qui soutient ma tête, j’observe Amos passer de nouvelles tenues que j’ai sélectionnée pour lui avec une lueur de désir au fond de l’œil. Je dois dire que je ne regrette pour l’instant pas de l’avoir transformé. Au côté de l’un de mes semblables, un qui me fait me sentir désirable, séduisante, mortellement séduisante, je me sens plus "vivante" que jamais. Façon de parler puisqu’évidemment, mon sang est froid et mon cœur ne bat plus depuis des années. Et le soir, lorsque je partage la couche de mon nouvel amant et que je pose ma joue contre son torse pour ne rien entendre battre à l’intérieur de sa poitrine, je suis saisie par une sensation que je n’ai plus ressentie depuis des années. Celle d’avoir vaincu la solitude, celle d’être plus puissante, mortelle et impitoyable que je ne l’ai jamais été. Il semblerait que, contrairement à toutes mes certitudes, nous ne sommes pas des créatures faites pour vivre dans une solitude infinie. « Ce costume là me semble parfait. » L’une des premières étapes de la transformation de mon nouvel acolyte, c’est de refaire sa garde-robe. Il ne peut plus se vêtir comme un vulgaire paysan comme un chasseur avec des vêtements crottés et usé. Les vêtements du défunt comte feront parfaitement l’affaire. Evidemment, je ne préciserai d’où ils proviennent que si mon nouvel amant me le demande. Je n’ai pas envie d’éveiller sa jalousie, elle serait mal placée, qui plus est. Mon mariage était arrangé, subit, et je n’ai jamais rien ressenti pour cet homme qui fut ma première victime une fois transformée. Mais au moins, il avait du goût.

En parlant de possessivité, la mienne me taraude depuis plusieurs jours. J’ai attendu qu’Amos appréhende sa nouvelle identité, ses nouveaux instincts et, maintenant que je l’estime prêt et sans transition, j’annonce. « Je veux qu’on aille tuer ta famille, aujourd’hui. » Habituée à mener mon monde à la baguette, j’affirme, je ne demande pas, je ne propose pas. J’ordonne presque. Ce que j’espère, c’est que son empathie a déjà quitté chaque fibre de son être, si ce n’est pas encore fait, cela ne tardera plus très longtemps. « Ils sont gênants. » Des nuisibles. « Ils ont organisé des battues pour te retrouver. J’ai déjà dû éliminer une première escouade, hier. » S’il ne manque plus à personne, le problème sera ainsi réglé. Et il convient aussi surtout à mon sens de trancher net toutes ses anciennes attaches ; il n’est plus l’homme qu’il était autrefois, à présent.

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J’en suis à l’essayage de mon second costume quand la belle allongée dans le velours s’exclame : ce costume est parfait. D’après elle, c’est celui qui me convient et moi, m’observant dans le miroir, j’essaie de me reconnaître. Je tente de retrouver des bribes de ce que j’étais encore avant de tomber sous le charme de Rachel. Un chasseur, assurément. Un mari vêtu de chausses pour lutter contre le froid et en vêtements de cuirs pour servir d’armure, un Homme sans grande allure d’une élégance naturelle, bien que relative. Et aujourd’hui, qui suis-je ? Dans un premier temps, je ne me reconnais pas vraiment. Je n’arrive pas non plus à définir si j’en suis heureux ou le contraire. Mon coeur ne bat plus dans ma poitrine. Il ne s’emballe plus. Il ne réagit plus à rien tout en restant toutefois le centre des émotions. J’ai simplement plus de mal à les entendre quand je suis hélé par celle qui m’a piégé dans sa toile, celle qui m’a conquis en quelques heures à peine. Est-ce que je regrette ? Pas le moins du monde et, si je suis resté assez pudique pour le cacher, mon regard ne trompe pas dès lors que je me tourne dans sa direction. «S’il convient à ma dame, il me convient, même si j’ai l’impression de ne pas lui faire honneur. Il appartenait à l’une de vos victimes ?» J’aurais pu changer le “lui”, par un “leur”. Il est évident que la comtesse est bien née. Moi, je ne suis qu’un pauvre paysan. Ma seule richesse était mes amis et ma famille. Je me suis lassé de ces trésors lorsque l’on m’en a proposé d’autres, ce qui relève d’un chance inouïe. Quelles étaient les probabilités que je plaise assez à cette femme du monde pour qu’elle aspire à me garder auprès d’elle ? Je crois qu’une part de moi lui en est reconnaissant et tandis que je l’invite d’une main à se lever de son confortable fauteuil, histoire de l’amener contre moi, je m’enfonce soudainement dans un étrange silence et, pour cause, elle a ordonné et, ceci fait, me renvoie à mon statut de marionnette. «Ils organisent des battues ? » Derrière ce pronom se cachent mes frères sous les ordres de ma femme et de mes parents, j’en doute pas réellement. «Est-ce utile de tous les tuer ?» De les exterminer comme l’escouade dont il est question. « Et, pourquoi ne pas m’avoir averti plus tôt ? Je serais venu avec toi. Je t’aurais accompagnée…» Incapable de lui mentir, je m’exemplifie dans une franchise utile à ma survie. Je n’ai plus de réelles volontés propres. Si je n’obéis pas, elle me tuera. Je le sais - Du moins, je l’imagine - sans m’en méfier pour autant. Elle m’a piqué, je suis grisé et je traduis donc en mots toutes ces bizarreries liées à ma transformation. La physique est achevée, mais psychologiquement, il me reste du chemin. «On le fera. Je le ferais pour toi, avec ou sans toi.» C’est indiscutable. « Mais j’ai encore des scrupules… par rapport à mon petite frère.» N’aurais-je pas dû évoquer ma femme ? Elle, elle ne me traverse pas réellement l’esprit. « J’aurais voulu pour lui une autre fin.» Pourrait-elle néanmoins être belle ?

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« S’il convient à ma dame, il me convient, même si j’ai l’impression de ne pas lui faire honneur. Il appartenait à l’une de vos victimes ? » - « On peut dire ça, oui. » Dans les faits, mon horrible époux a été la première de ces dernières, dont je peux l’affirmer sans mentir. Puisque ses vêtements sont encore dans les armoires de l’une des chambres du manoir, on devine facilement qu’il a été plus que ça. Pour moi, il a été un bourreau, le grand coupable de tous les maux de ma vie d’humaine, à mes yeux. Ses costumes n’ont jamais été brûlé parce que le manoir est assez grand pour qu’ils ne me dérangent pas, et que je n’ai pas envie de dépenser la moindre énergie à m’en débarrasser, pas à cause d’un sentimentalisme répugnant. « Et tu leur fais bien plus honneur que lui. » Mon époux devait avoir le même âge d’Amos lorsqu’il est décédé, la même carrure, mais les comparaisons s’arrêtent là. Mon époux était vil, paresseux et répugnant. Il n’a jamais su ou voulu susciter en moi la moindre étincelle, là où la présence de mon nouveau compagnon allume un brasier au creux de mon ventre. « C’était un homme détestable et faible. » Le vampire devinera certainement qu’il n’est pas question que d’une victime lambda, mais je n’en ai cure.

« Ils organisent des battues ? » - « Hum hum. » Je confirme d’un léger hochement de tête, l’idée déjà entérinée dans mon esprit, comme s’il ne s’agissait que d’un détail, d’une formalité, comme si je venais de lui parler du temps qu’il fait dehors. « Est-ce utile de tous les tuer ? » Utile je l’ignore, mais ce sera jouissif, c’est certain. Bientôt, sa cruauté prendra le pas sur tout ce qu’il demeure d’humain en lui, et il partagera mon goût du sang. Bientôt. « Et, pourquoi ne pas m’avoir averti plus tôt ? Je serais venu avec toi. Je t’aurais accompagnée… » - « Tout doux. » Un sourire sur les lèvres, je quitte le sofa pour m’approcher de lui et poser mes mains sur ses épaules. J’époussette le tissu de sa veste, avant de les reposer. « Je voulais être certaine que tu sois prêt. Pour certains, le processus prend un peu de temps. » Et sa question m’apprend que, le concernant, il n’est pas tout à fait terminé. Il ressent encore des scrupules, de toute évidence, et je n’avais guère envie de prendre le risque de le voir finalement se trouver réticent à abattre une ancienne connaissance. « Comment aurais-tu réagi, face à quelqu’un que tu connais ? » Face à l’un de ses frères ? Moi, j’ai tué sans distinction.

« On le fera. Je le ferais pour toi, avec ou sans toi. » Parfait. « Mais j’ai encore des scrupules… par rapport à mon petit frère. » Les voilà, les scrupules gênants. D’ici quelques années cependant, il n’en aura plus aucun, et rompre ses attaches brutalement est à mon sens pour accélérer le processus. Qu’est-ce que quelques années, lorsque l’on a l’éternité devant soi ? « J’aurais voulu pour lui une autre fin. » - « C’est un être humain. Sa vie sera courte quoi qu’il en soit. » Je hausse les épaules, dénuée de toute empathie. « Mais soit. Si tu trouves un moyen de le tenir à l’écart, il peut vivre pour l’instant. Ce n’est pas de lui que je parlais, de toute façon. » Moi, c’est sa femme que je veux morte. Cette petite humaine insignifiante, je la jalouse et la désire morte.  

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Chacun de ses compliments me vont droit au “coeur”. J’aime cette impression de détenir une place particulière au sein de cette vie si ancienne que face à elle, quoique nos apparences prétendent l’inverse, je suis un nouveau-né, une espèce de grand enfant qui selon l’échelle de mortalité de l’être humain a tout de même de la bouteille. Pas tout à fait idiot - pas bien malin non plus - je saisis que l’homme qui a porté ce costume avant moi a partagé son quotidien. Elle est capable de le décrire : il n’était donc pas une proie lambda. Qui était-il ? Un ami ? Un frère ? Non ! Elle s’exprime avec mépris et j’en déduis qu’il s’agit d’un époux qu’elle aurait appris à désaimé si tant est qu’ils se soient adorés un jour. «Je vois.» ai-je rétorqué, ajustant les manches de la veste de costume. «Tu me raconteras comment vous vous êtes rencontrés ? et, peut-être même mariés ? » Me narreras-tu ton histoire ? «Cela m’intéresse.» Je suis curieux faute à ce pincement dans le fond de mes tripes qui est au plus proche de ce que peut être la possessivité. En ressentons-nous en tant que vampire ? Sommes-nous territorialistes ? Est-ce, comme mes scrupules, un résidu de mes émotions de jadis ? Ma transition est achevée, certes, mais Rachel m’a bien expliqué : il faut du temps pour se débarrasser de toutes traces d’humanité. D’après moi, cela pourrait dépendre de ce que l’on laisse derrière soi. La preuve étant, je m’inquiète pour Abraham aussitôt révélé l’assassinat de l’escouade chargé de me retrouver. Je serais triste s’il lui était arrivé malheur ou, dans l’espoir de sa survie, je n’aurais pas pu demander à Rachel, si pas de l’épargner, de lui assurer une mort rapide et sans douleur. C’est ce quoi à j’aspire et je m’y colle après avoir craint pour sa sécurité à elle, somme toute très naïvement : elle est le prédateur, pas l’inverse. Malgré tout, une part de moi aurait souhaité l’accompagner pour toutes ces raisons qui se mélangent dans mon esprit. Je l’exprime, elle s’en amuse, je lui souris à son tour et je me demande soudainement à quel moment elle se lassera de moi. «Je ne sais pas. Je sais que s’ils ne peuvent pas survivre, je n’ai pas envie que certains souffrent.» ai-je confessé, soucieux d’être honnête, mais de ne pas agacer ma créatrice. Elle est si proche de moi à présent. Ses mains posées mes épaules, il me suffirait d’un pas et d’une main au creux de ses reins pour la serrer contre moi et respirer sa peau maculée d’une eau de cologne hors de prix. « Alors, je m’arrangerai pour faire ça, oui.» Pour garder Abe loin des périls. Je lui apparaîtrai en pleine nuit pour lui suggérer de fuir. Il sera le seul capable d’affirmer qu’il m’aura croisé et que j’aurai l’air d’un fantôme. Il est le seul pour lequel je prends le risque de fâcher cette femme devant laquelle je suis faible. «On ne parlait pas de ma famille ? On n'en parle plus. Mais, de qui parle-t-on alors ? » De mes parents ? Ils ont fait leur temps à présent. Mon père est un homme malade, ce serait un service rendu de l’assainir de cette vie faite de chagrin, d’effroi et de maux insoutenables. «J’ai trois frères. Un est parti il y a longtemps. L’autre a été chassé par mes parents. Nous ne sommes plus que deux dévoué à mon père et à ma mère. Enfin, nous n'étions plus que deux. Je ne suis pas sûr de bien comprendre. » Aurais-je complètement oublié celle qui a partagé ma vie ? Je me rappelle son nom, mais pas de l’avoir aimé.

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« Je vois. Tu me raconteras comment vous vous êtes rencontrés ? Et, peut-être même mariés ? » Si je laisse échapper un rire amusé, mais un brin sarcastique, c’est n’est pas mon nouvel acolyte que ma réaction cible. Je ne me moque pas de lui, mais de l’intérêt que quiconque pourrait porter à une histoire qui n’en vaut pas la peine. Ma situation qui n’avait pourtant tristement rien de bien original ou exceptionnel pour l’époque semble un peu plus incongrue aujourd’hui, aux yeux des contemporains. « Cela m’intéresse. » S’est-il senti obligé de le préciser faute à ma réaction ? L’a-t-il interprétée comme du dédain. « Je ne ris pas de toi. » Je le précise, étrangement délicate. « J’avais quinze ans, lui trente et je ne l’ai pas rencontré avant de le jour de nos fiançailles. Il n’y a pas grand-chose à en dire, c’était une affaire conclue entre mon père et celui qui est devenu mon époux, parce que l’un avec de l’argent à ne plus savoir qu’en faire et l’autre des titres et moi, dans cette histoire, je me retrouvais avec une dot mirobolante. » Assez pour pousser un comte à me prendre pour épouse. Pas assez pour que cela me vaille le moindre respect et la moindre considération de sa part, de toute évidence. « Je l’ai tué. J’aurais tué mon père également, mais nous avions changé de continent entre temps. » Je le lui ai pas menti en affirmant venir d’Angleterre. J’ai simplement "omis" de préciser que j’étais arrivée il y a un peu plus de soixante quinze ans. « Tu aurais détesté l’Angleterre. » Lui qui est né dans un pays au climat bien plus agréable, jusqu’à l’Eclipse en tout cas.

« Je ne sais pas. Je sais que s’ils ne peuvent pas survivre, je n’ai pas envie que certains souffrent. » - « Bientôt, tu t’en moqueras. » Ce n’est pas tout à fait correct : la vérité, c’est que bientôt, cela lui procurera satisfaction et plaisir, un plaisir dont il n’imagine pas encore l’ampleur. Toutefois, je me décide pour une version édulcorée pour épargner sa sensibilité, je suis un monstre, mais je ne suis pas dénuée de bon sens, après tout. « Alors, je m’arrangerai pour faire ça, oui. » Parfait, l’affaire est donc close d’après moi concernant son petit frère dont je me moque bien du sort tant qu’il n’empiète pas sur mes affaires ou n’engage pas une chasse aux sorcières pour retrouver son frère et mettre ma tête au bout d’une pique. C’est agréable, lorsque les proies viennent directement jusqu’à notre porte, mais un village entier nous mettrait en fuite, je ne surestime pas les forces présentes au manoir. Ceux dont je désire la mort, ce sont tous ceux qui peuvent rattacher mon compagnon à une autre femme et une autre existence que moi. Femme, enfants, voilà qui je veux voir disparaître. « On ne parlait pas de ma famille ? On n'en parle plus. Mais, de qui parle-t-on alors ? » Les mains posées sur ses épaules, je lui jette un regard qui dit pas à moi, mais le laisse poursuivre en espérant qu’il m’offre lui-même la proposition de tuer sa chère et tendre. « J’ai trois frères. Un est parti il y a longtemps. L’autre a été chassé par mes parents. Nous ne sommes plus que deux dévoué à mon père et à ma mère. Enfin, nous n'étions plus que deux. Je ne suis pas sûr de bien comprendre. » - « Tu te moques de moi ? » Aucune amertume n’est présente dans ma voix, seule une réelle curiosité. Je tente de comprendre s’il a oublié jusqu’à l’existence de cette dernière, ou s’il tente de la protéger de ma cruauté. « Ta femme. Tes enfants également, si tu en as. Tu en as ? » Je l’interroge avec curiosité, avant de me détourner de lui pour aller caresser le tissu soyeux des toilettes luxueuses de mon défunt époux, accrochée dans l’armoire. Peut-être pourrais-je en faire venir des nouvelles, plus modernes et qui seront plus au goût de mon nouveau compagnon. Les tenues des paysans sont restées figées au siècle dernier, mais dans la haute société la mode est aux dandys, peut-être que cela plaira plus aux goûts d’Amos. « Qu’est-ce que tu penses des redingotes ? Je pourrais en faire venir d’Europe, des meilleurs créateurs. » Je passe d’un sujet à l’autre, prouvant que je considère le meurtre comme anodin, anecdotique.

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Proche d’être froissé par son rire, je hausse un sourcil. Sa réaction m’intrigue. S’agit-il d’une raillerie ? D’un quolibet envers le pauvre humain que j’étais encore il y a peu et dont la curiosité ne peut servir son propre bien ? Est-ce difficile d’imaginer que je sois sincère dès lors que je me défend de mon intérêt ? Je n’ai jamais eu peur de mourir, de disparaître pour de bon de la surface de la Terre. J’aurais honnêtement pu m’offrir à ses crocs plutôt que d’opter pour cette vie d’immortelle sans autre but que détruire et chasser, encore, ce que j’aurais fait durant toute ma minable existence humaine, quoique des proies différentes. Je suis là par choix et de celui-là découle l’envie de tout savoir, de tout découvrir à propos de cette femme qui a l’ascendant sur moi sans que ça ne gène réellement l’homme, au sens mâle du terme, qui a été élevé pour prendre soin du sexe dit faible. Aussi, n’ai-je pas caché mon soulagement, après m’être raidi entre ses doigts posés sur mon épaule, d’entendre ses explications. «Quinze ans. Si jeune.» ai-je ponctué, en partie conscient que la part humaine s’exprime encore. Elle lutte pour ne pas mourir en même temps que mon coeur qui a cessé de battre dans ma poitrine. Me reste-t-il quelques gouttes de sang accrochées au paroi de mes veines ? «Etait-il violent, parfois ?» Ne l’était-ce pas à chaque qu’elle devait s’offrir à lui. «Et, vous n’avez jamais eu d’enfants ? Pas de mariage ubéreux, donc.» L’un des deux était-il infertile ? A ce jour, ça ne fait pas grande différence, si ce c’est que je m’interroge du sort qu’il lui aura réservé si elle était l’obstacle à que le nom perdure dans le temps. « Je t’y aurais aidée.» Ai-je confessé, preuve de mon dévouement. «Je pourrais tuer jusqu’au dernier de ses descendants si tu l’exigeais. J’aimerais voir l’Angleterre, et me faire une idée sur ce que j’aurais pu l’aimer ou non. » Mon nouvel état serait-il un frein maintenant que le jour m’est interdit et que le soleil est une menace ? Maintenant que je n’ai plus à craindre l’humidité, que toute notion de température n’a plus de prise sur moi ?

Prise. Emprise. Ces deux vocables sont si proches, si proches aussi dans le sens. Mais, cette fois, que dit-il ? Que mes pensées vagabondent vers mes frères et - en cachette - vers ma fille, mais pas vers mon épouse, est-ce ce qu’il reste du charme qu’elle m’a lancé, si tant est que je n’y ai pas été sensible par inclination naturelle ? Je sais qu’elle m’a plu au premier regard. Je me rappelle l’avoir désirée au détriment de tout le reste alors que je n’ai jamais compté parmi les infidèles à leur épouse. Etait-ce une façon de la protéger de la vengeance de ma créatrice ? Ces questions, je me les pose alors qu’elle souligne, sans m’agresser, qu’un petit quelque chose cloche dans mon discours. Moi, je l’observe avec cet incrédulité propre à ceux qui subissent un changement qui supplicie leur logique, leur raison, qui abîme leur souvenir. «Non.» Non, je ne suis pas d’humeur à plaisanter. «Et oui, je suis marié, c’est vrai.» D’instinct, j’ai cherché à mon doigt une alliance qui, visiblement, a quitté mon doigt. Rachel s’est assurée de la faire disparaître au même titre qu’elle aspire à ce que nous nous débarrassions de celle dont les initiales étaient gravées à l’intérieur. Elle réagit par possessivité et j’en suis flatté, voire rassuré : elle n’a pas l’intention de m’occire, pas tant que je serai authentique et, malgré tout, j’élude la moitié de la question. Je ne lui parle pas de ma jeune adulte de fille : qui pourrait bien me trahir ? Qui pour me dénoncer quand je me dirige vers elle pour la retrouver devant la garde-robe de son défunt mari. «J’aime l’idée que tu l’aies tué, qu’il ne soit pas juste mort. J’aime l’idée que tu l’aies détesté.» Mes doigts vont chercher les siens. La tension sexuelle augment aussitôt que je la serre contre moi et que mes lèvres se penchent vers les siennes. Ma bouche effleure la sienne et, avant d’y cueillir un baiser, j’ai ajouté : « Je n’en ai jamais portée, mais ça m’intéresse moins que de faire revenir d’Europe de ces tenues affriolantes des courtisanes, juste pour nous, parce que rien ne nous est interdit. »

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« Quinze ans. Si jeune. » Je hausse les épaules, à présent bien détachée de ma propre histoire. Ou bien était-ce réellement la mienne ? Ne suis-je pas devenue, pas quelqu’un d’autre mais autre chose ? « C’était un autre temps. On se mariait rarement par amour dans ce genre de milieux, à l’époque. » Que de toute jeunes femmes se retrouvent fiancée un ou deux ans après leurs premiers saignements n’avait rien de réellement choquant, lorsqu’est venu mon tour. Être traitée comme une marchandise ne l’était pas plus. « Etait-il violent, parfois ? » Je hausse les épaules, parfaitement indifférente à la souffrance qui fut la mienne autrefois. Le voilà le mot clé : autrefois, dans une autre vie prend tout son sens lorsqu’on devient un monstre assoiffé de sang. « J’étais une enfant le soir de ma nuit de noce. Tout est violent, dans ces conditions. » La notion de consentement n’intéressait alors personne. Moi-même, j’étais persuadée qu’il n’existait pas d’autre façon de vivre. « Et, vous n’avez jamais eu d’enfants ? Pas de mariage ubéreux, donc. » Je laisse échapper un rire aussi bref que sarcastique. « Il a passé les deux premières années à essayer de concevoir un héritier. » Et moi, je les ai passées à pleurer dans ma chambre un soir sur deux. « Une gouvernante m’a prise en pitié. Elle m’a aidé à faire en sorte que cela n’arrive pas. » A l’aide d’herbes médicinales et, lorsqu’il était trop tard, d’aiguilles de coutures. Après avoir failli y laisser la vie, j’ai appris à glisser dans son whisky du soir de quoi rendre monsieur incapable de la moindre petite prouesse sexuelle. Frustré, il a fini par se tourner vers des maîtresses, pour mon plus grand soulagement, même s’il me fallait encore certains soir remplir mon devoir conjugal. « Je t’y aurais aidée. » Mes doigts glissent de son épaule à sa joue, que je caresse du bout des doigts. « Je n’en doute pas. » Il a l’impétuosité des jeunes créatures, la fougue de ceux qui viennent d’être transformés. Sous les draps, c’est un délice. « Je pourrais tuer jusqu’au dernier de ses descendants si tu l’exigeais. J’aimerais voir l’Angleterre, et me faire une idée sur ce que j’aurais pu l’aimer ou non. » - « Si c’était possible, nous le ferions. » Sauf que les longues traversées, lorsque l’on craint la lumière du jour, sont tout sauf une idée intelligente.

Mon mariage n’est qu’un long souvenir. Le sien en revanche respire encore et c’est un problème que j’aimerais régler le plus rapidement possible. « Non. Et oui, je suis marié, c’est vrai. » Nous y voilà. Ses doigts jouent avec l’endroit où se situait avant son alliance et je le remarque, même si je ne le pointe pas du doigt. « J’aime l’idée que tu l’aies tué, qu’il ne soit pas juste mort. J’aime l’idée que tu l’aies détesté. » Il ne trouvera pas d’adversaire en la personne de mon défunt époux, une chose est certaine. Peut-être un jour trouvera-t-il le courage de s’enquérir de la personne qui m’a transformée. Moi, je réalise qu’il ne m’a rien assuré, alors j’insiste. « Tu la tueras. » La question sur ses potentiel gamin me semble triviale, étant donné son mutisme concernant le meurtre de son épouse, celui qui m’intéresse le plus. Son bras glisse le long du mien, ses lèvres effleurent les miennes et, déjà, j’en ai la chair de poule. Le corps humain a l’avantage d’être réactif autant que réceptif bien qu’un peu fragile. « Je n’en ai jamais portée, mais ça m’intéresse moins que de faire revenir d’Europe de ces tenues affriolantes des courtisanes, juste pour nous, parce que rien ne nous est interdit. » J’attrape son menton entre mes doigts, et je plonge mon regard dans le sien. « Tu me rêves en prostituée ? » Interpelée mais guère vexée, je maintiens toutefois son menton un peu trop fort entre mes doigts quelques secondes de plus. « Il y a tout ce qu’il faut ici, des décennies de toilettes plus luxueuses que les autres. Mais je ne suis pas une courtisane. » Maintenant que c’est plus clair, je m’empare de ces lèvres avec lesquelles il me nargue, depuis quelques secondes.

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Son histoire m’horrifie autant à cause des restes de mon humanité que pour cette affection nouvelle et intense envers ma créatrice. En a-t-elle façonné d’autres des êtres humains qu’elle aurait transformés ? Pourquoi ? Pour tromper sa solitude ? L’ennui ? Parce qu’il lui plaisait ? S’est-elle vengée de son mari auprès de certains de ses hommes parce qu’il lui aurait manqué de respect ? Suis-je le prochain sur la liste de ces victimes ? J’y songe souvent depuis que j’ai rejoint ses rangs. Je n’y pense pas réellement alors que je lui promets une adhésion sans faille. J’aurais volontiers vidé de son sang ce père qui l’a vendue. Je détruirais tout enfant et adulte dans les veines desquels couleraient une goutte de sang commun à son nom. Quel était-il ? Je ne suis que question à son propos et, au plus j’en apprends, au plus j’oscille entre satisfaction et frustration. Force est donc d’admettre que je mentirais si je prétendais ne pas comprendre son besoin d’anéantir celle qui était mienne il n’y a pas si longtemps, celle qui me pleure peut-être pour se donner bonne conscience, mais qui se réjouit d’être débarrassée de son chasseur de mari. Elle n’aurait pas souhaité ma mort, mais puisqu’elle est supposée, elle s’en contentera. Je suis convaincu qu’elle se remettra rapidement de cette perte à condition que la comtesse l’autorise à me “survivre” et rien n’est moins certain. Cette éventualité relève de l’impossible et j’y trouve plaisir, je l’avoue. Je me tracasse pour mon frère, oui. Je m’inquiète aussi pour ma fille, je cache son existence non sans honte. J’ai honte parce que je déteste m’encombrer de non-dits envers Rachel. Je m’en sens encore plus coupable qu’elle caresse ma joue avec, si pas de la douceur, peut-être de l’envie. Elle est contagieuse puisque je la désire, moi aussi. Je la déshabillerais volontiers au milieu de ce salon. Sa robe rejoindrait les autres vêtements abandonnés sur un montant et nous nous unirons. Au lieu de ça, j’exécute une pirouette pour protéger Sofia. J’entame mon stock de bienveillance, un stock qui cette fois ne se remplira jamais plus. A croire que chaque baiser - puisque je tente d’en initier un - assèche la source de laquelle provient les bons sentiments. Ils disparaissent petit à petit, sans crier gare, sans que je n’en prenne totalement conscience puisque je l’ai déjà oubliée, ma progéniture. Je ne suis plus concentré que sur mon petit jeu de séduction alors que j’effleure sa bouche de la mienne. J’ai hâte d’y cueillir un baiser aussi sucré qu’un bonbon. Pour ce faire, je dois préciser le fond de ma pensée : il n’est pas question de vexer l’objet de ma convoitise. «Pas prostituée. pas courtisane non plus. Je te rêves la moins vêtue possible.»ai-je confessé, les paupières à demi-close tandis que mes lèvres n’aspirent plus qu’à un baiser. «Et je la tuerai, oui, comme si elle n’était qu’une vulgaire courtisane.» Je pense conclure, elle s’y attèle avant moi… je reçois enfin mon baiser et, mes mains enhardies l’effeuillant avec langueur, nous nous sommes ébroués dans des draps de soie jusqu’à ce que tombe la nuit, jusqu’à ce que l’heure de nos crimes sonnent enfin.