♤ takin up my youth
« Now it's getting quiet here, now it's getting blue
And this, baby, ain't no fair, taking up my youth
You've been telling me some lies
I be thinking it's the truth
But I see it in your eyes, the things that you do »

« Bridgers ? » Les doigts de Scarlett s’immobilisent au-dessus du clavier d’ordinateur et elle relève les yeux de l’écran où s’affiche le brouillon d’un mail assassin qu’elle réserve au rédacteur en chef du Daily Mail. Elle lève un sourcil - son geste silencieux pour signaler à Julia, son assistante, qu’elle peut continuer à parler. « Le fleuriste s’est trompé dans la commande. Les compositions de table ont des chrysanthèmes. » Scarlett ne prend pas la peine de demander à Julia si elle a vérifié que leur devis de commande spécifiait bien des dhalias. Elle sait que son assistante l’a fait, et que l’erreur ne vient pas de la part de l’agence. Elle ne se tiendrait pas ainsi, si elle venait annoncer à Scarlett qu’elle était la fautive. Julia n’est pas l’assistante de Scarlett pour rien : elle a appris à anticiper les questions et les besoins de Scarlett depuis plus de deux ans, et est payée plus que gracieusement pour son talent. « Ôte ce fleuriste de notre liste de contact pour nos futurs événements. Dis leur que nous ne paierons pas la seconde moitié que nous leur devions, leur devis est caduc. » Scarlett prend son iphone, scrolle dans ses contacts, et pointe son menton vers le téléphone que Julia tient dans ses mains et dont l'écran s'allume deux secondes plus tard. « Contacte ce fleuriste-là. Dis leur que tu viens de ma part et que nous paierons ce qu’il faut pour avoir des dhalias sur nos tables d’ici deux heures. » Julia hoche la tête et quitte le bureau de Scarlett sans rajouter un mot - elle n’est pas du genre à faire perdre son temps à Scarlett avec des questions stupides. L’une des autres raisons pour laquelle elle est l’actuelle assistante de Scarlett.

Scarlett s’autorise à pousser un rapide soupir avant de reprendre la rédaction de son mail et de l’envoyer. Une chose de moins dans son esprit avant la grande soirée, elle peut enfin partir se préparer. Elle enfile sa robe qui tombe parfaitement sur ses épaules maintenant qu’elle l’a fait ajusté par sa tailleuse, et part dans la salle où plusieurs maquilleuses sont en train de s’occuper de ses employés. Une dizaine ont eu l’autorisation très prisée de rester pour la soirée annuelle que l’agence organise pour tous les clients qu’elle représente, et potentiels clients également, et il est hors de question que leur présentation ne soit pas absolument impeccable. Les piaillements se taisent dès que Scarlett rentre dans la pièce, elle sent les regards sur elle alors qu’elle s’installe sur la chaise de la maquilleuse que libère Maureen, sa chargée de développement marketing, dès que Scarlett s’approche. « June, change de tenue », ordonne Scarlett à la jeune femme aux cheveux roses qui se tient près de la porte, qui n’essaie même pas de bredouiller une excuse et quitte simplement la pièce. Qu’est-ce qu’elle s’imaginait, se demande Scarlett, que cette robe à pailettes qui semblait tout droit sortir de SheIn ferait l’affaire ?

Trois heures plus tard, sur les coups de 20h, la soirée commence doucement à se lancer, les invités arrivent, la musique est calme mais légère, le buffet dressé, les employés du traiteur valsent autour des nouveaux arrivants, avec des coupes de champagne, des plateaux de petit four. Des décorations florales avec des dhalias trônent sur les petites tables rondes sur lesquelles les invités abandonnent leurs verres vides. Scarlett s’approche d’une grande blonde dans une robe verte en velours. « Lara, je suis ravie que vous ayez pu venir. » Scarlett lui tend la main avec un sourire ferme et Lara la serre. « Stephen m’a tant parlé de la soirée de l’année dernière, je ne pouvais pas la rater cette fois-ci… Et je dois dire que pour l’instant, elle s’annonce prometteuse », elle pointe vers les dhalias, « les dhalias sont mes fleurs préférées. » Les yeux de Scarlett s’écarquillent très légèrement. « Vraiment ? Quel heureux hasard », dit-elle poliment. Heureux hasard, mon cul oui. Ces putains de dhalias de dernière minute ont coûté une fortune à Scarlett, simplement parce qu’elle a lu dans un interview de Lara Abrams de Vogue en 2017 qu’il s’agissait de ses fleurs favorites, et ce soir, Scarlett a une mission très précise : que Lara Abrams abandonne sa chargée de PR en carton pour signer chez Tried & True. Et chaque détail compte.

Scarlett vole d’un groupe d’invités à l’autre, parfaitement dans son élément, elle sourit, serre des mains, gère deux trois urgences, les “Bridgers” fusent dans tous les sens. Et puis, évidemment, elle distingue une silhouette, puis une deuxième, elle réajuste ses cheveux sur ses épaules dans un geste discret, elle sait que la collision arrive. Elle remonte vers les deux hommes qui arrivent vers elle, Rory a un grand sourire niais vissé sur ses lèvres, comme d’habitude et Scarlett lève mentalement les yeux au ciel. Mais son visage ne laisse transparaître aucun mépris. « Rory, merci d’être venu », dit-elle en guise de bonjour en lui tendant la main. Puis, elle inspire, imperciblement, et se tourne vers Swann, dont les iris tremblent une demi-seconde. Scarlett sait qu’elle a l’ascendant, sa sensation préférée, mais son visage reste parfaitement neutre. « Et Swann, le fameux », annonce-t-elle, l’air de dire : ah oui, le fameux Swann dont Rory m’a beaucoup parlé. Pas juste le fameux Swann, le parfum des rues de la banlieue de Londres, les cannettes de coca volées à la superette, le son du skatepark près duquel ils traînaient, la moiteur de la paume de sa main, en été, quand ils marchaient côte à côte.

« Bridgers ? » Julia s’est approchée d’eux, et murmure d’une petite voix, consciente qu’elle dérange. Elle ne se le permettrait qu’en cas d’urgence, et en effet, elle tient dans sa main son téléphone à l’écran illuminé. « Le rédacteur du Daily Mail », souffle-t-elle, d’un ton entendu. « Ah, voilà qu’il sait me joindre maintenant », siffle Scarlett avant de se retourner vers Rory et Swann. « Je suis désolée Messieurs Craine, le devoir m’appelle », elle leur sourit poliment. « Vous devriez essayer les verrines d’homard, elles sont délicieuses », ajoute-t-elle, parce qu’elle sait que Rory adore les fruits de mer - un de ses posts instagram de 2016 - avant de s’eclipser avec Julia, lui prenant le téléphone des mains, prête à en découdre avec le rédacteur qui s’est permis de sortir un article où il ment sur les déclarations de l’une des clientes de Scarlett.


@Swann Craine  

Rory jongle entre Brisbane et New York pour le tournage de son film et l’envie de passer le plus de temps que possible auprès de lui est ce qui a convaincu Swann d’assister à cette soirée-là. Ce n’est toujours pas le genre d’événement qu’il aime, ni ceux dans lesquels il se sent à l’aise, mais il a au moins appris à ne pas les détester et à s’y faire une place discrète, à peine dans l’ombre de son mari qui reste la raison pour laquelle il est à son tour convié. En réalité, il sait aussi que Rory préfère venir accompagné, même s’il peine à le dire aussi simplement puisqu’il ne veut pas forcer la main à son mari, aussi peu qu’il le voulait lorsqu’ils étaient fiancés, ou simples compagnons. Swann sait lire entre les lignes sans difficulté, raison pour laquelle ce soir encore il a ajusté un nœud papillon pour l’occasion et dit au revoir à Robin le temps de la soirée. « Rory, merci d’être venu. » Il est salué par celle que Rory a pris le temps de désigner comme Scarlett Bridgers lorsqu’elle avait le dos tourné et semblait occupée par une autre conversation. En un rien de temps, c’est vers eux qu’elle s’est avancée et ses traits que Swann jurerait avoir reconnu sans le moindre mal malgré les années écoulées. « Et Swann, le fameux. » Tout le doute se lit dans le visage de l’anglais mais il est absent de celui de sa comparse, dont l’accent est pourtant évident. La main qu’il lui serre est molle, preuve qu’il a l’esprit ailleurs. Il pense à répondre quelque chose, il pense à poser une question ou même à se contenter d’un small talk de pure politesse mais rien ne sort de sa bouche soudainement pâteuse.

« Bridgers ? »
« Je suis désolée Messieurs Craine, le devoir m’appelle. Vous devriez essayer les verrines d’homard, elles sont délicieuses. »

Tout s’enchaîne vite et dès la seconde suivante, ils se retrouvent tous les deux à nouveau. Conscient que son trouble n’aura pas échappé à Rory, et pour le rassurer avant qu’il ne pense que ce soit une crise de panique d’une quelconque sorte, il se tourne en sa direction pour lui préciser la situation. « Je la connais. » Il ne prend déjà plus la peine d’utiliser l’hypothèse dans ses mots: il sait qu’il la connaît et il sait très bien d’où, mais avant de le lui préciser dans de plus amples détails, Swann veut comprendre pourquoi tout est si différent aujourd’hui, à commencer par son prénom. « De Londres. Je… Je te laisse un instant, je vais lui parler, ok ? » Il pose une main douce contre son torse pour lui faire comprendre de ne pas s’inquiéter et agrémente ce simple geste d’un baiser contre sa mâchoire. Rory le connaît assez pour savoir qu’il aura la version complète de l’histoire plus tard, la réception n’étant ni le lieu ni le moment pour qu’ils restent seuls dans leur coin. « Je veux une review complète des verrines à mon retour. » Il sourit, preuve que son mari n’a pas à s’en faire de rien: Swann a d’abord réagi sous le coup de la surprise, voilà tout.

Il attend aussi maladroitement que le ferait un enfant devant le bureau du proviseur, lui qui a suivi Scarlett dans un coin un peu plus reculé de la réception sans pour autant s’approcher de trop, tant parce qu’il ne veut pas passer pour un psychopathe que parce qu’il ne veut rien entendre de son échange sûrement classé secret professionnel. N’en reste pas moins qu’il connaît son caractère et qu’elle semble encline à faire comme si de rien n’était, ce qui le pousse de son côté à devoir s’assurer qu’elle ne pourra pas rejoindre la réception sans qu’ils aient discuté avant. « Ça te va bien, Scarlett. » Et il ne prononce pas le prénom avec lequel il la connaît parce qu’il ne veut pas commettre d’impair, parce qu’il ne veut pas le lui imposer si jamais elle a décidé de l’enterrer. Il dit simplement que Scarlett lui va bien ; il sous-entend aussi qu’il sait très bien qu’elle n’est pas née avec ce même prénom. Le changement n’est pas à blâmer. « Je dirai rien à personne, tu sais. » D’où ils viennent tous les deux, ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont vu. Personne n’a à le savoir si elle ne le veut pas et si ça ne colle pas à l’histoire qu’elle donne au reste du monde. Son passé ne regarde qu’elle, et il tient à lui dire qu’ils sont du même côté peu importe ce qu’elle pourrait naturellement craindre. « C’est juste… Je suis content pour toi. De ton chemin. J’aurais jamais pensé te retrouver ici. » Il hoche la tête en même temps qu’il parle, ce qui lui donne l’impression de donner du poids à ses propos et d’assurer par la même occasion Scarlett qu’il n’est pas en train de mentir. Mais elle le connaît, après tout: elle sait que ce n’est pas dans ses habitudes. Cela ne l’était déjà pas à l’époque. « On peut discuter un peu ? » Il finit par oser demander, pourtant conscient que cette soirée l’occupe forcément à tous les niveaux et qu’un ancien petit-ami d’une époque révolue est sûrement le cadet de ses soucis. Mais il veut croire que cela a toujours un minimum d’importance pour elle, quand même.

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La discussion au téléphone est vive, sèche, bourrée de fausse politesse comme Scarlett sait en user - elle est une anglaise qui travaille dans les PR, c’est dans son ADN, un muscle qu’elle a entraîné. Elle ne laisse rien transparaître sur son visage, parce que ses invités peuvent encore la voir. Dans le bout de ses doigts, une éléctricité agréable circule, celle qu’elle ressent quand elle s’énerve et se contrôle, qu’elle sent qu’elle a l’ascendant sur la situation. Elle est prise dans son jeu favori, dont elle connaît toutes les armes, les stratégies, et elle préfère s’y plonger parce qu’elle sait ce qui l’attend, dès qu’elle aura raccroché, la présence de Swann qui, s’il n’a pas changé, viendra la voir, lui parler, elle le sait. Et évidemment, lorsqu’elle raccroche, il est là, qui l’attend discrètement, poliment.

« Ça te va bien, Scarlett. » Elle lui est reconnaissante de ne pas prononcer cet autre prénom qu’elle n’a pas entendu depuis des années, cet Arabella qui semble à présent appartenir à une autre. A l’époque, déjà, Swann était l’un des rares à ne pas l’appeler par son surnom stupide, ce Bella qui l’agaçait et que les hommes aimaient trop prononcer à son goût. Scarlett, Bridgers, Arabella, Bella. Toute sa vie n’est qu’une collection d’identités, des prénoms qu’elle revêt comme des vêtements selon les occasions. « Craine, ça change de Buchanan », offre-t-elle en retour. Ils ont tous les deux changés, voilà ce qu’elle sous-entend d’un air neutre. Elle est déjà occupée à construire un mur épais pour y projeter sa nouvelle vie et masquer l’ancienne, que Swann n’y ait plus accès.

« Je dirai rien à personne, tu sais. » Elle lève un sourcil, et d’un coup de menton, désigne la clameur de la fête qui rugit, plus loin, et qui cache en son sein Rory. « Tu le diras à Rory », répond-t-elle d’un ton factuel, détaché. Ce n’est pas un reproche, simplement une constatation et elle sourit à Swann, pour lui dire que ce n’est pas grave, pas vraiment. Evidemment que Swann doit être le genre d’homme à tout confier à son mari. N’est-ce pas ce que la plupart des gens amoureux font ? C’est bien l’une des raisons pour laquelles les relations fatiguent Scarlett : les gens en demandent toujours trop, toutes les histoires, les émotions, les secrets.  

« C’est juste… Je suis content pour toi. De ton chemin. J’aurais jamais pensé te retrouver ici. » Evidemment qu’il allait dire quelque chose dans le genre, se dit Scarlett. Elle n’est pas surprise. Elle le voit dans son regard doux, qu’il n’a pas changé. Toujours trop gentil. Scarlett n’a pas besoin de l’approbation de Swann, alors elle agite légèrement la tête, pour dire une sorte de merci poli et silencieux, et repousser toutes les images de leur passé, celles qui lui rappellent qu’il est peut-être la seule personne à savoir à quel point la transformation est impressionnante et la complimenter sincèrement. Même la mère de Scarlett ne sait rien de sa nouvelle vie. « On peut discuter un peu ? » La question est hésistante, compréhensive, parce que Swann sait que la réception est la priorité de Scarlett. Sa douceur est légèrement agaçante, mais Scarlett inspire, recompose un sourire. « Un peu », elle réplique, un sourire en coin, « avant que j’aille serrer d’autres mains. » Elle fait un geste du bout des doigts vers la soirée, les invités qui défilent et discutent dans une sorte de chorégraphie silencieuse. Avec un peu de recul, Scarlett peut voir la distribution des rôles, les répliques répétées, les gestes de théâtre. Elle se tourne à nouveau vers Swann, son visage qui brille d’une lueur de lune. Il a encore cet air calme, réconfortant. « Toi aussi, c’est un sacré chemin. Kinésithérapeute, père, mari », elle énumère, amusée. Elle a fait ses recherches, évidemment. Elle a dû tout savoir de Rory, quand il est devenu son client, y compris sa vie intime. Elle le cherche du regard, l’aperçoit dans la foule, repose son regard sur Swann : « Il est mignon, bien joué. Et affreusement adorable… Parfait pour toi. » Ils doivent faire la paire, tous les deux. Niais, gentils, doux. Insupportables, mais presque attendrissants. Bien loin du caractère de Scarlett. « Je dois avouer qu’après des années dans ce métier, c'est difficile de me surprendre, mais le jour où ton nom est apparu dans mon dossier, j’ai été presque… Prise de cours. Je ne t’imaginais pas être du genre à t’enfuir à l’autre du monde », dit-elle avec un petit sourire. « Sauf pour y chercher quelque chose. » Une façon détournée de lui demander ce qu’il fait là, en somme, quelque chose qu’elle n’a pas pu savoir malgré sa petite enquête personnelle sur le dossier Rory Craine.


@Swann Craine  

« Craine, ça change de Buchanan. » Est la réponse qu’elle lui offre en retour après qu’il ait commenté son nouveau prénom. Il ne le prend pas comme une attaque et il n’est pas réellement étonnée qu’elle souligne son nouveau nom, lui qui se contente finalement d’en sourire avec douceur. Swann voudrait lui dire à quel point il est heureux de ce changement mais il s’en passe encore, parce qu’il anticipe déjà qu’elle n’a pas de temps à perdre à entendre toute son histoire avec Rory. Beaucoup de choses ont changées, pour l’un comme pour l’autre, et il faut croire que c’est bel et bien pour le meilleur. « Tu le diras à Rory. » Evidemment. Il relève le menton et ne dérobe pas son regard du sien. Il n’a pas honte de l’avouer, effectivement, mais il est tout de même soulagé de constater qu’elle ne lui en tient pas rigueur. « Il sait garder sa langue. » Elle ne le lui a pas demandé, encore une fois, mais il veut tout de même qu’elle le sache. Il parlera à Rory quoiqu’elle puisse en penser et à ses yeux cela ne va pas à l’encontre de leur vieille amitié ou bien de leur ancienne histoire: il s’agit d’une simple évidence. Il raconte tout à son mari et il raconte surtout ce qui pourrait devenir un secret de polichinelle d’une façon ou d’une autre, ce qui est une des descriptions les plus évidentes quant à une histoire passée. Rory a entendu parler d’Arabella, oui, mais entre connaitre une histoire et pouvoir faire le lien avec une personne qu’il connaît à titre personnel, il y a une énorme différence.

Avec soin, il prend le temps de lui demander de son temps et, surtout, l’autorisation de continuer plus loin la discussion. Le moment est mal choisi pour lui parler de tout ce qui lui vient à l’esprit, il le sait, mais il a au moins la possibilité d’entamer un bout de conversation avec elle, ne serait-ce parce qu’il est simplement et sincèrement heureux de la retrouver après tant d’années. Surtout pour constater que tout semble aller pour le mieux de son côté, peu importe son prénom. « Un peu avant que j’aille serrer d’autres mains. » Et c’est à son tour de sourire, même s’il se doute déjà que Scarlett n’a pas besoin de sa complaisance pour dormir sur ses deux oreilles mais c’est toujours plus fort que lui. « Je me doute. Je ne te retiendrai pas. » Elle a mieux à faire que de ressasser de vieux souvenirs, il le sait. Elle est de ceux qui vont de l’avant, pas qui regardent inlassablement en arrière. « Je suis pas étonné que les choses se passent aussi bien pour toi. Tu as toujours été du genre à aller au bout de tes idées. » Elle a mérité tout ce qui lui arrive, elle qui a cravaché toute sa vie durant et travaillé aussi fort que possible pour toujours recevoir les miettes. Aujourd’hui, elle a enfin accès à mieux. « Toi aussi, c’est un sacré chemin. Kinésithérapeute, père, mari » Il fait de son mieux pour ne pas sourire trop niaisement mais cela lui demande toute sa concentration. Il est fier du chemin qu’il a fait, lui aussi, même s’il s’agit d’une voie bien différente de celle de Scarlett: n’en reste pas moins qu’elle est celle qui le rend pleinement heureux. « Les choses ont changées depuis le temps. » D’un air un peu plus grave et un peu plus sérieux, il rajoute rapidement un simple mot. « Heureusement. » Pour lui comme pour elle, leur quotidien n’a rien à envier à ce dont il était question à Londres, deux décennies plus tôt.

Il garde ses prunelles sur Scarlett lorsqu’elle décide plutôt d’observer Rory mais ne s’y attarde pas bien longtemps, son propre regard finissant par trouver la même cible. Son mari fait son propre chemin. Il est heureux, il fait passer le temps avec naturel. Tout va bien pour lui aussi, maintenant. « Il est mignon, bien joué. Et affreusement adorable… Parfait pour toi. » Ces mots ne sont pas totalement des compliments et il n’a aucun mal à le comprendre, mais cela n’est pas prêt de le faire changer d’avis sur son mari pour autant. « J’ai connu d’autres personnes moins adorables, ça ne fonctionnait pas aussi bien. » Et ce n’est pas une attaque contre Scarlett, loin de là. Quiconque connaît un minimum l’anglais saurait qu’il ne pense pas un seul instant à la vexer, lui qui se contente simplement de statuer la vérité et, avec elle, le simple fait que la vie n’a pas toujours été aussi rose et évidente, justement. « Je dois avouer qu’après des années dans ce métier, c'est difficile de me surprendre, mais le jour où ton nom est apparu dans mon dossier, j’ai été presque… Prise de cours. Je ne t’imaginais pas être du genre à t’enfuir à l’autre du monde. Sauf pour y chercher quelque chose. » Ce n’est qu’à partir de cette nouvelle idée qu’il repose son regard sur elle plutôt que sur son mari. Ses mains trouvent leur place dans le pantalon de son costume, lui qui prend le temps de trouver les bons mots pour lui répondre. Il ne pense pas à lui mentir à aucun moment: il doit simplement trouver la bonne manière d’expliquer la situation. « Ma mère m’a donné l’identité d’un homme qu’elle a désigné comme mon père. Il habitait à Brisbane. Je suis parti dès que j’ai validé mon diplôme. » L’histoire est résumée grossièrement, un peu trop féeriquement aussi. « C’était une fausse piste mais je l’ai su quand j’étais déjà amoureux. J’avais aucune raison de rentrer à Londres. » Il ne prend pas la peine de préciser qu’il est déjà question de Rory, à nouveau: elle s’en doute sûrement déjà bien assez et il la connaît assez en retour pour savoir qu’elle n’a aucune envie de se nourrir des histoires à l’eau de rose d’autrui.

« J’ai aussi une question. » La sienne n’était pas formulée de cette manière mais elle n’en était pas moins une pour autant. « Quand est-ce que mon nom est apparu, au juste ? » Autrement dit: depuis quand est-ce qu’elle sait qu’ils vivent dans la même ville et évoluent qui plus est dans le même environnement sans jamais avoir jugé bon de ne serait-ce lui donner un signe de vie ? Il ne demande pas à ce qu’ils reprennent leur amitié et leurs confessions là où ils les ont arrêtées il y a plus d’une décennie de ça, mais il demande à ce qu’ils n’agissent pas tels des inconnus qu’ils ne sont pas. « Et pourquoi ? » Pourquoi est-ce qu’elle n’a rien dit ; le pourquoi de son nom est apparu, ça, il s’en doute déjà et il ne veut pas explorer davantage la question.

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Scarlett a été surprise d’apprendre que Swann vivait ici, mais le chemin de vie qu’il a parcouru, lui aussi, n’a rien d’étonnant. Elle a toujours su qu’il deviendrait quelque chose - elle ne se serait jamais liée avec quelqu’un sans ambition ou perspective, même lorsqu’elle n’était qu’une adolescente. Swann, ses quelques années de plus et son regard doux, ont été une protection pour elle, au moment où elle en a eu besoin. A cette époque, déjà, il avait quelque chose de stable, une sorte d’ancre de bateau dans les profondeurs des bagues. « Les choses ont changées depuis le temps. Heureusement. » Scarlett lève un sourcil, amusée, l’air de dire : à qui le dis-tu.

La conversation dévie sur Rory et ça aussi, ça ne surprend pas spécialement Scarlett. Elle a travaillé assez longtemps dans le PR pour savoir que l’orientation sexuelle des gens est fluide, complexe, et jamais tout à fait ce dont on se doute. Elle a une pensée pour la patiente de Swann lorsqu’elle refusait qu’il la touche, plus jeune, et se demande pareussement s’il était gay tout ce temps, et que ça l’arrangeait finalement bien. Scarlett préférerait que ça ne soit pas l’explication ; de tous les hommes qu’elle a rencontrés et fréquentés, Swann est le seul qui a gagné son respect ainsi, par son absence de désir qui détruit tout sur son passage, par sa capacité à comprendre le non, à ne pas penser qu’au sexe. Elle voudrait garder cette image là, se dire que ça existe. « J’ai connu d’autres personnes moins adorables, ça ne fonctionnait pas aussi bien. » Scarlett a un petit rire. Si elle ne connaissait pas Swann, elle pourrait penser qu’il s’agit d’une pique. Mais il est trop gentil pour cela - il se contente d’être sincère, et ce n’est pas elle qui va le contredire. « J’ai connu des personnes aussi adorables, ça ne fonctionnait pas aussi bien », réplique Scarlett, amusée. Elle sait qu’ils n’étaient pas très bien assortis, même quinze ans plus tôt.

Le sujet de la venue de Swann en Australie arrive rapidement sur le tapis. Scarlett pourrait être patiente, manipuler doucement l’autre pour avoir la réponse à cette question trop personnelle, mais elle a le souvenir d’un Swann livre ouvert qui n’a pas besoin de tout ça. Et effectivement, il répond, honnête : « Ma mère m’a donné l’identité d’un homme qu’elle a désigné comme mon père. Il habitait à Brisbane. Je suis parti dès que j’ai validé mon diplôme. C’était une fausse piste mais je l’ai su quand j’étais déjà amoureux. J’avais aucune raison de rentrer à Londres. » Scarlett hôche la tête. Elle se souvient encore de la famille de Swann, de leurs mères qui se ressemblaient étrangement. Elle n’est pas surprise qu’il ai tout quitté, lui aussi. « Ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup de choses qui nous attendaient encore là-bas », commente Scarlett, autant pour elle que pour Swann.

« J’ai aussi une question. » Evidemment, se dit Scarlett. Elle devine ce qu’il va dire, simplement par son visage un peu mélancolique, l’inflection de sa voix. « Quand est-ce que mon nom est apparu, au juste ? » Scarlett cache un soupir. Elle l’a su dès qu’elle a vu le nom de Swann dans le dossier : ils allaient se revoir, et si il allait poser ce genre de questions. « Et pourquoi ? » Elle aimerait qu’il soit plus adulte, moins naïf. La question a une réponse simple, évidemment, qu’il pourrait trouver. Scarlett n’a jamais aimé avoir besoin de s’expliquer. Elle lance un regard vers la foule de la réception, et agite sa main lentement vers les invités. « Pour ça, évidemment, Swann. » Elle se tourne vers ce fantôme du passé d’un air entendu. « Je l’ai su dès que j’ai commencé à représenter Rory. Je me renseigne toujours sur mes clients, je suis douée dans mon job. Très douée. Notamment parce que j’ai une réputation à tenir. Et je ne tenais pas à ce que mon nouveau golden boy, Rory Craine, ait une image différente de moi parce que son mari m’a connue à une époque de ma vie dont personne en Australie n’a connaissance. » Elle espère que Swann le comprendra - pas parce que son estime l’importe particulièrement, mais parce qu’elle ne veut pas que cela retombe sur ses relations avec Rory. Mais ce n’est pas toute la vérité, au fond, elle inspire, hésite, car elle se rapproche du territoire de la vulnérabilité qu’elle préfère habituellement éviter.  Elle a un petit sourire. « Je ne suis pas sentimentale comme toi, Swann. Je savais que l’on serait amené à se revoir, de toute manière, et je n’étais pas spécialement pressée de remuer le passé. »



@Swann Craine  

« J’ai connu des personnes aussi adorables, ça ne fonctionnait pas aussi bien » Il rétorque par un sourire. Un peu triste, sans doute. Il aurait aimé entendre qu’elle avait trouvé sa bonne personne et que tout va aussi bien sur le plan personnel que professionnel. De toute évidence, ce n’est pas le genre de confession qu’elle s’apprête à ajouter, et il se fait à l’idée malgré lui. Il a néanmoins assez confiance en elle pour lui confier dans les grandes lignes les raisons de son arrivée à Brisbane et, surtout, de son départ définitif de Londres. « Ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup de choses qui nous attendaient encore là-bas » - « Non. » Il rétorque d’un ton froid. Ils ont chacun leurs raisons mais Londres ne leur manque pas, et c’est au moins un point sur lequel l’ancien couple tombe d’accord. Rien ne lui manque de sa ville natale: il a tout pour être heureux à Brisbane. Absolument tout, et bien plus encore.

Néanmoins, il ne reste pas longtemps à parler de leur passé. Il n’a rien de glorieux, rien de joyeux non plus. Il n’y a rien de bon à en tirer, et il préfère encore obtenir des réponses sur le présent. « Pour ça, évidemment, Swann. » La réception est pointée du doigt sans que cela ne l’aide à obtenir des réponses pour autant. Elle a réussi, cela n’a rien d’une surprise, mais il ne sait pas ce que ça peut avoir à faire avec lui. Ce n’est une évidence que pour elle. Il reste silencieux, certain qu’elle ajoutera la suite des explications par elle-même sans qu’il n’ait à lui forcer la main, et la preuve en est dès les minutes qui suivent. Il grimace à la mention de golden boy au sujet de son mari, pas forcément à l’aise à cette mention tant il a l’impression que cela fait de lui une bête de foire prête à leur rapporter de l’argent. « Il sait faire la part des choses, tu sais. » Il n’aurait jamais eu une vision différente de Scarlett pour autant, notamment parce qu’il a déjà entendu des récits de Swann à l’époque de Londres et qu’il sait que son mari lui-même était différent dans ce temps. L’époque était différente, le contexte aussi, et il serait bien le dernier à ne pas croire que les gens changent. « Et… je compte pas rentrer dans les détails. » Ni de leur relation, ni de leurs confessions, ni de ce qu’ils savaient tout simplement l’un de l’autre à l’époque. Il est transparent avec son mari en ce qui le concerne mais il ne l’est pas en ce qui concerne ses proches et il qualifie justement Scarlett comme l’un d’eux, qu’elle accepte ou non cette étiquette. « Je ne suis pas sentimentale comme toi, Swann. Je savais que l’on serait amené à se revoir, de toute manière, et je n’étais pas spécialement pressée de remuer le passé. » Il secoue doucement la tête. L’excuse de Scarlett n’est pas acceptée. « Je crois pas que ce soit une question de sentiments, là. » Il coupe d’un ton un brin plus ferme. « Quand tu apprends que tu vis dans la même ville qu’une personne dont t’as été proche y’a des années, et que vous avez qui plus est une connaissance en commune, c’est du bon sens d’au moins se faire connaître. » Il comprend le fond de la pensée de Scarlett mais il ne peut pas simplement accepter son silence comme si de rien n’était et comme si ça ne l’avait pas blessé lui-même. « J’aurais pu comprendre que t’aies besoin d’un peu de temps, mais là… c’était pas forcément ton meilleur coup. » Dans son monde où la communication prime sur tout le reste, elle ne s’est pas montrée irréprochable et il ne compte pas cacher ses pensées à ce sujet: il n’y a rien dont il compte lui tenir rigueur toute sa vie durant mais il veut au moins qu’elle comprenne qu’elle était dans le faux et qu’elle aurait dû penser un peu plus aux autres à ce moment précis. « J’ai pas non plus envie de remuer le passé. Je suis heureux qu’il soit derrière nous. Y’a pas tant de positif que ça à en tirer. » Leur relation a été positive, il ne dira pas le contraire, mais il ne peut pas résumer presque deux décennies à simplement ça. « Je t’aurais invitée au mariage si j’avais su. » Elle sait qu’il a eu lieu il y a quelques mois à peine, de ça il ne doute pas un seul instant. Elle aurait pu gagner quelques contacts ce soir là, en plus de simplement faire plaisir à Swann par sa présence. Il ne sait pas où vont ses mots mais il souhaitait au moins lui dire ça, que son côté sentimental n’aurait pas eu peur d’inviter une figure du passé à un événement aussi important de sa vie. « Tu comptes agir comme si on était des inconnus ? Je veux savoir où me mettre. » Il suivra sa décision, qu’il soit ou non en accord avec cette dernière.

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I be thinking it's the truth
But I see it in your eyes, the things that you do »

Scarlett ne considère pas devoir quelque chose à Swann - à personne, même, à vrai dire. Elle a construit sa vie ainsi, la liberté par excellence, vivre comme elle entend. Il n’y a que son travail qui l’engage, parce qu’on la paye pour un service et que cette transaction la rend redevable, sa réputation professionnelle en jeu. Mais sa vie personnelle n’a jamais été quelque chose qui la retient, l’oblige, et cela ne le sera jamais. Néanmoins, à défaut de loyauté, elle ressent un certain respect pour Swann, une émotion que peu de personnes lui inspirent. C’est même peut-être la plus grande marque d’affection que Scarlett peut donner à quelqu’un, parce qu’elle est si rare et précieuse. « Il sait faire la part des choses, tu sais. » Swann voit le meilleur en son mari, évidemment, ce n’est pas surprenant. Il n’est même pas capable de comprendre que la vie professionnelle de Scarlett est millimétrée, contrôlée, et qu’elle fait tout pour que rien ne dépasse.  « Et… je compte pas rentrer dans les détails. » Scarlett hausse les épaules. Swann ne veut pas saisir que le simple fait que Scarlett ait grandi dans la même banlieue de Londres que Swann est déjà trop de détails, surtout face à une clientèle qui vient de milieux aisés dont elle a adopté tous les codes pour se fondre parmi eux. « Savoir que je viens de notre milieu est déjà un trop gros détail. Je suppose que tu as assez fréquenté l’univers de Rory, cette industrie, pour savoir que les codes y sont très particuliers. Je préférais établir ma crédibilité le plus longtemps possible, sans qu’il ait accès à cette information », elle rajoute, parce qu’elle aimerait que Swann ouvre les yeux, reconnaissent que ces industries qu’ils fréquentent sont particulières, qu’un client sache qu’elle a grandi dans une banlieue précaire de Londres n’était pas la meilleure des lumières.

Elle lui offre poliment une explication, et est étonnée de voir que Swann ne s’en saisit pas avec autant de facilité qu’elle l’aurait imaginé. Elle a un souvenir de lui plus doux, plus passif peut-être. « Je crois pas que ce soit une question de sentiments, là.. Quand tu apprends que tu vis dans la même ville qu’une personne dont t’as été proche y’a des années, et que vous avez qui plus est une connaissance en commune, c’est du bon sens d’au moins se faire connaître. » Des années, justement, là est la subtilité que Swann refuse d’admettre. Ils ne sont qu’un éclat très lointain, un bout d’une autre vie. « Ne le prends pas personnellement, j’ai réellement coupé tous les ponts avec ma vie Londonienne et je m’y suis tenue », explique-t-elle, cachant son agacement. La sentimentalité de Swann ne devrait pas la surprendre, mais elle l’imaginait peut-être avoir mieux absorbé les codes du milieu de Rory.

« J’aurais pu comprendre que t’aies besoin d’un peu de temps, mais là… c’était pas forcément ton meilleur coup. » Scarlett a un petit rire léger, et répond du tac-au-tac : « Je pense pourtant plutôt bien m’en tirer », elle offre avec un sourire sincère, presque amusé. La remarque de Swann est de bonne guerre et elle l’accepte sans animosité. « J’ai pas non plus envie de remuer le passé. Je suis heureux qu’il soit derrière nous. Y’a pas tant de positif que ça à en tirer. » Il y accorde pourtant une certaine importance, vu son comportement. Et la suite de la conversation en témoigne : « Je t’aurais invitée au mariage si j’avais su. » Sur le coup, Scarlett est surprise, lève un sourcil, mais recompose rapidement son visage. « Vraiment ? Tu aurais invitée une ex avec qui tu es sortie six mois et à qui tu n’as pas parlé depuis quinze ans ? » Elle est partagée entre l’envie de rire de la sentimentalité de Swann et celle de reconnaître qu’au fond, tout au fond, son coeur a eu une légère contraction devant une telle loyauté. « Je pensais sincèrement que tu avais abandonné Londres et ses souvenirs et ne souhaitais pas avoir grand chose à voir avec  », elle admet. Elle pensait qu’ils étaient sur la même longueur d’onde, en fait.

« Tu comptes agir comme si on était des inconnus ? Je veux savoir où me mettre. » Elle secoue la tête. « Don’t be silly. » Elle a un petit sourire qui cache une pointe d’affection. « Tu diras la vérité à Rory, et les gens qui nous verrons être… familier se diront que nous nous connaissons via Rory. Je ne t’imagine pas crier sur tous les toits la vraie raison. » Elle suggère à voix haute. « Mais je n’ai pas honte de te connaître, ni d’où nous venons. » C’est les autres qui le jugeraient, elle le sait. « Je suis pudique, pas une menteuse. » Cette affirmation est un mensonge en elle-même, mais Scarlett n’a pas à en expliquer les tenants ou les aboutissants.



@Swann Craine  

« Savoir que je viens de notre milieu est déjà un trop gros détail. Je suppose que tu as assez fréquenté l’univers de Rory, cette industrie, pour savoir que les codes y sont très particuliers. Je préférais établir ma crédibilité le plus longtemps possible, sans qu’il ait accès à cette information » Ils ne tomberont pas d’accord sur ce sujet et Swann ne veut pas lancer le débat. Il n’en marque pas moins la négation de ses mouvements de tête mais l’anglais garde ses lèvres closes. Il est de ceux qui pensent que le monde a évolué et que plus personne n’en a rien à faire de savoir d’où elle vient aujourd’hui, pas alors que son seul parcours force l’admiration et que tout le monde se contente de voir en elle une femme d’affaire qui a particulièrement réussi. Mais elle pense autrement et elle a sans doute ses raisons pour camper sur ses positions: et ce n’est ni le lieu ni le moment d’approfondir le sujet. De son côté, il ne compte pas en parler à qui que ce soit d’autre qu’à son mari et il ne pense pas non plus à garder le secret face à lui. S’il ne le lui demande pas, il se promet simplement de ne pas dévoiler par lui-même toute indice pouvant lui faire comprendre qu’ils viennent des mêmes quartiers, lesquels n’ont effectivement rien d'enviables. « Ne le prends pas personnellement, j’ai réellement coupé tous les ponts avec ma vie Londonienne et je m’y suis tenue » Il ne le prend pas mal, il ne le prend pas bien non plus. Avec Scar, il a toujours eu du mal à savoir où se positionner et force est de constater que le sentiment s’est seulement exacerbé avec le temps. « Très bien. » Il ne veut pas qu’elle interprète à tort son silence, mais il n’a rien de plus constructif à dire non plus. Elle a voulu couper les ponts et elle l’a fait, voilà tout ce qu’il y a à en dire et à en retenir. C’est difficile de ne pas le prendre personnellement, mais même là il fait de son mieux pour y croire.

Elle a cherché à le couper de sa vie et lui ne manque pas une occasion pour lui dire qu’il aurait au contraire aimé pouvoir l’inviter à son mariage, survenu quelques mois plus tôt à peine. « Vraiment ? Tu aurais invitée une ex avec qui tu es sortie six mois et à qui tu n’as pas parlé depuis quinze ans ? » - « Je te résume pas à “une ex”. » Il voit beaucoup plus en elle et il garde de nombreux souvenirs la concernant, lesquels ne peuvent pas vulgairement faire d’elle une fille qu’il a embrassé et voilà tout - parce qu’à l’âge dont il est question, il ne s’est réellement passé rien de plus physique. « Je pensais sincèrement que tu avais abandonné Londres et ses souvenirs et ne souhaitais pas avoir grand chose à voir avec » Sans doute qu’il aurait aimé être capable d’être aussi catégorique qu’elle mais ce n’est pas le cas. « C’est juste que ma vie est ici, maintenant. Mais j’ai pas coupé les ponts avec qui que ce soit. » Il aurait aimé avoir le courage de dire à sa mère qu’il pense sincèrement qu’elle lui fait plus de mal que de bien et qu’ils devraient s’arrêter là mais non, ce n’est pas ce qu’il a dit, ce n’est pas non plus ce qu’il lui a fait comprendre. Swann finit par hausser les épaules, tentant ainsi de lui faire comprendre que ce n’est pas important.

« Tu diras la vérité à Rory, et les gens qui nous verrons être… familier se diront que nous nous connaissons via Rory. Je ne t’imagine pas crier sur tous les toits la vraie raison. » Il ne l’aurait pas fait de toute façon, et l’échange avec Scarlett lui confirme cette idée. Simplement, Swann n’est pas du genre à s’épancher sur sa vie privée, surtout maintenant qu’il est un homme marié et un père de famille dont le passé n’intéresse personne. Et si Scarlett a ses propres raisons pour ne pas vouloir que cela s’ébruite, alors il prendra le temps plus tard d’accepter l’idée qu’il ne lui fait pas honte d’une manière ou d’une autre. « Mais je n’ai pas honte de te connaître, ni d’où nous venons. Je suis pudique, pas une menteuse. » Il soutient son regard un instant avec l’éternel même silence qui tend à prouver qu’il ne sait plus où se placer. « Raconte ce que tu veux, garde pour toi ce que tu veux. » Elle n’avait pas besoin de son accord pour quoi que ce soit, il le sait, mais il avait besoin de le dire pour lui-même. « Je suis juste heureux de savoir que tout va bien pour toi. » “Soulagé” aurait été un terme bien plus adapté à la situation mais il garde ce mot pour lui. « Je te laisse profiter de ta soirée. » Il doit retrouver Rory, peu importe ce qu’elle en pense désormais.

♤ takin up my youth
« Now it's getting quiet here, now it's getting blue
And this, baby, ain't no fair, taking up my youth
You've been telling me some lies
I be thinking it's the truth
But I see it in your eyes, the things that you do »

Le sujet du mariage est abordée, à la surprise de Scarlett qui se demande bien comment elle aurait réagi à un tel geste de la part de Swann. Elle s’imagine dans la foule, une jolie robe, aux côtés de gens émus aux larmes… Aurait-elle été autant touchée de voir Swann se marier ? Elle a du mal à se représenter la scène, n’a jamais eu de prédispositions pour l’imagination, surtout lorsqu’elle s’approche des émotions. « Je te résume pas à “une ex”. » Touché, songe Scarlett en retenant une moue. Son visage esquisse un sourire, et elle sait qu’une autre, plus vulnérable qu’elle, aurait répondu la même chose à Swann. C’est injuste de le résumer à un ex d’il y a quinze ans, et pourtant, elle ne peut pas admettre devant lui qu’il est quelqu’un d’autre, quelqu’un qui a compté. Ce n’est pas ce qu’elle peut se raconter, comment elle compartimente son quotidien. Alors faute de pouvoir être vulnérable, mais refusant de mentir à Swann, Scarlett choisit le silence, puis la défense, celle d’invoquer Londres et l’idée de couper les ponts. Elle ne ment pas quand elle affirme qu’elle imaginait que Swann avait fait de même qu’elle, même si au fond, elle se doutait qu’il serait moins vérouillé qu’elle lors de leurs retrouvailles. « C’est juste que ma vie est ici, maintenant. Mais j’ai pas coupé les ponts avec qui que ce soit. » Scarlett penche la tête, signe qu’elle réfléchit, et songe sincèrement à répondre que sa propre mère ne sait même pas où elle se trouve, mais elle le garde pour elle. Ce n’est pas l’endroit, ou le moment, de conjurer une telle présence, surtout devant quelqu’un qui en comprendrait toutes les implications. C’est drôle, se dit Scarlett : Swann est peut-être l’unique personne, actuellement, qui comprendrait ce que Scarlett pourrait sous-entendre en mentionnant sa mère. L’idée d’être perçue, percée, lui donne un étrange vertige.

Un accord tacite semble être trouvé, et Scarlett ne s’attarde pas sur l’amertume dans la voix de Swann qui lui répond : « Raconte ce que tu veux, garde pour toi ce que tu veux. » Elle a un petit sourire, contente qu’il semble accepter d’être un adulte raisonnable, de renfermer un peu ses émotions. Elle voudrait presque qu’il la comprenne, un vieux réflexe ressorti de leur relation passée à l’époque où il était peut-être le seul sur qui elle pouvait s’appuyer, mais elle balaie le souvenir d’un revers de la main sans que son cœur ne rate un seul battement. « Je suis juste heureux de savoir que tout va bien pour toi. » Scarlett a un petit sourire et réplique : « Et moi de même. » Elle pourrait répondre qu’elle est contente de voir en chair et en os ce qu’elle sait depuis des mois et qui, si elle était honnête, l’intrigue, mais elle le garde pour elle. « Je te laisse profiter de ta soirée. » Le golden boy attend Swann, et les faux semblants attendent Scarlett, qui réajuste le col de sa veste et inspire, prête à se rejeter dans l’arène de la soirée. Elle lance un dernier sourire à Swann. « On se recroisera », elle offre cette phrase, cette même qu’elle lui a dit il y a des années de cela, quand ils ont rompu, et rejoint la marée de la foule colorée, se retournant une dernière fois vers Swann pour lui adresser un clin d’oeil, comme une étrange preuve de leur lien.



terminé @Swann Craine