J’aurais pu demander à Swann si me présenter au garage était une bonne idée. Si lui téléphoner était peut-être plus doux, plus facile à contrôler, plus graduel comme nouvelle. Si apparaître comme un fantôme à ses côtés après qu’il se soit sorti la tête de sous un capot était peut-être trop dramatique, si je risquais de créer une commotion dans tous les sens du terme. Mais Swann avait déjà vécu pas mal entre mon appel et notre retour à Brisbane ; il avait même vécu énormément avant. C’était pas à moi de le mettre au centre de tout ça, de passer  par lui pour valider tout ce que je peux ou dois faire. Il est d’excellent conseil. Il m’aurait sûrement dit d’y aller pour un appel.  

« Fais attention à ta tête. » que je m’entends dire comme salutations après avoir passé quelques minutes au moins à scruter la demie silhouette d’Ezra, glissée sous une voiture d'une marque inconnue mais d’un joli bleu cuivré que je tente de décortiquer pour en savoir la combinaison exacte. C’est stupide, mais depuis là-bas tout ce que je regarde passe au tamis de la couleur. J’essaie de trouver le centre, je focalise là-dessus, je crée des combinaisons, je les adoucie ou les solidifie c’est selon. Tout trouve sa vie dans une imagination que je développe plus fort que tout le reste. Certains diraient que c’est de la dissociation, une manière comme une autre de faire avec la vie là-bas et la vie ici. Certains oublieraient que je suis devant Ezra, et tout ce que ça signifie. J’ai écrit des lettres par dizaines, lettres qui lui racontaient tout dans le moindre détail, des dessins par la bande. J’en ai le double, de lettres, qui s’adressaient à Noah, des histoires, des poèmes, des photos et des aquarelles en plus. J’avais tout ça, j'ai arrêté de compter les enveloppes et les timbres, et je refuse de croire que s’ils les avaient eues eux aussi, on en serait là. Mais ce n’est pas ce à quoi je pense par automatisme, lorsque les yeux d’Ez finissent par trouver les miens. « Je suis venue dès que j’ai su. » que j’étais morte, pour eux. Les mots se précipitent dans ma bouche, la pire entrée en matière qui devrait expliquer les mois (années?) que Swann m’a résumés au mieux de ce qu’il a pu. « Comment va Noah? » ça sonne tout sauf accusateur, jamais je ne le serais. C’est simplement ce à quoi je pense, encore et encore. Qu’est-ce qu’il a entendu, qu’est-ce qu’il sait, comment on le lui a dit. Je sais que jamais Ezra ferait ou dirait quelque chose qui ne serait pas au mieux pour Noah. J’ai confiance que peu importe ce qui pouvait bien être raconté et imaginé sur moi, lettres reçues ou non, Ezra a fait ce qu’il a pu avec ce qu’il avait.  « Et Sloan? » la question sous-entend que je n’ai pas vu Auden, encore. Que la douleur fantôme dans ma clavicule brûle bizarrement de nouveau lorsque son nom frôle mes pensées. Je croyais que c’était terminé, ça. Elles me l’avaient promis, là-bas. Elles ne m’ont jamais menti. Ça viendra.

Swann m’a dit que tout le monde allait bien. Swann m’a dit que mon nom était passé à la télé, aussi. Swann m’a dit ce qu’il a pu, mais j’ai besoin qu’on me le confirme. Dans l’attente qu’Ezra réponde à mes questions bombardées, il y a autre chose que je ne croyais pas ressentir qui commence à piquer le long de mon épaule jusqu’à ma gorge. C’est un doute, un malaise. Une impression de ne pas être au bon endroit au bon moment. Un ressenti, puissant et douloureux, qui revenait toujours trop fort et trop mal quand le regard de mes parents insistait un peu trop au creux du mien. C’est insidieux, c’est sournois, c’est puissant. Des années de retour en arrière pour y retrouver la petite Ginny recroquevillée dans son lit à se triturer les doigts. Ezra ne m’a jamais fait ressentir ça. C’est stupide et c’est sûrement une fausse mauvaise impression, un déjà-vu nourri par le stress de ne plus vivre au beau milieu de la forêt, d’être entourée de voitures, de conversations, de klaxons, de musique. Sans attendre et même sans réaliser si le mouvement est brusque, je sépare la distance qui existait entre la radio allumée et moi, fermant l’appareil le plus vite possible. Les yeux fermés, la tête qui tourne à cause de la dose d’adrénaline ridiculement forte qu’elle a subit parce qu’il fallait absolument que je ferme l'appareil dans la seconde. J’ai le souffle court mais ce n’est pas ça le problème. Il n’y a pas de problème. Ce n’était que la radio, ce n’était qu’une chanson comme une autre. Ce n’était rien, rien du tout. Et j’expire, je me détourne, retrouve Ezra dans mon champ de vision, de nouveau. Tout va mieux.  


@Ezra Beauregard

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@ginny williams

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« Fais attention à ta tête. »

Certains souvenirs étaient plus puissants que d’autres, plus présents dans un coin de votre tête, plus ancrés dans la ligne que représentait votre vie. Certains avaient la peau dure et malgré tous les efforts, il était impossible de les retirer, de les effacer; la seule chose envisageable était de les laisser dans ce coin de votre esprit dans lequel ils s’accumulaient pour empêcher qu’ils fassent mal de nouveau. Mais ils étaient là, ils ne partaient pas, et si la plupart du temps ils savaient se faire oublier comme cela était attendu de leur part, il n’y avait besoin que d’une maigre étincelle pour faire repartir la flamme. Alors, lorsqu’Ezra entendit ces mots là être prononcés à ses côtés, la voix qui les adressa fut une de ces étincelles là; parce-qu’elle se permettait d’être associée à mille et uns souvenirs, à plus d’une partie de sa vie. Entre mille, il l’aurait reconnu sans faire le moindre effort. Il aurait pu se passer plusieurs siècles qu’il aurait su associé le timbre porté par les mots à un visage, et ce d’une façon on ne pouvait plus naturelle. Arrêtant ses gestes dans leur élan, il avait cependant l’impression de rêver, d’inventer, de divaguer. Parce-que s’il savait reconnaitre cette voix entre mille, ce n’était pas possible qu’il puisse réellement l’entendre en cet instant; les circonstances ne le permettaient pas. Ses mains retombant de sous la voiture à ses côtés, alors qu’il était allongé sous cette dernière, son regard se permit un aller simple pour se diriger vers l’origine de la voix. Et rien qu’à poser ce dernier sur les jambes qui se tenaient non-loin du véhicule, et donc non loin de lui, il savait pourtant qu’il n’hallucinait pas. Son instinct lui soufflait qu’il était fou, qu’il voyait des possibilités là où elles ne pouvaient exister, mais pourtant il poussa la planche à roulettes de ses mains à plat sous la voiture pour sortir à découvert de cette dernière,  posant enfin ses yeux sur le visage porteur de cette voix.

Ginny. Il devenait fou, la raison était simple et ne pouvait pas être autre que celle là. Son regard qui resta accroché aux traits qu’il connaissait par coeur et semblait découvrir pour la première fois en même temps, alors que le son de sa voix à lui ne se faisait en rien entendre. « Je suis venue dès que j’ai su. » Ce n’était pas possible. « Comment va Noah? » C’était absurde. « Et Sloan? » Même impensable. Il n’existait pas une seule version de la réalité où cette scène là était supposée se dérouler; Ezra avait vérifié plusieurs fois avant de se résoudre à se dire que cette scène là n’arrivait plus. Et pourtant, Ginny semblait se tenir là, debout devant lui, et cela lui donnait un gout de déjà-vu. Peut-être était-ce là seulement un mirage, oui, avec des images piochées dans sa mémoire et des souvenirs vieux de plus d’une demi-douzaine d’années. Elle lui avait déjà fait le coup, de se pointer au garage après plusieurs années de silence - cela se devait simplement être les souvenirs dansants sous ses yeux, prenant un forme plus réaliste qu’à d’autres fois.

Mais à la voir se déplacer pour aller éteindre la musique, pour imposer un silence qui n’était pas celui d’Ezra par son manque de réactivité cette fois-ci, cela ne ressemblait en rien à un coup de son imagination. La sienne n’était pas autant développée pour réussir à imaginer tout cela. Poussant une fois de plus sur ses mains pour se relever assis dans un premier temps cette fois-ci, il finit par se relever sur ses deux jambes, attrapant un torchon huileux posé à portée de main, essayant ces dernières alors que ses yeux ne savaient se détacher de la silhouette de la jeune femme. Et elle aurait beau se tourner de nouveau vers lui, porter son regard dans le sien, il était formel; il secoua quelque peu la tête de gauche à droite. « Je sais pas qui a eu l’idée de cette blague, mais elle est pas drôle. » Parce-que là était un sujet sensible qu’il n’avait pas spécialement envie d’aborder; pas après avoir passé les dernières semaines avec Noah à discuter du fait que sa mère ne reviendrait pas à leurs côtés, pas après l’avoir accompagné à Sydney pour aller récupérer ses affaires qui restaient encore sur place de l’époque où il y vivait, pas après avoir séché les larmes de celui qui avait tenu bon pendant des années et des années mais qui avec ces dernières ajoutées au compteur devenait de plus en plus sage et conscient des vérités qui l’entouraient. « Je sais pas qui vous êtes, vous lui ressemblez vraiment beaucoup, mais la blague est pas drôle. » Peut-être existait-il une amertume certaine dans sa voix, dans ses mots, alors qu’il continuait de secouer sa tête et se mit à faire quelques pas à droite, d’autres à gauche, attrapant des outils dont il n'avait même pas besoin. Son regard s’accrochaient à tous les éléments à sa portée alors que ses pensées partaient en vrille, impossible de les tenir en place plus d’un instant. « Et c’est vraiment petit d’y ajouter les prénoms des garçons. » Sloan n’était pas son fils, mais il était son filleul et il avait promis de prendre soin de lui et de le protéger autant qu’il le pourrait, c’était là une promesse qu’il ne comptait pas mettre à mal, à aucun moment. « Donc sauf si y’a une bonne explication à tout ça, je refuse de croire que c’est autre chose qu’une blague. » Oh, si c’était la vraie Ginny devant lui, pour sur elle ne s’attendait pas à une telle réaction en mettant les pieds au garage aujourd’hui; mais Ezra avait connu plus d’une blessure au cours de sa vie et pour lui il n’était pas pensable de se jeter tête baissée en croyant dur comme fer ce qu’il avait l’impression de voir et de prendre ça pour argent comptant.

 « Je sais pas qui a eu l’idée de cette blague, mais elle est pas drôle. » personne ne rit, pourtant. L’acouphène continue même de taper gravement contre toutes les parois de mon crâne. Le silence du garage doublé des mots d’Ezra perce encore plus mes tympans que la musique qui n’était au final juste qu’un tout petit écho. Il y a quinze scènes qui se jouent en même temps, maintenant. Les outils qui font leur propre cinéma, les pas d’Ezra qui claquent sur le béton du sol, les voitures qui attendent sagement que je parte pour retrouver leur place sur un piédestal. Ezra bouge et parle, il gesticule et sa voix, même à peine à un mètre de mes oreilles, ne pourrait pas être plus lointaine. « Je sais pas qui vous êtes, vous lui ressemblez vraiment beaucoup, mais la blague est pas drôle. » lui, vous. Dans un autre monde et avec un autre coeur, j’aurais probablement froncé des sourcils, attrapé son bras de ma main, ajouté une ou deux informations supplémentaires et validantes pour qu’il arrête de tourner dans tous les sens du terme. Mais il y trop de choses que Swann m’a dites, il y a trop de pièces de puzzle que j’ai entre les doigts. Trop d’informations et trop de contre-arguments. J’ai l’impression que deux années se sont écoulées dix fois pour dix millions de personnes différentes. Aucun d'entre nous n’a la même version et on vit tous sur des planètes adverses, dans des galaxies qui ne se ressembleront jamais.

Ezra continue. « Et c’est vraiment petit d’y ajouter les prénoms des garçons. » je lui laisse tout l’espace dont il a besoin. Le déjà-vu ne me dit strictement rien, il y a trop de morceaux et d’interférences pour que quelque chose ait pu ressembler à aujourd’hui, à quelque part, avant. « Donc sauf si y’a une bonne explication à tout ça, je refuse de croire que c’est autre chose qu’une blague. » encore, la blague. L’intérieur de ma joue goûte le fer, pique de partout même si mes dents sont passées maîtres dans l’art d’y mordre la peau au même endroit, toujours. C’est toute ma mâchoire qui est faite de ciment maintenant. Les muscles sont soudés les uns aux autres, mes dents fondent à ma langue et puis, et puis, et puis, je ne dis rien. Encaisser le coup me paraît le plus logique, alors que j’ignore qui a raison et qui a tort. Qui d’entre eux et moi a la bonne réponse, qui dit la vérité, qui a la vraie version. Qui est le bon miroir, le bon chapitre dans un livre d’histoire avec un h minuscule, parce qu’elle est tellement diluée qu’on ne sait même plus s’il s’agit d’une histoire tout court. J’ai pas les mêmes cartes ni les mêmes règles qu’eux, ils se sont tous concertés avant et ils m’ont laissé le paquet qu’ils détestent en m’en vantant ses mérites.

Sans le réaliser, j’ai fini par être silencieuse face à lui. Assez pour n’avoir qu’à redresser le menton pour plonger mes yeux dans les siens. Il a un parfum d’essence, de forêt, de nostalgie. Je peux travailler avec ça. Je peux retrouver des repères même s’il ferme toutes les portes, qu’il les verrouille et jette les clés. Même s’il est persuadé que c’est une blague, que tout ce qui me fait l’effet d’une enclume ankylosant sur ma cage thoracique dès que j’ai su n’est rien d’autre que risible. « C’est moi. » ça aussi, je l’ignore, je le dis quand même. Qu’est-ce que ça veut dire, être moi, être Ginny, finalement? Certains ont la définition qu’elle est morte. D’autres qu’elle est lâche, hypocrite, égoïste. D’autres encore lui ont dit que de quitter là-bas serait une grosse, une immense erreur. Qui a raison, qui a la bonne version? « Je joue pas. » et je ne ris pas et ce n’est pas une blague et personne ne vient dans ce garage, personne n’entre ou n'en sort, et toutes ces voitures, à qui est-ce qu’elles appartiennent? Les questions sont toutes floues et la tête me tourne, pourtant je n’ai jamais été aussi immobile. Ou peut-être qu’à force, j’ai appris à ne trembler que de l’intérieur. Pour qu’ils ne le sachent pas, qu’ils l’ignorent. Même mes doigts ne bougent plus. « Je suis désolée. » qu’il ait la mauvaise version? Qu’il n’ait pas la même que moi? Qu’il soit parmi ceux que je connais depuis toute ma vie ou presque mais qu’enfin, après toutes ces années et toutes ces déchirures de trames, toutes ces tentatives et toutes ces attaques, on finisse enfin par se sentir comme deux étrangers, l’un devant l’autre.

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Rien dans la scène qui se passait sous ses yeux ne faisait le moindre sens. Il n’était pas censé exister une version de cette réalité où Ginny apparaissait sous ses yeux de cette façon - pas avec les deux dernières années qu’ils avaient vécu, tous autant qu’ils étaient. Alors bien sur qu’Ezra pensait là à une farce, une blague de très mauvais gout, parce-que commet réagir autrement que de la façon dont il était en train de le faire en cet instant ? Il n’y avait pas d’autre façon intenable de réagir quand la mère de votre fils se présentait à vous, comme si de rien n’était et la fleur au fusil, alors qu’elle avait d’abord été portée disparue puis déclarée morte dans la foulée. Pour lui, il était évident qu’il s’agissait là de quelqu’un cherchant à le rendre fou.

Pourtant, lorsqu’elle reprit la parole, il s’agissait là bien de la voix qu’il associait aux souvenirs de la brune. « C’est moi. » Secouant toujours sa tête de gauche à droite, il peinait à garder son regard posé sur la silhouette de la jeune femme. « Je joue pas. » Ce ne fut pas là une raison qui empêcha Ezra d’avoir un petit rire amer échappant d’entre ses lèvres malgré tout, davantage pour se décharger d’un surplus émotionnel qui s’installait en lui plus que pour réellement rire de la situation. « J’ai du mal à y croire. » Ce n’était pas qu’il ne désirait pas que cela soit vrai, mais plutôt qu’il avait du se relever de trop nombreuses fois pour avoir envie de tomber de nouveau aujourd’hui. « Je suis désolée. » - « Tu es désolée ? » Ecarquillant les yeux, il se tourna enfin pour de vrai dans sa direction, une clef à molette toujours dans la main pour aucune raison alors qu’il apposait les deux sur ses hanches. « Tu es désolée alors ? » Peut-être était-il trop cynique pour son propre bien - mais il savait que là n’était en rien le type de conversation qu’il aurait du avoir, l’exemple de situation dans laquelle il aurait du se retrouver. Ce n’était pas possible qu’elle soit devant elle, en chair et en os, avec simplement des excuses à lui présenter.

Il soupira longuement. « T’es censée être morte. Morte, Ginny. » Il secoua de nouveau sa tête, ne sachant s’empêcher de repartir de nouveau en long et en large. « J’ai dit… » Il fit la grimace. « J’ai dit à Noah que t’étais morte, parce-que c’est ce que la police nous a dit. » Son fils était déjà inconsciemment au courant que c’était malheureusement là la réalité des choses, parce-que c’était un gamin rusé qui avait malheureusement vécu plus d’un drame dans sa vie. Mais le dire à haute voix devant lui avait été la chose la plus difficile qu’Ezra ait eu à faire de sa vie, malgré tout le reste qui s’était déjà passé. Annoncer à un enfant qu’il ne reverra pas sa mère n’était pas quelque-chose qui souhaitait à son pire ennemi - et ce qui était cocasse dans cette affaire, c’était qu’en l’occurence ce dernier avait du faire face à la même épreuve que lui. « Est-ce que tu te rends compte de ça ? » Se rendait-elle compte des dégâts qu’elle avait créé sur son passage ? « T’as disparu du jour au lendemain, t’as rien dit à personne. T’as abandonné tes fils, Ginny. » Effectivement, en cet instant, Ezra ne savait faire autrement que de laisser le reproche se montrer dans sa voix. « Mais t’es désolée, c’est ça ? » Ou avait-il encore une fois du mal à comprendre ce qui était à comprendre ? Il savait qu’il était lent à la détente, mais en l’occurrence aujourd’hui il se savait tout à fait adapté dans son comportement et ses réactions.

« Tu l’as pas vu pleurer toutes les larmes de son corps deux fois, ça se voit que t’étais pas là quand c’est arrivé. » Et reposant la clef à molette dans sa caisse à outils, il secoua quelque peu sa tête avant de rebrousser chemin vers son bureau. Ezra ne coupait pas court à cette conversation, il avait simplement été pris de court et il avait besoin de recentrer ses pensées, ses ressentis; qui plus était, le reste de cette entrevue n’avait pas besoin de se passer au vu et au su de tout le reste du garage qui serait malheureusement bien trop rapidement mis au courant de ce qu’il se tramait ici.

« J’ai du mal à y croire. » serait un euphémisme. Ezra a l’air si déstabilisé que la seule et unique option que je trouve à faire est de réduire la distance entre nous pour m’assurer qu’il voit bien que c’est moi, que c’est mon visage, qu’il ne s’agit pas d’une blague, que - « Tu es désolée ? » sa voix craque, l’outil entre ses doigts me fait reculer de suite. « Tu es désolée alors ? » je sais, qu’il ne me fera pas de mal. Je sais qu’il ne lèvera pas la main sur moi, qu’il n’a absolument aucune fibre de violence en lui. Qu’Ezra n’attaquerait même pas une mouche, qu’il n’est pas de cette trempe-là, qu’il est l’une des personnes sur cette planète en qui je peux avoir pleine et entière confiance mais, mais, mais, « Ezra… » c’est à mon tour, de sentir les mots s’étrangler dans ma gorge. Il y a cet incofort qui grimpe de mon ventre à mes bras, se hisse jusqu’à mon épaule, cisaille ma clavicule encore sensible après tout ce temps. Ezra n’est pas Auden et n’agira jamais comme tel, mais le métal entre ses mains, le regard qu’il me lance, le ton qu’il hausse, le rire mauvais ; rien, absolument rien dans cette scène ne me donne pas froid dans le dos. « T’es censée être morte. Morte, Ginny. » puis, tout d’un coup, je suis frigorifiée. « J’ai dit… » ne continue pas, Ezra. Dis-moi que Swann a mal compris, qu’il a fait une erreur, que c’était juste un malentendu, que vous vous êtes mal compris et que vous avez parlé au téléphone un soir où les ondes étaient troubles. « J’ai dit à Noah que t’étais morte, parce-que c’est ce que la police nous a dit. » je n’ose pas imaginer la scène. Je n’ose même pas imaginer la réaction de Noah, je n’ose pas penser à comment j’aurais bien pu me sentir, à la place d'Ezra. Plus horrible que n’importe quelle horreur, absolument inconcevable de faire vivre cela à quelqu’un, n’importe qui. « Est-ce que tu te rends compte de ça ? » quelque chose pique, dans tout ça. Qu’il m’en veuille. Qu’il, qu’il croit que j’ai fait exprès. Qu’il soit hargneux maintenant, qu’il pense que c’était ma seule et unique intention, que... « T’as disparu du jour au lendemain, t’as rien dit à personne. T’as abandonné tes fils, Ginny. Mais t’es désolée, c’est ça ? » abandonné. Je suis celle qui abandonne, maintenant. Je suis celle qui fait des enfants, qui les laisse dans leurs berceaux, qui les ignore, qui va faire sa vie ailleurs, qui revient quand elle en a envie. Je suis celle qui fait des enfants pour mieux leur briser le coeur. « J’ai abandonné personne. T’étais là. » et c’était suffisant, à mes yeux. De savoir que peu importe où j’allais, que peu importe où j’étais, qu’Ezra existe allait toujours suffire. Qu’il serait toujours là pour agir comme mes yeux, autant que je l’aurais fait pour lui. Qu’il avait ce pouvoir, cette confiance, qu’il était gage que pendant un moment, il serait de garde. « Tu l’as pas vu pleurer toutes les larmes de son corps deux fois, ça se voit que t’étais pas là quand c’est arrivé. » « Mais j’ai jamais voulu ça… » il est parti. C’est à son dos, filant vers son bureau que je parle. Et une part de moi est déjà sortie. Elle reste morte, celle qu’ils ont assassinée, celle qui a perdu ses fils comme elle a perdu tout le reste.

« J’ai écrit des lettres à toutes les semaines Ezra. » ma voix est calme, profitant d’une poignée de secondes avant qu’un seul regard d’Ezra suffise à ce que je la perde, que tout s’écrase à l’intérieur et que mon souffle redevienne trouble. « Tu peux pas dire que je suis morte si tu as toutes ces lettres-là. » n’importe qui d’un brin plus allumé déduirait tout de suite qu’ils n’ont tout simplement jamais rien reçu. Cent lettres et des poussières. À mon sens pourtant, si on met dit qu’on poste une enveloppe, on la poste. Je n’ai pas le moindre espace mental pour douter de la parole de qui que ce soit. « Noah m’a jamais répondue, toi non plus. » je l’ai trop utilisé, mon espace, pour me demander ce qui pouvait les garder de me répondre. Je me disais qu’ils aimaient bien la vie sans moi, par moment. Moments. « Pourquoi ? » tout se mélange, dans une pièce que je connais par coeur pour y être venue des dizaines de fois. Rien ne ressemble à la dernière pourtant, et j’ai quand même l’impression qu’il n’y a pas changé le moindre élément. « Tu m’as encouragée à le faire Ez, tu m’as dit de pas revenir. » des tablettes et étagères mes yeux reviennent se planter dans ceux du Beauregard. Du bout des doigts, je pianote avec l’endroit où, il y a un peu plus de deux ans, Ezra avait vu des bleus suffisants pour me faire promettre de ne plus jamais remettre le pied chez Auden. Il était furieux ; mais jamais comme aujourd’hui.

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« Ezra… » Il secoua la tête: il n’y avait pas de Ezra qui tenait - pas aujourd’hui, pas dans les conditions qui leur étaient imposées. Ou plutôt à ses yeux dans les conditions que Ginny leur avait tous imposé à un moment donné, puisqu’elle semblait révoquer ces dernières. « J’ai abandonné personne. T’étais là. » Oh, oui, il avait été là: c’était peut-être là une partie du problème. Ezra avait été là et il avait vu les dégâts qui s’installaient, lentement mais surement, sur les traits de leur fils et du sien à elle aussi parce-que même s’il était encore petit, Sloan n’était pas né idiot. Il était là, il avait pansé les plaies autant que c’était possible de le faire dans ce type de situation; il était là et ne comptait pas aller nulle part ailleurs puisqu’il n’y avait pas l’autre moitié, la seconde personne en la personne de sa mère pour essuyer les larmes que Noah avait pu faire couler ces deux dernières années parce-que son repère principal avait disparu. « J’étais là, mais tu peux pas demander à un enfant que ce soit suffisant. » Il secouait toujours la tête. « Mais j’ai jamais voulu ça… » Elle allait devoir lui tenir une sacrée explication pour qu’il pense ne serait-ce que concevoir d’entendre ce qu’elle avait à dire pour sa défense - parce-que juste je voulais pas ne serait pas suffisant, loin de là.

La conversation ou du moins la suite de cette dernière se ferait également loin de l’endroit où ils s’étaient tenus jusque maintenant, car même si tout le garage serait rapidement au courant de ce qui se passait là Ezra ne tenait pas non plus à tenir cette discussion en public. Tournant le dos sans même attendre son reste, il se réfugia dans son bureau - Ginny connaissait le chemin par coeur de toutes façons. Elle ne mit qu’un instant avant de le rejoindre. « J’ai écrit des lettres à toutes les semaines Ezra. » Il eut un rire - nerveux, peut-être un peu mauvais aussi. Ce n’était d’ordinaire pas là ses réactions, mais il était pris de court et son coeur saignait en réalité de l’intérieur; pour lui certes mais surtout pour le garçon qui n’était plus un enfant qui l’attendait chez lui ce soir qu’il rentre du travail et lui raconte sa journée au milieu des voitures. La discussion serait bien différente ce soir… Des lettres, elle disait donc ? Quelle idée. « Tu peux pas dire que je suis morte si tu as toutes ces lettres-là. » - « Ca marchera pas Ginny. » Elle pourrait inventer toutes les excuses pour se rassurer si elle le voulait, mais elles ne prendraient pas avec lui.

« Noah m’a jamais répondue, toi non plus. Pourquoi ? » - « Parce-qu’on peut pas répondre à des lettres qu’une morte a même pas envoyé, Gin, voilà pourquoi ! » Peut-être que sa voix porta un brin de trop - il s’en rendit compte de suite, montant une de ses mains à son visage pour pincer l’arête de son nez, calmer la moindre ardeur qui était en train de l’envahir. « Tu m’as encouragée à le faire Ez, tu m’as dit de pas revenir. » Il fit rouler ses lèvres l’une sur l’autre. « Je t’ai encouragé à te protéger, pas à disparaitre. » Il avait été le premier à lui dire de s’enfuir dans une autre ville parce-que cela avait été nécessaire - parce-que son mari était une pourriture, là était la raison et il teindrait le même discours aujourd’hui si on lui demandait son avis. Mais il n’avait pas demandé à Ginny de se protéger tant qu’elle disparaitrait complètement de l’existence.

Soupirant lourdement, Ezra se laissa tomber dans sa chaise de la même façon, comme si le monde entier appuyait sur ses épaules. Il y avait tant d’informations et d’émotions à remettre en place, et à comprendre, qu’il ne savait pas où donner de la tête. « Je sais pas de quoi tu me parles quand tu me dis que t’as écrit des lettres, parce-que c’est pas le cas. » Il mettait sa parole en doute parce-que c’était ce qui lui semblait le plus logique et le plus simple à faire dans cette situation. « T’es partie, et un jour t’as plus donné de nouvelles. Un jour t’étais au bout du téléphone et celui d’après la police te cherchait partout. » Il se rappelait encore parfaitement des mots qu’il avait pu échanger avec Auden au fil du temps, au fur et à mesure que les choses avançaient ou stagnaient plutôt en l’occurence. Il se souvenir aussi parfaitement de toutes les émotions qu’il avait pu ressentir, et toute la paix qu’il avait du faire avec lui-même pour apaiser un être qui souffrait bien davantage par rapport à lui. « Deux ans Ginny. Deux ans que tu donnais pas de nouvelles. » Ce ne fut qu’à ce moment là qu’Ezra remonta son regard pour le poser sur le visage de la jeune femme - bien sur qu’une partie de lui était soulagée et heureuse de la voir devant lui. Mais cette là n’était pas assez imposante pour ne pas laisser l’autre parler à sa place: celle de l’incompréhension et de la douleur, de la tristesse, du deuil. « On te répondait pas parce-qu’on avait pas de tes nouvelles. »

« Ca marchera pas Ginny. » le silence du bureau d’Ezra tranche avec les multiples bruits d’ambiance du garage. Si les distractions sont moindres et que je n’entends plus rien d’autre que ses soupirs et ses reproches, il suffit simplement d’un craquement pour que je sursaute de nouveau. D’ordinaire, il aurait remarqué. Ezra me connaît par coeur, a tout étudié, a tout vu et revu des dizaines de fois. Il remarquerait mes doigts complètement figés, immobiles. Le mouvement de ma gorge qui laisse avaler la salive même si elle n’existe plus depuis un long moment. Il verrait que je ne tremble pas, que je ne cherche pas à jouer avec le premier objet à portée de main. Il verrait que mon regard n’est pas fuyant, que mes yeux ne sont pas brillants. Il verrait que quelque chose cloche, que ce n’est pas la typique Ginny en détresse devant lui, qu’elle a d’autres phobies maintenant, d’autres faiblesses. Que les anciennes y sont encore, enfouies en elle, tout simplement pires. Plus insidieuses, plus suffocantes. Il ne voit rien et je ne lui en voudrai jamais. « Parce-qu’on peut pas répondre à des lettres qu’une morte a même pas envoyé, Gin, voilà pourquoi ! » je peux comprendre qu’il est fâché, je peux concevoir que certaines d’entre elles ne se sont pas rendues, Swann aussi à eu ce problème. Mais que les centaines de lettres ne l’aient jamais trouvé, qu’il n’ait pas reçu de ma part une seule nouvelle, en deux ans, m’apparaît absolument impossible. Inconcevable. « Je t’ai encouragé à te protéger, pas à disparaitre. »

J’essaie de comprendre pourquoi. J’essaie vraiment, de toutes mes forces ou du moins celles qui me restent, de voir pourquoi il est ainsi. Les lettres n’étaient pas suffisantes, il aurait voulu des appels. Des visites sûrement, aussi. Un jour, j'arriverai peut-être à trouver les mots pour lui expliquer à quel point je sonnais faux, lorsque je venais les voir les toutes dernières fois avant là-bas. À quel point sa liaison naissante avec Lily me donnait l’impression de n’être qu’une pièce rapportée. Je voyais bien, qu’il y avait quelque chose entre eux du temps de Matt. Quelque chose que j'ai lâchement ignoré. J’avais jamais tenté de le comprendre. Le malaise entre eux trois, parfois, quand Matt avait bu et qu’il regardait ailleurs une seconde de trop. Puis la façon dont elle regardait Ezra, à l’enterrement de mon frère. Jamais je ne le mentionnerai à voix haute, jamais il ne saura. Mais les passages dans sa vie à lui et dans celle qu’il créait avec Noah et des miettes de Lily lorsque j’étais à Sydney juraient. Jamais il ne saura. « Je sais pas de quoi tu me parles quand tu me dis que t’as écrit des lettres, parce-que c’est pas le cas. T’es partie, et un jour t’as plus donné de nouvelles. Un jour t’étais au bout du téléphone et celui d’après la police te cherchait partout. Deux ans Ginny. Deux ans que tu donnais pas de nouvelles. On te répondait pas parce-qu’on avait pas de tes nouvelles. »

Je n’ai toujours pas bougé d’un millimètre. Le temps qu’il dise tout ce qu’il veut dire, le temps qu’il mette des mots sur sa colère, le temps que j’essaie d’accumuler les morceaux de puzzle, que j’en compose un dans ma tête avec ce qu’il m’a dit, ce que Swann m’a dit lui aussi. La police. Les lettres. Le silence. Les pièces tournent les unes autour des autres, elles se chevauchent, s’écartent, se fusionnent. Elles prennent leur temps, le temps que la respiration d’Ezra devienne de plus en plus stable, que sa tirade rende l’air un peu plus respirable, dans le bureau. Il a annoncé à Noah que j’étais morte. Il n’a rien reçu, absolument rien de ma part. Et même si je refuse de jouer à ce jeu-là, à celui de me mettre à sa place et de calculer, d’imaginer ce que j’aurais pu faire de mon côté face à telle situation, j’y cède un peu trop vite, un peu trop fort. Une absence de lettres, de nouvelles comme il le dit et le répète, ne sont pas suffisantes. C’est pas suffisant pour déclarer quelqu’un décédé. Pour enterrer une vie, pour briser le coeur de son enfant, pour passer à autre chose, pour enclencher un deuil. Et mes parents? Et Jill? Et… « Est-ce qu’il me ressemblait autant que ça? » de tout ce qu’Ezra a bien pu dire, je sais que je ne pourrai jamais contre-argumenter. Je n’en ai tout simplement pas envie. Pas le goût de remettre en question ce qu’il a vécu, pas après qu’il m’ait bombardée face à ce que moi, j’ai bien pu vivre là-bas. Mais je tourne tout dans ma tête, je tourne tout et les pièces bloquent à un moment précis. Là où le coup a été donné, là où personne ne pouvait rien faire d’autre une fois la nouvelle comprise, apprise. « Le corps de celle qui est morte à ma place. » c’est ça, qui cloche. Pour qu’il me croit vraiment morte, pour qu’il ait l’impulsion de le dire à Noah, à Sloan - pour que moi, je le déclare mort, il aurait fallu que j’en ai la preuve. La vraie preuve. Pas des lettres manquées ; un vrai corps, une vraie vie.

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@ginny williams

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Il existerait un temps, dans un futur qui serait peut-être plus lointain que souhaité, où Ezra comprenait et serait apte à entendre toutes les explications que Ginny aurait à lui donner. Il comprendrait ce qui s’était réellement passé, ce qui l’avait poussé à agir de la sorte et il serait apte à en discuter avec elle. Il existerait un jour où il lui dirait qu’il lui pardonne, et qu’il s’excuserait d’avoir réagi de façon si abrupte, si violente alors qu’elle ne cherchait qu’à trouver un endroit, un refuge en avouant que les choses ne s’étaient pas réellement déroulées comme prévu. Ce jour viendrait, et une partie de lui était tout à fait au courant de tout ça; ce n’était cependant pas celle là qui était mise en avant en cet instant, parce-qu’elle était mangée et engloutie par la colère qu’il pouvait ressentir en cet instant - un jour, il s’excuserait aussi que ce soit cette dernière qui ait dominé dans son comportement pendant cette conversation. Aujourd’hui, il n’était apte qu’à recevoir ce qu’elle lui disait, garder ses paroles dans un coin de son esprit et en échange lui exposer la réalité de la situation dans laquelle eux s’étaient retrouvés pendant les deux années écoulées. Parce-que si Ezra était capable de lui pardonner bien des choses tant c’était là un exercice qu’il connaissait sur le bout des doigts, il ne serait surement malheureusement pas apte à le faire en ce qui concernait Noah: à ses yeux, il n’y avait aucune justification de faire subir ça à son enfant.

Sa main apposée sur le bas de son visage, sa respiration reprenant en régularité nécessaire, le regard d’Ezra n’arrivait cependant pas à reprendre le chemin de ne serait-ce que la silhouette de Ginny. Il était en colère, et il était surtout triste de la situation dans laquelle ils se trouvaient tous deux en cet instant - avoir traversé ensemble tant d’épreuves pour se retrouver là aujourd’hui. « Est-ce qu’il me ressemblait autant que ça? » Ce ne fut que parce-qu’elle reprit la parole et qu’il ne comprit pas où elle voulait en venir en entendant dans un premier temps ce qu’elle avait à demander qu’il finit par remonter lentement son regard, les sourcils quelque peu froncés sur son visage. « De quoi qui te ressemblait ? » Il secouait presque déjà quelque peu son visage. « Le corps de celle qui est morte à ma place. » La façon dont elle le dit lui ajouta une dose de plomb au coeur - parce-que le sujet n’était jamais abordé de façon aussi directe, aussi abrupte, aussi déchirante en réalité. Laissant son regard retomber lentement, un soupire échappa d’entre ses lèvres - agonisant presque. « Tu penses que t’aurais été déclarée morte si c’était pas le cas ? » La police avait fait son travail du début à la fin aussi bien que cela avait été possible tant ils manquaient d’informations dans cette enquête. Ils en avaient tous manqué, parce-qu’il n’y avait aucune logique à ce qu’elle disparaisse du jour au lendemain sans donner de nouvelles ou sans laisser de traces. Ou disons pas aussi longtemps: Ginny était capable de disparaitre des radars pendant quelques jours pour reprendre des forces, mais elle serait revenue ensuite - elle ne l’avait jamais fait cette fois-là. Il déglutit, cependant: la réponse qu’il fournissait n’était pas entière et n’était pas tout à fait honnête. « Je l’ai pas vu. Le corps. » C’était une moue presque désolée qui étirait ses lèvres désormais. « On m’a pas demandé mon avis, j’avais pas à le donner dans la situation. » Parce-qu’aux yeux de la loi, il n’était qu’un ancien compagnon avec qui elle partageait un fils - qu’importe l’état réel des relations entre eux, pour la loi il n’avait pas à être dans leurs pattes pour apporter une touche finale au dossier. « C’est pas à moi que tu devras poser cette question. » Il reporta son regard sur elle. « Tu l’as pas encore revu. » Ce n’était pas une question, c’était Ezra qui réussissait à faire des additions simples parce-que les choses étaient parfois aussi simples à comprendre qu’elles se présentaient. Auden n’avait pas été une priorité sur la liste de ceux à qui aller faire remettre en question toute leur existante - et si d’ordinaire, il aurait été ravi que ce soit le cas aujourd’hui tout était différent. A la place, il répliqua d’une façon trop amère pour être celle qu’il aurait aimé avoir dans une conversation avec elle. « Tu vas lui servir quoi comme conneries à lui ? »

Ezra inspire, Ezra expire. Il ne m’a pas encore chassée de son bureau mais je sens que ce ne sera pas quelque chose qu’il fera traîner. À la seconde où il risque de faire plus de mal que de bien, il me montrera la porte - ou alors, il insistera pour que je reste. Je n’ai jamais été face à ce Ezra-là de ma vie. Il peut probablement dire la même chose, à l’inverse. « De quoi qui te ressemblait ? » et c’est à elle, que je pense. À celle qui a été dérobée de sa vie et de sa famille parce qu’on lui a attribué mon nom et mon visage. Je pense à ceux qui l’attendent, qui y croient encore. Qui entendent un bruit et qui espèrent qu’elle soit de retour. Comment ça fonctionne, maintenant que celle qu’ils ont tuée en levant le drap du visage d’une autre est de retour? À qui est-ce que je dois demander le droit de vivre de nouveau? « Tu penses que t’aurais été déclarée morte si c’était pas le cas ? » tout me semble tellement superflu, tellement précipité. Comme s’ils avaient rempli des papiers et qu’ils s’étaient pressés, tous, à me pousser vers la porte. Qui a décidé d’appeler les autorités en premier? Qui était certain que quelques lettres qui n’avaient pas trouvé destinataires à travers toutes les autres envoyées signifiaient que quelque chose d’horrible m’était arrivé? Et ils m’ont tuée comment? Par noyade, comme mon frère? « Je l’ai pas vu. Le corps. » la réponse d’Ezra me donne la chair de poule pour une multitude de raisons que je ne me sens pas entièrement capable de nommer. Pourquoi est-ce qu’il n’était pas de ceux qui m’ont identifiée? Il me connaît par coeur, il - « On m’a pas demandé mon avis, j’avais pas à le donner dans la situation. » il - « C’est pas à moi que tu devras poser cette question. » Auden. Ezra n’a même pas besoin de sous-entendre plus longtemps que je recule d’un pas, un autre pour la forme.

« Tu l’as pas encore revu. » évidemment. La dernière fois où je l’ai vu autrement qu’avec Sloan entre nous est encore gravée si loin dans ma chair que même les cicatrices qui s’estompent restent fatalement gravées. « Tu vas lui servir quoi comme conneries à lui ? » rien de ce que je pourrais dire à Auden ne m’assurerait quelque sécurité que ce soit. Je le sais prêt à me sauter à la gorge, papa ours qu’il peut bien être. Oh, j’ai depuis longtemps abandonné l’idée qu’il se fâche de mon retour pour autre chose qu’au sujet de Sloan. Mais encore et toujours, c’est avec une lâcheté que j’assume que je sais avec pertinence que peu importe ce que je pourrais bien dire à Auden jamais je ne serai accueillie autrement qu’avec des insultes et des menaces chez lui. Chez ce qui il y a des millénaires à mes yeux était un semblant de chez nous. « Je reviens pour Noah et Sloan. » aussi crève-coeur cela puisse être : je ne reviens pas pour être une femme, une amie, une soeur, une fille, une ex. Je reviens pour mes fils, pour des dates très précises marquées au fer rouge dans ma mémoire. « Noah est officiellement guéri, en octobre. » les calendriers qui manquaient là-bas étaient futiles, quand après des années à ne pas voir les jours passer et à ne plus compter les sursauts qu’un simple coup de fil pouvait amener tant les diagnostics m’avaient traumatisée à une époque. « Et Sloan va avoir 3 ans. » pour Ezra, c’est sûrement un souvenir flou. Quelque chose qu’il a entendu de l’un de nous, qu’il n’a pas vécu, qu’il connaît que par procuration. « C’était l’âge que j’avais, quand Matt m’a donné mon premier carnet. » et quand j’ai, pour la première fois et en amont de bien des années à chercher ma place et ma raison d’être, senti que je pouvais faire quelque chose que j’aimais, être quelqu’un que j’aimais. Dessiner avait été une révélation, rendant cet âge-là particulièrement important pour moi. Futile pour les autres, mon retour était entièrement et totalement réfléchi, espéré. Je voulais être forte et bonne pour eux, quand je reviendrais pour célébrer ces deux moments-là. Pour eux, pas pour les autres.

« J’ai peur de lui. » l’omerta du nom d’Auden flotte, même si c’est superflu de nouveau. Ezra s’en fout, Ezra se fout de tout ce que je peux bien lui dire comme conneries. « Et je te pardonnerai jamais si tu le lui dis. » c’est bien pour cela que ma main se pose sur la poignée de la porte close de son bureau au même instant. J’ignore s’il tient vraiment à ce que je reste ici, sachant que peu importe ce que je peux bien dire, ni lui ni Noah ne croisera mon chemin se sitôt selon ce qu’il me renvoie.

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Ezra aurait bien aimé être appelé, le jour où ils avaient retrouvé le corps. Même s’il aurait tourné de l’oeil et versé toutes les larmes de son corps, s’il avait été appelé à témoigner pour savoir si sur leur table se tenait bien Viriginia McGrath, il y serait allé sans hésiter un seul instant et sans se poser une seule fois la question de s’il prenait la bonne décision: c’était la bonne décision. Malheureusement pour lui, et peut-être pour eux aussi pour le coup, il ne faisait plus partie de la liste des personnes à prévenir et à consulter en priorité lorsqu’il s’agissait de Ginny. Il ne l’avait même d’ailleurs jamais été officiellement, se contentant d’être le père de son fils et c’était là le seul titre que la loi ne lui donnerait jamais. Dans cette situation, il ne pouvait donc pas l’éclairer davantage sur le pourquoi, le comment, ni lui expliquer la façon dont les événements s’étaient déroulés puisque les seules informations auxquelles lui avait eu accès lui avaient été données par un intermédiaire qu’il n’avait pas besoin de nommer - Ginny saurait comprendre de qui il parlait sans avoir besoin de le faire.

« Je reviens pour Noah et Sloan. » Il espérait qu’elle était on ne pouvait plus authentique dans sa réponse en cet instant, parce-que ce n’était pas là la question qu’il lui avait posé et il espérait qu’elle ne revenait pas pour Auden, non. Il restait son mari, mais ils savaient tous les deux où avaient mené ce mariage - le même qu’Ezra lui avait conseillé de fuir. Elle revenait pour ses fils, et c’était déjà là quelque-chose de bien plus rassurant que tout ce qui était sorti de sa bouche pendant leur discussion; il ne savait pas à quel point il avait envie d’y croire comme si c’était là la seule vérité à toute cette situation, mais c’était déjà un point de départ. « Noah est officiellement guéri, en octobre. » - « Tu penses que je le sais pas ? » Sa réponse était arrivée bien trop vite, bien trop acerbe aussi: ce n’était pas de cette façon là qu’il aurait aimé qu’ils abordent ce sujet là. Effectivement, Noah avait passé une date butoir quelques semaines plus tôt, et dans l’esprit d’Ezra ils auraient du fêter ça tout les trois. Mais Ginny était disparue, était morte, et il avait du se contenter d’un sourire autant rassurant que possible face à Noah lorsque la date était apparue dans le calendrier. « Et Sloan va avoir 3 ans. C’était l’âge que j’avais, quand Matt m’a donné mon premier carnet. » A l’évocation de son frère, il ne sut faire autrement que de détourner le regard - la mention du jeune homme donnait toujours un gout doux-amer dans sa bouche. Elle avait été là pour une partie, Ginny saurait pourquoi il ne saurait garder son regard droit et fier en cet instant - parce-que même si certaines étoiles s’alignaient mieux il semblait maintenant, elles avaient d’abord du en absorber d’autres pour devenir ce qu’elles étaient aujourd’hui. « C’est un beau et un gentil gamin. » Parce-que même s’il ne le voyait pas autant que cela aurait été le cas si elle était restée à leur côté, Ezra faisait en sorte de prendre de ses nouvelles; la promesse d’être son parrain pour de vrai, il la prenait à coeur en jonglant avec les circonstances que la vie leur avait jeté dessus.

« J’ai peur de lui. » Il releva son regard vers elle. « Et je te pardonnerai jamais si tu le lui dis. » Et même s’il n’avait pas envie que ce soit le cas parce-que d’autres émotions étaient bien plus présentes et oppressantes en son sein, une barrière flancha à l’entendre prononcer ces mots là. Fermant les yeux un instant, Ezra les rouvrit pour parcourir la pièce d’un bout à l’autre - et sans hésiter un instant malgré tout, il attrapa Ginny par les épaules pour la serrer contre lui. « Plutôt crever à mon tour que de lui dire. » Qu’il murmura alors qu’il fermait les yeux, laissant son odeur l’envahir comme elle ne l’avait pas faite depuis des années. Ginny resterait toujours Ginny, et sur ce point là il resterait toujours faible. « Je te déteste. » Il resserra pourtant son étreinte sur elle. « Je te déteste d’avoir disparue, d’être morte, de nous avoir abandonnés. » Et c’était pourtant avec tout l’amour que son coeur pouvait contenir qu’il disait ça. « Je te déteste parce-que j’ai espéré en silence chaque jour pendant longtemps que tu reviennes et que ce soit qu’une blague de merde tout ça. Et quand j’ai arrêté d’espérer, tu t’es pointée comme une fleur. » Et que des jours compliqués l’attendaient devant lui alors que les choses ne seraient pas de tout repos avec Noah, il n’avait pas besoin d’être devin pour le savoir d’avance. « Mais je prendrais jamais sa défense à lui face à toi, tu m’entends ? »

« Tu penses que je le sais pas ? » « Ezra, c’est pas ce que j’ai dit. » ne fais pas ça, je t’en supplie. On a toujours été capable de fonctionner sans être dans deux équipes différentes. On a toujours été capables d’avoir un objectif commun, de regarder dans la même direction, d’être des alliés. D’enterrer la hache de guerre pour penser à l’avenir et aux solutions à bâtir ensembles. Je n’ai jamais été contre Ezra, j’ai toujours voulu être avec lui, je n’ai jamais espéré rien d’autre qu’il le ressente malgré tout ce que la vie avait bien pu lui mettre entre les dents. Même à Sydney je l’ai toujours tenu au courant de tout. Il est celui aux lettres les plus généreuses, aux messages les plus complets, celui qui a des chapitres d’écrits à son propos. Celui qui ne les lira jamais.

Puis, il détourne le regard. Il n’a jamais fait ça. Même lorsque je suis revenue de Londres la dernière fois. Jamais il n’a fuit, aussi douloureux les premiers échanges avaient pu être à l’époque. « Regarde-moi. » ma voix est plus sèche que je ne l’aurais voulu, plus directive. S’il ne me regarde pas, je n’ai plus ma place ici. S’il m’ignore, si ma vue le dégoûte à ce point, si Ezra décide qu’il refuse de constater que je suis bel et bien de retour et présente face à lui, alors je n’aurai jamais la force d’aller plus loin que ce où je suis rendue. « C’est un beau et un gentil gamin. » surtout lorsqu’il aborde Sloan à son tour, et que ma gorge se noue automatiquement en pensant à son père. « Plutôt crever à mon tour que de lui dire. » je déteste ne pas lui faire confiance. Je déteste l’impression sournoise et vicieuse de croire qu’il pourrait me mentir, qu’il pourrait me dire ce que je veux entendre simplement pour se débarrasser de moi et ne plus avoir besoin de me regarder à nouveau. C’est à bout de souffle et complètement paralysée par l’étonnement que je le vois s’approcher de moi, dans un élan qui m’empêche d’esquisser le pas en arrière que j’allais faire à le voir bouger si vite dans ma direction. Le contact me tétanise, mon corps en entier brûle de froid à sentir le sien si proche. Personne ne m’a touchée depuis si longtemps, Swann a été le premier à me prendre dans ses bras depuis presqu’un an et demi. L’impression est suffocante, mais le parfum d’Ezra me rappelle à un avant qui n’avait rien d’aussi douloureux. Mimant le flot de sa respiration, je calque la mienne en espérant que l’effort me calme. C’est presque le cas. « Je te déteste. » ses larmes mouillent ma peau depuis un moment lorsque je réalise que j’ai fini par laisser mes mains remonter le long de son dos pour venir se loger derrière son cou. « Je te déteste d’avoir disparue, d’être morte, de nous avoir abandonnés. » mes doigts y serrent la peau comme s’ils avaient peur qu’elle devienne de la ouate, du brouillard. « Je te déteste parce-que j’ai espéré en silence chaque jour pendant longtemps que tu reviennes et que ce soit qu’une blague de merde tout ça. Et quand j’ai arrêté d’espérer, tu t’es pointée comme une fleur. » ou alors ce sont les miennes, les larmes qui noient le col de ses vêtements. « Mais je prendrais jamais sa défense à lui face à toi, tu m’entends ? » Ezra ne pourra pas se libérer de l’étreinte de sitôt alors que mon emprise passe de son cou jusqu’à ses épaules, puis aux plis de son t-shirt auquel ils se raccrochent aussi férocement qu’à sa peau. « Est-ce que tu peux m’aimer, juste aujourd’hui? Juste quelques minutes. » j’ai oublié de respirer une fois ou deux, j’ai les yeux fermés si fort que mes paupières chauffent et que la vie est orange, rose sous la peau. Il faut que je réapprenne tout, et il y a cette panique qui pique au creux de mon ventre, qui remonte à chaque inspiration. Le bruit et la proximité comblent tous les vides que le silence aurait dû calmer. J’ignore si Ezra sent mon coeur se débattre dans ma poitrine. « S'il-te-plaît. » est-ce que tu peux m’aimer parce que moi je me déteste encore plus que tu le pourras jamais. Tous ses mots, chacune de ses paroles jouent en boucle dans ma tête et garder les yeux clos rend la trame sonore encore plus agressive, encore plus assourdissante. Il n’a pas eu de nouvelles. Noah croyait que j’étais morte. Sloan a grandi sans sa mère. « C’est Swann qui m’a dit que vous n’aviez jamais eu les lettres. » Auden a identifié mon corps. Auden aurait pu être celui qui m’aurait envoyée là. « Je peux pas croire que vous ayez jamais rien reçu… » et quand j’ouvre les yeux, Ezra bien qu’à peine à quelques millimètres de moi est brouillé. J’ai trop peur qu’il disparaisse complètement pour retirer l’une de mes mains de son corps et essayer de rescaper mes yeux noyés. « Je peux pas croire qu’ils ont pensé… » les ils se mélangent, les visages que je perds autant les yeux ouverts que fermés. « Si je vais le voir, je sais pas ce qu’il va faire Ezra. » et c’est son visage à lui, encore et encore, qui apparaît. Ses cris, ses menaces, et tous les scénarios que je me joue et rejoue en tête, tous vrais même ceux qui sont faux. « Sloan… » la dernière chose que j’arrive à dire, avoir d’enfouir mon visage contre son torse, c’est le nom du fils que je suis persuadée d’avoir perdu puisque si Ezra est aussi en colère, Auden sera impitoyable.

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« Ezra, c’est pas ce que j’ai dit. » Ce n’était pas ce qu’elle disait, mais c’était ce que ses paroles pouvaient laisser entendre, comme s’il n’avait pas ces dates clefs là en tête aussi de son côté. Bien sur qu’il savait la date à laquelle son fils était officiellement guéri, bien sur qu’elle était marquée au fer rouge dans son esprit - parce-que c’était aussi la date à laquelle il avait cru le perdre sans jamais pouvoir le connaitre. Alors bien sur qu’il savait que leur fils avait passé la date que tous les médecins attendaient: c’était lui qui l’avait emmené à son rendez-vous de contrôle. Pour ce qui était de Sloan, il ne pouvait s’avancer que sur le peu qu’il voyait, le peu qu’Auden le laissait entrapercevoir; et encore il était chanceux d’avoir le rôle de parrain aux côtés du petit pour avoir aperçu de cette taille là sur la façon dont le petit grandissait. « Regarde-moi. » Il pinça ses lèvres un instant avant de le faire, parce-que la voix qu’elle empruntait n’était pas vraiment la sienne. Il mit un instant de plus à le faire parce-qu’il savait pertinemment qu’à partir du moment où leurs yeux se croiseraient de nouveau, il abaisserait certaines barrières qu’il avait pourtant mis des mois à ériger pour se protéger.

Et ce fut exactement ce qu’il se passa lorsque les yeux d’Ezra rencontrèrent ceux apeurés de Ginny, debout à côté de la porte de sortie de son bureau. Parce-que ce n’était pas de ça dont elle avait besoin présentement - certes, les circonstances étaient difficiles, mais il n’était pas question qu’elle puisse penser un seul instant qu’il jouerait dans un camp contre le sien. Il avait appris à tolérer Auden parce-qu’il n’avait pas vraiment le choix, s’il voulait garder un pied dans la vie de son filleul; il n’avait pas besoin de jouer la carte ami avec lui lorsque cela en venait à Ginny. Il y avait mille et unes choses qui restaient à être expliquées, mais ce ne fut pas pour autant que pour lui, annihiler la distance entre eux pour la prendre dans ses bras n’était pas quelque-chose de censé et naturelle à faire.

Le contact retour de la part de la brune mit un petit temps à venir, mais il n’en tenait pas rigueur; tout comme il sentait bien qu’à la fin de ses paroles à lui, elle s’accrochait à son corps comme on le faisait lorsqu’une bouée de sauvetage nous était lancée en pleine mer. « Est-ce que tu peux m’aimer, juste aujourd’hui? Juste quelques minutes. S'il-te-plaît. » Il frotta avec douceur son dos, en pinçant les lèvres un peu plus fort. « Tant que tu restes contre moi alors, mais après je retourne à te détester. » Ils savaient tous les deux qu’il y reviendrait bien sur, parce-que cette fois ci il y avait bien plus en jeu qu’il n’y avait pu avoir les autres fois. Cependant, Ezra se connaissait aussi assez pour savoir que cette pseudo-haine disparaitrait d’elle-même au bout de quelques temps - le temps de panser les plaies les plus béantes, celles qui faisaient trop de dégâts, et ensuite les choses pourraient reprendre le chemin de la guérison de façon conjointe. « C’est Swann qui m’a dit que vous n’aviez jamais eu les lettres. Je peux pas croire que vous ayez jamais rien reçu… » Il inspira longuement, serrant les mâchoires. Oh, qu’il avait envie de détester toute cette discussion et de s’en réchapper aussi fort que possible - mais il savait que c’était là une étape nécessaire pour comprendre ce qu’il s’était passé. « Tu t’es vraiment dit qu’on te donnerait pas de réponse si on les recevait vraiment ? » Même en colère contre elle pour mille et une raisons, il n’aurait pas empêché Noah d’avoir un contact avec sa mère.

« Je peux pas croire qu’ils ont pensé… » Qu’ils ont pensé, qui ? Quoi ? « Si je vais le voir, je sais pas ce qu’il va faire Ezra. » Ce n’était pas une question qu’il avait eu le temps d’anticiper dans cette situation, parce-qu’il avait été trop envahi par la surprise et le choc de la revoir. « Sloan… » - « Va bien. Sloan va bien. » Et il ne présentait pas la moindre hésitation pour présenter cette information puisqu’il était sur de lui pour ça. « Je t’ai dit: c’est un bon garçon, il grandit bien. » C’était surement la chose, la seule, qu’Auden faisait correctement dans ce monde. « Et il te fera rien. Il… Il a vraiment eu de la peine quand il a su que t’étais morte. Je pense pas qu’il te fasse quelque-chose. » Ses caresses continuaient, constante mise en place pour la rassurer. « Mais va falloir que t’ailles le voir oui. » Il restait son mari, le père de son fils et bien trop de significations dans sa vie pour qu’elle tourne simplement le dos à tout ça une fois de plus - elle ne ferait pas cela à son fils, surtout pas si elle était revenus pour eux.

Le choc de l’étreinte d’Ezra passé, il y a tout un souffle qui arrive à naviguer à l’intérieur de moi. Une respiration qui, avant, était saccadée, incomplète. Qui se cassait dans ma gorge et sur ma langue, qui titubait, qui n’arrivait jamais à être totale et entière. En mimant sa cage thoracique et en sentant l’expiration monter, j’arrive à y raccrocher la mienne. Les battements du coeur d'Ezra qui tambourine sur ma cage thoracique me guident à calmer les miens. C’est au creux de son cou que je laisse mon front se poser un temps, une seconde et probablement des dizaines d’autres ensuite. « Tant que tu restes contre moi alors, mais après je retourne à te détester. » c'est l’évidence, je ne lui en voudrai jamais de m’en vouloir. Je reprends des forces, le terrain neutre et le drapeau blanc qu’il m’offre suffisent à ce que je sente la panique se calmer d’elle-même. Swann m’avait dit d’y aller doucement, de ne pas brusquer les choses, de faire une étape à la fois. Swann qui m’a ramassée en larmes beaucoup trop de fois depuis mon retour, qui a su trouver les mots pour chasser les pleurs qui n’en valaient pas la peine, et pour accueillir ceux qui allaient aider à mieux respirer en bout de ligne. Swann me manque atrocement, même s’il n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres de moi, à peine, après avoir été à plus de douze heures de voiture pendant deux longues années. Tout est relatif.

« Tu t’es vraiment dit qu’on te donnerait pas de réponse si on les recevait vraiment ? » et la pointe d’amertume dans la voix d’Ezra me pousse à serrer les pans de son t-shirt un peu plus fort de mes doigts tremblants. Je lui rappelle en silence sa promesse, je le supplie de ne pas se dégager, de ne pas mettre de distance entre nous pour me détester à nouveau. C’est la première fois où je lui en demande autant, où je suis incapable de ne pas insister. « Elles disaient que c’était pour le mieux. » ma voix, je ne le reconnais absolument pas lorsqu’elle s’élève dans la pièce. C’est parce qu’elle est brouillée des larmes qui noient ma langue depuis assez longtemps pour que je ne le réalise que maintenant. « Que votre silence ne faisait que confirmer des choses. » mes peurs, toutes celles que je voyais semaine après semaine être amplifiées par l’absence de réponse de leur part. Malgré ce que je pouvais bien leur écrire, malgré les excuses, malgré les espoirs, malgré les questions, malgré les histoires, malgré tout, personne ne me répondait, jamais. Elles me confirmaient, jour après jour, qu’aucune enveloppe n’était arrivée à mon nom. Elles me confirmaient ce que j’ai toujours craint, que mon absence soulage. Que mon absence leur confirme à quel point je n’était pas nécessaire à leur vie, pas utile. Que l’existence était plus facile sans Ginny et son fardeau. Jamais je ne serai assez forte pour le lui dire à voix haute, après me l’être répété tellement de fois là-bas, et encore ici. Tout le temps.

Et Sloan? « Va bien. Sloan va bien. » je calque mon inspiration à celle d'Ezra, sentant mes doigts engourdis contre le tissu encore contraint entre eux. Mes jointures blanches se détendent doucement, mais à peine. « Je t’ai dit: c’est un bon garçon, il grandit bien. » personne ne mentionne son nom. Personne n’en a besoin. Ezra a bien compris que je pars de loin, et que la simple idée de devoir le visiter prend tout un angle avec lequel je ne me sens pas prête, pas assez. Probablement jamais. « Et il te fera rien. Il… Il a vraiment eu de la peine quand il a su que t’étais morte. Je pense pas qu’il te fasse quelque-chose. » je n’y crois pas, pas une seule seconde. C’est bien parce que j’ai une confiance absolue en Ezra que je lui donne le bénéfice du doute et encore. Ce qu’il me glisse à l’oreille entre deux caresses sonne faux, une phrase qu’il aurait apprise par coeur, un texte qu’on lui souffle à son oreille à lui. Il a son propre Christian dans les buissons. « Mais va falloir que t’ailles le voir oui. » ce sont des menaces. Ce sont des menaces et c’est lui qui tient les rennes. Alors que je sens ma respiration devenir à nouveau trouble, je préfère me concentrer sur les mots d'Ezra au sujet de Sloan. Sloan va bien. S’il va bien, et si je fais tout pour qu’il continue de bien aller, alors il ne peut rien faire. Tout sonne faux, de nouveau. Et tout est à recommencer, encore et encore, alors que mon cerveau roule à toute vitesse à la recherche de scénarios, d’hypothèses, de manières de faire, de solutions à trouver. « Et si tu as tort? » je m’entends demander, entre deux tentatives de me convaincre qu’il ne sera pas en mode attaque à la seconde où je mettrai le pied devant sa porte. « Oublie, je suis désolée, j’ai pas le droit… » le remettre en question pique, pique plus loin que le simple fait que je ne l’ai jamais remis en question avant. Pique parce que là-bas, jamais une telle manière de parler aux autres n’était acceptée, ni acceptable.

right down the line

@ginny williams

lieu: mecanor, toowong.
(c): daisyridleyedits (gif), luleaby (codage).

***
Il pouvait sentir les mains de Ginny qui agrippaient davantage son tee-shirt au fil des mots qu’il pouvait prononcer, comme s’il était à la fois la chose dont elle avait besoin de s’éloigner en cet instant et la bouée de secours. C’était une sensation autant agréable qu’effroyable, surtout alors qu’il avait passé tout ce temps à se dire qu’elle avait définitivement disparu du décor - mais ce n’était pas sur cette partie là qu’il devait se concentrer pour le moment, ayant d’autres sujets à aborder avec elle, d’autres sensations à trier au plus vite pour réussir à maintenir un semblant d’équilibre dans cette situation. « Elles disaient que c’était pour le mieux. » A cette première phrase - elle ne pouvait le voir cependant, son visage étant dissimulé dans son cou -, il fronça quelque peu les sourcils. « Que votre silence ne faisait que confirmer des choses. » - « Qui ça, elles, Ginny ? » Peut-être qu’elle l’avait déjà précisé dans les mots qu’elle avait prononcé au cours de leur discussion, mais il y avait bien des choses qu’il n’avait pas entendu parce-qu’il était trop occupé à absorber le choc de la revoir vivante et à ses côtés. Qui étaient les elles dont elle parlait, ces personnes qui l’avaient fait douter quand à l’idée qu’ils ne puissent, autant qu’ils étaient, ne pas répondre si Ginny leur avait donné signe de vie ?

L’une de ces personnes là dans le lot était bien sur celui qui officiellement, aux yeux de la loi, devait toujours être son mari pour le coup - Ezra n’était pas bon en législation et il ne savait pas si Auden avait engagé la moindre démarche, mais au pire il devait être veuf aux yeux de la loi et maintenant qu’elle n’était plus six pieds sous terre, la brune devait redevenir sa femme par défaut surement. Il savait pertinemment que les choses entre eux n’étaient pas au beau fixe, qu’ils avaient bien plus d’un sujet à aborder pour essayer au moins de maintenir le moindre bateau à flots, mais Ezra savait aussi que le bien de leur fils passerait toujours avant tout le reste et qu’il ne serait pas question aux yeux de l’un ou de l’autre de compromettre ça. Elle allait devoir le voir, c’était une certitude qui s’en viendrait bien trop vite à son gout surement: autant qu’elle s’y prépare le plus rapidement possible. « Et si tu as tort? » Il n’avait pas envie d’avoir tort, et peut-être pour la seule fois de son existence il croyait les paroles qu’il pouvait prononcer alors qu’elles concernaient Auden; et ce n’était pas rien. Ezra n’eut cependant en rien le temps de faire le moindre commentaire, qu’elle reprenait déjà la parole. « Oublie, je suis désolée, j’ai pas le droit… » - « D’être inquiète ? T’as le droit. » Soupirant, il ne remettrait en rien cette partie là des faits en question. Il avait vu, la peur dans son regard quelques années plus tôt: il savait d’où elle revenait. « Je peux pas te dire que j’ai pas tort, parce-que y’a trop de trucs que je contrôle pas là. » Dans cette situation, dans le comportement d’Auden, dans un peu de tout et de n’importe quoi - de toutes manières, cette situation n’avait ni queue ni tête encore dan son esprit pour le moment.

Se décalant légèrement et attrapant la jeune femme par les épaules avec douceur, il se concentra pour plonger son regard dans le sien. Ce n’était en rien facile d’agir de la sorte en cet instant, parce-qu’il avait son propre coeur qui tentait de se réparer en même temps qu’il se brisait - mais il aurait tout le temps pour tout ça par la suite, de panser ses plaies correctement. « Je crois que j’ai pas tort, cette fois-ci franchement. » Il inspira longuement. « Et tu sais aussi bien que moi que je lui ai jamais fait confiance. Juste… C’est un bon père pour Sloan, et je sais qu’il fera les efforts pour lui. » Il haussa les épaules. « C’est pas suffisant, mais c’est un bon début. » Ce ne serait jamais suffisant, ça n’effacerait pas ce qui s’était passé pendant les années écoulées, mais si elle souhaitait que les choses se remettent un minimum en place au moins pour son fils, elle allait devoir faire un premier pas vers celui qui la tétanisait encore aujourd’hui. « C’est lui qu’a toutes les cartes en main de toutes façons. » Parce-qu’à partir du moment où elle avait disparu, et d’autant plus de celui où elle avait été déclarée décédée, Auden était devenu le seul parent pour Sloan et il était celui qui pourrait ou non permettre qu’elle puisse au moins obtenir ce pour quoi elle prétendait être parmi eux à Brisbane aujourd’hui: revoir ses fils.

« Qui ça, elles, Ginny ? » les mots bloquent dans ma gorge après avoir été si rapides, si vifs à se faire entendre. Elles m’ont fait jurer de ne pas parler d’elles, de les garder comme un secret, de les protéger de qui que ce soit voudrait en savoir plus sur tout ce qu’elles construisent là-bas, surtout ce qu’elles accomplissent. Elles ne veulent pas qu’on partage, elle ne veulent pas que d’autres s’immiscent et tente de voler tout ce qu’elles créent toutes seules, tout ce qu’elles imaginent de beau et de grand pour celles qu’elles ont autorisé à savoir. C’est précieux, ce qu’elles ont fait de là-bas, et si elles étaient dévastées que je le quitte, n’en reste qu’encore aujourd’hui je sais tous les efforts qu’elles y ont mis, tous les sacrifices qu’elles ont fait. Mais quelque chose cloche. Et j’ai envie de le dire, j’ai envie de parler d’elles à Ezra, j’ai envie de lui prouver qu’elles n’ont rien saboté, qu’elles ont vraiment envoyé les lettres, qu’elles n’auraient jamais laissé tout ça se passer ; et si j’avais mal entré les adresses? Et si j’étais persuadée de les connaître par coeur, et que pourtant c’était moi qui avait tout gâché?

J’ai parlé de tout sauf de ça, au final. Et Ezra n’en tient pas rigueur, de mon silence, de mes doigts qui se resserrent à chaque expiration. « D’être inquiète ? T’as le droit. » je n’ai pas le droit de faire bien des choses, encore, on dirait. Tout le discours qu’elles récitaient le matin remonte, toutes ces phrases comme des mantras qu’on devait répéter encore et encore jusqu’à ce qu’elles s’ancrent bien profondément dans notre tête et dans notre chair. Je sais que je ne peux pas parler de ça non plus, je sais que je ne peux pas le partager à Ezra parce que s’il n’a pas cru les lettres, pourquoi croirait-il tout le reste?« Je peux pas te dire que j’ai pas tort, parce-que y’a trop de trucs que je contrôle pas là. » et tout ce contrôle, il le donne à qui? Qui a les ficelles, qui gère les marionnettes, qui prend les décisions? Je sais très bien quelle est la réponse à toutes ces questions, et encore, je sais très bien ce qu’il me dira ensuite. « Je crois que j’ai pas tort, cette fois-ci franchement. » d’un hochement de tête bien moins assuré que ce que je le voudrais, j’essaie de revenir à ici et à maintenant, même si la boule dans ma gorge n’a pas diminué en sensation. « Et tu sais aussi bien que moi que je lui ai jamais fait confiance. Juste… C’est un bon père pour Sloan, et je sais qu’il fera les efforts pour lui. » c’est Sloan qui compte. C’est Sloan et Noah, et Ezra me le rappelle une fois de plus. C’est pour Sloan que je suis là, et c’est pour Noah que je suis revenue. Tant qu’il seront là, tant qu’ils feront partie de l’équation, tout ira bien. « C’est pas suffisant, mais c’est un bon début. » doucement, un après l’autre, je sens mes ongles lâcher du leste sur les épaules d’Ezra. Mon corps retrouver un semblant de force, mes talons reprendre leur socle au sol. « C’est lui qu’a toutes les cartes en main de toutes façons. » c’est pour Sloan et Noah que j’ai fait tout ça, que je suis allée chercher toutes ces forces-là, que je me tiens un peu plus droite et un peu plus grande devant Ezra.

Puis, je comprends. Qu’il est lui aussi celui qui a toutes les cartes concernant notre fils. Que si Auden décide de tout ce qui concerne Sloan, Ezra a derechef le même pouvoir lui aussi. Son regard, même s’il reste un poil plus doux qu’à mon arrivée reste ferme, dur. « Merci. » c’est lui qui choisira, ou non, lorsque je pourrai revoir mon fils. C’est lui, c’est Auden, ce sont eux, qui ont le contrôle désormais. « Tu peux recommencer à me détester, maintenant. » et si j’ai une confiance absolue en Ezra pour me laisser revenir, au rythme qu’il décidera, dans la vie de Noah, en ce qui concerne Auden, rien ne sera jamais, jamais aussi sûr.