(wynnum mangrove boardwalk) Entre les deux femmes, la conversation va bon train depuis plusieurs dizaines de minutes déjà. Le long de l’esplanade, le small talk fuse et tous les sujets sont abordés sans être creusés. Aucune des deux n’en a sûrement envie, de toute manière, et ce n’est pas l’objectif caressé par Lily au moment de proposer à sa vieille amie de se revoir. Elle lui a précisé que le café serait pris à emporter, parce que la fin de grossesse approche à grands pas et que son médecin lui a demandé de marcher autant que possible - et elle a beau entendre les arguments, elle le déteste de tout son coeur pour lui ordonner une telle chose alors qu’elle porte doublement la vie et est presque à terme. Mais ce n’est pas sa seule priorité que de s’occuper de sa famille grandissante, celle qui prend trop de place et qui lui bouffe trop d’énergie. Il y a autre chose, il y a toujours eu autre chose, et elle rêve du jour où il n’y aura plus rien. Que cela se termine bien ou non, Lily n’en a plus rien à faire. Elle estime ne plus rien avoir à perdre non plus ; rien qu’on puisse lui dérober, du moins.
« J’ai une question. » qu’elle finit par annoncer, après avoir discuté quelques secondes de son thé déjà froid et de la tempête qui semble se former non loin de leurs côtes. Deux sujets entre lesquels personne n’a fait l’effort d’une transition. Lily ralentit un pas qui l’était déjà et elle trouve brièvement le profil d’Albane, sans s’y attarder pour autant. « Ce club où mon frère travaillait, » et mentalement, elle jure une chose: c’est la dernière fois de son existence qu’elle utilise les termes “mon frère” pour parler de Joseph. Il ne le sera pas moins plus tard, mais elle ne veut plus en parler. Un prénom se suffit à lui-même, surtout celui-ci. « est-ce qu’il est illégal ? Qu’est-ce qu’il s’y passait ? » Ils ont tous laissé planer des indices différents, et la propension de son aîné à faire les mauvais choix et tendre vers la facilité en est un. Un casier judiciaire rempli l’empêche d’accéder à beaucoup de portes si ce ne sont toutes, alors il fait ce qu’il a toujours fait, et elle revoit encore la panique dans le regard d’Albane au moment où elle a passé le pas du Bowling. « J’ai besoin de le savoir. Juste pour moi. » Elle n’ira pas le dire à qui que ce soit, et surtout pas son mari. Si Albane craint que le bruit se répande, alors elle peut parler sans crainte, parce que ce serait bien la dernière chose que Lily ferait tant elle n’a rien à y gagner et, au contraire, tout à y perdre. Tout ce qu’elle veut, c’est protéger sa famille. Celle qu’elle a choisie.
I got a skeleton under the floorboard. I got a secret I need you to keep. Run away, run away, you have been forewarned. I don't wanna go off in the deep. If we don't do somethin', we'll be stuck up in the mud again. Don't wanna mess it up 'cause I want everything and nothing at all. I've got a feeling when they walkin' on the ceilin' that the people needed healin' and they know
Il y avait parfois des moments dans la vie d’Albane qui lui rappelaient que son quotidien n’avait pas besoin de ressembler à des sables mouvants dont elle ne savait comment se dépêtrer en permanence. Le simple fait de prendre un café avec Lily et de se promener au milieu des mangroves en faisait partie. Le temps d’une heure ou deux, il n’y avait plus d’études oppressantes, de manque de sommeil, d’activités illégales, de relations chaotiques qu’elle ne savait pas gérer. Il y avait juste le doux bruit du vent entre les branches, cette odeur si caractéristiques du ponton en bois sous leurs pieds, la vision de ces arbres singuliers, et les rires qui se dégageaient de la discussion avec son amie. Il suffisait de la regarder pour réaliser que cela faisait une éternité qu’elles ne s’étaient pas vue. La brune était juste… énorme. Les jumeaux ne devraient plus traîner désormais, mais la française pouvait juste imaginer l’inconfort quotidien que cela devait être. Elle ne l’enviait pas le moins du monde, tant pour la grossesse que pour la perspective d’être sur le point d’avoir des mini-humains à charge pour au moins dix-huit ans. Évidemment, elle avait gardé ce commentaire pour elle, bien consciente qu’elles étaient diamétralement différentes. Qui plus est, même si elle voulait, son mode de vie ne lui permettrait clairement pas de gérer un enfant. Si elle était personnellement à l’aise avec cette idée, il y avait toujours cette pointe de culpabilité depuis qu’elle l’avait évoqué avec Kieran. Il voulait devenir père, lui, et cela sonnerait bien assez vite la fin de leur étrange couple. Bane ne leur donnait pas plus d’une poignée de semaines avant d’oser mettre les mots sur leur ressenti. Elle ne lui en voudrait pas, elle ne s’en tirerait pas le cœur brisé. Elle ne voulait juste pas être seule à nouveau, même si ce serait pour le mieux. Les secrets en tout genre n’étaient pas exactement ce qui créait une fondation saine pour un couple. Dans pas si longtemps que ça, elle retournerait bosser à l’hôpital pour son internat. Elle n’aurait absolument pas le temps de gérer une relation, alors autant s’y habituer, non ? Son esprit s’égarait et fut rappelé à la réalité par la voix de Lily, qui cette fois-ci n’avait plus la même intonation qu’elle utilisait pour du small talk. « Hum ? » Dans sa bulle faire de nature, de bienveillance et de détente, elle n’eut pas le réflexe de s’inquiéter ou même de se rappeler que Lily avait mis les pieds près, bien trop près d’un milieu dans lequel elle n’avait rien à faire. La mention du club poussa la française à boire une gorgée de son café tiède pour s’épargner une réponse et déjà commencer à réfléchir à ce qu’elle pourrait dire. Ses doigts se mirent à jouer nerveusement avec le gobelet alors qu’elle refusait strictement de regarder le visage de son amie. C’était tout sauf la réaction appropriée, mais que la Ruche soit décrite comme illégal arracha un rictus sarcastique à l’étudiante. C’était un euphémisme pour toute la merde qui s’y passait. Ces derniers mois, Albane avait doucement commencé à mettre de la distance. Elle ne voulait plus rien avoir avec ces activités. Elle ne voulait rien savoir, elle ne voulait pas cautionner cette violence gratuite. Ça ne lui aura jamais rien rapporté de plus que de faux espoirs et de l’argent sale. Elle ne pouvait plus continuer à vivre comme si un jour le gang tiendrait la promesse de Lou et vengerait Blanche. C’était trop tard. Certains jours, la française se retrouvait à espérer que quelqu’un les trahirait et qu’enfin, quelqu’un viendrait mettre fin à ce réseau de merde. Elle resta obstinément muette, jusqu’à ce que la voix de Lily brise sa résistance. Albane voulait faire confiance et faire passer une amitié avant les pourritures qui lui tenaient la jambe, rien qu’une fois. « Tu ne peux pas en parler. Tu ne peux pas me mêler à ces affaires de quelque manière que ce soit. » Elle s’arrêta finalement sur la promenade et se tourna vers Lily, un air grave sur le visage. « C’est pas juste un club. C’est un gang au grand complet. » L’un d’eux, en tout cas. Ceux dont on ne pourrait jamais soupçonner l’existence quand l’on vivait une petite vie tranquille. Le nombre d’habitués que Albane pouvait voir passer au bowling sans se douter le moins du monde que derrière les portes fermées se trouvaient des affaires qui les feraient pâlir. « Ils font dans la drogue notamment, puis il y a les combats, les paris illégaux, le strip-club, sans doute de la prostitution, le blanchiment d’argent… Alors oui. C’est un peu illégal. Il y a eu un changement de management récemment, je n’ai pas envie de savoir comment ou pourquoi mais… Beaucoup de choses ont changées. » Albane ne savait vraiment pas dire si c’était pour le mieux. Lou perdait les pédales mais au moins, la française avait l’impression d’être en sécurité avec elle. Ce n’était pas la même chose avec Solas. « Je ne sais pas exactement jusqu’à quel point Joseph était impliqué ou comment il s’est retrouvé là. Je ne sais même pas s’il y est encore. Mais… Ouais. » Il avait fait des mauvais choix et il ne restait plus qu’à espérer qu’il ferait partie des veinards qui parviendrait à s’en tirer. « Dis-moi que je peux te faire confiance. » C’était sans doute trop tard pour le demander, mais Bane avait besoin de l’entendre et d’être rassurée.
Après plusieurs minutes à doucement refaire le monde en même temps que la météo, Lily ose enfin se pencher sur le seul véritable sujet qui arrive à l’intéresser: son frère, et Dieu sait laquelle de ces merveilleuses idées qu’il a pu avoir. Trop de temps a passé pour qu’elle puisse continuer à jouer à l’aveugle ingénue. Elle n’a aucune preuve, elle n’a aucun doute particulièrement fondé, mais il existe une masse d’indices trop immense pour qu’elle puisse continuer de l’ignorer. Maintenant qu’elle est mère de famille et que la famille en question s’apprête encore à doubler dans ses effectifs, Lily ne pense plus à sa seule personne mais bien à ceux qu’elle aime et ceux-là même qu’elle veut protéger, aussi. « Tu ne peux pas en parler. Tu ne peux pas me mêler à ces affaires de quelque manière que ce soit. » L’agitation d’Albane est évidente. Au-delà même de ses mots, tout dans son expression autant que dans son attitude vient de changer subitement, ce qui prouve bel et bien qu’il est question d’anguille sous roche dans toute cette histoire. Lily n’y a rien vu pendant longtemps parce que ce monde n’est pas le sien et qu’elle est loin d’avoir un œil expert, mais à défaut de connaître son environnement elle peut au moins se targuer de connaître son frère. « Je compte pas ébruiter quoi que ce soit. » Déjà, Lily la rassure. Elle veut lui faire comprendre qu’elles sont malgré tout dans la même équipe ou, à défaut de l’être, elles sont au moins des alliées. Ou elles ont au moins signé un pacte de non-agression. Peu importe ; quelque chose de cette trempe là. Quelque chose qui l’enjoint à ne pas craindre de parler en sa compagnie, surtout alors que Lily ne jure que pour les réponses, lesquelles la pousse à prendre une casquette d’enquêtrice alors que n’importe quelle autre femme se concentrerait plutôt sur la vie qu’elle va donner ou la tempête annoncée terrifiant toute la ville.
« C’est pas juste un club. C’est un gang au grand complet. » Elle encaisse l’annonce, l’air grave. Elle s’en doutait, évidemment, mais l’entendre énoncé de vive voix est bien différent, si bien que Lily doit lui imposer une réponse silencieuse dans un premier temps tant elle ne sait pas comment répondre à cette annonce à son tour. « De quel genre de gang on parle ? » Est-ce qu’ils sont au niveau de la mafia italienne, ou quoi que ce soit du genre ? Est-ce qu’il s’agit plutôt de petits tours de passe-passe leur servant surtout à blanchir de l’argent pour arrondir les fins de mois ? Ont-ils une spécialité quelconque ? Qu’est-ce que le mot gang implique réellement dans la vie du quotidien, de celle qui ne se cantonne pas aux films et autres séries à succès ? « Ils font dans la drogue notamment, puis il y a les combats, les paris illégaux, le strip-club, sans doute de la prostitution, le blanchiment d’argent… Alors oui. C’est un peu illégal. Il y a eu un changement de management récemment, je n’ai pas envie de savoir comment ou pourquoi mais… Beaucoup de choses ont changées. » Si elle en avait la force, Lily aurait rigolé nerveusement à la suite d’adjectifs leur correspondant. Dans son esprit, les gangs devaient se résumer à un seul mais cela ne semble pas affecter celui de son frère qui mange à tous les râteliers, sûrement pour s’enrichir toujours davantage. Et puisqu’ils sont encore debout malgré ce changement de management, cela fonctionne vraisemblablement. Le terme utilisé est d’ailleurs amusant à en juger par l’aspect même de l’organisme dont il est question mais l’heure n’est pas venue de faire parler la directrice en elle. « On parle de tuer des gens ? » Est-ce qu’ils l’ont déjà fait ? Est-ce qu’ils ont du sang sur les mains ? C’est ça qu’elle veut savoir, Lily, n’en ayant rien à faire que de les dénoncer à la police ou la répression des fraudes ou Dieu sait quoi encore. Qu’ils fassent ce qu’ils veulent de leurs drogues, de leurs putes, de leur argent. Qu’ils en fassent ce qu’ils veulent tant que cela ne vient pas troubler sa vie, à elle.
Albane est celle qui recentre doucement leur discussion sur la seule personne qui pousse Lily à poser de telles questions: son frère, son foutu frère. « Je ne sais pas exactement jusqu’à quel point Joseph était impliqué ou comment il s’est retrouvé là. Je ne sais même pas s’il y est encore. Mais… Ouais. » Elle n’en sait rien non plus et, à dire vrai, elle n’a aucune envie d’obtenir ces réponses-là. Certaines choses ne changeront jamais, elle le comprendra enfin, et elle sait qu’elle doit appliquer cette idée à toute l’attitude qu’est celle de son aîné. « Dis-moi que je peux te faire confiance. » Cette fois-ci, elle est la première à s’étonner de poser un regard quasi maternel sur la jeune femme à ses côtés. « J’en parlerai pas, Bane. Je te le promets. » Elle réitère ses mots, elle y ajoute une promesse qui n’est pas jetée en l’air. Elle ne compte pas en parler parce qu’elle n’a aucun intérêt à le faire. « Mais j’ai une famille maintenant, et je veux la protéger. » Raison pour laquelle elle a terriblement besoin de réponses en ce qui concerne les personnes qui lui sont le plus chères, à commencer par son frère. Est-ce qu’elle peut le laisser avec Alice ou Noah ? Non. Est-ce qu’elle le laissera avec les jumeaux Matthew et Alfred ? Non, certainement pas. Elle n’en avait pas envie au départ, et elle a désormais la confirmation de tous ses soupçons: des personnes telles que lui ont leur place derrière les barreaux parce qu’ils sont un danger pour la société. « Je sais au moins que certains ont eu assez de secondes chances. Grâce à toi. » Dans le vide, elle hoche la tête et se rassure elle-même, comme si cet immense amas de problèmes pouvait être réglé en évitant seulement de donner des chances supplémentaires. Comme si le problème pouvait être réglé en fermant simplement les yeux. « Je comprends comment lui s’est retrouvé là. Vraiment, je suis pas étonnée. Mais toi ? » Il y a ce quelque chose sur lequel elle n’arrive pas à mettre la main à son sujet mais elle ne ressemble pas à une criminelle de près ou de loin pour autant, alors l’idée est particulièrement déstabilisante. « Je suis heureuse que tu t’en sois éloignée. Ils finiront tous par payer pour leurs actes, et au plus loin tu seras au mieux tu seras. » Ce n’est pas une menace d’une quelconque sorte, simplement une observation: la justice fera son travail. Tôt ou tard, pour avoir été trop gourmands, ils paieront tous autant qu’ils sont sans demie-mesure.
I got a skeleton under the floorboard. I got a secret I need you to keep. Run away, run away, you have been forewarned. I don't wanna go off in the deep. If we don't do somethin', we'll be stuck up in the mud again. Don't wanna mess it up 'cause I want everything and nothing at all. I've got a feeling when they walkin' on the ceilin' that the people needed healin' and they know
L’appréhension agitait le rythme cardiaque de la française, la rendait fébrile. Mais il y avait un étrange problème de priorités. Malgré le regard azur inquisiteur qui planait sur elle, Bane ne songeait pas une seconde au fait qu’elle risquait d’être jugée. Elle avait plutôt peur de ce qui se passerait si Lily se faisait trop bavarde et allait balancer ce que la jeune femme savait. Les conséquences pourraient être dramatiques. Ces mêmes conséquences qui auraient dû inciter Albane à quitter la Ruche des mois, des années plus tôt. Il fallait croire qu’il n’y avait même plus ce subtil instinct de survie pour la sauver. Elle était juste fatiguée, assez pour relâcher sa garde et juste parler. Elle avait envie de croire qu’elle était encore capable de faire confiance et de se reposer sur autrui quand dieu sait que le milieu du gang l’amputait d’une part d’humanité pourtant si précieuse. Ça n’en restait pas moins stupide de sa part de déballer tout ce qu’elle savait sans réfléchir, sans tenter de rester vague. Elle parlait, et c’était comme si une inconnue avait pris le contrôle de sa vie. Elle savait que c’était réel mais comment avait-elle pu en arriver là, quand elle avait toujours vécu avec des valeurs et des choix qui auraient dû la tenir aux antipodes de cette existence ? Cela ressemblait presque à un appel à l’aide subtil, un qui s’illustra par un léger rire sans joie à la mention de tuer des gens. Le regard de la française s’était détourné pour repartir se fixer aux mangroves. « Ca ne fait pas partie des activités officielles mais… Oui. Il y a des egos sensibles qui ne savent pas gérer une situation autrement que par la violence. » Un désaccord, une punition, un tour de force. Albane n’en avait pas directement été témoin, dieu merci. Mais elle avait entendu les histoires et vu les visages disparaître. Elle pensait notamment à Lou et à Solas qui avait repris le contrôle du gang. Cela faisait des mois maintenant, assez pour que l’infirmière ne se voile plus la face. Lou était morte. De la main de qui, elle n’en avait aucune idée. Mais son nom n’était certainement pas le premier à être rayé de la liste. Alban ne se sentait ni triste, ni en colère. Juste vide. C’était ce qu’il se passait quand on réalisait que les promesses auxquelles on s’était raccroché depuis des années ne seraient jamais tenues. Et ça, par contre, cela lui brisa un peu le cœur d’entendre Lily mentionner sa famille. Cela attira le regard triste de la Dumas. Elle aurait aimé pouvoir protéger Blanche à l’époque, mais elle n’avait pas eu cette chance. Elle n’avait plus personne par quelques coups du destin. Peut-être que c’était son destin. Ses pupilles glissèrent sur le ventre de la brune. Cela la confortait dans sa langue déliée. « Je comprends. Je pense que j’ai pas besoin de te dire que Jo vient avec un lot d’emmerdes. » Elle n’était pas assez informée pour savoir ce qu’il avait fait, où il était, ce qu’il risquait. Mais il était resté assez longtemps pour que cela en dise long sur sa capacité à se causer des ennuis. Lily ne pouvait pas vivre avec ce risque, ses bébés non plus. « Je suis désolée. » De ne pas avoir parlé plus tôt, de lui avoir caché toutes ces informations, de lui apporter de si mauvaises nouvelles, de se blairer un tel frère. Bane se sentait juste complice et avait l’impression d’avoir été la traîtresse de l’histoire. Puis, vint ce jugement qu’elle aurait dû redouter, qui lui fit baisser la tête. « C’est une longue histoire. » Elle ne saurait même pas par où commencer. Elle voulait venger la mort de sa sœur. Ensuite, elle s’était laissé pervertir par l’argent et la drogue. Elle avait coulé tellement bas qu’elle avait fini par ne plus vouloir remonter à la surface. Cela faisait longtemps qu’auprès de ses proches, son image de bonne personne s’était fissurée. Aussi brisée qu’elle, malgré sa capacité à être une camée fonctionnelle. Il était évident que cela ne pourrait pas durer éternellement. Un jour, ils le paieraient tous. « Il y a des jours où j’espère que toute l’activité se fera démanteler, oui. Mais je suis pas encore assez loin. » Si la Ruche tombait, elle tombait aussi. Elle ne prendrait pas autant que les responsables des actes ignobles qui avaient été commis, mais ce serait grave. Quelle était la formulation déjà ? Association de malfaiteurs ? « Je suis pas une mauvaise personne, Lily. » Elle n’était pas comme Jo. Elle avait un sens moral, des valeurs. Elle ne faisait de mal à personne, peu importe à qui elle s’associait. Subitement, la française avait peur. Pas d’être jugée mais surtout d’être éloignée. « Je soigne juste leurs blessés quand il y en a. Même si je sais, je ne suis pas médecin. » Les mots de Winston résonnaient encore dans son esprit. Elle ne pouvait pas aider comme il le faudrait, elle n’avait pas les capacités. Ce n’était pas un an de médecine qui changerait quoique ce soit à cela. Elle savait que c’était répréhensible mais ses intentions avaient toujours été bonnes. Mais ce qui la frappait le plus était sans doute que c’était à peine si Lily cillait, comme si cette histoire n’était que du réchauffé. « Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu n’en es pas à ton premier rodéo ? » Quiconque aurait paniqué mais pas Lily. La future mère gardait son sang-froid avec une telle aisance que c’en était troublant.
Elle a l’impression d’être dans un film, à parler de gang comme s’il n’y avait rien de plus normal en ce monde. Il n’en est rien, pourtant. Dans le monde du commun des mortels, personne ne vit dans l’illégalité et personne ne peut décemment évoluer dans un gang, ou même avoir un membre de sa propre famille qui le fait. Pourtant, tel est le cas de Lily. Au fond, elle l’a toujours su et s’en est toujours doutée, sans avoir la moindre envie d’obtenir le fin mot de cette histoire. Quand Joseph a été envoyé en prison, plus aucun doute ne persistait déjà. « Ça ne fait pas partie des activités officielles mais… Oui. Il y a des égos sensibles qui ne savent pas gérer une situation autrement que par la violence. » Il a donc été question de meurtres. D'assassinats. Peu importe la distinction: des personnes sont mortes parce que d’autres l’ont voulu, et elle n’hésite pas un seul instant à parler de cette situation au pluriel parce qu’elle doute que cela se soit produit une seule et unique fois. Des personnes déviantes et armées ne peuvent pas créer de bonnes choses, c’est un fait évident et c’est ce qui arrive à ceux qui ne suivent pas le cursus scolaire et perdent foi en Dieu. Ils se perdent. Lily garde le menton droit. Elle connaît la mort, et elle sait qu’Albane aussi. Par leur métier, elles l’ont déjà vue en face, mais elles n’ont jamais été la cause de cette dernière - officiellement, du moins.
« Je comprends. Je pense que j’ai pas besoin de te dire que Jo vient avec un lot d’emmerdes. » Lily ne parle pas de cette manière mais elle n’en pense sans doute pas moins, à commencer parce qu’elle doit jongler avec sa présence depuis qu’elle est née. Elle se jure au moins une chose maintenant: elle ne laissera plus jamais Joseph entrer dans sa vie et l’empoisonner comme lui seul sait le faire. Plus de gang, plus de drogue, plus de prison, plus de police. Plus de rien du tout, parce qu’elle ne veut plus rien avoir à faire avec lui. Il est son sang, mais elle a désormais une fille qui le porte aussi et un mari à qui elle a juré fidélité pour le restant de ses jours. Bientôt, un autre enfant portera son sang aussi. Elle n’a pas besoin de son frère ; elle n’en a jamais eu besoin. « Non, en effet. » La brune le souffle doucement, bien malgré elle. Si seulement sa famille avait pu être aussi parfaite que celle qu’elle décrit dans ses récits. « Je suis désolée. » Albane n’a pas besoin de préciser ce dont elle s’excuse pour que Lily comprenne le fond de sa pensée. Il y a beaucoup de choses dont elle pourrait s’excuser, et c’est un sujet que la brune ne veut pas emprunter. Dans son esprit, elle lui pardonne. Oralement, elle n’est pas capable de le prononcer. Elle le pense, elle le jure, et ça devrait suffir. « C’est une longue histoire. » - « C’est au moins une chose dont je doute pas. » Malgré le contexte particulièrement difficile de leur échange, Lily trouve le moyen de sourire doucement. Elle dégage une mèche derrière son oreille, son regard brièvement posé sur son ventre arrondi. C’est à peine si elle se souvient à quoi il ressemble lorsqu’elle n’est pas enceinte.
« Je suis pas une mauvaise personne, Lily. » « Je le pense pas. »
Pour avoir osé parler et lui révéler une vérité que n’importe qui d’autre aurait préféré garder enterrée, Albane n’est pas une mauvaise personne. Elle est douce et avenante, elle a simplement trouvé un mauvais chemin. Elle s’est faite avoir par des âmes moins pures qui ont vu en elle une proie malléable. « Je soigne juste leurs blessés quand il y en a. Même si je sais, je ne suis pas médecin. » La brune hoche la tête. Maintenant, elle comprend mieux. Du moins, une partie du tableau s’éclaircit. Elle voulait aider ; ils avaient besoin d’une personne comme elle. Est-ce que sa seule empathie suffit à expliquer qu’elle soit restée tout ce temps ? Ça, Lily l’ignore. Puisqu’il ne s’agit pas du procès d’Albane, elle décide pourtant de lui accorder le bénéfice du doute sans chercher plus loin: elle veut la croire, et quand bien même il ne s’agirait pas de toute la vérité, elle s’en moque bien. « Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu n’en es pas à ton premier rodéo ? » Lily rigole tristement face à cette remarque perspicace. « Mon frère a déjà fait de la prison. Je sais ce dont il est capable. » Et elle connaît aussi le pourcentage de récidive des hommes sortis de prison, ce qui explique un peu plus encore son absence totale de surprise face à ce qu’Albane peut lui apprendre. « Je me doutais du fond. Je me doutais qu’il trempait dans des affaires vraiment pas nettes, mais je connaissais pas les détails. » Elle les lui a donnés, maintenant, et ça suffit. Lily ne veut pas en savoir davantage, elle est déjà assez dégoûtée par toute cette histoire. « J’ai fini par me douter que tu étais liée à tout ça aussi. » Elle était partout, tout le temps. La présomption d’innocence a ses limites. « Tu es encore mêlée à tout ça ? » Son ton ne porte pas de reproches. Elle cherche à comprendre comment on peut arriver à se perdre à ce point, voilà tout.