@Kendall Harding

C’est son tour de ramener du café, aujourd’hui. Ils ont leur machine, oui, évidemment, mais tout le monde sait qu’elle donne un goût infect à tout ce qu’elle touche et que même du jus de chaussette aurait davantage de chance d’être apprécié. Alors, autant que possible, ils se relaient pour ramener du café de l’extérieur et en proposer aux différentes équipes présentes à l’heure indiquée. Les oiseaux chantent à peine sur la ville et le soleil débute son ascension, signe qu’il est temps pour elle de débuter son shift. Charlie a quelques minutes d’avance, comme à son habitude. Il s’agit du temps pour elle de donner à chacun son gobelet et à préciser qu’elle a demandé à la barista d’écrire “Annie avec un coeur” pour son collègue préféré et surtout celui qu’elle apprécie le plus taquiner. Les autres ont aussi le droit à leurs commentaires, à leurs questions au sujet de leurs familles aussi puisque Charlie tient à savoir comment se portent maris, femmes et possibles enfants. La question l’intéresse d’autant plus depuis qu’elle est devenue marraine, ce qui est comme un rôle de mère par extension - très grande extension, puisqu’elle n’a pas le moindre poids sur les épaules en réalité et se contente d’être présente pour les bons et doux moments.

Malgré toute sa bonne humeur matinale, elle se fige à la seconde où sa volte-face la met face à Kendall. Pire encore, elle jurerait pouvoir reconnaître son odeur à travers celle du café qu’elle tient encore par gobelets entiers dans ses mains. Sa mine s’assombrit et son regard, pourtant du même bleu que le sien, en fait de même. Elle savait qu’il allait être affectée au poste de Brisbane, elle le savait très bien, mais elle avait aussi fait le choix d’omettre toutes les discussions le concernant et surtout celles en venant à préciser la date de son arrivée. Elle ne voulait pas savoir, parce qu’elle voulait continuer à vivre avec la même douce insouciance sans se soucier d’une possible épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Maintenant l’épée vient de tomber. « Le nouveau. Je t’ai pas compté dans le nombre de cafés. » Et sans risquer de plonger son regard dans le sien durant la moindre seconde de plus, elle tourne les talons et recommence son petit jeu, usant et abusant de son sourire autant que d’un small talk pourtant sincèrement intéressé. Elle nie la présence de Kendall, elle nie son existence pure et simple. Et si elle le fait assez fort et assez bien, peut-être qu’il finira à son tour par s’éclipser comme un mauvais rêve.*

Les minutes s’écoulent alors qu’elle entend son cœur battre bien plus vite qu’il ne le devrait, signe de son mal-être - et surtout signe qu’elle sait bel et bien que Kendall ne s’envolera pas, malheureusement. Alors, c’est bien malgré elle qu’elle revient sur ses pas après avoir donné à tout le monde de quoi se réchauffer un peu les mains et du baume au cœur avec. Il y a des choses qui doivent être clarifiées, alors autant le faire dès maintenant, quitte à devoir jongler avec la présence quotidienne de Kendall à partir de maintenant. « Tu ne me parles pas, tu ne me regardes pas, et tu fais pas le malin parce que je te jure que je vais cacher ton corps à la morgue avec un faux nom sinon, c’est compris ? » Elle chuchote, non parce qu’elle craint des répercussions quant à ses paroles (tout le monde connaît son tempérament), mais surtout parce que personne ne sait qu’ils ont un historique et parce qu’elle ne veut pas que cela soit voué à changer. « Je vais te faire regretter d’avoir choisi Brisbane, Kendall. » Parce qu’il aurait pu choisir n’importe quelle autre ville du pays pour s’installer mais non, bien sûr que non.

Aujourd'hui est un jour que Ken redoute. Il n'a jamais été du genre phobique scolaire ou encore du genre qui allait constamment au travail à reculons mais il sait que la journée sera pénible. La première d'une longue série très certainement. Kendall a toujours aimé son travail, c’est en général un domaine où il s'épanouit pleinement et qui le passionne. Enfin c’est le cas quand il est à des années lumières de Charlie. Il sait pertinemment qu’elle bosse au commissariat de Brisbane. Il n’est pas au courant de son emploi du temps et il ne veut pas l’être mais il faut bien se rendre à l’évidence : le monde est petit. Le monde est petit, Brisbane aussi et la police encore plus. Il est presque impossible qu’ils ne se croisent pas un jour. Ce constat est déprimant mais ils n’ont pas le choix. Si ça ne tenait qu’à lui, le bouclé serait resté à Adélaïde où il vivait la belle vie. Revenir à Brisbane est une véritable punition, la présence de Charlie sur son lieu de travail c’est comme une allumette au milieu d’une pièce pleine de gaz : une menace latente. Il n’a pas peur d’elle, il sait que sous ses grands airs de femme forte elle reste fragile. Il la connaît par cœur : elle l’engueule, dit qu’elle n’a plus besoin de lui pour au final ramper à ses pieds. Donc Kendall ne la craint pas, il a pour projet de l’ignorer et de faire simplement ce pourquoi il est là : son travail.

Sa première journée de travail a débuté il y a peu. Il est dans les locaux depuis à peine une heure, ce qui lui a laissé le temps d’être accueilli par son boss. Pas besoin de faire une visite des locaux, le bouclé les connait déjà. Il connaît déjà les couloirs, le numéros des bureaux des collègues qu’il apprécie et il se souvient encore de la machine à café qui à l’époque ne méritait même pas son nom. Elle n’avait de café que le nom, les boissons qui en ressortaient étaient littéralement imbuvables. Peut-être a-t-elle été changée depuis le temps, mais il n’en est pas convaincu. Tout allait plutôt bien jusqu’à ce qu’il croise un groupe d'inspecteurs Un groupe où il reconnaît instantanément une voix fluette et une chevelure blonde qu’il ne reconnait que trop bien : Charlie, des cafés à la main. Fait chier pense-t-il. C’était inévitable, mais en même temps, Ken avait espéré qu’il aurait quelques jours de répit avant de la croiser. C’est raté pour avoir la paix pour aujourd’hui visiblement. Il fait comme s’il ne l’avait pas vue, l’ignorance est le meilleur des prix après tout. Charlie n’est visiblement pas du même avis puisqu’elle se dirige dans sa direction, l’air très remonté. « Le nouveau. Je t’ai pas compté dans le nombre de cafés. » Elle tourne aussitôt les talons et Ken ne peut pas retenir un petit rire jaune, elle a donné le ton. Elle veut faire comme s’ils étaient des inconnus, très bien, il s’en souviendra. Ken aimerait pouvoir mettre les voiles mais il attend son collègue qui discute avec un autre agent. Il prend donc son mal en patience en faisant bien attention à ne pas regarder Charlie, ou pire, croiser son regard. Pourtant et alors qu’il n’a rien provoqué elle revient. Mais qu’est-ce qu’elle veut encore ?. « Tu ne me parles pas, tu ne me regardes pas, et tu fais pas le malin parce que je te jure que je vais cacher ton corps à la morgue avec un faux nom sinon, c’est compris ? » Kendall a l’impression de se faire disputer comme un enfant. Plutôt ironique de la part de quelqu’un qui a la maturité d’un enfant qui ne sait pas ce qu’elle veut. « Je vais te faire regretter d’avoir choisi Brisbane, Kendall. »  Il ne peut pas retenir un petit rire silencieux quand elle en vient aux menaces : elle n’est absolument pas crédible. “En principe on dit bonjour, surtout quand on parle aux nouveaux Madame Fawcett.” Il répond d’abord avec un petit sourire provocateur. “T’es quand même contradictoire. Tu me demandes de t’ignorer, de te laisser tranquille mais de nous deux c’est toi qui vient me parler.” Il l’ignorait déjà avant qu’elle vienne lui faire son laïus ridicule. “Et j’éviterais les menaces si j’étais à ta place.” Ken a de bons contacts, il a gardé de très bonnes relations avec sa hiérarchie et il si la situation le nécessite un jour, il n’hésitera pas à aller voir leur hiérarchie pour se plaindre de Charlie. Il est donc plus prudent pour elle d’éviter de dépasser les bornes.

Il y a un écho. Il y a cette petite voix qu’elle entend, qui grésille, qui sonne faux. Elle la connaît par coeur, cette petite voix. Cette petite voix qui n’a rien de petite mais dont elle connaît pourtant toute la tonalité ainsi que la balance des graves et des aigus. Elle sait à quoi ressemble sa voix quand il est énervé, heureux, étonné, apeuré. Toutes les situations, elle les connaît, et c’est justement pour cette raison que Charlie refuse même de relever la tête en sa direction simplement pour s’assurer un peu mieux qu’il se fout de sa gueule. Pour ça, il n’y a besoin d’aucune confirmation d’aucune sorte, encore moins pour une personne telle que Kendall pour qui ce passe-temps s’est hissé au niveau d’une véritable institution. “En principe on dit bonjour, surtout quand on parle aux nouveaux Madame Fawcett.” Le chien aboie, la caravane passe. Anwar lui aurait sûrement dit quelque chose du genre et, de son côté, c’est de toute façon le précepte qu’elle décide d’appliquer sans s’être concertée avec qui que ce soit: la raison applique cette idée seule, et son coeur n’a pas intérêt de s’en mêler. Du haut des quelques centimètres qu’elle a de plus que lui, son seul véritable avantage que le temps et les aléas n’ont pas su altérer, elle plante dans ses comparses bleutées un regard noir. T’a pas intérêt est ce qu’elle lui fait comprendre sans un mot: il n’a pas intérêt à la chercher, et il n’a surtout pas intérêt à le faire dans un tel endroit. Charlie estime avoir posé les règles et limites de leur relation telle qu’elle l’est aujourd’hui et cela devrait être amplement suffisant, pour lui comme pour elle.

Mais Kendall, de son côté, semble avoir une vision différente de la situation. Encore une fois. “T’es quand même contradictoire. Tu me demandes de t’ignorer, de te laisser tranquille mais de nous deux c’est toi qui vient me parler.” - « Je te dis ce qu’il en est. Du reste, c’est fini. » Elle ne vient pas pour lui faire la discussion et elle estime avoir été assez claire dans ses mots pour qu’il ne puisse pas croire autrement. Ils ont essayé de repartir sur de bonnes bases, encore et encore, et l’heure est venue d’arrêter de passer leur temps à réparer les pots cassés. La trentaine approche, merde, ils doivent avancer et pour l’heure il faut bien avouer qu’ils n’en ont que très peu été capables. “Et j’éviterais les menaces si j’étais à ta place.” Cette fois-ci, elle rigole doucement. Elle le connaît assez pour savoir qu’il a des contacts, oui, mais elle a aussi connaissance de ses limites, tout comme du passe-droit qui est le sien: les crasses qu’ils se font connaissent leurs limites, elles aussi. « Tu comptes aller pleurer dans les jupes de ta mère ? Je me doutais que tu n’avais pas évolué, mais je pensais au moins que tu avais grandi. » Si elle était à sa place, elle éviterait aussi les menaces. Charlie n’a pas son carnet d’adresse, c’est un fait, mais elle est au moins installée au sein du commissariat et elle sait qu’elle compte autant de possibles soutiens que de personnes qui y travaillent, ou presque. S’il compte lui déclarer une guerre, il devrait avant toutes choses procéder à un état des lieux plus sérieux.

Et s’il compte prendre le temps de poser les choses, alors autant qu’elle en profite pour en faire de même de son côté. Après tout, il est question de nuits entières à y réfléchir, alors elle ne tombe pas des nues. « De toutes les villes de ce foutu pays t’aurais pu aller n’importe où, alors t’as pas intérêt de vouloir me faire croire que Brisbane est un hasard. » Et qu’il n’a pas un seul instant pensé revenir ici sans y associer l’idée de la reconquérir, lui qu’elle imagine encore vexé d’avoir subi leur dernière rupture plutôt que de l’avoir initiée. Rompre est une chose, se faire plaquer en est une toute différente, et c’est l’index qu’elle plaque dans le creux du plexus de Kendall qui s’applique à le lui faire comprendre. « Et si tu penses que toi et moi on va recommencer à jouer à quoi que ce soit, tu te mets le doigt dans l'œil Harding. » Pas de Kendall, encore moins de Ken. Un simple nom de famille pour qu’il se perde dans la masse, il ne mérite pas mieux. « Fais ton petit numéro aux autres, ça les occupera. » Qu’il batte des cils devant eux, joue au bon flic, use et abuse de son humour. Elle sait tout ce qui ferait craquer les femmes et questionner certains hommes quant à leur sexualité mais sur ce terrain, justement, elle a déjà bien assez donné.

Charlie qui est là et qui fait une scène ce n’est rien de très surprenant. Kendall savait avant de la voir qu’elle ne pourrait pas s’empêcher de venir lui parler. Cette scène ils l’ont jouée des dizaines de fois, c’est presque devenu banal : Charlie qui le plaque pour ensuite revenir lui parler avant de l’insulter de tous les noms pour finalement chercher à se remettre avec lui. Un genre de cycle infernal, un schéma qu’ils ont reproduit de trop nombreuses fois et Ken en est profondément lassé.  « Je te dis ce qu’il en est. Du reste, c’est fini. » Il la connait trop bien pour croire en ses paroles. Il hoche la tête avant de répondre d’un air détaché. “J’espère bien.” Il a assez donné de temps, d’efforts et d’énergie pour une relation avec elle qui ne mènera jamais nulle part. A presque trente ans il en a assez de vivre les montagnes russes avec quelqu’un comme elle. Il n’a pas non plus envie d’avoir une relation sérieuse, il veut simplement qu’on lui foute la paix. Kendall a toujours été quelqu’un d’indépendant, il n’y a rien de pire pour lui que de se sentir enchaîné quelque part avec quelqu’un. C’est d’ailleurs ce qui le pousse à trop traîner dans les bars et sur des applications de rencontres. Quand elle commence à le menacer de manière plutôt explicite l’ambiance devient sérieuse et Kendall ne plaisante plus. « Tu comptes aller pleurer dans les jupes de ta mère ? Je me doutais que tu n’avais pas évolué, mais je pensais au moins que tu avais grandi. » Il secoue la tête tout en regardant face à lui, évitant le regard de son interlocutrice. “J'ai pas parlé de ma mère. Je te dis juste de faire attention à ce que tu dis.” La mère de Kendall passe ses journées à s’occuper de son père. Elle reste à la maison pour le soutenir tout en gérant le patrimoine familial, de quoi bien l’occuper. Aller se plaindre à sa mère qu'il a arrêté quand il était ado, et dans la situation où elle est actuellement Kendall la solliciterait encore moins. Et puis il n’a pas besoin de ses parents pour aller porter plainte ou se plaindre à sa hiérarchie. « De toutes les villes de ce foutu pays t’aurais pu aller n’importe où, alors t’as pas intérêt de vouloir me faire croire que Brisbane est un hasard. » Il la regarde droit dans les yeux pendant qu’elle se lance dans sa tirade pleine de colère. Elle n’a pas changé, elle est toujours aussi égocentrique. Si elle croit que Ken est assez tordu pour déménager -encore- à l’autre bout du pays pour ses beaux yeux alors qu’elle l’a envoyé balader elle est vraiment perchée. S’il avait décidé à l’époque de mettre 2 000 km entre eux ce n’était pas pour ramper à ses pieds deux ans plus tard. « Et si tu penses que toi et moi on va recommencer à jouer à quoi que ce soit, tu te mets le doigt dans l'œil Harding. » Il n’affiche aucune réaction. De toute façon il est parfaitement inutile pour lui de lui répondre tant qu’elle n’a pas fini de vider son sac. Autant parler à un mur. « Fais ton petit numéro aux autres, ça les occupera. » S’ils n’étaient pas sur leur lieu de travail, Ken aurait sûrement répondu avec quelque chose de méchant. De parfaitement gratuit et volontairement blessant. Mais même s’ils parlent à voix basse, il craint que Charlie monte trop sur ses grands chevaux au point de créer un scandale. C’est son premier jour après tout, donc autant essayer de ne pas être au cœur des commérages dès le début. Au lieu donc de lui répondre qu’il n’a pas besoin de sa permission pour séduire et s’amuser, qu’il s’en sortait très bien tout seul et qu’il avait trouvé mieux qu’elle, il répond. “C'est bon t'as fini ? Non c'était pas un hasard, c'est vrai. Mais je suis pas venu pour toi, mets toi ça dans le crâne. T'es pas le centre du monde, Fawcett.” Le tout en la regardant droit dans les yeux avec un regard noir pour la convaincre de cette vérité : elle n’existe plus pour lui. Elle est descendue au rang d’inconnu pour lui et il a décidé depuis un moment de ne pas lui donner plus d’attention qu’une collègue lambda.

“J’espère bien.” Et bien sûr qu’elle se vexe qu’il accepte la finalité sans chercher à modifier quoi que ce soit. Elle se vexe qu’il ne veuille pas la reconquérir, ou même qu’il ne semble pas regretter tout le temps qu’ils ont passé ensemble. Pire encore, il semble heureux que tout soit bel et bien fini entre eux et qu’elle souligne à sa manière l’idée que les retours en arrière appartiennent au passé. Elle n’en pense pas moins, il ne faut pas s’y méprendre, mais bon sang qu’elle aurait voulu qu’il se batte pour deux, ne serait-ce pour flatter l’ego de la blonde. “J'ai pas parlé de ma mère. Je te dis juste de faire attention à ce que tu dis.” Éternel petit fils à maman qui ne supporte pas qu’on parle d’elle sans que ce soit forcément en bien, elle le reconnaît bien là. Sa remarque arrache un sourire cynique à la blonde, laquelle préfère toutefois ne pas rebondir sur ses propos et ne pas ajouter de l’huile sur le feu. Pas sur ce point en particulier, du moins, parce qu’elle ne se fait pas prier pour partager avec lui tout le reste d’une tirade particulièrement vindicatrice, animée par plusieurs années de reproches, disputes et non-dits. Avec lui, elle sait bien qu’elle n’a désormais plus rien à perdre et, surtout, qu’il n’y a plus rien à en tirer. Ils sont allés trop loin pour penser qu’ils pourraient encore réparer quoi que ce soit. Ce n’est pas à sa mère qu’elle en veut mais bel et bien à Kendall, sur une infinité de points différents.

“C'est bon t'as fini ? Non c'était pas un hasard, c'est vrai. Mais je suis pas venu pour toi, mets toi ça dans le crâne. T'es pas le centre du monde, Fawcett.” Elle rigole doucement, Fawcett. Ses mots ne sont que des mots tant elle n’arrive pas à croire qu’il est sincère. Il le pense peut-être, ça oui, mais elle le connaît assez pour savoir qu’il ne tiendra pas plus d’une journée dans le rôle de celui qui se moque éperdument d’elle et reste indifférent à son omniprésence. Cela ne se peut pas, et elle ne le pense pas par égocentrisme mais bien parce qu’elle le connaît bien plus qu’il ne voudrait l’accepter. « T’es pas une personne que je peux croire sur parole. » Il ment comme il respire, il chante les bons mots à ceux qui veulent l’entendre et en ont besoin. Elle ne peut pas le lui retirer: il est doué pour ça, au moins. L’art du mensonge est maîtrisé à la perfection, à n’en pas douter un seul instant. « C’est quoi ton excuse, donc ? Que je sache si t’as au moins préparé ton mensonge jusque là. » Et elle sait bien que oui, raison pour laquelle cette question n’est finalement pas réellement un piège. Il est assez intelligent pour avoir tout anticipé, lui qui déteste être pris de court mais, surtout, passer pour un con. « T’es pas le centre de mon monde non plus, Harding. On va bosser dans le même service et ça s’arrête là. T’as pas intérêt à vouloir te positionner sur mes affaires. » Anwar est son binôme, Anwar est celui avec qui elle veut travailler. Kendall, par dessus tout, est celui qu’elle ne veut pas avoir à contacter pour parler boulot, ni même pour parler de quoi que ce soit. Tout ce qu’elle veut, au fond, c’est que les barrières soient rappelés et qu’elles soient bien claires pour tout le monde mais surtout pour lui.

Ken était bien naïf de croire qu'il pouvait passer sa première journée de travail en évitant l'ouragan Charlie. Il avait tout de même espéré ne pas la croiser et jusqu'à ce matin il avait encore espoir qu'elle ait changé. Ken espérait qu'elle l'ignore, qu'elle fasse comme s'il n'existait pas sans lui chercher de problèmes. Mais c'est trop demander. Encore une fois Charlie lui saute à la gorge en l'assistant de questions et de menaces. Ken lui répond seulement parce qu'il sait que sinon elle ne le lâchera pas. S'il avait été question de quelqu'un d'autre il aurait sûrement continué son chemin en ignorant complètement les attaques de son interlocutrice. « T’es pas une personne que je peux croire sur parole. » Le bouclé esquisse un sourire amusé. Charlie qui lui fait la morale c'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité. C'est typique de Charlie ça : prétendre être l'héroïne de l'histoire, la biche blessée qui n'a jamais cherché de problèmes. C’est une personne qui aime qu'on la plaigne et qu'on lui porte de l'attention, et ça, Ken ne le supportait pas. "Oh oui bien sûr et toi t'es une sainte peut-être ?" Ken la connaît par cœur, ils ont grandi ensemble il connaît donc ses défauts, les erreurs qu'elle a pu commettre, il refuse donc d'être le seul méchant de l’histoire. Après tout, c'est elle qui l'a plaqué sans de véritables explications alors qu'elle lui avait promis de toujours être à ses côtés. C'est elle qui a brisé la relation de confiance bancale qu'ils étaient en train de construire. Alors l'entendre parler de confiance c'est pour lui plus qu'hyprocrite. « C’est quoi ton excuse, donc ? Que je sache si t’as au moins préparé ton mensonge jusque là. »  Elle aura beau le harceler elle ne saura rien. La situation de santé de son père était un sujet tabou. "Ça te regarde pas. Je te dois absolument rien, j'ai pas à me justifier t'es pas ma boss." Personne dans son entourage n'était n'était courant. Personne à part sa hiérarchie qui avait validé sa mutation. En effet, pour justifier sa mutation à très court terme, il avait parlé de sa situation familiale. Sinon  personne n'est courant et ce n'est pas prêt de changer. Ken a toujours eu à cœur de séparer sa vie privée et professionnelle. Ce n'est pas le genre de collègue qui raconte des détails de sa vie privée à la machine à café. C'est quelqu'un de discret qui n'a pas envie que l'on connaisse ses failles et ses faiblesses. Il est donc hors de question qu'il parle de ça avec elle, encore moins devant tout le monde. « T’es pas le centre de mon monde non plus, Harding. On va bosser dans le même service et ça s’arrête là. T’as pas intérêt à vouloir te positionner sur mes affaires. » Pour Kendall, cette discussion est une perte de temps, Charlie se répète. Elle insiste encore et encore alors que le sujet n'existe même pas. Quand elle est arrivée, il l'a complètement ignorée et il aurait continué de le faire si elle n'était pas venue le déranger. Les regards de certains de leurs collègues se tournent vers eux discrètement. Leur conversation commence à devenir suspecte à cause de leurs traits fermés et Ken ne veut pas que certains soupçonnent quelque chose. Personne ne doit savoir que Charlie et lui ont un passif plutôt houleux. "Charlie tu commences à me gonfler. Depuis tout à l'heure tu t'excites toute seule. Je dis rien, je veux pas d'histoire ou te parler et tu t'inventes un scénario tordu où je reviens pour toi ? Pour te faire chier, tomber à tes pieds ou une connerie du genre ? Tu crois vraiment que j'ai envie de bosser avec toi ?? Mais redescends sur terre"

"Oh oui bien sûr et toi t'es une sainte peut-être ?"
« En comparaison de toi, oui, quelque chose comme ça. »

Ou tout du moins, c’est ainsi qu’elle aime croire les choses, parce que Kendall n’a pas tort en l’accusant de ne pas être une sainte: elle n’en est pas une. Même en le comparant à lui, elle n’en est toujours pas une. Ils ont tous les deux leurs défauts, plus ou moins semblables, plus ou moins importants, mais aucun ne pourrait décemment prétendre à ce titre de Saint. Ce serait un véritable blasphème. "Ça te regarde pas. Je te dois absolument rien, j'ai pas à me justifier t'es pas ma boss." Elle redresse le menton après qu’il ait refusé de lui donner les raisons de son retour. Bien qu’elle s’y attendait, cela ne change pourtant rien à la frustration qu’elle ressent férocement, ainsi qu’à une certaine forme de déception. Malgré son approche agressive, une partie d’elle continuait à espérer que tout allait s’arranger, qu’il formulerait des excuses (pour quoi, elle ne le sait même plus) et qu’ils accepteraient de se donner une nouvelle chance maintenant qu’ils sont deux adultes raisonnés. Quelque chose comme ça, et si on pense qu’elle n’a pas créé mille scénarios différents et qu’elle s’est contentée d’une vague interprétation de leurs retrouvailles, ce serait bien mal la connaître. Néanmoins, aucun de ses scénarios tournait aussi court. « Evidemment. » Elle souffle, un faux sourire amer accroché à ses lèvres.

"Charlie tu commences à me gonfler. Depuis tout à l'heure tu t'excites toute seule. Je dis rien, je veux pas d'histoire ou te parler et tu t'inventes un scénario tordu où je reviens pour toi ? Pour te faire chier, tomber à tes pieds ou une connerie du genre ? Tu crois vraiment que j'ai envie de bosser avec toi ?? Mais redescends sur terre" La blonde n’aime pas être prise à son propre jeu, évidemment, mais elle aime encore moins qu’il redéfinisse les règles de ce dernier. Il la connaît parfaitement et il sait comment la rendre folle sans même faire d’efforts. A travers les âges, cela a toujours merveilleusement bien fonctionné. Elle se mord l’intérieur de la joue à en goûter le fer, le tout sans même s’en rendre compte. Son regard se perd dans le bleu de celui de Kendall, qu’elle n’a jamais su détester autant qu’aimer. « Tu vas pas tenir une semaine sans me parler. » Elle veut être le centre de son attention, elle veut être la seule et unique raison de son retour. Elle veut que tout soit comme avant, en enlevant simplement ce qui ne lui plaisait pas (beaucoup de choses, donc). « Mais vas-y, essaye. Fais toi plaisir Kendall. » Elle ouvre les mains face à elle et lui présente un monde imaginaire d’immenses possibilités. Qu’il se fasse plaisir, donc. Qu’il fasse son travail, ou tout du moins qu’il essaie. Après tout, elle ne demande qu’à voir. « Personne a à savoir pour nous deux au poste, c’est bien compris ? » Il n’a pas intérêt à distiller des anecdotes sur ses heures de pause.

« En comparaison de toi, oui, quelque chose comme ça. » Kendall hausse un sourcils, pas franchement convaincu par ce que Charlie lui a répondu. Elle essaie toujours de le faire passer pour le grand méchant de l'histoire et c'est usant. Oui il n'a pas toujours été correct dans le passé, il ne sera sûrement pas irréprochable dans le futur mais passer pour l'unique coupable agace le bouclé. Charlie aussi a ses casseroles qu'elle passe toujours sous silence. Kendall préfère ne pas relever, il sait qu'il est inutile de se fatiguer à discuter avec Charlie. Si elle est persuadée d'avoir raison c'est comme s'il parlait à un mur. Il répond cependant aux questions, pour ne pas dire à l'interrogatoire qu'elle lui fait subir. Il reste cependant fermé et muet sur les raisons qui l'ont poussé à revenir à Brisbane, prenant toutefois soin d'insister que Charlie ne fait pas partie de ses motivations. Elle aurait pu l'être à une autre époque. « Evidemment. » Elle aurait pu l'être si elle ne l'avait pas largué, pas comme ça du moins. Ken a énormément tenu à elle mais son égo et sa rancœur sont plus grands. Revenir aux pieds de Charlie comme ça ce serait comme prendre sa dignité et la mettre à la poubelle et il a trop d'estime de lui-même pour faire ça. « Tu vas pas tenir une semaine sans me parler. » Il ne peut pas retenir un petit rire, si elle est persuadée de ça, alors elle va vite déchanter. Bien sûr qu'il garde un œil sur elle quand elle a le dos tourné, c'est plus fort que lui il ne pourrait pas s'empêcher de le faire. Mais toujours très discrètement et cette fois sans l'intention d'essayer de la récupérer. Il a partagé trop de choses avec elle pour simplement faire comme si elle n'existait pas. “T’es pas croyable…” Il marmonne en secouant la tête en signe de désapprobation. Le culot de Charlie ne cessera donc jamais de l’étonner. Elle ose lui répondre ça alors que c’est elle qui est venue lui parler. Une incohérence qui ne surprend pas vraiment Ken. « Mais vas-y, essaye. Fais toi plaisir Kendall. » Elle est en train de le provoquer et elle le sait pertinemment. Il croirait entendre sa mère lui faire la morale. Plus elle lui lancera des phrases comme ça qui sonnent comme des défis et plus il s’y tiendra, juste pour que ça lui fasse les pieds. Parler à Charlie en la croissant risque sûrement de le démanger mais il est têtu, bien plus qu’elle. “Et toi je te promets que tu seras déçue et que ça te fera chier de voir dans une semaine que t’avais tort et que je cherche pas à te parler.” Charlie, sa grande imagination et son main character syndrom seront vite déçus en voyant que la vie continue pour Ken sans elle. « Personne a à savoir pour nous deux au poste, c’est bien compris ? » Cette discussion a assez duré, des regards se posent sur eux et il est temps d’éviter de créer des commérages en y mettant fin. “C’était prévu.” Son mug à la main, il se redresse, prêt à aller se servir un café à la machine. Ou plutôt du jus de chaussette s’il est toujours aussi infect. Dans tous les cas il sera toujours plus agréable et réconfortant que cette discussion avec Charlie. “Tu bloques l’accès à la machine à café.” Il lui dit d'un air détaché comme pour lui montrer que la discussion qu'ils viennent d'avoir ne lui fait ni chaud ni froid. C’est fou à quel point elle a le chic pour se trouver en plein milieu de son chemin, tout le temps et partout. Ce sont les derniers mots qu’il adresse à Charlie ce jour-là. Après l’avoir contournée pour se servir un café il ne s’attarde pas, il ne prend pas le temps de discuter avec ses autres collègues et préfère retourner dans son bureau. Même s’il se fiche royalement des pseudo menaces de Charlie, la revoir l’a fait monter en pression, elle lui a gâché sa journée, encore une fois.

(fin)