Le ciel est tellement beau que j’ai dû m’y reprendre à plusieurs reprises pour me rappeler que je dois respirer. C’est idiot, d’accorder autant d’importance à une aquarelle de nuages, de bleus, de roses et de tout ce qui se trouve à travers. Les yeux rivés vers là-haut, j’essaie de mémoriser les codes, de retenir les nuances, de les teinter dans ma tête. Je cherche les combinaisons, j’essaie de composer simplement avec ma mémoire les reflets, pas encore tout à fait prête à sortir mon carnet. C’est quelque chose que j’ai appris, là-bas, à prendre tout le temps qu’il faut avant de faire quoi que ce soit d’autre. On ne nous pressait pas, jamais. On nous laissait l’espace qu’il fallait, on rôdait à peine. J’étais seule avec moi-même et avec mon art. Seule, mais tellement pleine.

Le parc lui, vit au ralenti. Il se remplit au fil des heures qui passent, sans aucune surprise tellement la journée est belle. Les rires des gamins résonnent entre les modules de jeux, l’écho de leurs petits pas qui se précipitent sur les galets résonnent bien plus fort que n’importe quel oiseau perché dans les branches des immenses arbres qui nous entourent. Je dis nous, mais je n’ai pas arrêté d’être seule depuis que je suis venue me poser sur ce banc. Ce banc qui craque à peine, lorsque je replace mes jambes, finissant enfin par fouiller à travers les éléments pêle-mêle dans mon sac pour y trouver un crayon, du papier. Swann commence à respirer un peu mieux, lorsque je lui dis que j’ai besoin d’air, que je veux juste aller marcher un peu. Je sais que c’est ma faute, je sais que c’est moi qui est en cause de tout ça, peu importe ce que ça peut vouloir dire - mais il y a quelque chose de surprennament libérateur de savoir que quelqu’un, à quelque part, m’attend. C’était un sentiment que j’avais oublié, il y a à peine un mois de ça. Qu’on pouvait s’ennuyer de moi, qu’on pouvait avoir envie que j’entre dans une pièce, pas seulement pour montrer mes toiles ou pour parler des heures durant d’un nouveau projet de photographie. Quelqu’un peut simplement vouloir que je sois installée sur un sofa à ses côtés, en silence, à boire lentement un café et à respirer en souriant. C’est étrange. C’est doux.

Évidemment, les rires piquent un peu plus qu’à l’habitude. Les choses ne sont pas faciles, avec Ezra et Auden. Elles ne le seront pas pour encore très longtemps à mon sens, au point où je comble les vides du mieux que je peux, un trait de crayon, un coup de pinceau à la fois. La mine gratte sur le papier, les mèches qui me barrent la vue finissent en un chignon réalisé à la va vite mais avec autant de naturel que ce à quoi on peut s’attendre, vu le nombre faramineux de fois où j’ai fait l’exact même geste, sur cet exact même banc, dans cet exact même parc. Les rires piquent surtout lorsqu’ils ressemblent de plus à plus à ceux de mon fils. Ils y ressemblent tous. Les visages, les silhouettes, les yeux, les voix. Passer deux ans sans le voir rend tous les enfants identiques à lui, maintenant. Je le vois partout. Je le vois dans ces gamins qui se cachent derrière les arbres, je le vois dans ceux qui se disputent un saut de sable sous cette glissade. Je le vois qui fait des longueurs à la course d’un bout à l’autre du parc, je le vois se précipiter à mes côtés, un jouet de bois entre les doigts, un immense sourire sur les lèvres. C’est pourtant bel et bien lui, parmi tous ses clones, qui est maintenant à moins d’un mètre, tout droit tout fier, les yeux plongés dans les miens. Je le reconnaîtrais entre mille, le vrai. Tout en moi brûle de le prendre dans mes bras, tout en moi se retient en sachant très bien qu’Auden va finir par apparaître d’une seconde à l’autre pour décider, pour analyser ce que je ferai, ce que j’ai le droit de faire.

Probablement ce pourquoi les mots se précipitent sur mes lèvres, un chuchotement que seulement lui et moi entendront, avant que son père vienne juger de toutes les pires intentions qu’il doit bien vouloir m’attribuer depuis que j’ai fait l’erreur de ne pas être morte, véritablement.  «  Je t’aime, Sloan.  »


@Megan Williams

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

Cela ne me dérange pas, de m’occuper de Sloan. Ma relation avec son père est entièrement inexistante mais il est du même sang que Damon, alors ça a de l’importance à mes yeux. Il me fait de la peine aussi, même si je ne l’avoue pas à voix haute, même si je ne le laisse pas le lire dans mes yeux de peur qu’un jour il l’interprète comme de la pitié ; je sais combien elle peut être désagréable, amère, dévastatrice. Je n’ai pas pitié de lui, je ne le vois pas comme un petit oisillon tombé du nid duquel il convient de s’occuper. En revanche, je me targue d’être capable de comprendre ce qu’il ressentira en grandissant sans sa mère à ses côtés. Sloan n’est pas moi, Sloan semble avoir un père parfaitement à même de s’occuper de lui et même au-delà d’Auden, il a des gens pour qui ils compte, mais il reste un petit garçon qui méritait mieux.

Je crois qu’il m’aime bien. Je crois qu’à ses yeux, Damon et moi ne sommes pas tout à fait des adultes et sommes encore dans son camp, que nous appartenons encore à son monde, il nous regarde tous les deux avec des yeux brillants ne s’adresse pas à nous comme il s’adresse aux adultes, parfois un peu timide en notre présence. Je crois aussi qu’il a besoin de représentation féminine dans son entourage et dans sa famille et, même si je ne suis qu’une pièce rapportée, c’est certainement ce que je suis à ses yeux. Une fille, une femme, douce comme sa maman, avec des cheveux longs comme sa maman. Pour toutes ses raisons, et parce que sous notre garde à Damon et à moi il vit toujours de formidables aventures composées de journées au parc aquatique, au zoo ou au parc à l’entrée des chemins de la mangrove. Cet après-midi, il est avec moi puisque Damon avait des cours obligatoires à l’université et, ce soir, nous prévoyons déjà tous les deux de faire les yeux doux à mon époux pour qu’il accepte de faire de la pâtisserie avec nous, puisque le petit garçon voudrait manger des pancakes, des cookies et un brownie, tout ça à la fois. Damon se débrouillera : moi, je n’ai pas le coeur à lui dire non.

Consciente de la responsabilité qui m’incombe, je l’observe jouer avec les enfants de son âge. Je l’attends en bas du toboggan lorsqu’il en descend, je fais tourner le tourniquet vite comme il le veut avec un soupçon de responsabilité en plus. Lorsqu’il me dit qu’il a faim, je lui demande de ne pas bouger et me diriger vers le sac que j’ai abandonné sur un banc pour aller chercher son goûter. Je ne le quitte pas plus des yeux que s’il était mon gamin ; la famille Williams n’a pas besoin d’un drame ou d’un scandale de plus et je n’ai pas l’intention d’être à l’origine de la perte du petit garçon. « Tu bouges pas Sloan, j’attrape les gâteaux et je reviens ! » Je le lui crie, et en guise de réponse il me présente ses deux pouces en l’air. Amusée, je secoue la tête en riant mais, lorsque je l’aperçois s’approcher de ce qui ressemble de là où je suis à une jeune femme brune, je fronce les sourcils. Le danger ne semble pas de mise, mais je ferme malgré tout vite le sac à dos sans quitter le petit garçon des yeux, avant d’accélérer le pas pour m’approcher dans la direction du frère de Damon. « Sloan, n’embête pas la dame s’il te plait. » Je lui souffle l’ordre avec douceur et pédagogie, attrapant ses petits doigts entre les miens pour sécuriser la situation. C’est une fois seulement que je l’ai fait que je relève mes yeux vers la dame, qui ne m’est pas inconnue. Mes échanges avec Ginny Williams avaient avant sa disparition été rares, inexistants même, mais elle hante les photos de famille et j’ai une bonne mémoire des visages. « C’est une blague ? » Je sers un peu fort la main du petit garçon avant, et ma main libre se pose sur le sommet de son crâne, sur ses cheveux fins. « Qu’est ce que vous faites ici ? » Son mari sait-il qu’elle est de retour ? Vais-je avoir des ennuis parce qu’elle vu Sloan ? Cette rencontre est-elle un parfait hasard ?
 

C’est une question de secondes, et chacune d’entre elles est plus précieuse que la précédente. Sloan retournera dans les bras d’Auden dès qu’il verra que je suis là, il inventera une excuse bourrée de paillettes et de bon pour Sloan, et ils partiront tous les deux aussi vite que possible dans un nuage de fumée et de non-dits. Parce que ce n’est qu’Auden qui décide quand je peux voir Sloan. C’est lui qui approuve, c’est lui qui décide si je suis une assez bonne chose pour lui, et ça va, c’est logique, il fait au mieux. Je n’ai rien à pardonner ou à négocier, j’encaisse comme il faut si bien le faire.

Une seconde ce sera, alors. Et ensuite Sloan peut y aller, il peut retourner à sa vraie vie, quitter l’aparté d'une mère floue qu’il reconnaît strictement qu'à cause des photos. Absolument rien d'autre. Ils ont été clairs, tous, là-dessus. « Sloan, n’embête pas la dame s’il te plait. » celle qui dédie son attention et ses gestes uniquement qu’à Sloan, c’est Megan. La femme de Damon. Je la reconnais plus vite que bien des visages brouillés croisés depuis mon retour, comme si le fait de l’avoir moins côtoyée que tous les autres la rendait plus accessible, plus claire, limpide. Elle n’est pas teintée de tous les souvenirs que je dois me repasser en boucle constamment, face à Ezra, à Auden ou même à Swann, dans l’espoir que je puisse leur confirmer que c’est bel et bien moi, leur prouver que je ne repartirai pas. Leur fournir des preuves, être prête à répondre à leur questionnaire interminable dès que j'ouvrirai la bouche pour confirmer que c'est bien moi. Que ce n'est que Ginny. Megan a eu si peu de moments avec moi que les canevas ne sont pas complexes, ils s’empilent aisément, ils sont légers, ils - « C’est une blague ? » ils contre-attaquent. J’aurais pu soupirer. J’aurais peut-être même dû. Lui laisser savoir que les discours ont déjà eu lieu, que l’horaire a été suivi à lettre, que tout le monde a eu accès aux explications qu’ils ont réclamées avec insistance mais qu’ils ont balayées du revers de la main dès qu’elles ont été données. J’ai tout dit, j’ai tout répété, j’ai mêlé les secrets et toutes les interdictions au reste et encore, toujours, ils ont fait la sourde-oreille. J’ai déjà la gorge sèche sans avoir dit le moindre mot.

« Qu’est ce que vous faites ici ? » « Je dessinais. » l’option qu’elle croit que je les ai suivis, que j’ai orchestré une rencontre inconnue ne m’effleure même pas l’esprit. Peut-être qu’elle y songera, elle. Qu’elle croira que je mets tout en place pour multiplier les moments avec mon fils, maintenant qu’il est si proche que je peux le sentir, dans n’importe quelle brise de vent. Ce serait héroïque, presque louable quand on y pense. Que je prenne action, que je bouscule le rythme, que je m’impose - ce ne serait pas moi. J’ai promis d’y aller pas à pas et je n’en dérogerai pas. Je n’ai pas de discours de prévu pour ce volet-là, je fais confiance. J’ose faire confiance à Auden à ce sujet, lui qui a cassé tous les ponts pour tout le reste. En ce qui concerne Sloan, je sais qu’il sera assez objectif pour ne voir que le gamin dans l’équation, et pour se caler à ce qui doit être le mieux pour lui.

Le mieux pour lui ne serait sûrement pas de voir sa tante devenir de plus en plus nerveuse, sa main se resserrant autour de celle de Sloan dans un élan de possessivité que je lui comprends. Que je l’aurais remerciée d’avoir même, si j’avais été celle qui l’avait mandatée de passer l’après-midi avec mon fils. Dans une autre vie, peut-être que la surprise de me trouver sur un banc aurait suffit à chasser la brève inquiétude de voir Sloan courir vers une inconnue. Dans cette vie-ci, c’est dans un soupir que j’essaie de maîtriser le mieux possible que je reconnais sagement ma place, terrifiée que les échos de cet après-midi suffisent à ce qu’Auden décide que Sloan est mieux, véritablement mieux sans moi. « Je peux partir, je ne voulais pas que tu sois mal à l’aise. » je peux veut dire je vais, mais j’ai appris à utiliser un lexique qui ne suggère pas que je vais m’en aller et disparaître à nouveau. Il faut réfléchir chaque mot, comprendre chaque sens. Il faut répéter la phrase quelques fois, dans ma tête, pour être certaine qu’elle ne signifie pas autre chose et que son double-sens n’allumera pas les foudres. Je peux, mais j’ai tout de même la sangle de mon sac sur l’épaule.

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

Si mon apparence physique peut parfois me faire passer pour une écervelée et une irresponsable – autant que pour une femme somme toute assez superficielle – il n’en est rien en vérité. Investie de la mission de m’occuper de Sloan, je la prends avec le plus grand des sérieux. Grandir en foyer ou en famille d’accueil, c’est d’abord être le plus petit dont les grands s’occupent, puis inverser les rôles. Je me suis occupée de plus d’un gamin qui n’était pas de la même famille que moi, j’ai rassuré plus d’un tout petit qui peinait à s’endormir parce que ses parents lui manquaient sans être vouée à jamais le revoir. J’ai certainement bien plus d’instinct maternel que la plupart des jeunes femmes de mon âge qui, à même pas vingt-cinq ans, ont bien d’autres chats à fouetter. Mes rêves ont vite comporté des enfants, les miens, le souhait d’en avoir à qui je pourrais offrir une autre vie que la mienne et un cercle familial rassurant et équilibré. Est-ce que tous les enfants maltraités par la vie partagent tous le rêve d’avoir la chance un jour de faire mieux que leurs parents ?

Est-ce que Sloan, Abel et les petites jumelles de Saül développeront le même genre de souhaits pour l’avenir ? Arriveront-ils au contraire à se construire de façon équilibrée malgré le bordel qu’est leur début de vie ? Malgré l’abandon, de tous les côtés ? Je crois que c’est pour cette raison que je ne ressens aucun sentiment positif pour la brunette qui me fait face. On la disait disparue. Mais avant ça, elle est partie en laissant deux enfants derrière elle, sans se soucier de combien leur maman allait leur manquer. Et maintenant qu’elle est là, face à moi, en vie et visiblement en bonne santé, j’ai du mal à imaginer quelle peut-être son excuse pour n’avoir donné aucun signe de vie pendant autant de temps. « Je dessinais. » Elle dessinait. Aussi simple que ça. Les lèvres entrouvertes sous le coup de la surprise, je ne sais pas bien quoi lui répondre. Si Auden avait connaissance du retour de la mère de son fils, il nous en aurait parlé avant de nous le confier, non ? Si pas à moi pour qui il n’a pas énormément de considération, au moins à Damon. Je doute qu’il ait envie de partager la moindre chose avec moi, tout comme je sait qu’il ne doit pas avoir le sentiment qu’il nous doit la moindre explication, mais ne nous aurait-il pas mis en garde ? Ne nous aurait-il pas donné des consignes quant à l’attitude à adopter si nous tombions sur son ex ? « Je peux partir, je ne voulais pas que tu sois mal à l’aise. » Elle a déjà son sac sur l’épaule, d’ailleurs. Sauf que Sloan échappe à ma main posée affectueusement sur le sommet de son crâne pour aller s’accrocher à la jambe de sa mère. Il pleure et lui demande, avec des mots d’enfants, de ne pas partir déjà. Mon cœur se brise, et je m’agenouille auprès du petit garçon dont j’attrape l’avant-bras avec douceur. « Pleure pas s’il te plait, on va juste discuter, Ginny - » Je ne sais pas s’il convient de dire ta maman pour l’équilibre du petit garçon. « - et moi. Elle part pas tout de suite. » Elle n’a plus le choix maintenant que je l’ai annoncé au petit garçon. Je ne suis pas ravie de la voir, et je ne suis pas non plus persuadée que notre rencontre soit tout à fait fortuite, mais je ne serai pas la personne qui arrache un enfant qui pleure accroché à la jambe de sa mère. Il s’agit d’une scène que j’ai déjà vécue, j’y jouait un autre rôle, et j’ai détesté de toute mon âme la personne qui m’a arrachée aux bras de ma mère qui suppliait de ne pas m’emmener. J’attrape la main de Sloan pour qu’il se détache, mais sans le forcer à se reculer de trop. Je sécurise simplement ma prise sur le garçon pour pouvoir être réactive et l’emmener si je le juge nécessaire et, lorsque je m’adresse à Ginny, je le fais à voix basse pour qu’il ne m’entende pas. « Vous nous avez suivis ? Pour pouvoir le voir ? » Je déteste l’idée d’avoir été potentiellement identifiée comme cible facile – la petite sotte écervelée qui sert d’épouse à Damon – pour faire ce qu’elle ne serait pas en droit de faire. « Son père est au courant ? Est-ce que vous avez seulement le droit de le voir ? » Le petit Sloan, qui mange le biscuit que je lui ai fourré dans la main en regardant sa maman avec deux grands yeux ronds.

Ce n’était même pas un choix de mots qui suggérait un départ sans équivoque, pourtant Sloan le voit évidemment comme cela. Mon coeur se brise pour la dixième fois aujourd’hui, la routine, de voir que même dans le simple geste de me lever pour passer la sangle de mon sac sur mon épaule mon fils imagine déjà que je vais partir pour de bon, à nouveau. Il y a tout un monde à reconstruire, et j’ignore si qui que ce soit en face a autant l’énergie que la patience de me laisser le faire, pièce par pièce. « Pleure pas s’il te plait, on va juste discuter, Ginny et moi. Elle part pas tout de suite. » Megan redouble de douceur, fait tout ce qu’il faut, le ton adorablement rassurant envers Sloan. Je n’ai pas souvenir qu’elle et Damon aient mentionné vouloir être parents avant mon départ. Mais c’était il y a deux ans et des poussières, maintenant. Les choses ont peut-être changé. Elle ferait une maman incroyable. « Vous nous avez suivis ? Pour pouvoir le voir ? » ses questions piquent, mais elle les pose avec une voix si désabusée que Sloan n’y voit que du feu. Il a des miettes qui s’étale de chaque côté de ses joues, gamin appliqué à dévorer un biscuit qui sent la vanille et la banane jusqu’ici. Je n’ose pas faire un mouvement vers lui pour lui nettoyer la peau, de peur que Megan le voit comme une provocation de plus. « Son père est au courant ? Est-ce que vous avez seulement le droit de le voir ? » pendant une seconde, je me demande vraiment si répondre à ses questions est une bonne idée. Les gens qui m’ont accueillie avec des questions sans fin n’ont jamais pris la moindre seconde pour écouter véritablement mes réponses, ou au moins pour tenter de peut-être me croire. Personne ne m’a laissée le bénéfice du doute, personne n’a pris ce que j’ai pu leur dire pour la vérité. Il reste encore et toujours un doute, même avec Swann, je sais. Il reste toujours des éléments auxquels ils ne peuvent s’empêcher de me confronter.

« Je n’ai suivi personne, c’est un endroit où je venais souvent, avant. » déposant mon sac sur le banc, je vois au passage les épaules de Sloan se relaxer. Comme si le simple geste venait de lui donner une poignée de minutes supplémentaires avant de croire qu’à nouveau, sa mère veut volontairement l’abandonner. « J’ai des tas de toiles comme preuves, si jamais. Des photos aussi. » évidemment, je n'ai pas de canevas sous le bras, mes cahiers sont restés dans mes affaires chez Swann et mes photographies sont affichées dans quelques galeries de la ville, à trouver lesquelles. Mais si Megan souhaite vraiment se rassurer, elle pourrait faire une petite recherche sur le web et constatera bien que la vue, spécifiquement de ce banc, est quelque chose que j’ai reproduit des tas de fois sur différents médiums au fil du temps. L’ironie étant que c’était Auden, le premier, qui m’avait montré l’endroit. « Auden sait que je suis revenue. » parlant de lui. Il est au courant, de nous deux elle est bien celle qui n’a pas le moins du monde besoin de craindre son courroux. Moi, par contre, c’est pas tout à fait ça. « C’est lui qui décide, quand je peux voir Sloan. » et je n’ai pas du tout l’intention de lui en vouloir ou de le salir de prendre ce rôle. Au contraire, c’est quelque chose qui me sécurise, qu’il agisse ainsi pour le bonheur de Sloan, pour sa sécurité. Depuis que je suis revenue de là-bas, il y a tellement de trous, tellement de miettes, tellement d’incompréhensions et de non-dits ; le garde-fou d’Auden, c’est un peu l’assurance que peu importe ce qui arrivera jamais Sloan n’aura mal de nouveau à cause de moi. « S’il apprenait que j’étais là, même si c’était une coïncidence, je sais pas ce qu’il ferait… » et ce n’est pas dit très fort, à peine Megan pourra-t-elle l’entendre. C’est plutôt pour moi, que je fabule, les doigts qui se resserrent les uns sur les autres. S’il doutait une seconde que je voulais aller contre lui, probablement que plus jamais Sloan ne serait une option pour moi. Alors que j’ai tellement tenté de bien faire mes devoirs et d’éviter tous les endroits où Auden me disait être avec Sloan, s’il ne m’y invitait pas expressément depuis mon retour. « Je veux pas te mettre mal à l’aise. Je suis désolée d’avoir dérangé votre journée. » c’est bien ça le pire, au final. Qu’ils aient eu un plan en tête, que Megan semblait particulièrement être heureuse aux côtés de Sloan, et qu’encore une fois, j’ai tout gâché. « T’es vraiment douée avec lui. » pour ce que ça vaut, venant de moi.

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

Je ne suis pas taillée pour rester de marbre face à la détresse d’un enfant de l’âge de Sloan, je ne suis pas taillée pour rester de marbre face à la détresse de n’importe quel enfant, d’ailleurs. Un parent absent qui est la source de tous les maux est malheureusement trop souvent également la seule chose capable de les apaiser et j’en sais quelque chose : j’ai détesté ma mère de tout mon coeur pendant des années mais, malgré tout, j’étais prête à tout et à chercher des milliers de stratagèmes pour éviter que l’assistante sociale ne m’emmène. Ma mère avait beau être saoule, défoncée et irresponsable, je me sentais toujours plus à ma place dans notre appartement miteux que dans les belles maisons des familles d’accueil qui me recueillaient.

Alors quand Sloan pleure, il n’y a à mon sens qu’une seule chose à faire : demander à Ginny de rester pour qu’il ne se sente pas abandonné. Plus grand, il la détestera peut-être mais, pour l’instant, il a besoin de sa mère qu’il a visiblement récemment retrouvée. Depuis combien de temps ? Damon est il au courant ? Je pense que non, qu’il m’en aurait parlé le cas échéant, surtout étant donné que je devais garder Sloan. « Je n’ai suivi personne, c’est un endroit où je venais souvent, avant. » Je ne suis pas plus taillée pour avaler des couleuvres que pour faire volontairement du mal à un tout petit et je suis bien trop méfiante pour croire à une coïncidence aussi grande que celle là. Qu’elle aime l’endroit passe encore, mais qu’elle s’y trouve exactement le même jour que nous et à la même heure que nous ? Quelqu’un de calculateur m’aurait facilement identifiée comme le maillon faible du clan Williams, la plus à même de la laisser profiter de son gosse et, ça aussi c’est trop pratique. « J’ai des tas de toiles comme preuves, si jamais. Des photos aussi. » - « Ça prouverait rien à mes yeux, vous fatiguez pas. » Qu’elle les garde, ses alibis. Je suis une gamine - jeune femme - trop méfiante de nature.

« Auden sait que je suis revenue. » Une bien étrange famille que celle que j’ai épousée, le genre où on ne dit rien, où chacun affronte ses épreuves dans le plus grand des secrets et sans un mot pour son clan. La filiation de Damon est resté un secret pendant des années, une vingtaine d’année, les violences qu’il subissait un sujet tabou et, à présent, Ginny appartient elle aussi à ces faits que l’on range au fond d’un tiroir. Le destin est étrange puisque j’avais tout pour être la dernière arrivée mais la première dehors, et pourtant me voilà encore au bras de Damon, sur le point de me remarier avec lui pour de vrai cette fois. « C’est lui qui décide, quand je peux voir Sloan. » -  « C’est lui qui décide quand vous pouvez voir Sloan et donc vous êtes là. » Très honnètement, c’est ce que j’aurais fait à sa place, de parier sur la toute jeune tante, la pièce rapporter pour pouvoir voir à tout prix mon gamin. Mais je ne suis pas à sa place et je ne le serai jamais, si j’ai un jour la chance d’avoir un enfant je ne l’abandonnerai pour rien au monde parce que je sais ce que ça fait, d’être abandonnée. « S’il apprenait que j’étais là, même si c’était une coïncidence, je sais pas ce qu’il ferait… » -  « Et la façon dont il me traitera moi vous en avez pas grand chose à faire, en revanche. » Auden Williams n’est pas son frère - ce n’est qu’une supposition puisqu’après tout, je ne le connais pas assez pour savoir de quoi il est capable - mais ce n’est pas pour autant que j’ai envie d’entrer dans ses mauvaises grâces. Je rends son fils heureux et je m’occupe du plus jeune de la meilleure façon possible, c’est comme ça et uniquemenent comme ça que je voudrais qu’il me perçoive.  « Je suis même pas surprise. » Il faut être égoïste pour faire ce qu’elle a fait, voilà ce que je sous-entend à peine. A présent, Sloan est reparti en courant pour s’installer sur la balançoire en forme de cheval et il hurle à sa mère de le regarder jouer comme un grand. Nous pouvons parler un peu plus librement, Ginny et moi.

« Je veux pas te mettre mal à l’aise. Je suis désolée d’avoir dérangé votre journée. »
« J’ai dit à Sloan que vous alliez rester alors vous avez intérêt à rester et à l’applaudir à chaque fois qu’il vous appelle pour vous montrer quelque chose. »

Parce que son bonheur compte pour moi, au petit garçon. Je m’y suis attachée par la force des choses et puisque Damon l’aime, je l’aime, c’est aussi simple que ça. « T’es vraiment douée avec lui. » Je baisse les yeux une seconde, avant de les relever en direction du petit garçon que j’observe sans rien dire pendant quelques secondes de plus. C’est la première chose gentille qu’il membre de la famille de Damon m’ait dite, je pense, et j’ai un pincement au coeur de devoir me demander si c’est intéressé. « C’est un petit garçon génial avec un coeur immense. » Comme son frère, et c’est à se demander comment ils ont pu tourner comme ça. « Il aime faire de la pâtisserie, le centre aquatique et les dingos du Lone Pine. » Il aime tout plein d’autre choses mais de celles qu’il a partagées avec moi, ce sont ces aventures là qui l’ont le plus marqué. « C’est pas dur d’être douée avec lui. Je suis pas encore tout à fait une adulte à ses yeux. » Alors cela signifie pour le petit garçon que je suis presque l’une de ses semblables et qu’il peut me partager toutes ses passions, je prétendrai toujours être émerveillée.

Elle était douce, dans mon souvenir. Douce mais forte, si ça peut faire un minimum de sens. De ce que j’avais pu entrevoir de Megan, elle n’était pas du genre à entrer dans un seul préjugé. Il y avait toujours quelque chose dans son regard qui changeait, qui flottait, qui jurait avec les scènes où on la plaçait bien droite bien belle. C’était quelque chose de furtif, qu’on pouvait manquer aussi facilement que possible. Mais j’avais été à sa place tellement de fois, avant, que je ne pouvais pas ne pas le voir. Les grands événements, les grandes robes, les grands mots, les grands tout - et elle, elle y avait sa place, l’avait creusée assez profondément pour y faire ses racines. Mais Megan ne venait pas de ce monde-là. Grand bien lui en fasse. Elle jurait de la plus saine, de la plus brillante des façons. « Ça prouverait rien à mes yeux, vous fatiguez pas. » la tentative échoue, évidemment. Tout échoue depuis que je suis revenue, j’ai perdu le compte des sourcils froncés, des roulements d’yeux, des soupirs exagérés. J’ai perdu le compte de ceux qui me faisaient sourire, de ceux avec qui j’étais foncièrement heureuse, avant. Ils se sont tous émiettés ailleurs à travers des souvenirs que je suis la seule à chérir encore aujourd’hui. Tous étaient les premiers à me dire qu’il fallait que j’arrête de vivre pour les autres, qu'il fallait que je vive pour moi. La journée où j’ai décidé de suivre leurs mots d'encouragement par contre, c’était une toute autre histoire. « C’est lui qui décide quand vous pouvez voir Sloan et donc vous êtes là. » les liens se font dans la tête de Megan, et même s’ils sont erronés et risquent encore une fois de me faire passer pour l’égoïste ingrate que l’étiquette collée à mon front depuis mon retour semble stipuler, je la laisse faire. Je n’ai plus la force de me battre contre des murs de brique, de béton, des océans d’acide qui n’en ont que faire de ce que j’ai à dire. Ils me posent tous la même question mais ils refusent d’entendre la réponse. « Et la façon dont il me traitera moi vous en avez pas grand chose à faire, en revanche. » « Pour ce que ça vaut, j’aurais rien fait pour te mettre dans cette situation. » c’est plus fort que moi, je laisse les mots couler en sachant très bien qu’ils sont peine perdue. Tout est peine perdue. « Je suis même pas surprise. »

Le rire de Sloan qui pourchasse la balançoire me ramène à ici, à maintenant. Il reste encore un espoir, au creux de ses yeux qui brillent. Il me suffit. « J’ai dit à Sloan que vous alliez rester alors vous avez intérêt à rester et à l’applaudir à chaque fois qu’il vous appelle pour vous montrer quelque chose. » elle en parle comme s’il s’agissait d’une corvée, et je ne peux pas lui en vouloir de voir les choses ainsi. Elle est comme tous les autres, au final, qui pensent dur comme fer que j’ai volontairement voulu faire du mal à mes fils. Que je suis ce genre de mère-là, celle qui savait en connaissance de cause qu’elle gâchait leur vie. Celle qui continuait avec cette seule et même intention en tête : leur arracher un peu de fibre maternelle. « Deal. » personne ne me demande combien de fois j’ai été persuadée qu’ils étaient tous mieux sans moi. Combien de fois leur silence à des lettres qu’ils été supposés avoir reçues ne faisait que me confirmer ce dont j’étais terrorisée depuis toujours. Que mon absence valait pour eux mille fois mieux que ma présence. Ils n’ont fait que me le prouver chaque jour, chaque conversation, chaque regard à mon retour de Sydney. « C’est un petit garçon génial avec un coeur immense. » Megan s’adoucit, s’éloigne des sujets qui fâchent, m’encourage une expiration silencieuse et des épaules un brin plus détendues. « Il aime faire de la pâtisserie, le centre aquatique et les dingos du Lone Pine. » mentalement, je note tout ce qu’on me donne au sujet de Sloan. J’ai des cahiers et des dossiers imbriqués dans ma tête, de détails, de minuscules miettes de lui que je mets à jour aussi souvent que possible. « C’est pas dur d’être douée avec lui. Je suis pas encore tout à fait une adulte à ses yeux. » elle se retire du crédit, elle diminue son apport. Je ne la connais pas assez pour la rassurer, pour maîtriser les bonnes paroles qui chasseront ces idioties de sa tête et qui lui confirmeront une bonne fois pour toutes qu’elle est exactement ce dont il a besoin et que ça suffit ça aussi. Un jour je le lui dirai, et elle me croira. « Avant il aimait les chiens, la pizza et associer des bruits aux étoiles. » en attendant, j’en fais une révision de faits. Un inventaire assaisonné à ses rires, à ses manoeuvres cavalières, à ses pirouettes auxquelles je souris, auxquelles j’applaudis, desquelles je ne détache pas mes yeux un seul instant comme promis. « Je sais que j’ai pas le droit de te demander ça. » et j’ignore d’où me vient l’impulsion de le faire quand même. Des restes de courage bâti là-bas, sûrement. « Mais est-ce qu’il est heureux? » est-ce que Sloan lui semble heureux, maintenant, tout de suite?

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

« Pour ce que ça vaut, j’aurais rien fait pour te mettre dans cette situation. » Pour ça, je n’ai malheureusement (pour elle) pas encore tranché tant la coïncidence me semble grosse et digne d’un mauvais scénario de film. Brisbane n’est pas Wisteria Lane. Pour tomber sur la bonne personne, bien accompagnée et au bon moment, il faut plus qu’un paquet de chance et, si un rictus qui me fait froncer le nez s’aventure sur mon visage en guise de réponse à cette affirmation, mes lèvres restent scellées, signe de méfiance de ma part. Si ce n’était pas pour Sloan, j’aurais tourné les talons sans lui offrir la moindre chance de s’expliquer. Mais il y a Sloan et ses yeux de chien battu, Sloan qui commence même à pleurer quand sa mère fait signe de tourner les talons, Sloan qui n’a pas encore appris que ce n’est pas parce qu’elle est sa mère qu’elle est digne de confiance, qui n’a pas encore compris que certains parents ne tiennent jamais leurs promesses et qu’il faut arrêter d’attendre et d’espérer après eux. Alors, plutôt que de chasser Ginny comme une malpropre, je ne l’invite pas à rester : je l’intime de le faire. Elle n’a plus le choix maintenant, que ce soit un hasard ou pas une machination, les sentiments du petit garçon doivent primer. « Deal. » Elle ne tend pas sa main pour sceller le pacte et elle fait bien : je ne l’aurais pas saisie.

Elle a de la chance : je ne lui dit pas que si Sloan est facile à aimer et s’il m’est facile de se faire aimer de lui, c’est avant tout parce que je le comprends et que je compatis pour ce petit garçon qui ne sait même pas encore faire de phrases complexes et qui pourtant doit déjà faire face à un sentiment qui l’est bien plus que ceux que ressentent les enfant de cet âge-là habituellement : l’abandon. « Avant il aimait les chiens, la pizza et associer des bruits aux étoiles. » - « Il aime toujours le sien, mais il a peur du nôtre à Damon et moi, c’est pour ça que je l’ai laissé à l’appartement. » Dans l’enceinte de notre chez nous, Sloan arrive à se laisser rassurer lorsque nous lui expliquons que Bowie, malgré son apparence impressionnante pour un petit enfant, est une bonne pâte. Mais dehors, je craignais de devoir gérer un chien en laisse et un petit garçon terrifié et prompt à me filer entre les doigts. « Je sais que j’ai pas le droit de te demander ça. » Mais elle le fait, comme elle sait qu’elle n’a pas le droit de voir Sloan sans l’aval d’Auden mais le fait également. Elle semble prendre les droits qu’elle n’a pas, visiblement. « Mais est-ce qu’il est heureux ? » Je pousse un soupir et croise mes bras sous ma poitrine, tournant ma tête en direction du petit garçon qui s’amuse joyeusement à quelques mètres dans le parc à enfant et sous notre surveillance. Est-ce qu’il est heureux ? Difficile à dire chez un enfant aussi petit que lui. Les signes de mal-être font souvent surface avec l’âge. « C’est pas bien difficile de comprendre pourquoi il est attaché à moi alors que je suis pas de sa famille. » Je suis, pour lui, la femme de son cousin, je doute que cela puisse entrer en ligne de compte pour justifier l’affection du petit garçon qui ne me voit pas si souvent que ça, au bout du compte. « C’est un petit garçon qui n’a pas de maman. » Et par conséquent, le simple fait que je sois une femme qui lui démontre de la tendresse suffit à le pousser à s’attacher à moi. Sauf qu’évidemment, je ne suis pas sa mère et qu’il ne fait pas le moindre doute que je suis loin d’être suffisante pour combler le manque qu’il doit commencer à ressentir avec l’âge : il a atteint celui de commencer à se rendre compte qu’il n’est pas comme tous les autres petits garçons, que la plupart ne grandissent pas seuls avec leur papa. « Il est aussi heureux qu’on peut l’être dans ces circonstances, croyez-moi, j’en sais quelque chose. » Sur l’abandon et le manque de figure parentale. Sloan a son père qui je crois  l’équilibre, lui au moins.

« Il aime toujours le sien, mais il a peur du nôtre à Damon et moi, c’est pour ça que je l’ai laissé à l’appartement. » ils n’avaient pas de chien, quand j’existais encore de la bonne façon dans leur vie. Imaginer Damon avec un chien me semble totalement naturel pourtant : il était un naturel avec Pizza. Ensembles, ils pouvaient faire les pires mauvais coups que jamais je n’aurais pu les blâmer tant leur complicité m’était adorable. Je l’imagine grand, blond, fier, joueur, le genre de labrador qui obéit au doigt et à l’oeil et qui les suit sans qu’ils aient même eu besoin d’ouvrir la bouche tellement il les aime. Et c’est stupide, d’imaginer leurs scènes de vie à tous les trois, d’imaginer Sloan qui apprivoise le chien de Megan et Damon jour après jour. Stupide de penser que je pourrais assister à même une miette de ces moments, voyant à quel point la jeune femme se ferme de plus en plus à notre conversation. Je ne lui en tiendrai pas rigueur, elle danse avec la même musique que tous les autres. Il n’y a que Savannah qui, depuis mon retour, a tendu l’oreille pour y faire autre chose que de me renvoyer au visage ce que j’ai bien pu dire ou faire. Le reste du monde n'est qu'une bombe à retardement qui ne retarde pas les jugements pour autant. « C’est pas bien difficile de comprendre pourquoi il est attaché à moi alors que je suis pas de sa famille. » Megan ne mâche pas ses mots, et même si sa voix est d’une douceur incroyable ses paroles brûlent tout sur leur passage. J’aurais dû m’y attendre.

J’aurais dû prévoir que rester venait avec un couteau à triple tranchant et que la conversation ne pourrait pas aller dans un autre sens que dans celui des reproches. J’encaisse pourtant, en ravalant ma salive plutôt qu’en répondant quoi que ce soit. Ce n’est pas à elle que je dois prouver que j’aime encore mon fils malgré tout mais bien à Sloan et seulement à Sloan ; et je me le répète sans en douter une seule seconde. « C’est un petit garçon qui n’a pas de maman. » j’ignore si elle le dit simplement pour briser les morceaux que je tente de recoller minute après minute, ou si elle le pense vraiment. Les deux font aussi mal, de manière différente mais tout de même. En silence, je la laisse poursuivre le fil de sa pensée. Elle me semble parler à travers plus que juste des critiques et des pointes accusatrices. Elle me semble être plus investie, plus profondément ancrée dans l’histoire qu’aurait pu l’être quelqu’un qui malgré son nom de famille tentait de se tenir aussi loin des Williams que possible. Elle n'est pas Ariane qui aurait sauté à couteaux tirés dans n'importe quel arène le sourire aux lèvres. « Il est aussi heureux qu’on peut l’être dans ces circonstances, croyez-moi, j’en sais quelque chose. » alors voilà d’où elle puise toute sa rage. Oh, elle a le droit de me détester pour ce que j’ai fait sans avoir besoin de motif externe, ça, tout le monde l’a prouvé depuis un bon moment déjà. Mais Megan vient de loin, elle vient de là où Sloan se trouve actuellement. Elle me renvoie l’image du pire, le miroir de tout ce que j’ai cassé en lui, à jamais. Le reflet est fatal. « Est-ce qu’il s’en souviendra? » pour la toute première fois, c’est la seule chose qui m’importe. Pas les commentaires des autres, pas leurs regards et leurs attaques. Pour la toute première fois, je réalise qu’il y aura un après, des séquelles, des lacunes, des manques, une sensation étrange et inexplicable, lorsque Sloan sera grand. « Tu es pas obligée de me répondre. Je partirai pas si tu restes silencieuse. » et puis de toute manière, son silence vaut déjà toutes les discussions du monde. C’est sur cette question que j’ai posée que je me repose maintenant. Les yeux vissés sur Sloan, j’envisage chaque moment de sa vie où, désormais, je ne ferai que m’assurer que le vide soit rempli au mieux, toujours au mieux.

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

Peut-être que je suis trop dure, peut-être que c’est cruel, d’affirmer que Sloan n’a pas de mère, mais elle a beau finalement être vivante, pour Sloan cela n’a pas fait grande différence pendant deux ans. Deux putains d’années. J’ai beau savoir que je manque parfois d’empathie, je suis incapable de me mettre à la place d’une mère, et d’imaginer que je serais capable de loin de mon enfant pendant aussi longtemps. Il n’y a rien, absolument rien, qui m’empêcherait de remplir mon rôle, j’en suis persuadée : elle n’était pas détenue dans une cellule quelque part dans un pays sous développé, à partir de là, elle n’a pas la moindre excuse.

« Est-ce qu’il s’en souviendra ? » Je pourrais lui dire que non, que Damon a d’ailleurs déjà oublié, mais il n’a pas oublié, en atteste les chaudes larmes qu’il a commencé à verser quand elle a fait mine de partir. J’étais plus grande quand j’ai cessé d’espérer que ma mère change, j’étais plus grande quand j’ai arrêté de croire qu’elle m’emmènerait voir les baleines, qu’on partirait ensemble à l’autre bout du monde pour aller vivre sur une plage de sable fin, j’étais plus grande que j’ai décidé de ne plus lui donner le bénéfice du doute. Alors j’observe Sloan, les bras croisés sous ma poitrine, je détourne mon regard dans sa direction l’espace d’un instant et je suis percutée par sa détresse. Foutue empathie. Je me mords la langue pour continuer à la détester au nom de son fils, et je le regarde lui à nouveau. Je ne le connais pas assez, au fond. Je ne sais pas si son insouciance de gamin cache des crises de panique la nuit et une peur de l’abandon qu’il est bien trop jeune pour avoir. Je n’en sais rien, mais je sais une chose : il s’en souviendra si elle fait de la fuite une habitude. « Tu es pas obligée de me répondre. Je partirai pas si tu restes silencieuse. » Elle a intérêt : elle l’a promis il y a une poignée de seconde à peine et, bien qu’elle soit habituée à décevoir, elle aurait battu un nouveau record si elle avait trahi cette promesse à la première remarque désagréable. Elle risque d’en recevoir beaucoup. Le monde n’est pas tendre avec les mères qui abandonnent leur enfant, quelle que soit la raison. Tant mieux ; elles ne le méritent pas. « Il s’en souviendra si ça devient une habitude, en tout cas. » Pour ma mère, c’était même un mode de vie. Elle a brisé autant de promesse qu’elle a faites sauf la dernière : celle de me laisser tranquille après mon mariage. Elle m’a tellement laissée tranquille qu’elle s’est étouffée dans son vomi et qu’il a fallu plusieurs jours avant que son corps ne soit découvert. Cette promesse-là, j’aurais préféré qu’elle la brise. « Lui faites pas de promesse que vous êtes pas en mesure de tenir. Lui faites pas de promesses que vous n’est pas certaine d’être en mesure de tenir. » D’abord une, puis deux, il ne faut pas grand-chose pour que cela devienne une habitude. Il faut beaucoup cependant pour un enfant pour cesser d’y croire. « Qu’est-ce qu’on se dit ? » Les bras toujours croisés sous ma poitrine, je tourne la tête vers elle – Sloan toujours quelque part dans mon champ de vision – pour la juger d’un regard sévère. « Qu’est-ce qu’on se dit pour arriver à justifier de rester loin de son fils pendant deux ans et pour vivre avec ça ? » Pour vivre avec soi-même, pour arriver à se regarder dans le miroir sans y voir autre chose qu’une personne abjecte.

Megan prend le temps de puiser dans un bagage que je ne lui connaissais pas et que je n’investiguerai jamais plus creux si elle refuse d’ouvrir cette porte. J’ai osé poser la question puisqu’elle semblait bien plus atteinte que qui que ce soit l’ait été par mon retour. Tout le monde ne fait que me renvoyer des insultes, des critiques, des regards noirs. Elle est la seule qui a véritablement pris le temps de demander de vraies explications, quelque chose qui ne ressemble pas juste à de la rage déguisée en voyage de culpabilisation. Megan sait de quoi elle parle, et est probablement la mieux placée pour m’aider à comprendre ce que Sloan a pu vivre, et ce qu’il vivra ensuite. Je n’ai pas d’égo lorsqu’il s’agit du bien-être de mes enfants ; peu importe ce que la planète entière peut en penser. « Il s’en souviendra si ça devient une habitude, en tout cas. » c’est évident, quand elle le dit. Ça prend tout son sens, et sachant à quel point je suis de ceux qui fuient, dans leur tête du moins, lorsque la vie devient intolérable, j’arrive tout de même à retenir la panique de trop transparaître dans mes yeux. Jour après jour, pas après pas. « Lui faites pas de promesse que vous êtes pas en mesure de tenir. Lui faites pas de promesses que vous n’est pas certaine d’être en mesure de tenir. » c’est ce qui me rassure, étonnamment. Il n’y a aucune promesse que je me sens capable d’articuler mais de ne pas tenir en ce qui concerne Sloan et Noah. Pour les autres, c’est relatif. Mais mes fils ne m’entendront jamais dire autre chose que la vérité.  

« Qu’est-ce qu’on se dit ? » ses yeux ont trahi sa question avant qu’elle ne l’articule. Même si j’ai une brève longueur d’avance d’à peine quelques secondes, je n’ai toutefois pas la réponse à sa demande. « Qu’est-ce qu’on se dit pour arriver à justifier de rester loin de son fils pendant deux ans et pour vivre avec ça ? » du moins, c’est ce que je crois. À mon tour, je prends le temps qu’il faut pour détailler Sloan des yeux, puis Megan ensuite. Ses interrogations flottent et je les décortique, n’ayant pas à un seul instant pensé à lui mentir ou à lui parler des lettres bel et bien écrites mais jamais envoyées. Sa question est plus creuse que ça, et je la rattache à mon départ. Bien avant là-bas et le silence forcé. Lorsque j’ai décidé de partir de Brisbane, d’aller à Sydney. D’y recommencer ma vie avec eux, en théorie. La théorie n’avait jamais vraiment tenu, et Noah avait passé bien plus de temps avec Ezra qu’avec moi. Tout comme Sloan. Inspirant une dernière fois comme l’assurance que la suite ne lui fera pas plaisir à entendre mais qu’elle est aussi vraie que possible, je m’engage dans mes confessions. « C’est ce qu’on se dit comme "pourquoi" qui donne l’ascendant sur le reste. » c’est ça, le déclencheur. Pas de constater au quotidien ce qu’on a fait. Une fois que c’est décidé on ne regarde plus derrière, c’est trop douloureux. On s’accroche au pourquoi et on avance, aussi égoïste qu'il puisse être. « On justifie en se disant qu’on le fait pour qu’il ne grandisse pas avec une mère qui regrette de ne pas être allée au bout de ses rêves. » une mère comme la mienne, une mère comme celle de bien des gens. Une mère qui a mis sa vie et ses rêves en suspens pour se consacrer uniquement à être le prolongement de tous les humains qui se nourrissent d’elle et qui laissent des dizaines de champs vides ensuite. M’entendre le dire à voix haute sonne étrange, comme s’il s’agissait de la voix d’une Ginny d’il y a deux ans. Une Ginny à qui on aurait demandé, avant qu’elle parte, la raison pour laquelle elle le faisait. Personne ne l’avait fait. « Pour qu’il ne soit pas un dommage collatéral de détester la vie dans laquelle on est restée prise au piège. » j’ignore ce que Megan sait d’Auden et de moi, de ma vie avant d’être mariée à lui. Je ne me soucis pas des détails, la sachant suffisamment brillante pour demander un état de choses si elle en a besoin pour comprendre le reste et de savoir qu'elle l'aura. Si je lui dis tout ça, je peux très bien lui faire le portrait de mes amours comme de ma famille. Comme de ce sentiment qui existe encore aujourd’hui, à base d’aiguilles qui me lacèrent la gorge en permanence, me rappelant que je ne serai jamais assez bonne, jamais assez suffisante pour qui que ce soit. Jamais autre chose qu’une ombre. « On le fait pour qu’il ait droit à la meilleure version qu’on peut lui offrir quand on pourra la lui offrir. » et ce quand est arrivé il y a quelques semaines, maintenant. Quand j’ai quitté là-bas pour revenir ici. Le retour est beaucoup plus aride que la Ginny fière de ce qu’elle était devenue croyait vivre. C’est bien parce qu’elle est plus forte qu’avant que je suis toujours là par contre. Et c’est rassurant, en un sens. « Pas celle qui va lui en vouloir un jour d’être né au mauvais endroit, au mauvais moment. » Sloan n’a rien demandé, il est aussi pur et naïf que possible. Son rire casse la lourdeur de la conversation pour un minuscule moment. « Ce n’est pas à cause de lui que je suis partie, Megan. C’est à cause de moi. »

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

« C’est ce qu’on se dit comme "pourquoi" qui donne l’ascendant sur le reste. » Je fronce les sourcils. Je crois qu’au fond, je me moque d’entendre pourquoi elle est partie, parce que rien de ce qu’elle ne pourra avancer comme raison pourrait me pousser à comprendre qu’elle ait laissé Sloan derrière elle et qu’elle n’ait jamais cherché à le revoir pendant deux foutue années. Ce n’est peut-être rien lorsqu’on a l’âge de la brune, deux ans, mais quand on est un gamin qui se pose des questions et à qui sa mère manque, c’est tout. C’est assez pour qu’on espère la voir passer la porte tous les matins pour revenir nous chercher et que cela semble une éternité. C’est assez pour se demander si c’est de notre faute si elle est partie, si on l’a déçue parce qu’en tant que gamin, on imagine pas sa mère comme autre chose que parfaite. On se dit que c’est nous, qu’on a forcément fait quelque chose et que si on répare notre erreur, maman reviendra. On se dit que si on avait été plus sage, si on avait pleuré moins fort au magasin, elle ne serait peut-être pas partie. « On justifie en se disant qu’on le fait pour qu’il ne grandisse pas avec une mère qui regrette de ne pas être allée au bout de ses rêves. » Je tourne ma tête vers elle, mon regard sévère, presque scandalisée. « Faut y penser avant d’avoir des enfants, à si on a des rêves qui restent et qui les implique pas. » Surtout quand, parmi ses rêves existe celui de se tirer à l’autre bout du pays pendant plusieurs années sans une seule visite, sans une seule nouvelle. La vérité, c’est qu’elle aurait pu poursuivre ses rêves en lui donnant des nouvelles, en venant le voir, au moins une fois de temps en temps. Elle aurait été aussi méprisable à mes yeux, mais elle aurait certainement fait moins de Sloan comme ça.

« Pour qu’il ne soit pas un dommage collatéral de détester la vie dans laquelle on est restée prise au piège. » Je laisse un soupir exaspéré s’échapper de ma gorge. L’abandonner pour éviter d’en faire un dommage collatéral, ça c’est hypocrite. Ce qu’elle a fait l’a été, dommageable, pour son bébé qui avait à peine quelques mois. Pourtant, je ne la coupe pas. Je crois que j’ai besoin d’entendre qu’on peut être mère et égoïste, pour arrêter de trouver tout un tas d’excuses à la mienne même aujourd’hui encore et ce malgré mon apparence revêche et mon rejet de tout ce qu’elle était. « On le fait pour qu’il ait droit à la meilleure version qu’on peut lui offrir quand on pourra la lui offrir. Pas celle qui va lui en vouloir un jour d’être né au mauvais endroit, au mauvais moment. » Ma mâchoire se contracte et mon ventre se noue. Était-ce ça, au fond, le plus grand malheur de Billie ? Est-ce qu’elle buvait et se foutait en l’air parce que j’étais là, et qu’elle ne pouvait pas me regarder dans les yeux en se disant que si elle n’était pas tombée enceinte, elle serait une jeune femme équilibrée, pas mise à la porte par ses parents, qu’elle serait même peut-être à l’université plutôt que de vivre dans un trou à rat ? Est-ce qu’à ses yeux, tout ça c’était de ma faute ? « Ce n’est pas à cause de lui que je suis partie, Megan. C’est à cause de moi. » - « Sloan a jamais eu son mot à dire dans tout ça. Peut-être que lui il aurait préféré une maman imparfaite que pas de maman du tout. » Est-ce que cela aurait été mieux pour moi si ma mère, plutôt que de se tuer à petit feu et de me faire vivre des allers-retours entre le foyer, les familles d’accueil et l’endroit que je considérais malgré tout comme chez moi, m’avait simplement abandonnée petite pour que je sois confiée à des parents adoptifs qui eux, m’aurais aimée bien mieux qu’elle ? « Avoir un enfant, c’est lui être dédié à quatre-vingt-dix pour cent. Pas partir deux ans pour poursuivre je sais quelle chimère. »  C’est certainement trop sévère, trop influencé par mes propres souffrances et désillusions à répétitions, mais c’est ce que je pense et ce que je m’astreindrais à tenir si un jour j’ai la chance de devenir mère à mon tour. « Et si vous étiez pas heureuse avec Auden - »  Que je connais mal, que je ne connais pas, en fait. Que lui aussi je ne connais qu’au travers des désillusion de Damon. « Alors fallait le quitter lui. Mais Sloan avait pas à être une victime collatérale de votre mal-être. » N’est-ce pas ça qu’elle explique entre les lignes ? Qu’elle était malheureuse et n’avait plus beaucoup d’estime d’elle ? Pourquoi, parce qu’elle était pas allée faire des putains de graffiti à l’autre bout du pays ? « Sloan, il s’est imaginé vous voir passer la porte des centaines de fois. »  Ou peut-être pas, peut-être que la limite entre moi et le petit garçon devient bien trop floue. « Sloan, il a deux ans. Alors dire c’est pas toi c’est moi, ça marche pas ; il s’est certainement demandé plus d’une fois ce qu’il avait fait pour que sa maman l’abandonne et il certainement regretté de pas avoir été assez sage. »  Ou de ne pas être un petit garçon différent, plus méritant de l’amour de sa propre mère. Moi je suis en colère, mais je ne sais plus vraiment si je le suis pour le petit garçon ou pour la petite Megan pas plus haute que trois pommes la première fois qu’elle a été retirée à sa mère.

« Faut y penser avant d’avoir des enfants, à si on a des rêves qui restent et qui les implique pas. » elle n’a pas tort, Megan, et je ne lui fais pas l’affront de la confronter là-dessus. Il y a par contre quelque chose qui me dérange, dans sa manière d’idolâtrer le fait d’être mère, d’en faire un rôle si haut sur un piédestal qu’il n’autorise pas de faire des gaffes, de rater des choses, de cumuler les erreurs. Personne ne le fait volontairement pour blesser ses enfants, mais personne n’est parfait non plus. Et sa manière de trancher aussi vite alors que j’ai été honnête avec elle bien plus que j’ai pu l’être avec qui que ce soit d’autre me confirme que j’ai fait la bonne chose, de ne pas en parler à personne avant. M’ouvrir sur ce genre de réflexions est abominable pour elle mais l’est encore plus pour moi ; ça ne fait que me confirmer que j’ai été égoïste, pour une seule et unique fois dans ma vie. Et que jamais je n’arriverai à ne pas avoir l’étiquette de celle qui, après avoir fait tout ce que ses parents et même son mari voulaient d’elle, s'est quand même centrée strictement sur sa propre vie. Deux ans à moi contre trente aux autres. « Sloan a jamais eu son mot à dire dans tout ça. Peut-être que lui il aurait préféré une maman imparfaite que pas de maman du tout. » c’est moi qui ai parlé pendant de longues minutes, c’est donc à elle de reprendre le retour du balancier avec autre chose que des regards offusqués ou des soupirs exaspérés. Megan n’est pas mère, encore, et en sera probablement une incroyable parce qu’elle a la liste complète et exhaustive de quelqu’un, quelque part, qui l’a elle-même déçue. Pour combler les vides, elle pourra même prendre exemple sur moi et ainsi son manuel de la mère sans failles sera béton. « Avoir un enfant, c’est lui être dédié à quatre-vingt-dix pour cent. Pas partir deux ans pour poursuivre je sais quelle chimère. » tout est tellement plus compliqué, gris, loin du noir et du blanc. Mais j’ai perdu la force de renchérir tellement je n’entends qu’Auden parler à travers elle. « Et si vous étiez pas heureuse avec Auden - »  justement. Son nom me serre le ventre, l’historique en parallèle. « Alors fallait le quitter lui. Mais Sloan avait pas à être une victime collatérale de votre mal-être. » encore un point de son côté. Je ne suis pas là pour me battre et je lui ai donné la victoire à la seconde où elle a posé une main protectrice sur la tête de mon fils. Il éclate de rire dans le module de jeu d’ailleurs, lui qui n’a pas la moindre idée que sa mère se fait démolir par un autre Williams cette semaine. Que sa mère a l’habitude.

Megan a repris son souffle, le rire de Sloan semble lui avoir donné une pause nécessaire pour retrouver une voix un peu moins piquante. « Sloan, il s’est imaginé vous voir passer la porte des centaines de fois. » l’hésitation que je sens monter dans sa gorge me force à tourner la tête vers elle et à attraper ses yeux des miens. Quelque chose, encore, qui confirme, qui infirme, qui pointe et suggère. « Sloan, il a deux ans. Alors dire c’est pas toi c’est moi, ça marche pas ; il s’est certainement demandé plus d’une fois ce qu’il avait fait pour que sa maman l’abandonne et il certainement regretté de pas avoir été assez sage. » je n’entends qu’une pointe de ce que Megan dit, plutôt intriguée par la question qui remonte de mon côté. Question que je sais absolument déplacée et qui risque de conclure cette conversation sans que jamais je ne lui en veuille. Megan pourrait mal prendre mes assomptions, elle en aurait le droit, mais au stade où j’en suis avec elle je ne m’attarde plus aux futilités d’aller chercher le moindrement un peu d’estime ou de respect de sa part. Elle me déteste, autant bien être honnête avec elle maintenant que je n’ai plus rien à perdre. « Est-ce que tu lui as déjà dit? » mon ton est calme, posé. Mes yeux n’ont pas quitté les siens. « À ta mère. Tout ça. » tout ce qu’elle m’assène, tous ses reproches, toute la rage qu’elle amène en connaissance de cause, qu’elle rattache à la rage que vit peut-être, qu’a probablement vécue Sloan. Est-ce que sa mère l’a entendue, aussi bien que je l’écoute à mon tour? Je tire mes propres conclusions, je parle peut-être à travers mon chapeau de choses qui ne me regardent pas. Mais elle le fait si bien, qu'elle m'en donne envie, après tout.

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/ fuckyougifs

Quand a-t-il cessé d’être question de Sloan pour être question de moi ? Quand ai-je mélangé les images du gamin attendant sa mère accrochée au petit portail en bois de sa maison avec des images de moi, oubliée à l’école ou quand l’assistante sociale venait me prendre par la main pour m’emmener loin de chez Billie ? Sloan, il a deux ans justement. C’est Megan qui s’est posé des questions plus profondes, qui s’est demandé pourquoi elle n’était pas assez pour que sa mère s’intéresse un peu moins à la drogue et à ses bouteilles de vodka au goût infect et un peu plus à sa petite fille. C’est Megan qui s’est dit que si elle était plus sage, si elle se la fermait plus souvent, peut-être que maman l’aimerait plus et qu’elle ne serait pas obligée de mettre ses vêtements et ses rares peluches dans un sac poubelle – à défaut d’avoir un vrai sac de voyage – pour quitter l’appartement miteux de Redcliffe et se retrouver en foyer ou dans une famille d’accueil les meilleurs jours. Sloan, il a Auden. Qu’elle reste ou qu’elle parte, il ne se construira pas en se disant que personne dans sa famille ne l’a aimé assez pour s’occuper de lui comme il mérite qu’on le fasse. Mais une mère, c’est plus important qu’un père, j’en reste convaincue. Peut-être parce qu’à défaut d’être présent ou même d’exister, le mien ne m’a au moins jamais fait aussi mal que Billie.

Je n’aurais pas dû parler autant. C’est trop facile de deviner que je suis touchée, et il ne faut pas être un génie pour deviner que les trémolos dans ma voix sont dû à mon histoire personnelle, et pas uniquement à l’énorme empathie que je ressens envers le petit garçon qui reste son fils. Un fils qu’elle ne mérite pas de prendre dans ses bras d’après mes standards mais pour lequel je n’ai en réalité pas mon avis à donner ou mon mot à dire. J’aurais dû mettre des barrières. « Est-ce que tu lui as déjà dit ? » Je quitte Sloan des yeux un instant pour pivoter ma nuque dans sa direction et poser mon regard sur elle, les bras à présent croisés sous ma poitrine. « À ta mère. Tout ça. » Je me mords l’intérieur de la joue de toutes mes forces pour ne pas ressentir la vague de douleur qui menace de me renverser alors qu’il est question de Billie et que j’ai bien trop ouvert les vannes, sous couvert de parler de Sloan, là où je tais en général tout ce qui a rapport à ma génitrice, ou en tout cas à mes sentiments à son égard. Ginny ne saura pas que j’ai coupé les ponts avec elle pendant un an, avant de revenir en arrière parce que la culpabilité était trop dure à supporter. Elle ne saura pas qu’à partir de là, j’ai limité nos échanges à un rendez-vous mensuel pendant lequel je lui faisais un chèque pour l’aider à subsister, et je lui donnais l’illusion de faire partir de ma vie en lui laissant poser quelques questions. Elle ne saura pas non plus qu’avant son décès j’avais cessé de venir lui rendre visite aussi régulièrement et qu’une fois sur deux j’envoyais le chèque par la poste et que je m’en veux cruellement. « Elle est plus là pour l’entendre. » Et quand elle était là, je n’étais pas prête à être si vulnérable. Je ne le suis toujours pas, de toute façon, alors cela n’aurait rien changé. « Mais elle se serait pas sentie concernée. » Parce que si mon jugement envers Ginny est si dur, c’est bien parce que son visage s’en transfiguré en celui de ma mère l’espace d’un instant. Maintenant, je me reprends. Je recompose tant bien que mal mes murs de défense. « Elle s’est arrangée pour partir avant d’avoir à affronter ses responsabilités. » Avant que je puisse lui jeter au visage à quel point elle avait failli en tant que mère et à quel point elle m’avait abîmée, à quel point elle m’avait façonnée bien plus pour le pire que le meilleur. « Partez pas. Au bon d’un moment, même les enfants arrêtent de pardonner. » Aussi innocents soient-ils, il arrive toujours un moment où on prend le coup de trop dans la gueule, que ce soit moi, Damon ou même le petit Sloan.

« Elle est plus là pour l’entendre. » j’aurais dû voir venir d’une manière ou d’une autre la révélation de Megan. Qu’autant de rage et de colère et de haine ne pouvait pas venir d’une source où une potentielle guérison pouvait arriver. Alors sa mère est partie avant qu’elle puisse lui dire tout cela, vraiment partie, et désormais elle reste là, les bras ballants à devoir vivre avec des questions muettes et sans réponses qui n’en auront jamais. Elle doit cohabiter avec cette impression de ne pas avoir été suffisante pour sa mère à l’époque, d’avoir été non pas la cause de ses fautes mais celle de toutes les occasions où sa mère aurait pu faire mieux pour sa fille mais où elle a décidé de ne pas le faire. Megan aurait très bien pu me dire de me la fermer. Si je suis toute à fait honnête je l’ai vue, dans son regard, cette envie de rejeter tout ce que j’ai bien pu lui demander. De passer mes questions sous le tapis, de ne pas y porter attention, de faire comme si de rien n’était. Elle aurait pu ; elle ne me doit rien, et je ne l’aurais pas questionnée outre mesure si j’avais vu qu’elle n’avait pas le moindrement quelque chose à ajouter. « Mais elle se serait pas sentie concernée. » c’est facile, trop facile de dire ça. De croire que sa mère a tout ravalé comme une championne, qu’elle voyait la totalité glisser sur son dos de canard. Megan est naïve de croire que la vie est noire ou blanche, et elle finira bien par l’apprendre un jour ou l’autre ; certainement plus tôt que tard si elle continue à errer autour de moi plus qu’autour d’Auden. Les Williams ont cette tendance à trancher au centre et à ne vivre que d’un côté ou de l’autre des limites. J’ai grandi en les franchissant, en jouant dans les limbes, en découvrant tout un camaïeux de gris que j’étais souvent la seule à voir. « Elle s’est arrangée pour partir avant d’avoir à affronter ses responsabilités. » je peux comprendre, l’impression de lâcheté avec laquelle Megan doit composer maintenant face à sa mère. Que son départ l’ait laissée seule avec ses démons a tout d’égoïste. Megan reste prise avec les pots cassés et le balai pour les ramasser, avec les dizaines de milliers de morceaux de casse-tête et aucun endroit pour y faire de l’ordre. « Partez pas. Au bon d’un moment, même les enfants arrêtent de pardonner. » « À quel moment est-ce que tu as arrêté de lui pardonner? » lui confirmer que partir n’est pas au menu me semble superflu, et puis de toute façon je n’ai pas l’impression qu’elle croira la moindre de mes paroles. Je profite plutôt de l’ouverture aussi piquante puisse-t-elle être que Megan m’offre pour poser toutes mes questions. Jusqu’à ce qu’elle me fasse taire, je n’ai absolument rien à perdre. Et, sachant le moindrement lire entre les lignes, j’arrive à croire que l’animosité avec laquelle elle parle de sa mère vient peut-être du fait qu’elle s’en veut, à quelque part, de ne pas avoir été plus grande que tout ça. D’avoir laissé la rage gagner, d’avoir vu sa mère partir et de ne pas être en paix avec sa mort puisqu’elle nourri encore de la colère, de la haine envers elle. Rien n’est plus nocif qu’un sentiment d’impuissance doublé à un poison qui prend toute la place et ne laisse rien, absolument plus rien, de doux et de beau. « Tu t’en veux plus que tu lui en veux, à elle. N’est-ce pas? » j’ose, je lui mets des mots en travers de la bouche. J’aurais pu dire que sa mère n’en valait pas la peine. Que ce n’était pas sa faute à elle, à Megan. Qu’elle n’était pas le problème, et que sa mère a décidé elle-même de faire tout ça, de la mettre au centre de tout ça. Mais j’ai appris il y a un très long moment maintenant que ce qu’on déteste le plus face aux gens devant nous, c’est exactement ce qui nous répugne chez nous. Que la rage qui se nourrie de nos pires ennemis vient de manière absolument intrinsèque de l’intérieur ; que c’est grâce à ces gens qu’on abhorre qu’on arrive à apprendre ce qu’on déteste de tout notre coeur et de toutes nos forces de nous-mêmes. Qu’est-ce qu’elle garde de sa mère, Megan? Qu’est-ce qu’elle hait si fort, chez elle, qui prend racine dans celle que sa mère a été?

« Je veux faire mieux qu’elle. » je m’entends dire, le regard fusionné à la silhouette de Sloan dans les jeux. Il ne me voit plus depuis de longues secondes, maintenant entièrement concentré sur un jeu qu’il invente au fur et à mesure à base des feuilles d’arbre qu’il ramasse avec détermination. « Mais je peux pas, pas toute seule. » s’il y a bien quelqu’un qui peut me dire si je fais bien, ou si je fais mal, c’est elle. J’ignore comment mais j’ai l’impression, au plus profond de moi, qu’elle a autant de chances d’accepter que de refuser lorsque je détourne les yeux vers elle. Je ne sais même pas ce que je lui propose, au final. D’aimier mieux mon fils, sûrement. Entre autres.