he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

Nous n’avons pas besoin d’arme. Nous sommes une arme affutée pour la chasse et le meurtre si bien que, pour me préparer au meurtre de la fille de l’homme qu’était autrefois Amos, je ne fais rien de plus qu’enfiler une tenue seyante en cuir souple. Ce sont les doigts agiles de mon amant et complice qui serrent et nouent l’attache de mon corset et par-dessus ma tenue, j’enfile une veste légère. « Tu es prêt ? » Il est celui qui doit l’être. Moi, je suis là pour regarder – me réjouir et trembler d’impatience aussi, peut-être – pendant qu’il assassinera la chair de sa chair. Il a l’air de l’être et, ce soir, je ne doute pas d’être trahie. Ce que je crains, c’est qu’une fois au pied du mur, il ne soit pas capable d’agir. Dans le cas échéant, j’ai prévu de me substituer à lui : sa fille trouvera la mort ce soir, d’une façon ou de l’autre. « Tu verras, ce sera facile. Aussi facile que d'abattre un gibier. » Dans son ancienne vie, combien en a-t-il tué ? Avant l’éclipse et qu’il ne chasse les miens ou toute autre créature de la nuit, n’était-il pas un simple pourvoyeur de nourriture pour le reste de la ville ?

Il frappera en pleine nuit. Le concept n’a plus réellement de sens maintenant que l’obscurité est éternelle, mais sa fille sera endormie, elle ne verra rien venir. Je suppose que je n’avais pas la moindre raison de lui refuser cette faveur-là. Je ne rougis pas lorsque j’avoue que je tue parfois pour le sport, par simple attrait pour la chasse, la douleur, le sang et la mort et pas uniquement pour me sustenter. Mais si je veux que Sofia meure, ce n’est par sadisme ou parce que je veux la voir souffrir. Non, je veux qu’elle disparaisse, pas me repaître de sa souffrance.

La maison qui se dresse devant nous est une simple petite ferme. Elle me semble minuscule à moi mais je suppose qu’au vu des critères humain, elle est de taille normale, peut-être même un peu plus grande que la moyenne, signe de réussite sociale. Il s’agit de l’endroit où il a aimé une autre, une humaine, où il a élevé sa fille et où il a nourri des rêves desquels je ne faisais pas partie. Oh, diable, que je souhaite que cet endroit brûle. Il ne me refusera pas d’y mettre le feu, pas après ce qu’il a déjà accepté. A quelques mètres de la porte, je m’arrête. Je renifle l’air, qui comporte un quelque chose de déroutant, un quelque chose de désagréable. « Attends. » Je lève ma main devant son torse, pour arrêter son mouvement. « Tu ne sens pas quelque chose d'étrange ? »

he can't rewrite the aggro of my furied heart
@Raelyn Blackwell & Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

Au milieu de la chambre, tandis que je lace son corset et que mes yeux sont rivés sur son cou de cygne, je ne cherche pas à savoir si je suis prêt pour commettre un crime crucial dans mon existence. Crucial. Capital. Il marquera la fin d’une époque, d’une ère que j’ai vécue jusqu’à l’usure, la mienne, puisque j’ai fini par m’ennuyer à chasser vampires et loups-garous, à vivre les mêmes journées chaque jours, les mêmes soirées, les mêmes moments atrocement prévisibles avec ma femme. Cette lassitude n’a pas commencé hier. «Je m’ennuyais. Tous les jours. Et si tu t’ennuyais, toi aussi ?» Elle s’est installée à mesure que ma fille grandissait. Aujourd’hui, elle est une jeune adulte en proie à cette nuit éternelle de laquelle surviendraient tous les dangers. Aurais-je besoin d’une bonne raison pour agir que je prétexterais que c’est un acte de clémence que de la tuer avant qu’un autre ne s’y attelle. En réalité, une fois encore, je réagis par vanité. Je veux m’occuper moi-même de Sofia parce que j’ai décidé que c’était mon rôle. « Oui. Je le suis. A tout niveau.» Avant d’aider Rachel, je me suis occupé de moi. Je n’ai pas choisi d’enfiler mes vieilles frusques d’hier. Je suis différent et je considère que Sofia doit s’en rendre compte, qu’elle doit l’accepter, qu’elle doit saisir l’ampleur de mon acte puisqu’il est dissocié de l’affection que j’ai ressentie pour elle. «Et je ne te décevrai pas… Parce que c’est ce qui se produirait, n’est-ce pas ? » Si je n’étais pas capable d’aller au fond des choses, elle ne m’en voudrait peut-être pas, mais quelle conclusion tirera-t-elle de ça ? «Tu me qualifierais de lâche par la suite ? » Dans les faits, je suis convaincu de ma force. Toutes ces considérations n’ont aucune importance. J’ai juste besoin d’assouvir ma curiosité. Mon baiser au creux de sa nuque, celui que j’ai déposé avant de permettre à ses cheveux lâches de pendre dans son dos, il annonce une autre couleur. Il dit «Allons-y.» Nous avons pris la route jusqu’à mon ancienne demeure et, alors qu’elle se découpe au loin, je suis étonné de ne rien ressentir. Je suis comme éteint, finalement. Je ne semble me rallumer que pour Rachel.

Fort de cette conviction, je me suis dirigé vers la porte avec spontanéité. Mon insouciance est proche de celle d’un enfant, finalement. Et, n’est-ce pas ce que je suis au regard de mes quelques semaines depuis ma transformation ? Je suis presque un nouveau-né au regard de l’éternité qui m’attend. me suis-je enquis juste avant d’être arrêté par la main de ma complice. «Non. Rien. Pourquoi ? » J’ai déjà la main sur la poignée et peut-être trop pressé à l’ouvrir.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

« Je m’ennuyais. Tous les jours. Et si tu t’ennuyais, toi aussi ? » Je l’observe, tentant de me souvenir de ce qu’était ma vie avant que mon cœur ne s’arrête de battre et que mon sang ne prenne une profonde couleur d’ébène. C’est bien de cela qu’il me parle, non ? De ce que je ressentais lorsque, moi aussi, j’étais une humaine insignifiante ? « Avant d’être transformée ? » Je songe quelques secondes de plus. Oui, je m’ennuyais, pourquoi me serais-je trouvé un amant sinon ? Je n’aimais pas les rapports charnels, comment aurait-ce pu être le cas alors que je n’en avais connu que des non consentis avec un homme qui, lorsque je l’ai épousé, avait le double de mon âge ? « Plus que ça. Je ne vivais pas. » Je survivais dans une sorte de léthargie, presque impatiente que la mort vienne me cueillir. Sa fille va mourir ce soir, mais elle n’aura au moins jamais connu ce que j’ai connu pendant les trente années de ma vie mortelle  
 
« Oui. Je le suis. A tout niveau. »
« Parfait, allons-y dans ce cas. »

Mais alors que je m’apprête à passer la porte de la chambre à coucher, il m’interpelle et me pose deux questions. « Et je ne te décevrai pas… Parce que c’est ce qui se produirait, n’est-ce pas ? Tu me qualifierais de lâche par la suite ? » Elles interrompent mon mouvement et, la main sur le chambranle de la porte, je l’observe en songeant à la réponse à ses interrogations. Je l’observe, la tête légèrement penchée sur le côté avant de répondre. « Oui, je serais déçue. » Profondément. Du reste, j’ignore s’il a conscience qu’il ne s’en tirerait pas uniquement avec une insulte. Il perdrait peut-être la vie, voilà ce qu’il en coûte de me décevoir un peu trop. « Mais tu iras jusqu’au bout. » Alors, à quoi bon s’attarder sur ces questions inutiles ? « Allons-y. » Il passe devant moi et, finalement, je ferme la porte de la chambre et lui emboîte le pas. La route est longue jusqu’au village mais, à nous, il ne prend qu’une poignée de minutes.

Sauf qu’une fois arrivés devant la ferme familiale, mon instinct bestial me souffle de me méfier. Je n’aime pas ce que je sens mais, après tout, cette maison n’a-t-elle pas par le passé accueilli des dizaines de chasseur ? N’était-elle pas la demeure de l’un d’entre eux ? « Non. Rien. Pourquoi ? » - « Je n’aime pas ce que je sens. » Sa main est sur la poignée, mue par un réflexe, un instinct, je l’écarte de l’entrée. « Attends. Laisse-moi. » Il pourra tuer qui il souhaite mais un quelque chose me souffle de l’écarte du chemin. Toutefois, il est trop tard pour refermer la porte, il a abaissé la poignée, et je ne peux que me placer entre lui et ce qui se trouve à l’intérieur de cette maison. Un hoquet me secoue et je ne comprends pas. Je ne comprends pas tout de suite qu’un carreau d’arbalète s’est fiché à quelques millimètres seulement de mon cœur, suivi pas un second dans mon estomac.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
@Raelyn Blackwell & Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

«Non, maintenant. C’est long, l’éternité. Je voudrais pas que tu t’ennuies de moi.» lui ai-je confessé, considérant que la pudeur peut être remisée sur un placard au vu de l’acte que je m’apprête à commettre avec elle. La notion d’intimité ne peut-elle pas s’étendre jusqu’à l’assassinat de Sofia. Si je ne partage pas mes inquiétudes aujourd’hui, quand le ferais-je ? J’en ai et je n’ai pas envie de passer à côté d’une occasion pour m’en assainir. Alors, je me suis lancé. Je me suis jeté à l’eau et, tandis que nous marchons vers mon destin - celui d’abandonner toute trace d’humanité dans l’heure à venir. «Mais, avant ça, moi non plus, je ne vivais plus. Tu m’as ressuscité, tu sais.» Alors que mon coeur ne bat plus, je me sens moins mort que je ne le suis réellement. La mort. Elle guette. Elle est tout autour de nous. Elle nous enveloppe au point de me donner l’impression que nous sommes ses ambassadeurs dès lors que nous sommes devant la maison dans laquelle j’ai vécu avec ma famille. La famille. Est-ce fou ou trop naïf d’envisager qu’elle est Rachel, aujourd’hui ? Que c’est elle qui la composera tant qu’elle voudra de moi ? Pour ma part, j’ai argué que jamais je ne me lasserai de celle qui m’a rendu spécial parce qu’elle a fait de moi l’élu. Je compte bien rester le dernier de ses rares représentants. Alors, évidemment, j’ai acquiescé quand elle m’a déclaré croire en moi. Je lui ai même volé un baiser quand nous étions encore devant l’allée fermée par la petite barrière que j’ai poussé si souvent que je ne saurais compter. J’ai fait tout ça parce que je ne supporterais pas qu’elle me voit comme un pleutre, comme une erreur, comme un regret, celui qui sous-entendrait qu’elle s’est trompée sur moi. Après tout, elle n’a pas pris le temps de me connaître avant ma transformation. Sa décision était-elle une pulsion ressemblante à ce que je qualifie de copu de foudre ? Pas le temps pour toutes ses tergiversations. Nous sommes arrivés et j’ai hâte de lui prouver ma valeur. Sans doute un peu trop. J’ai pressé la clanche de la porte trop vite. Je n’a pas eu le temps d’évaluer correctement le danger. Or, je me fie à l’instinct de celle qui me repousse en arrière pour s’avancer dans le hall avant moi. Aurais-je su ou deviné qu’elle serait achoppée par un carreau d’arbalète que je me serais sacrifié. Au lieu de ça, je suis durant une seconde horrifié et, la seconde, plus réactif. Elle se vide de son sang et je ne peux la laisser là. Bien sûr, je me doute qu’elle ne mourra pas, mais j’ai tout de même peur. Je m’en veux aussi. Dès lors, rapidement, je jette un regard circulaire pour affronter le regard de la chasseuse qui nous a accueillie : ma fille. Elle a dit :”Je savais que tu viendrais”. Et, a priori, elle n’aurait pas hésité à me tuer. Je n’ai donc aucun regret à bondir dans sa direction pour l’immobiliser avant qu’elle ne réagisse. «Combien vont arriver ? » Elle, elle est seule où je serais blessé, voire mort. Un, un seul apparemment.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

« Non, maintenant. C’est long, l’éternité. Je voudrais pas que tu t’ennuies de moi. » Je l’observe, surprise – mais étrangement pas dérangée – par toute l’humanité qui transpire de sa question. Peut-être ai-je tort, d’estimer que nous ne pouvons ressentir aucun sentiment humain. Personne ne m’a formé et façonné de la façon dont j’entends le faire avec Amos, alors tout ce que je sais et crois savoir n’est que le résultat d’un ressenti. Après tout, n’ai-je pas ressenti jalousie et possessivité ? La fureur n’est-elle pas elle aussi un sentiment humain ? Suis-je dans le faux, lorsque j’estime que tout ce que nous sommes est remplacé au profit de d’autre chose ? Je ne sais pas. Je ne me souviens plus à quoi cela ressemble d’avoir un cœur qui bat. « Je ne ressens jamais d’ennui. » Ce sentiment là semble bel et bien annihilé. Il vaut mieux lorsque l’on vit éternellement. « Si je me lasse de toi, tu seras le premier au courant. » Mais le baiser passionné que je lui accorde prouve que ce jour est loin d’être venu. Pour l’instant, je ne regrette pas de lui avoir fait boire mon sang. « Mais, avant ça, moi non plus, je ne vivais plus. Tu m’as ressuscité, tu sais. » Un sourire presque attendri étire mes lèvres qui n’en ont plus connu de pareil depuis des années. Je caresse sa joue, avant de déposer un baiser dans sa nuque. « J’ai ressenti ça aussi, le sentiment d’être un nouveau-né, de revivre purement et simplement. » Mais moi, je n’avais pas réellement vécu, avant ça.

Le carreau qui se plante à quelques centimètres de mon cœur aurait pu me faire redevenir poussière s’il avait été visé avec un soupçon de précision supplémentaire. Je le comprends alors que, allongée au sol, je tente de me redresser sur mes coudes et j’arrache celui enfoncé dans mon abdomen. La pointe est en argent, preuve que la demoiselle savait exactement qui elle attendait. Si la flèche ne m’a pas tuée, le métal lui me vide progressivement de mes forces et cet état, bientôt léthargique, durera plusieurs heures. Amos s’est jeté sur elle, il la maîtrise et la plaque contre le mur. J’entends qu’il l’interroge, mais je suis à peine capable de trouver la force de me redresser un peu plus pour cracher un filet de sang noir sur le sol. « Combien vont arriver ? » De chasseurs, certainement. Je n’entends pas la réponse de sa fille. Je dois empêcher un drame – pour moi – de se produire puisque seul, le jeune vampire ne ferait pas le poids contre une armée de chasseurs et que je ne serais même plus bonne à marcher d’ici quelques poignées de secondes. « Amos… » Je l’appelle, crachotant une trainée de sang supplémentaire. Je le montre la flèche tâchée de sang qui repose à présent à côté de moi, sa jumelle toujours plantée dans ma poitrine. « C’est… de… l’argent. » Et moi, j’arrive à peine à m’exprimer. Il nous faut quitter cet endroit au plus vite, avant que les renforts n’arrivent.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
@Raelyn Blackwell & Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

Parmi l’éventail de sentiment humain, est-il possible que certains subsistent comme, par exemple, la vengeance ? Je vois Sofia, mais je ne reconnais pas les traits de celle qui était ma fille. Elle n’est plus l’agresseur, le danger, le faible prédateur qui sait simplement s’armer correctement, mais qui, par chance, n’a pas réussi à tuer celle qui est à l’origine de mon envie d’en découdre. Non. C’est un besoin, une nécessité d’enfoncer mes crocs dans la gorge de la coupable de ma rage. La rage. Le soulagement aussi, celui d’apprendre que le Nemrod ne se pointera pas dans son entièreté. La jubilation alors que je sors mes crocs, prêt à agir, sauf que Rachel me hèle. Elle me rappelle à elle, je tourne la tête dans sa direction et je suis pris d’une vision d’horreur. Elle m’arrête dans mon geste parce que je sais quels sont les noms de nos adversaires et j’en sais le nombre. Nos adversaires. Les miens, ma partenaire n’est plus en état de se battre. Un bout de flèche en argent, ça ne pardonne pas et, tandis que je m’en saisis et que je l’enfonce dans l’abdomen de Sofia, je cherche à l’immobiliser. Quitte à la tuer, je voulais faire honneur à ce qu’il y a de plus malsain dans ma situation, pas de bâcler le travail et, le cas échéant, au vu de l’agression, je soupçonne qu’en finir avec Sofia ne ravira pas celle dont les veines sont empoisonnées par une ire ancestrale. C’est sur elle que je me penche maintenant que ma “fille” est accroché par le carreau d’arbalète à la cloison de bois derrière elle. «On reviendra.» Je m’adresse tant à l’une qu’à l’autre, mais c’est ma complice que je soulève du sol. « Je vais te tirer de là.» Ensuite, on avisera sur les soins à lui apporter. Fonctionnent-elles, les plantes des sorcières ? Je n’oserais courir jusqu’au château avec ma blessée dans les bras. Je ne voudrais pas mettre nos assaillants sur la piste de notre demeure. Elle est imprenable parce que chacun la croit abandonnée. Mais, où aller ? On ne peut pas rester dans les bois, nous aurions tôt fait de nous retrouver tel le petit Poucet, dans les contes, retrouvent sa route. Elle perd trop de sang : elle dessine un sentier à suivre. Alors, j’aspire à aller le plus loin possible et le plus rapidement possible - par chance, nous le sommes plus que les humains - afin de creuser la distance. Ce n’est qu’aux abords d’un lieu plus ou moins sûr que je me suis arrêté. « Comment on arrête ça ?» Pour seule réponse, un grognement. Je chasse un animal, je l’oblige à boire son sang aussi dégueulasse soit-il, je n’ai pas d’être humain à disposition et c’est urgent. Du reste, je me débrouille seul. Je mobilise absolument toutes mes compétences de chasseur pour filer les ennemis, brouiller les pistes - je me suis ouvert le poignet pour verser de mon “sang” dans d’autres directions. Je mets toutes les chances de notre côté tout en veillant à ce que Rachel ne perde pas connaissance.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

« On reviendra. » La promesse m’est adressée, la menace à sa fille. Je ne la vois pas – mon regard se brouille – mais j’entends ses hurlements et son râle. Elle n’est pas morte toutefois, et mon odorat m’apprend qu’elle ne perd pas assez de sang pour que cette blessure ne scelle son destin si aucun organe vital n’est touché.

Je n’ai jamais été touchée par un projectile en argent. Ce que je sais n’est que théorie mais pour l’instant, elles semblent toutes se vérifier. Mon sang coagule mal, mais ce n’est pas ce qui me tuera. Vidée de mon sang, je peux survive, à peine vivante, inconsciente, mais je n’y succomberais pas. Je demeurerais dans un semblant de coma, incapable de m’abreuver de nouveau pour en sortir. Nous n’en sommes pas là et pour me tuer, il aurait fallu qu’elle touche le cœur. Cependant, les renforts peuvent encore se charger de cela comme de me décapiter, alors la priorité, aussi désagréable l’idée de fuir soit-elle, c’est à présent de décamper. « Je vais te tirer de là. » Les bras d’Amos me soulèvent du sol et j’ai l’impression de n’être qu’une poupée de chiffon. Je ne parviens pas à garder mes membres solidement attachés autour de son cou. Mon seul réflexe, c’est de me laisser reposer contre lui pour ne pas lui glisser des doigts. Presque inconsciente, je n’ai plus rien d’une prédatrice sanguinaire : je pèse moins lourd que les plus gros des chiens.

La fuite me semble à la fois durer une poignée de secondes et une éternité. Lorsqu’il me dépose sur un lit de mousse de forêt, je m’accroche aux derniers fils de ma conscience. « Comment on arrête ça ? » Je serre les dents, et rassemble mes dernière forces pour lui désigner du menton le carreau encore planté dans ma poitrine. « Arrache le. » La douleur sera horrible mais, le métal encore dans ma chair me draine de mes forces encore et toujours plus vite. Je ne commencerai pas à les récupérer sans deux conditions : avoir bu assez de sang pour compenser la perte et que mes capacités de guérison surnaturelles ne prennent le relai, et que ce fichu bout de métal ait été ôté de mon corps. « Casse. » L’empennage. « Et pousse. » Pour faire ressortir la flèche de mon corps. S’il la tirait, il ferait plus de dégât que de cette façon. Ce sera douloureux, mais le carreau est déjà fiché profondément dans mon corps, et il ne fera pas de dommage mortel. Amos s’exécute et, moi, je suis aux portes de l’inconscience. Je sens qu’il m’attrape la nuque pour me faire boire du sang mais dès que les premières gouttes du liquide rouge touchent mes lèvres, je suis prise d’un haut le cœur. Me forcer à l’avaler est une lutte qui serait acharnée si j’étais en possession de toutes mes forces : le sang d’animal est immonde, pratiquement imbuvable. Je dois lutter contre mes réflexes pour ne pas le régurgiter. Il me permet au moins de rester consciente quelques minutes, puis quelques heures de plus, mais à peine. Lorsque les choses semblent s’être calmées, je parviens à articuler quelques mots. « Je dois me nourrir. Mais pas de ça. » Je dois boire du sang humain, et une quantité gargantuesque, celui de plusieurs individus adultes. « Au manoir, les serviteurs. » Ils sont la solution la plus facile, s’il peut me porter jusque là-bas puisque mes jambes elles en sont incapables.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
@Raelyn Blackwell & Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

Je sais pourquoi il convient de pousser et non de tirer. C’était mon métier que de fabriquer ces flèches. Je me souviens également du pourquoi il faut arracher, l’arracher de son corps et je m’en veux. Je m’en veux de ne pas y avoir pensé plus tôt. Je m’en veux de deviner les raisons de cette réaction qui manque cruellement de discernement. J’agis sous le coup de l’émotion parce qu’elle ne disparaisse pas avec notre condition de vampire. La preuve se répand là, sous mes yeux, parce que je suis inquiet, angoissé. J’ai peur pour celle dont je suis irrémédiablement tombé amoureux et, là encore, c’est supposé être une question humaine. Ce n’est pas vrai. Nos instincts les plus triviaux et les plus vils sont exacerbés. Les autres sont atténuées et, encore, pas toutes. Répondre à cette question relèvera sans doute de mes projets pour combler le temps qui s’écoulera si lentement. En réalité, je n’y songe pas vraiment. Je suis surtout concentré sur deux questions : brouiller les pistes pour que nous ne soyons pas retrouvés et maintenir Rachel dans les eaux troubles entre inconscience et son contraire. «On lui fera mal autant que tu vas souffrir maintenant.» A ces mots, j’ai poussé. La réaction de Rachel était prévisible et j’ai serré les dents. De suite après, je l’ai forcée à ingurgiter du sang de cerf. C’est dégueulasse, je le sais. Elle m’a fait goûter au préalable pour des raisons obscures. Je n’ai que des présomptions, mais ce n’est pas le sujet. « On va repartir d’ici peu de temps. Je vais juste continuer à protéger nos traces.» J’ouvre l’autre poignet et je profite de ma vitesse pour répandre plus d’hémoglobine autour de certaines traces que j’ai laissé sciemment et les autres. Elles mènent toutes dans des directions différentes. Je me sens désormais assez en sécurité pour retrouver la manoir. Pour ce faire, je récupère ma partenaire avec un soin et une délicatesse dont je connaissais l’existence, mais que j’aurais juré disparue avec mon humanité. Dieu que tout cela est flou. «On rentre. Je vais prendre soin de toi. Puis, on se vengera, tu verras. On la fera souffrir. On…» Au loin, un bruit de pas. Je hume l’air. Une personne, une seule. Est-ce de la chance ? Est-ce la signe que les chasseurs sont à nos trousses ? J’ai des scrupules à redéposer ma complice sur son lit de feuilles et de lichen. Je m’en excuserais si mes sens n’étaient pas en alerte. «Celui-là, il est pour toi. Maintenant.» ai-je promis, me cachant et sautant sur un chasseur, je tire une entière satisfaction à cette exécution. Je suis même fier de le traîner jusqu’au pied de Rachel. «Si je pouvais, je les tuerais tous.» En attendant, je l’invite à se nourrir, sans traîner et certainement pas autant qu’elle le devrait. Nous ne pouvons pas traîner. Ils étaient plus nombreux qu’annoncé par ma perfide enfant et ils se sont séparés. «Rentrons.» Sans traîner et sans attendre. C’est le moment ou jamais. Plus tard, ce sera beaucoup trop tard.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

« On lui fera mal autant que tu vas souffrir maintenant. » Les paroles d’Amos me redonnent la force de serrer les dents de toutes mes forces. Mes dents se déchausseraient toutes si elles non plus n’étaient pas plus solides qu’elles ne le sont devenus après la transformation. Je tente de ravaler mes hurlements, et ils s’expriment sous la forme des grognements, celui des bêtes blessées et mourantes. Je ne le suis pas, et ce uniquement grâce à lui. J’aurais dû être plus attentive, écouter plus mon instinct et seule sa réactivité m’a sauvé la vie aujourd’hui. Sans sa poigne autour de ma nuque, je n’aurais pas avalé une goutte de cet immonde sang de cerf. Il me maintient en vie, et j’ai à peine la force de m’accrocher à lui et son jugement. Le sang m’aide à recouvrer des forces cependant, mais à peine assez pour rester consciente. Pouvoir marcher prendra des heures, me battre et écraser ceux qui ont tenté de me réduire en cendres plusieurs jours. Si nous pouvons regagner le manoir, si je peux me nourrir, cela ne sera qu’une question de temps et il joue en notre faveur : nous avons l’éternité. « On va repartir d’ici peu de temps. Je vais juste continuer à protéger nos traces. » Je n’ai plus assez de capacités cognitives pour réfléchir à ce que cela implique. Je me contente de fixer le ciel et de m’accrocher à la conscience pour ne pas à nouveau basculer dans un dangereux entre deux. Déjà, il revient vers moi et j’ignore combien de minutes se sont écoulées. « On rentre. Je vais prendre soin de toi. Puis, on se vengera, tu verras. On la fera souffrir. On… » On les tuera. Je n’ai pas la force de lui répondre, uniquement celle d’accrocher mes mains un peu plus fermement que tout à l’heure autour de sa nuque, maintenant que le métal empoisonné à quitté ma chair.

Amos s’arrête et son flair lui dit ce que le mien – pour l’instant éteint – ne peux pas m’apprendre. Je reconnais la lueur dans ses yeux cependant : quelqu’un approche. Une seule personne ? A en croire le sourire carnassier qui étire ses lèvres, certainement : il ne se sent pas en danger. « Celui-là, il est pour toi. Maintenant. » Il me dépose doucement et, un instant après, me ramène un corps mort, mais encore chaud. Comme mue par le dernier éclat de force d’un mourant, je me redresse pour me pencher vers le corps, et j’enfonce mes canines dans sa chair avec avidité. Je ne déguste pas ; je bois à toute vitesse, dans le simple but de retrouver mes forces. Je saigne l’homme jusqu’à la dernière goutte et, déjà, mes plaies commencent à coaguler. Il m’en faudra bien plus pour retrouver ma vigueur, mais j’ai retrouvé ma jugeotte et la parole, tout comme mes capacités de guérison surnaturelles. « Si je pouvais, je les tuerais tous. » Je caresse la joue d’Amos et dépose mes lèvres – encore couvertes du sang chaud de sa victime – sur les sienne. « Nous les tuerons tous. » Moi, j’ambitionne de brûler ce village, de le réduire en cendre et de tuer jusqu’au dernier de ses habitants pour les punir de l’affront que j’ai subi. « Rentrons. » Je hoche la tête. « Tu vas devoir me porter. Je ne suis toujours pas assez forte. » Et je m’économise pour que mes capacités les plus vitales continuent à fonctionner. Il se baisse vers moi, et j’enroule mes bras autour de sa nuque tandis qu’il me décolle à nouveau du sol. « Une fois au manoir, fait venir la petite servante, la dernière arrivée. » La pauvre ignore encore qu’elle vit ses dernières heures. Je me nourris parfois sur mes servants, tous des fous et inconscients qui idolâtrent les créatures de la nuit. La plupart du temps, je les laisse en vie : ils constituent un garde-manger à portée de main. La pauvre jeune fille, et certainement d’autres, n’auront pas cette chance, j’ai besoin de boires encore plusieurs litres pour écraser ceux qui ont osé tenter de me supprimer et qui ont bien failli y parvenir.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
@Raelyn Blackwell & Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

Je ne rechigne pas à tirer sur le projectile, je renâcle surtout à l’idée d’être celui qui lui arrache les grognements gutturaux semblables à ceux des animaux aux abois. Je déteste décevoir et blesser celle qui a redoré le blason de mon estime de moi. Elle a fait de moi un être de nouveau spécial et ce n’est pas une allusion à ma nouvelle nature. Non. C’est bien plus complexe quoique je ne m’attarde pas sur ces questions. Elles ne sont pas primordiales. Pas autant que la nécessité de mener une vendetta qui s’empare de moi. Pas autant non plus que mon besoin de nous tirer de ce merdier le plus rapidement possible. L’espace d’un instant, j’ai même douté de l’entreprise de tuer l’un de nos assaillants. Il était seul cependant. Il était à ma merci, facile à appréhender, facile à traîner jusqu’au pied de celle qui a besoin de son sang pour se rétablir au plus vite de sa blessure dégagée du poison qu’est l’argent. Nul doute qu’elle a moins mal à présent. Je présume également qu’elle sera plus à même à échanger avec moi, dans la préservation de ses faibles forces - inutile de les épuiser - dès qu’elle se sera nourrie. La preuve étant, je la ramasse avec délicatesse et elle parvient enfin à accrocher ma nuque, cette fois. Elle arrive aussi à me jurer que nous serons les bras de la justice, de la nôtre et mon sourire, tantôt carnassier, s’élargit sur de la satisfaction, sur du contentement toutefois mêlé d’anxiété. « Je ferai en sorte de ne laisser aucun d’entre eux fouler le même sol que toi.» Ce qui sous-entend qu’une fois qu’elle sera à l’abri, je prendrai des risques pour elle. Je retournerai sur place pour trouver leur identité parce que je les connais, ces bougres. Quand ils seront las de nous traquer pour rien, lorsqu’ils retrouveront le corps sans vie de leur camarade, ils se réuniront dans mon ancienne maison pour discuter durant des heures aux pièges qu’ils envisageront de me tendre. Bien sûr, je ne parlerai pas de mon entreprise à Rachel. Je garderai pour moi cette folie, car je serai prudent. Je le serai assez pour lui revenir entier avec toutes les informations dont nous aurons besoin pour mener à bien nos desseins. «Je te laisserai avec la servante et le marmiton. Je ne l’aime pas.» Tout jeune et insignifiant soit-il, je déteste le regard lubrique qu’il pose sur les hanches de ma complice.

A peine a-t-elle été déposée dans son lit que j’ai fait appelé son repas. Je les ai entendus se précipiter pour la trouver. J’ai eu tout le loisir de grimper à l’étage et de poser sur notre lit la vampire affaiblie. D’abord, je l’ai observée en silence. Puis, profitant que traîne la souillon, j’ai embrassé le front blanc et blond de ma créatrice. J’ai caressé sa joue en me fichant d’avoir l’air faible. «J’aurais dû écouter, être moins hâtif. J’aurais dû… j’aurais dû t’empêcher de passer devant moi.» Son geste ressemblait à un sacrifice plus qu’à un excès de bravoure. «Tu savais, n’est-ce pas ? »

he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

« Je ferai en sorte de ne laisser aucun d’entre eux fouler le même sol que toi. » - « Amos. » Mes doigts attrapent son menton et, si je n’ai pas la force nécessaire à le forcer à tourner la tête dans ma direction, j’en ai assez pour effectuer une pression qui le poussera à le faire. « Ne me regarde pas comme si j’étais faible. Ne me considère pas comme une victime ou comme une princesse en détresse. » Je suis une prédatrice. Je suis un monstre, une créature de la nuit et sa créatrice. « Je te l’interdis. » Ces humains qui m’ont porté un coup qui aurait pu être fatal, nous les traquerons tous les deux et nous les dévoreront jusqu’au dernier, ensemble. Aujourd’hui, il m’a sauvé la vie. Demain, s’il se comporte comme tous les mâles de son ancienne espèce, c’est pour la sienne qu’il devra s’inquiéter. Mes forces me reviendront, similaires à autrefois et s’il mène une vendetta en mon nom et sans moi, il aura à craindre mon courroux. « Nous avons l’éternité pour nous venger. Eux, non. » La patience est l’une des vertus que nous nous devons d’avoir, puisque nous en avons le luxe.

« Je te laisserai avec la servante et le marmiton. Je ne l’aime pas. » Je laisse échapper un rire faible, témoin du peu de forces qui me sont revenues. « Il y a un temps pour tout. Mais soit, je dévorerai les deux si cela te sied davantage. » De toute façon, il ne cuisine pas pour nous mais pour le personnel : nous n’ingérons aucune nourriture humaine, seulement le sang qui coule dans leurs veines.

Il nous faut près d’une heure pour retrouver le manoir. Lorsque mon compagnon me dépose dans mon lit, je pousse un soupir de soulagement et de contentement. Les draps de soie, s’ils n’ont pas le pouvoir du sang humain sur ma santé, servent mon besoin de confort après une si dure bataille contre la faucheuse. « J’aurais dû écouter, être moins hâtif. J’aurais dû… j’aurais dû t’empêcher de passer devant moi. » Les remords et la culpabilité ne servent à rien. Ils ne nous apporteront rien de profitable et je les chasse d’un geste de la main. « L’appel du sang. Il est irrésistible. » Et parfois, il pousse à oublier toute notion de prudence, plus souvent encore pour des créatures inexpérimentées telles que lui. « Tu savais, n’est-ce pas ? » Je hausse les épaules, impatiente que la servante arrive, la vider de son sang continuera à m’aider à retrouver des couleurs. « Je ne savais pas. J’ai senti. » La présence de chasseurs tapis à moins d’une cinquantaine de mètre, l’odeur pestilentielle de l’argent, peut-être. « Je ne sais pas quoi, je n’ai pas eu le temps de l’analyser. » Je réfléchis un instant, caressant l’avant-bras de l’ancien chasseur. « Le danger. Avec le temps, ton instinct se développera, lui aussi. » Je ne lui en tiens pas rigueur, au contraire et, pour l’exprimer, j’attrape son visage en coupe dans mes mains. « Tu m’as sauvé la vie ce soir, Amos. » Et pour ce faire, il planté un carreau dans le ventre de sa progéniture sans hésiter une seule seconde. « Je n’oublie pas. » Je n’oublie rien.
   

he can't rewrite the aggro of my furied heart
@Raelyn Blackwell & Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

D’un geste, elle guide mon regard vers le sien et, bien qu’elle manque de force, elle m’invective. Elle m’ordonne de ne pas la prendre en pitié. Ce n’est pas ce que je fais. Je ne vois pas non plus une femme faible du genre que nous rencontrons lorsque nous sommes humains ,celles dont on doit assurer le confort par le mariage a s’assurant que bouillonne la marmite. Non. Je vois une femme fragilisée par sa blessure, conséquence d’une erreur que j’ai commise et dont je me sens coupable. Est-ce aussi cette impression qui m’est interdite ? « Ce que j’ai sous les yeux, c’est toi qui a été transpercée par un carreau d’arbalète par… par le bétail.» Il y a de la haine dans ma voix et mes lèvres se tordent. Je fulmine bien que je ne sache plus réellement contre qui. Qu’importe cependant. La chance nous apporte un festin, de quoi tenir jusqu’à ce que nous rentrions et je la saisis, cette occasion. Je l’attrape à bras le corps et je me réjouis de la vitesse à laquelle se sustente Rachel. Je l’observe avec une attention à peine dissimulée. Une part de moi est presque rassurée. L’autre, elle est pressée de rentrer. Je m’active aussi vite que possible et tandis que claque derrière moi la porte du manoir, je me sens enfin en sécurité. Je loue la sensation. Elle est appréciable. Elle est autant que le contact de la joue de ma créatrice sous la pulpe de mes doigts, que son front sous le velours de mes lèvres. Malheureusement, je n’en oublie pas ma responsabilité. « Je suis à présent appris, mais bien peu fier de moi. La prudence, c’est une autre vertu à apprendre.» Je secoue la tête tandis que j’attrape les deux mains dans les miennes. «C’est normal. Je ne l’ai pas fait que pour toi, tu sais, mais pour moi aussi. » Autrement dit, que ferais-je sans elle ? Que serais-je supposé devenir quand, je l’ai expliqué plus tôt, j’ai l’impression d’être un nouveau-né.

Peu désireux de poursuivre sur la voix des confessions, je suis ravi que l’on frappe à la porte. J’invite à entrer. La petite rousse, accompagnée du marmiton voué à nourrir notre troupeau, sont disposés à se livrer en pâture à la lionne ensommeillée qui ne demande qu’à redevenir elle-même. Elle a été claire. «Approchez. Nous ne vous voulons aucun mal.» Faux. Nous en avons après leur sang et, par conséquent, à leur vie. Rien pour moi. Tout est destiné à la santé de ma complice. Je ne suis là que pour maintenir le jeune garçon au cas où il se sentirait pousser des ailes du courage. Au lieu de ça, il est tétanisé. Il ne parvient pas à hurler sa peur. Horrifié, je n’ai à fournir aucun effort pour le maintenir en place. Je m’éclipse donc sans crainte alors que le corps de la fillette est tombée sans vie au sol. L’autre n’a pas tardé. Je les ai débarrassés du plancher et, revenant à son chevet, j’ai précisé qu’elle pouvait se reposer, se reposer aussi longtemps que nécessaire. Je veillerai jusqu’à ce qu’un sommeil serein l’emporte. Quand cette heure arrivera, je m’en irai quérir sans prendre de risque quelques informations utiles à planifier notre vengeance : je n’ai pas assimilé qu j’avais l’éternité. Si j’ai appris la prudence, j’ai du chemin à faire en matière de patience.

he can't rewrite the aggro of my furied heart
Raelyn Blackwell & @Amos Taylor – dimension gothique ☆ crédits/harley&casiopeis

« Ce que j’ai sous les yeux, c’est toi qui as été transpercée par un carreau d’arbalète par… par le bétail. » Le bétail. C’est sa progéniture qu’il désigne sous ce terme et je trouve les réponses à toutes mes questions : oui, sa loyauté m’est acquise. Oui, je peux lui faire confiance et, après aujourd’hui, c’est le cas, j’ai confiance en lui. Pour me sauver moi, il n’a pas hésité une seule seconde à blesser gravement son enfant et, maintenant, il nourrit un désir de vengeance. Il entend la vider de son sang et la faire souffrir – j’extrapole – pour son crime, celui d’avoir tenté de m’ôter la vie. Etais-je la cible de cette gamine insignifiante ? Était-ce son père ? Personne ne pouvait prédire qui de lui ou de moi passerait la porte en premier alors je suppose qu’elle s’en moquait, qu’elle était prête à nous pourfendre l’un ou l’autre sans distinction. « Et elle le regrettera. Mais si massacre il doit y avoir, j’entends bien participer. » Je n’ai ni besoin ni envie qu’on mène une vendetta en mon nom. Depuis soixante dix ans, je suis au sommet de la chaîne alimentaire de la région et j’entends le rester. J’ai choisi Amos comme partenaire, pas comme roi ou chevalier servant.

« Je suis à présent appris, mais bien peu fier de moi. La prudence, c’est une autre vertu à apprendre. » Allongée dans mon lit, prisonnière d’une sorte de douce torpeur, je caresse la joue d’Amos et je détaille ma si belle création, ma belle réussite. « Tu apprendras. » Il est normal que, prisonnier des carcans de l’humanité et de la mortalité, il soit encore imprudent et pressé. Je ne lui répète pas qu’il a l’éternité pour apprendre, je crains qu’il en ait le vertige. « C’est normal. Je ne l’ai pas fait que pour toi, tu sais, mais pour moi aussi. » Je lis dans ses yeux une certitude dont je me délecte : je lui suis essentielle. L’idée de me perdre lui a été insoutenable et a même décuplé ses capacité physiques et cognitives. Pour me ramener ici en un seul morceau, il s’est dépassé. « Accepte ma reconnaissance. » Elle est rare, et par conséquent terriblement précieuse.

Nous sommes interrompus par mes laquais qui, inquiet de ce qui les attend, entre sur la pointe des pieds. Personne n’ignore qu’être convoqué directement dans les quartiers de maître n’est pas bon signe ; tous savent ce que nous sommes. Amos immobiliser le jeune homme et, moi, j’utilise mes forces nouvellement retrouvée pour plaquer la jeune fille sur le matelas et la garder prisonnière des mes griffes tandis que je plante mes crocs dans sa nuque gracile. J’aspire jusqu’à la dernière goutte de son liquide vital, et l’autre jeune homme suit également. Lorsqu’ils tombent tous les deux au sol, les draps sont maculés de sang et je me sens déjà un peu mieux. Epuisée, mais vivante – façon de parler. Je fais signe à Amos de me rejoindre et, avant de m’endormir dans ses bras, je lui dresse des scènes sanglantes tirées d’un plan de vengeance de mon cru. Bien sûr, rien n’est décidé : je ne fais que nourrir notre besoin d’imaginer la tête de sa fille au sommet d’une pique, notre besoin d’obtenir justice ; la nôtre.
   

rp terminé