can't catch me now
Dina Esteves &  @Diego Gutiérrez

Comment est-ce que c’est arrivé ? Comment c’est possible, même ? Ton nom n’est inscrit que le nombre minimum possible, ta famille est suffisamment aisée pour que tu n’aies pas besoin de prendre de foutu tesserae et pourtant c’est bien toi qui a été appelée. Ton cerveau s’est mis en pause le temps de procéder l’information, le temps que ton voisin de derrière te mette un coup sur l’épaule pour te faire réagir. Et là, tout est revenu d’un coup. Le silence assourdissant, l’afflux sanguin soudain qui revient irriguer l’intérieur de ton crâne, la douleur dans ta main écrasée par ta soeur qui s’est elle aussi figée à l’annonce. La gorge sèche, t’as déglutis avant de faire un pas tremblant hors du rang. C’est à peine si tu oses relever la tête, préférant garder le regard sur tes chaussures comme apeurée à l’idée de trébucher sur une pierre et te ridiculiser devant tout le monde. Le chemin jusqu’à l’estrade est long, interminable et tous les murmures à ton passage sont occultés par ta respiration saccadée.
Merde, c’est arrivé.
La suite de la Moisson se passe comme si tu flottais hors de toi. Tu n’écoutes plus rien, pas la voix nasillarde de l’hôtesse, pas les mots d’encouragement du maire, pas le nom de ton co-tribut, rien. Ton corps ne se remet en marche que lorsqu’on vous emmène jusqu’à l’hôtel de ville où on vous fout dans des pièces séparées pour que les familles puissent venir vous voir et vous dire au revoir et tu sais plus où t’en es. Tes sens te reviennent petit à petit alors que la réalisation a encore bien du mal à se frayer un chemin. C’est ta soeur qui entre la première, qui lance l’idée folle de prendre ta place et que personne ne verra rien, qu’elle s’en sortira, mais à quel moment tu peux dire oui ? Jamais de la vie. Tu repousses sa suggestion d’un geste de la tête, forçant un sourire pour lui dire “hé, ça va le faire”, alors que tu sais très bien que ça va pas le faire.
Papa est silencieux, lui aussi, il fait semblant de sourire et d’encaisser la nouvelle mais n’a pas la force de prononcer la moindre syllabe. Maman, elle, c’est autre chose. Elle a l’air fière, elle répète que tu as toutes tes chances et que tu pourras revenir bientôt, couverte de gloire et de richesses, une fois que tu auras gagné. Elle donne des conseils comme si elle s’y connaissait, te somme de ne faire confiance à aucun autre jeune parce que là-bas c’est chacun pour sa gueule, et surtout de ne pas copiner avec ton camarade de district et aussi de bien écouter les équipes du Capitole parce que c’est eux, qui te feront gagner. Elle te dit de sourire, de te tenir droite et de jouer le jeu, que c’est ce qui te rapportera des points auprès du public et du coup des sponsors, tout ça comme si tu ne partais pas à l’abattoir et vers une mort certaine d’ici quelques minutes à peine.
Merde merde merde.
Après une visite aussi courte qu’interminable, ils partent, escortés à l’extérieur par les Pacificateurs qui referment les portes et de nouveau, le silence, la solitude, la réalité de la situation. On te demande d’aller dans la pièce d’à côté pour rejoindre ton co-tribut, et puis on vout dit que votre mentor va bientôt venir vous chercher pour vous accompagner à la gare et pour la première fois, tu jettes un regard au pauvre type qui a vu son nom sortir. Tu le reconnais vaguement, Diego, il est à peine plus âgé que toi et il a la mine au moins aussi déconfite. Lui aussi, vient de passer ses derniers instants avec sa famille, ou certains d’entre eux au moins, tu penses pas qu’ils auraient laissé toute sa fratrie rentrer parce que ça fait beaucoup. Pour la première fois depuis tout à l’heure, tu dis quelque chose. « Tu crois qu’on a une chance ? » Pas que tu veuilles partir défaitiste, mais il faut se rendre à l’évidence, tributs se préparent toute leur vie pour les jeux, ils sont même suffisamment fous pour se porter volontaire en étant persuadé de pouvoir gagner. Ils sont doués, intelligents et surtout ils n’ont pas peur de se salir les mains. La porte s’ouvre avec fracas, laissant apparaître une quinqua à qui il manque un bras et qui vous dévisage tour à tour. « Vous vous connaissez déjà ? Parfait, ça nous fait gagner du temps. ‘fin c’est pas ça qui vous empêchera d’mourir hein, » qu’elle ricane comme si vous aviez déjà perdu, tous les deux. Elle aussi, vous la connaissez de nom, la mentor qui se terre dans le village des vainqueurs depuis son retour des Jeux il y a une quinzaine d’années. Certains disent qu’elle est devenue folle, qu’elle chasse les curieux à coups de tesson de bouteille et qu’elle mange les chats qui s’aventurent chez elle. Des rumeurs sans fondement, t’en es sûre. « C'est encourageant comme façon d'aborder les choses, » que tu marmonnes entre tes dents.

Le jour était arrivé. Il en avait fait, du bruit, du remue-ménage dans l’ensemble des foyers où résidaient un enfant en âge de participer à ces jeux sordides - c’est à dire dans la majorité de ceux-ci. C’était une épée de Damoclès qui tanguait au-dessus de leurs têtes à tous mais qu’ils réussissaient à oublier quelques jours après la Moisson, en attendant la prochaine. Mais elle était déjà là, et chaque année semblait passer plus vite que l’autre au grand désarroi de Diego qui avait un mauvais pressentiment. Il avait été infect toute la matinée, jusqu’au moment où il avait fallu aller s’aligner sagement en de jolis rangs qui plairaient à ceux du capitole ayant fait le déplacement pour venir les cueillir. Dina Esteves. Un premier nom, prononcé alors même qu’il avait l’impression de ne se tenir là que depuis quelques secondes seulement. Tout allait vite, trop vite, et le Diego Gutiérrez qui avait suivi avait eu l’effet d’un énorme coup de couteau dans sa poitrine, le fait d’avoir ressenti au plus profond de son être que son tour était venu n’arrangeait en rien la difficulté de l’annonce. Son voisin de droite lui avait mis un coup de coude pour qu’enfin il s’avance jusqu’à l’estrade, sentant les regards de pitié sur lui, trouvant le regard de la première tribute qui serait dorénavant son seul repère. Jusqu’à ce que ce ne soit plus qu’eux deux. « Je vais me battre, pour vous. » Sa voix était tremblante et ses mots mal assurés, les regards sombres de ses frères qui s’efforçaient de rester forts mêlés aux larmes de ses soeurs et sa mère étaient autant d’informations qui ajoutaient à ce profond sentiment d’injustice. Plutôt lui qu’eux, se répétait-il en avançant, gardant la main de sa mère le plus longtemps possible dans la sienne, jusqu’à ce que son index glisse de sa paume.

« Tu crois qu’on a une chance ? » Il avait levé un sourcil après qu’un silence pesant lui ait fait comprendre qu’elle attendait réellement une réponse. Il y avait au moins la moitié de ce duo qui gardait un tantinet d’espoir, c’était déjà une bonne nouvelle. Il avait ouvert la bouche, prêt à dégainer un florilège de mots tous plus deséspérants les uns que les autres mais il avait été coupé dans son élan. Ce devait être leur mentor, cette femme brisée par des jeux remportés des années auparavant et la vision de son corps mutilé avait laissé un frisson parcourir son échine. « Vous vous connaissez déjà ? Parfait, ça nous fait gagner du temps. ‘fin c’est pas ça qui vous empêchera d’mourir hein, » Diego avait entendu quelques rumeurs à son propos mais aucune ne permettait de lui rendre le sourire, encore moins de jubiler à l’idée d’être entraîné par cette vieille pie. Venait-elle réellement de plaisanter sur leur mort certaine ? « C'est encourageant comme façon d'aborder les choses, » Il était venu se pincer l’arête du nez, fermant les yeux un instant pour se replonger seulement quelques heures plus tôt, quand son nom n’avait pas encore été tiré au sort. En relevant la tête, Dina était toujours face à lui, les bras croisés, une sorte de détermination visible sur son visage. Alors il avait soupiré, s’il ne le faisait pas pour lui, il le ferait pour cette fille qui lui rappelait un peu sa petite soeur. « Pour répondre à ta question, on a une chance sur … » Il avait pris le temps de faire le calcul, comme si l’événement ne se produisait pas chaque année avec une mécanique bien rodée qui n’avait plus changé depuis des dizaines d’années. « Sur vingt-quatre, autant te dire qu’on est foutus. » avait-il finalement lancé, prononcer le nombre tout haut ayant terminé de le rappeler à la réalité. Mais il savait que son défaitisme serait mal accueilli alors il avait haussé les épaules avant de poursuivre. « La vieille folle nous aidera pas, elle a survécu en se planquant mais cette technique fonctionne plus. » Si l’art du camouflage avait encore été un pari gagnant dans les jeux, Diego n’aurait de toute façon pas eu besoin de conseils à ce niveau parce que sa première idée aurait été de fuir et de se tapir dans un coin sombre. Mais il se souvenait de la pauvre Isabella, du district 4, l’année passée - une grenade offerte par un sponsor jetée dans son terrier et son sort en était jeté. Idiote. Il ne ferait pas la même erreur. « C’est quoi tes points forts ? Je te le dis direct, je ferai aucune alliance, Dina. » Parce que cela aussi, il savait que c’était inutile, les alliés seraient les premiers à lui enfoncer une lame dans le dos lorsqu’il serait endormi.

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Dina Esteves &  @Diego Gutiérrez

C’est pas tant que t’es défaitiste, comme gamine. D’ordinaire c’est même plutôt le contraire, tu trouves toujours quelque chose d’encourageant à dire pour les situations les plus désespérées mais il faut croire que ça ne s’applique que lorsque ça concerne les autres. Là, t’as eu bien de la peine à sortir un pauvre sourire au moment des adieux avec ta famille pour les convaincre que “hé, ça ira,” et t’as certainement rien trouvé à dire de moins convenu. Eux non plus, n’ont pas su comment te rassurer, et comment le pourraient-ils. Les chances de revenir sont minces, ils le savent aussi bien que toi, alors autant ne pas nourrir trop d’espoir, ça serait se faire du mal en vain. Dans le meilleur des cas, il y aura une bonne surprise, sinon, tu ne seras qu’un nom de plus tombé lors des jeux. Bien sûr, cette attitude défaitiste au possible ne t’empêchera pas de tenter quand même de sortir de là en vie.
Les adieux terminés, vous vous retrouvez seuls en compagnie de ton co-tribut et de celle qui sera votre mentor. Elle aussi semble avoir déjà accepté votre sort et tu ne peux t’empêcher de soupirer, déjà agacée par toute cette situation et l’image qu’elle renvoie. Tu ricanes légèrement à la réponse de Diego, te contentant de hausser les épaules. La vieille folle comme il dit en fait de même, préférant aller se servir un verre pendant que vous discutez. « Tu veux faire une alliance avec qui, de toute façon ? » Vous ne partez clairement pas avec un avantage avec votre unique mentor pour deux, c’est dire à quel point le taux de victoire pour votre district est faible depuis quarante piges qu’elle est rentrée, celle-là. « Heu… Je suis plutôt agile, je grimpe très bien aux arbres. » Et partout, en fait, l’avantage d’avoir longtemps travaillé aux vergers. « Un peu de basique de survie, aussi. » Quelles plantes manger ou pas, ça peut toujours être utile selon la configuration de l’arène. « Le combat c’est autre chose, par contre. » Clairement, tu n’es pas de ceux qui en viennent aux poings pour un rien, tu n’es pas non plus de ceux qui s'entraînent toute leur jeunesse dans la crainte qu’un jour peut-être, tu te retrouves jetée dans l’arène. Aujourd’hui et avec le recul, tu aurais dû. Au pire tu cours vite pour t’échapper, hein. Tu es relativement bonne actrice, aussi, mais à part durant la phase du Capitole, tu doutes que ça serve à quoi que ce soit une fois les Jeux commencés. « Toi ? » Il est grand, Diego, il doit avoir une certaine force et doit être capable de se débrouiller en combat rapproché. « Faut qu’on se trouve une histoire pour gagner des points auprès du Capitole. » Pas un truc forcément élaboré, mais au moins quelque chose qui attire la sympathie et attise l’empathie de ces tarés. « Genre on est amis d’enfance ou je sais pas quoi. » T’es sûre qu’il y a moyen de monter un bobard crédible en peu de temps.
Et il va falloir faire vite, parce qu’à l’instant où l'hôtesse va entrer pour vous dire qu’il est l’heure de prendre le train, ça sera plus compliqué de se mettre d’accord.

Ce n’était pas une grande surprise que de se retrouver appelé et de se retrouver embarqué comme une bête qu’on emmène à l’abattoir dans une vitesse folle. Pourtant, au fond de lui, Diego avait toujours gardé l’espoir de passer à la trappe et que son nom ne sorte jamais. Qu’il serait épargné aujourd’hui encore. Mais tout était bien réel et Dina devenait à partir de cet instant son unique repère, une position qu’il trouvait plus que désagréable. Malgré une famille nombreuse, Diego s’était toujours débrouillé seul et s’efforçait de ne compter que sur lui-même, il était celui qui portait sa fratrie et non le contraire. « Tu veux faire une alliance avec qui, de toute façon ? » Il avait haussé les épaules. « T’es pas sans avoir vu les jeux où les tributs du même district s’allient pour finalement devoir s’entretuer à la fin. Ça sert à rien, faut la jouer solo. » Sans même la regarder, il lui avouait la dure réalité qu’elle connaissait pourtant par cœur : ils seraient amenés à s’affronter l’un et l’autre. Et Diego faisait de son mieux pour taire les ressentiments qu’il éprouvait déjà à cette idée, venant s’assurer des compétences de la brune. « Heu… Je suis plutôt agile, je grimpe très bien aux arbres. » Ses yeux s’étaient enfin décidés à se relever vers elle, et il hochait doucement la tête. Plus il fixait son visage, plus il réalisait l’injustice de la savoir condamnée. « Un peu de basique de survie, aussi. » Dina marquait un point de taille parce qu’il ne suffisait pas de se méfier des autres tributs dans l’arène pour survivre, celle-ci regorgeait également des pièges de la nature et nombreux étaient ceux qui avaient péri en préférant manger la première baie cueillie plutôt que de supporter un ventre vide. Eux connaissaient la fin et auraient l’instinct d’être plus vigilants. « Le combat c’est autre chose, par contre. » Il avait grimacé, même si l’idée de se cacher était mauvaise, éviter le combat était toujours préférable pour eux qui ne sauraient pas comment s’y prendre. « Toi ? » « C’est une bonne question, j’ai passé tout mon temps à me convaincre que ça n’arriverait pas et vivre dans le déni m’a pas permis de prendre conscience de mes atouts. » avait-il lancé dans un rire qui n’avait rien de joyeux. « Je sais chanter ? Ça peut amadouer les sponsors ? » Puis il avait secoué la tête tant tout cela était ridicule. « Je vais faire confiance à mon instinct de survie, je cours plutôt vite et je sais être discret. J’ai espionné les conversations de mes frères et sœurs un nombre incalculable de fois. » Tout ça ne serait probablement d’aucune utilité sur place, mais il devait se rassurer lui-même. « Faut qu’on se trouve une histoire pour gagner des points auprès du Capitole. » Devoir jouer un rôle n’était probablement pas le pire dans la liste de tout ce qu’ils seraient amenés à faire pour tenter de survivre alors il avait une nouvelle fois haussé les épaules. « Genre on est amis d’enfance ou je sais pas quoi. » « Ouais, on peut même jouer les amants maudits, si ça peut aider. » Il était résigné, et savait que cette technique pouvait également se retourner contre eux. Diego s’apprêtait à en dire plus mais ils avaient été entraînés jusqu’au train avec un peu plus de ménagement que sur l’estrade des jeux mais avec toujours ce même empressement. Quand il avait retrouvé Dina, Diego portait un costume élégant et elle semblait elle aussi avoir passé un temps fou dans la salle de bain. Ce moment seul avait changé sa perception, il avait repensé à la façon dont il avait laissé penser à Dina qu’il était fort et fier, capable de rester seul dans l’arène et de ne jouer que pour sa propre personne. La vérité était ailleurs, et le regard qu’il posait sur elle était différent alors qu’il s’asseyait en face d’elle. « Voilà maintenant mangez pour pas qu’on vous pense déjà à moitié morts et tâchez pas vos habits, vous devez être impeccables pour le capitole. » Ils auraient pu écouter et tenter de garder un peu de leur dignité mais à la place, ils s’étaient jetés sur cette nourriture à profusion qu’on leur servait. « Ça te va bien, les frisettes ! » avait finalement lancé Diego après avoir assez mangé pour reporter son attention sur elle. « T’as pu réfléchir à une histoire crédible ou t’as respiré trop de laque pour te concentrer ? » Il n’avait pas envie de rire mais il voulait lui redonner le sourire car finalement, lui avait réfléchi. « Parce que moi j’ai réfléchi et … j’ai dit un sacré paquet de conneries tout à l’heure, parce qu’on peut pas réfléchir à chaud. Quitte à ce qu’il en reste qu’un, autant que ce soit l’un de nous deux et pour arriver jusque là une alliance sera utile. » Le regard qu’il avait posé sur elle était celui d’un grand frère protecteur et c’était sûrement la situation qui avait rendu tous ses sentiments plus intense mais l’idée de la voir mourir l’ennuyait profondément. « Moi je te tuerai pas. J’pourrais pas. » Il avait promis à ses parents de se battre mais il ne pourrait pas le faire contre celle avec qui il allait passer assez de temps pour tisser des liens. Il préférait l’autoriser à le faire elle-même et mourir en héros plutôt que survivre et devoir supporter le poids de la culpabilité.