chasin' that diamond on the horizon
@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

"C’est cheap." La voix rauque d’Isaiah Carter se fit entendre juste derrière Jo, à quelques centimètres à peine de là où elle se trouvait, assisse sur une chaise haute, à se faire retoucher les derniers éléments d’un maquillage plutôt chargé, mais rien ne la choquait plus aujourd’hui en terme de mise en beauté. Elle n’estimait pour autant pas que le résultat était cheap comme le disait son père qui, habillé tout en noir pour coller au stéréotype de la garde rapprochée, se tenait accoté à la porte de sa loge, les bras croisés sur le torse, avec sur le visage l’air de ceux qui sont en charge des choses quand en vérité, il n’avait encore que sa grande gueule à fermer. Chose que Jo n’hésita pas à lui faire remarquer en sautant de sa chaise, refermant et sécurisant d’une main leste son peignoir sur sa poitrine en remerciant du regard sa maquilleuse qui s’en alla aussitôt pour s’occuper du suivant "T’es mon garde du corps, pas mon manager." "T’as quand même l’air d’une pute." Elle l’attendait celle-là, ça ne lui fit ni chaud ni froid, même si elle le regarda fixement en s’arrêtant juste en face de lui, presque en le défiant des yeux d’en dire davantage. Il n’en dit pas davantage. Par contre, il esquissa un mouvement pour décroiser les bras. Juste ça. Rien de trop brusque ni de même violent. Il décroisa juste les bras en soutenant le regard de sa fille qui elle, pourtant, eut un mouvement de recule. Sa tête pivota brusquement sur le côté, une main se levant devant son propre visage pour contrer la gifle qu’elle s’attendait à recevoir — et qui ne vint pas, au contraire du rire de gorge d’Isaiah qui secoua la tête sans ouvrir la bouche, cette dernière se fendant d’un sourire en demi-lune tandis qu’il se satisfaisait en silence de toujours avoir cet effet-là sur ses enfants, sur elle en particulier, qu’il avait élevée de façon à ce qu’elle brille certes, mais aussi qu’elle le craigne, même s’il ne faisait que prendre sa respiration.

Elle resta un court instant dans cette position : tête tournée, dos de la main posée contre sa joue, yeux fermés fort, dans l’anticipation de quelque chose qui pouvait bien arriver en décalé, mais qui fila au plus les secondes s’égrainaient, et qu’elle prit conscience qu’il s’en était allé, lui aussi. Elle se rendit compte qu’elle avait retenu sa respiration, qu’elle relâcha en colonne contrôlée, en rouvrant peu à peu les yeux pour se rendre compte pour de bon qu’elle était bien seule, et que rien ne lui était arrivée.
Elle n’eut pas tellement le temps de s’en réjouir. Mabel débarqua pendant qu’elle reprenait sur elle, et que sans se laisser le temps de faire le point sur son anxiété d’avoir son père à proximité — qui choisissait toujours ses moments, aussi personne ne l’entendait jamais s’adresser à elle comme il venait de le faire —, elle lui répondit dans la foulée "C’est mon mode par défaut." De briller, pas de se liquéfier comme elle l’avait fait il y avait quelques secondes à peine, à l’abri des regards indiscrets. Elle se recentra, ne s’en laissant pas le choix. Jo n’était pas ici pour faire de la figuration, et elle espérait que Mabel non plus. Se tournant vers le miroir bordé d’ampoules, elle jeta un oeil à son reflet sans trouver nécessaire de donner raison à son père  — elle était sublime, elle n’avait pas l’air d’une pute, quoi qu’il en dise —, et prit le chemin de la discussion avec son acolyte qui semblait vouloir en découdre aujourd’hui. Tant mieux, ça lui donnait l’opportunité de remettre ses objectifs en perspective "On passera les dernières, mais le voit pas comme un affront. Tu sais ce qu'on dit, le meilleur pour la fin." Et elle croyait sincèrement que c’était leur duo qui était le plus attendu sur cet album collaboratif qui sortirait à temps pour les fêtes.

chasin' that diamond on the horizon
@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

"Ou du mien." De retard, Jo étant connue pour être encore moins ponctuelle que Mabel, encore qu’elle faisait des efforts quand il s’agissait de ne pas nuire à sa réputation de bourreau de travail. Elle laissa un léger rire lui échapper après avoir répondu à la jeune femme, se jetant un regard dans le miroir pour constater que les dires de son père étaient faux, et se concentra sur autre chose, sur ce qui les attendait dans quelques minutes à peine. À ce stade, jouer avec les faux-semblants, c’était devenu une seconde nature pour Jo. Elle ne trichait pas comme on l’entendait, mais elle savait faire tourner toutes les situations à son avantage. Elle savait se protéger sans avoir beaucoup à se forcer, ça lui permettait de les préserver, elle-même et ses secrets, et d’avancer dans une direction qui lui semblait plus digne que celle qui la mettait dans une position qui la faisait passer pour plus faible qu’elle ne l’était. Elle était beaucoup de choses, mais elle n’était pas faible, et elle refusait qu’on puisse ne serait-ce que le penser. Alors elle ne s’appesantissait que rarement sur ce qu’elle ressentait, surtout quand ça mettait en avant une quelconque difficulté, trouvant que s’attarder sur tout ça, c’était alimenter la compassion et la pitié, deux choses qu’elle ne voulait inspirer à personne. Elle préférait inspirer la jalousie, l’admiration, l’envie, l’agacement à la rigueur… tout valait mieux que ça, qu’importe ce que ça disait d’elle.

Elle ne savait pas vraiment pourquoi l’équipe chargée du shooting d’aujourd’hui les avait fait venir en avance si c’était pour qu’elles passent en dernier, mais ça ne dérangeait pas Jo qui, parfois, savait se soumettre à ce qu’on attendait d’elle, convaincue que ça servait l’image qu’elle projetait. Mabel en revanche, elle paraissait plus courroucée "T’es pas habituée à attendre des lustres quand tu tournes ? J’ai toujours entendu dire que le cinéma, c’est un métier où on passe son temps à poireauter." Entre les prises, notamment, alors Mabel devait y être habituée. Reprenant peu à peu sur elle, Jo tourna la tête vers la jeune femme qui dans la foulée, se plaignait du look qu’on lui avait donné "T’avais quel âge dans les années 90, Mabel ?" Elle la taquinait avec l’éternel sourire espiègle qui creusait ses fossettes cachées, celles qui lui dévoilait la sale gosse qu’elle était restée, aussi insolente qu’elle était déterminée à laisser croire à qui le voulait bien qu’elle était encore dans sa vingtaine. Détournant ses yeux du profil de Mabel, elle se regarda à nouveau dans le miroir en se levant de sa chaise qu’elle avait rejointe un instant, et puis elle effaça les paillettes qui faisaient baver son rouge à lèvres avec son petit doigt, et tout ça en continuant "Kylie était une icône dans ces années-là, non ? Ou c’était dans les années 80 ?" L’un ou l’autre, Jo restait tout de même trop jeune pour avoir une vue d’ensemble de la carrière de la chanteuse dans ces années-là, même si évidemment, elle avait en tête le genre d’univers dans lequel elle évoluait à cette époque. Se retournant vers Mabel, elle la toisa pour s’arrêter sur son visage maquillé à la mode de cette décennie en particulier "Moi je te trouve canon —" Elle n’avait pas l’air autre chose qu’une putain de star, si on lui demandait son avis "— j’ai hâte de te voir dans ta tenue. Tu sais ce que tu vas porter ?" Elle, elle en avait une idée nette et précise, ne tenant à rien laisser au hasard, et n’hésitant pas un seul instant à faire valoir ses idées et ses désirs, maîtresse de son image.

chasin' that diamond on the horizon
@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

"Ça me fait presque plaisir de me rendre compte que t’es pas aussi parfaite que t’en as l’air." Le sourire espiègle de Jo n’en finissait plus de fendre son visage qu’elle admirait dans le miroir, ses yeux trouvant ceux de Mabel au travers. Doucement, elle se retourna pour lui accorder son attention directe, et ajouter "T’es aussi impatiente que moi, j’aurais jamais cru ça possible." Ça lui faisait presque plaisir de voir Mabel se révéler au plus elles se côtoyaient. La première fois qu’elle l’avait vue, elle l’avait jugée directement parce que c’était comme ça qu’elle fonctionnait, et que sa propension à se faire une idée hâtive de la personnalité des autres, c’était son péché mignon. Elle la trouvait coincée Mabel, elle la trouvait aussi trop lisse pour qu’elle ne soit autre chose que parfaite, alors la voir démontrer un tantinet d’impatience aujourd’hui, ça la faisait frétiller et se languir de la possibilité qu’elle puisse un jour s’énerver. Elle aimerait tellement voir ça qu’elle prendrait un ticket aux premières loges si on lui en laissait l’occasion.

"T’es si vieille. T’es déjà passée par la chirurgie ? Tu peux me le dire, je le répéterais à personne, juré." exagéra-t-elle, ayant toujours aimé jouer avec l’âge des autres quand le sien lui posait clairement un problème "Je t’ai pas demandé d’ailleurs, c’est toi la plus âgée de ta fratrie ?" Elles avaient un peu discuté de la famille de la jeune femme l’autre fois qu’elles s’étaient vues, et Jo n’en donnait pas l’air, mais elle écoutait ce qu’on lui disait. C’était encore le meilleur moyen d’apprendre à analyser son prochain, et elle était bonne pour ça quand elle ne faisait pas sa mauvaise tête, alors elle retenait certains détails sur lesquels elle ne rebondissait pas tout de suite, les gardant pour les utiliser au moment le plus opportun. Là, il fallait bien combler la discussion par exemple, alors ça ne lui semblait pas illogique de le faire tandis qu’elles échangeaient des compliments que Jo n’avait pas besoin de recevoir au demeurant, étant assez sûre d’elle pour savoir qu’en effet, elle était canon — n’en déplaise à son père qui trouverait surement à redire quand il verrait sa robe, mais personne ne lui demandait son avis, c’était encore ce avec quoi elle pouvait se consoler aujourd’hui "Est-ce qu’ils vont pousser le cliché en te faisant porter des patins à roulettes ? Parce que je paierais une fortune pour te voir te débrouiller avec ça." s’amusa-t-elle en se figurant de la tenue que la jeune femme porterait pour leur shooting. Jo de son côté, ne dérogerait pas tellement à ce qu’elle avait l’habitude de porter. Elle avait beau juger sa comparse pour être née dans les années 90, elle puisait son style dans les références de ces années-là. Elle ne portait que rarement des pantalons au quotidien, elle était petite et bien trop portée sur les apparences pour vouloir se tasser en ne portant rien d’autre que des minis-jupes, des minis-robes, et toute la panoplie qui lui permettaient de tricher un peu sur sa taille — Jo sans talons ? C’était presque impossible, même quand elle était à plat, elle trottinait sur la pointe de ses pieds —, et aujourd’hui ne ferait pas exception. La mini-robe Bottega Veneta vintage qu’elle porterait ferait honneur au style qui était le sien, et ne jurerait pas avec la tenue de Mabel qui mentionna sa fille. Le regard de Jo s’agrandit très légèrement "T’aurais dû l’amener, elle aurait adoré être ici." Elles étaient définitivement meilleures amies maintenant, Jo et Rosie "On devrait peut-être aller s’habiller maintenant ? À moins que tu veuilles charger davantage ton maquillage en paillettes ? Je trouve qu’il en manque un peu là." fit-elle pour plaisanter, désignant un coin des yeux de Mabel en commençant à marcher vers la sortie de sa loge.

chasin' that diamond on the horizon
@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

"Bienvenue au club." Inutile de revenir sur le parcours scolaire chaotique de Jo. A part jouer à la terreur, elle n’avait pas fait grand-chose à l’école. Elle avait certes laissé un souvenir mémorable à ses professeurs et à ses camarades de classe, mais pas parce qu’elle brillait par sa constance en cours. En revanche, elle était assidue au cours de musique, et chacun s’accordait à dire que c’était son truc, sans débat possible. Elle n’était pas faite pour l’école, il n’y avait pas de mal à ça, et visiblement, Mabel ne l’était pas non plus. Elle avait l’impression que c’était un point commun aux artistes : rester dans le cadre scolaire, c’était une torture à laquelle ils échappaient bien souvent très tôt. Jo n’avait même pas terminé le lycée, elle avait quitté Dalby avant d’obtenir son diplôme de fin de cursus, et une chose était certaine : ça ne lui manquait pas, elle s’en foutait "Me dis pas que t’étais turbulente en plus d’être mauvaise élève ?" qu’elle lui demanda finalement, de plus en plus intriguée par l’idée qu’elles avaient peut-être plus de points communs qu’elle ne le soupçonnait.

Elle glanait des informations sur l’actrice en même temps qu’elle la taquinait ici ou là sur des sujets délicats pour ceux qui faisaient des métiers d’image. Mais Mabel n’avait pas encore cédé à l’appel du bistouri "T’en as pas besoin de toute façon." Bien sûr que son avis comptait "Pas trop difficile d’être au milieu ? On dit pas que c’est une place ingrate pour un enfant ?" Pour ce qu’elle en savait, elle, la petite dernière choyée les dix premières années de sa vie, avant de s’en faire mettre des belles par son père qui jugeait que son caractère avait besoin d’être calmé de temps en temps. D’ailleurs, elle lui retourna ses questions la jeune femme, et c’était de bonne guerre, même si ça l’emmerdait déjà de devoir raconter ce genre de choses. Parler d’elle d’accord, infiniment s’il le fallait, mais pas de sa vie, de son enfance, et de ce qui apprenait aux autres quel genre de jeune femme elle pouvait vraiment être sous l’attitude de diva "Ouais, cinq frères. Je suis la  seule fille, et la dernière." Pas la mieux lotie ceci dit, même si elle ne jugeait pas que ses frères avaient eu la vie moins dure qu’elle. C’était presque à égalité, sauf qu’eux, à un moment donné, ils avaient appris à obéir, quand elle, elle s’était juste enfuie pour ne pas devenir aussi lâches qu’eux.

Elle ne parlerait pas plus de ça "Maintenant que je sais que t’as vécu des choses sur des patins à roulettes, je vais glisser à l’oreille du photographe de faire une série où tu devras être perchée dessus." La peste. Elle ne faisait que plaisanter, enterrant le malaise qu’elle ressentait depuis tout à l’heure, l’ombre de son père planant au-dessus de sa tête comme un nuage menaçant "Je comprends." fit-t-elle seulement quand Mabel mentionna Rosie et que Jo regretta presque — presque — son absence. D'un autre côté, elle se disait aussi que le monde dans lequel évoluait sa maman n’était pas fait pour une enfant, alors c’était encore Mabel qui avait raison de la tenir le plus éloignée de tout ça. Jo n’en avait pas, elle ne réagissait qu’avec l’insolence de ceux qui n’étaient pas restés des enfants très longtemps, et qui se faisaient tout un monde de l’enfance rêvée ; dans un monde parfait, tout devait être un jeu. Mais le monde n’était en rien parfait, et Jo le savait.

"C’est vrai, j’oubliais que toi t’étais chiante à crever." Elle ne restait jamais bien longtemps sympa, même si là, elle continuait de sourire en demi teinte, sa bouche fendant en demi-lune un côté de son visage "Et tu vas me faire te supplier pour voir des photos de toi à cette époque ? Tu sais que je supplie pas moi." Pas tout le monde en tout cas. Elle irait faire un tour sur Google, qui sait ce qu’elle trouverait du côté des photos gênantes disponibles de la si élégante Mabel Griffiths. Ça la fit rire d’y penser, tandis qu’elle la laissa un instant seule pour se changer, et qu’elle revint vers elle pour la toiser de bas en haut, et lui dire "Tu veux un scoop sur mon album ?" C’était l’effet boule à facettes qui l’y faisait penser, et alors qu’elle n’en dirait pas trop, queen du teasing autoproclamée, elle lui dit mystérieusement, se plaçant devant le miroir à pied en même temps "Habillée de cette façon, tu pourrais bien avoir ta place dans l’un de mes clips vidéos." Elle n’en dirait pas plus, se contentant de s’observer, satisfaite du résultat de son côté.

chasin' that diamond on the horizon
@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

Elle aurait pu rire de la définition de l’enfant turbulent de Mabel, mais elle réalisait qu’elles ne venaient pas du même genre de cocon, alors leur vision des choses différaient sans aucun doute sur la question. Quand Mabel ne faisait que pas faire ses devoirs, Jo enfonçait la tête d’Erin la bêcheuse dans les toilettes du gymnase parce qu’elle avait insulté Laurie de fausse fille. Deux poids, deux mesures, et si ça ne représentait guère une honte du côté de Jo d’avoir été la terreur de son école à un moment donné de sa vie, elle préféra cependant ne pas en faire une histoire en se disant qu’au fond, Mabel avait bien fait de s’enfoncer dans ses rêves étant donné qu’aujourd’hui, elle les réalisait un à un. Comme quoi, pas besoin de diplôme pour réussir, elle était bien placée pour le savoir, même si les jours de galère avaient été plus nombreux que ceux de gloire. Elle se rattraperait, elle y croyait assez fort pour ne pas oublier d’où elle venait, cherchant à tout prix à contenter la gamine frustrée par le trop peu qu’on lui vendait comme le meilleur, quand elle savait que le meilleur, elle l’aurait ailleurs. Elle l’avait aujourd’hui, elle n’était pas prête à y renoncer.

"C’est moi qui interprète trop les choses, ou t’es archi-jalouse de cette soeur parfaite ?" lui demanda-t-elle sans tourner autour du pot "J’ai pas de soeur, je sais pas ce que ça fait d’être comparée aux autres." Elle avait des frères, mais ce n’était pas la même chose. Elle était la boss par défaut, eux n’étant là que pour accomplir leur tache sans moufter alors que si Isaiah leur avait donné leur chance, ils auraient brillé aussi fort qu’elle, elle en restait persuadée "Me traite pas de curieuse, j’essaye juste de comprendre votre dynamique." se défendit-elle sans vraiment le faire, ses yeux posés sur une Mabel qui à son contraire, ne rechignait pas à s’enfoncer dans les méandres de son histoire familiale qui, en opposition à celle de l’actrice, revenait forcément chaque fois sur le tapis. Ça la fit soupirer, et lui répondre dans la foulée, un léger agacement accentuant le rauque naturel de sa voix — elle lança un regard par-dessus son épaule pour vérifier que son père n’était pas là, et se lança en choisissant de donner une version plutôt édulcorée de l’enfance qu’elle avait vécue "Un peu des deux, je dirais. Jusqu’à un certain point ma mère m’appelait son trésor, puis au bout d’un moment, je suis devenue son problème." Ça la fit rire, parvenant presque à entendre l’espagnol parfait de sa mère à ses oreilles. Mais ce n’était drôle que parce qu’elle savait que devenir belliqueuse comme elle l’était, c’était avant tout pour se protéger, et garder la main d’un destin qu’on voulait contrôler à sa place — ce n’était pas drôle en vérité, mais elle faisait comme elle pouvait pour se rassurer "Tu t’entends bien avec ta soeur parfaite aujourd’hui ? Je crois que tu m’as dit qu’elle gardait Rosie parfois, alors ça doit bien se passer entre vous, non ?" Décentrant le curseur de la conversation à nouveau, elle laissa le loisir à Mabel de lui répondre.

"Quoi, t’as pas de profil sur Instagram ? T’aurais pu poster des throwbacks pour ce que j’en sais." fit-elle en s’étonnant de l’étonnement de Mabel à qui elle demandait des photos d’elle dans sa jeunesse. A ça de lui lâcher un boomer en pleine tronche, elle se détourna pour se changer, et opina simplement du chef pour lui faire comprendre qu’elle ne se gênerait pas pour aller effectivement regarder sur Google ce qu’elle trouvait comme photos gênantes la mettant en scène. Il y en avait surement, personne n’était à l’abri de ce genre de choses, et dans sa grande espièglerie de bas-étage, Jo était friande de ces choses-là. Comme de paillettes, chose qui n’était pas passée inaperçue auprès de Mabel à qui elle répondit d’abord par un sourire avant de lui expliquer "Je le prends comme un compliment, même si ça t’étonnera d’apprendre que dans ma vision parfaite des choses, j’ai toujours rêvé d’une simple robe noire comme costume de scène jusqu’à la fin de ma carrière." Comme ses idoles les plus classiques, celles qu’elle rêvait de devenir, qui n’avait pas besoin d’autres choses que de leur talent pour soulever les foules. C’était The X Factor qui l’avait conduite sur le chemin du m’as-tu vu, autrement Jo aurait su se contenter de toilettes moins clinquantes. Elle y avait pris goût cependant, elle aimait jouer avec ça, tirant toujours un peu plus vers le faste pour faire parler, et ne se privait pas pour le faire aujourd’hui. Désormais, la voir dans du classique, c’était contre-nature "Mais j’ai appris à aimer ce qui brille, et ça me va plutôt bien." Et puis ça collait à ce qui se préparait depuis des mois, même si encore une fois, les concessions qu’elle avait faites lui ferait regretter de ne pas être totalement libre. Elle avait trouvé un bon équilibre ; le crescendo imposé à la tracklist de son album, c’était un choix artistique qui ferait parler, ça aussi, et elle avait hâte de savoir si elle avait réussi son pari au moment où ça sortirait enfin. Très bientôt d’ailleurs, il suffisait de la suivre sur les réseaux sociaux pour le savoir — et sans doute que teaser aussi tièdement les choses auprès de Mabel, c’était l’obliger à la suivre enfin sur Instagram "J’ai quasiment tout écrit, à part la musique." fit-elle savoir à la jeune femme qui, très délicatement, lui demandait son ressenti au sujet de ses projets "C’est un premier album, mon style s’affinera au fil des performances, au fil des années aussi. Mais le compromis que j’ai trouvé avec mon label est satisfaisant." Et même si une partie d’elle pensait toujours l’avoir volée, sa place au sommet, elle savait aussi qu’à une époque, elle avait été à ça d’obtenir ce qu’elle avait toujours désiré, alors peut-être qu’il était temps pour elle d’admettre pour de bon ce qu’on orgueil lui soufflait ; et c’est qu’elle fit en se tournant vers Mabel pour lui dire, aussi fière qu’elle était espiègle sur l’instant "Ça va envoyer, je peux être que satisfaite." Une assurance qui faisait briller ses grands yeux bruns d’autre chose que de la terreur portée par la présence néfaste de son père, et qu’elle accompagna d’une légère inclinaison de sa tête sur le côté pour demander à sa comparse "Tu viendras me voir en tournée ?"

chasin' that diamond on the horizon
@Mabel Griffiths ☆ crédit/josshelps

C’était drôle qu’en une réponse seulement, Jo réussissait à parfaitement saisir ce que ressentait Mabel à propos de sa soeur qu’elle ne jalousait pas, mais avec qui elle devait toujours être un peu en compétition aujourd’hui "Je vois. C’est toi le cygne noir de la portée." Elle trouvait ça étonnant. Quand elle regardait Mabel, elle avait du mal à se dire qu’elle puisse récolter la palme de l’outsider. Pourtant, à l’entendre parler de sa relation avec sa soeur, elle comprenait que c’était exactement ce qu’elle avait été. Avait-elle pris sa revanche aujourd’hui, est-ce qu’elle avait voulu la prendre d’ailleurs ? Difficile à dire. Elle n’était pas certaine d’avoir envie de creuser davantage, ayant le sentiment de le faire déjà bien trop depuis quelques temps déjà, presque chaque fois qu’elles se retrouvaient dans la même pièce. Mais elle aimait se dire que c’était aussi dysfonctionnel chez les autres que ça l’était chez elle, c’était une maigre consolation pour la petite-fille forcée de grandir trop rapidement qu’elle avait été et qui était devenue une jeune femme pleine de colère. Elle n’avait pas envie de s’appesantir sur le problème qu’elle était devenue pour ses parents à l’époque, aussi joua-t-elle le mystère en faisant remuer ses sourcils simplement, s’intéressant à nouveau à Mabel qui continuait à lui conter se relation avec sa soeur "Vous avez fait un pacte qui vous empêche de les comparer et de les monter l’une contre l’autre, comme vos parents l’ont fait avec vous ? Je trouverais ça logique que vous vouliez faire les choses différemment." Elle trouverait ça logique qu’elles ne veuillent pas réitérer les erreurs de leurs parents qui visiblement n’avaient pas eu des enfants pour les bonnes raisons.

"T’es pas du genre à t’enlaidir pour un rôle alors ? Je suis déçue, moi qui espérais que tu finisses par perdre ta taille de guêpe et que tu deviennes hideuse pour enfin gagner un Oscar." Elle mima la déception, mais ce n’était que du jeu qu’elle termina par un léger sourire quand vint son tour d’étonner Mabel avec ses vraies aspirations "Tu sais que le monde a connu d’autres grandes chanteuses après Edith Piaf, ou ton âme est restée bloquée dans les années 30 ?" L’icône  du désespoir à la française n’était pas la seule à avoir fait de la robe noire sa signature, mais elle n’en voulait pas à Mabel qui à côté de ça, se montrait plutôt élogieuse à son sujet. Venant de quelqu’un qui n’était pas obligée de l’apprécier, ça la flattait véritablement, elle qui avait l’habitude qu’on lui mange dans la main sans être particulièrement agréable au demeurant. Là, elle avait l’impression d’être jugée sur un terrain neutre, et ça la changeait "Ouais, c’est ce qu’on me dit souvent, que c’est la scène qui donne toute sa valeur à ce qu’on fait." Elle avait fait beaucoup de scène étant jeune Jo, mais ce n’était pas comparable à ce qu’on lui vendait comme le but à atteindre de mois et de mois à travailler sur un album de le trempe de celui qu’elle était en train de finaliser. Elle ne commencerait pas sa carrière en jouant dans des stades, mais elle s’en fichait un peu, aussi étonnant que ça pouvait paraître venant de la part de quelqu’un d’aussi orgueilleux qu’elle ; elle aimait les scènes intimistes, c’était ce qu’elle préférait au monde, et c’était cet objectif qu’elle voulait atteindre pour l’heure, consciente qu’il fallait y aller étape par étape et ne pas les brûler, même si elle en mourrait d’envie à certains moments donnés, jamais rassasiée. Elle voulait faire les choses bien, c’est tout ce qu’elle savait. Elle voulait assurer son avenir dans la musique de façon pérenne, pas en les rushant simplement parce qu’elle avait la dalle de tout ce dont elle avait été injustement privé pendant six ans. Elle avait le meilleur exemple devant les yeux en la personne de Midas qui avait avancé pas à pas pour devenir ce qu’il était aujourd’hui, et c’était ce chemin-là qu’elle voulait suivre parce qu’elle savait que c’était le bon. Elle avait hâte, autant que Mabel qui à ce train-là, pourrait se revendiquer comme faisant partie de son fanclub "Tu pourras emmener Rosie." lança-t-elle, se tournant vers elle avec son éternel air espiègle sur le visage, une épaule doucement remontée pour parfaire sa comédie "Promis, ça restera tout public." Rien n’était moins sûr "On devrait peut-être aller vérifier qu’ils nous ont pas oublié, ça commence à être long leur affaire là." proposa-t-elle à la jeune femme qui de nouveau, lui faisait un compliment qu’elle choisit d’accepter humblement pour une fois, lui frôlant l'épaule avec gratitude quand elle passa à ses côtés, comme un merci qu’elle ne prononcerait pas.