Lorsque Lucas claque la porte de son appartement, il se sent réconforté par l’odeur qui emplit ses narines. L’odeur de son chez soi. Il a l’impression de ne pas y avoir mis les pieds depuis des semaines, alors que ça fait seulement deux jours. Deux jours d’intervention, sous la tempête. Par chance, son immeuble a été assez solide pour résister au vent et à la pluie torrentielle qui s’est déchaînée sur Brisbane. La façade a bien été érodée ici et là, mais tout est assez superficiel. Il avance dans l’appartement, se délestant de sa veste et ses clés dans l’entrée, avant de littéralement s’affaler dans son canapé. Il porte le même équipement depuis deux jours, mais ça n’empêche pas Jazz de grimper pour se coller à lui. « Tu trouves pas que je sens la tempête, toi, hein ? », demande-t-il à son chien, faisant référence à ce que son amie Mabel lui avait fait remarquer quelques heures plus tôt. Il l’avait laissée soigner sa blessure à l’épaule et elle ne l’avait pas autorisé à rentrer chez lui avant qu’il ait pris un petit truc à manger. L’occasion pour eux deux de discuter de choses plus personnelles. Lucas avait fini par parler de Greta à son amie, même s’il savait que la biographie sur Rhett écrite par la première ne les mettait pas forcément dans de bonnes dispositions. Mais, il avait ressenti le besoin d’exprimer sa frustration, de lui raconter un peu ce qu’il vivait. Le souvenir de cette conversation lui rappelle que la batterie de son téléphone était complètement déchargée ; il se lève alors pour le déposer dans un coin de la pièce, branché à son chargeur. Il sait d’avance qu’Alex l’aura certainement harcelé de messages et s’il ne voulait pas la voir débarquer sans prévenir, il devait lui assurer au plus vite qu’il était toujours vivant. Il soupire, passant ses mains sur son visage : ça y est, il commence à réellement la sentir. La fatigue dans chacun de ses muscles, le manque de sommeil de ses deux derniers jours. L’adrénaline l’avait maintenue réactif, alerte, invincible pendant 48 heures, comme un sursis dans sa vie post-pompier. Il craint maintenant la redescente, espérant que la fatigue le terrasse suffisamment pour pouvoir dormir des heures et des heures et ne pas sentir de douleur dans sa jambe. Mais avant cela, une bonne douche était nécessaire. Car oui, il sent la tempête, la sueur, la pluie et même s’il était heureux d’avoir pu aider ses anciens collègues, Lucas ne tenait pas à en garder l’odeur toute sa vie. Il sort de la douche quelques minutes plus tard, brûlant. La salle de bains est baignée de vapeur et il doit passer sa main sur le miroir pour en enlever la buée. Il observe son reflet, quelques instants. Toutes les cicatrices sur son corps, ses brûlures qui zèbrent son torse. Elles sont le témoignage de son histoire, de son engagement. Elles lui rappellent à la fois son pire souvenir, mais aussi ses meilleures années ; ce sont bien les dernières quarante-huit heures passées sur le terrain, avec ses anciens collègues qui le lui ont rappelé. Il se sent reconnaissant, comme il ne l’a pas été depuis longtemps. Il essaie de se refaire le film, de garder chaque moment, chaque victime secourue, chaque petite victoire, chaque remerciement, précieusement dans sa tête, pendant qu’il essaie tant bien que mal de refaire le pansement appliqué par Mabel au niveau de son épaule. Ce sont de grosses égratignures, pas assez profondes pour nécessiter des points de suture, mais assez vives. Il nettoie la plaie, se contorsionnant pour y voir quelque chose dans son miroir, lorsqu’il entend sonner. Il soupire. Alex n’avait donc pas pu se retenir de passer. La sonnerie retentit une seconde fois, se faisant un peu plus insistante. Il enfile un jogging, son torse toujours nu, du sparadrap à moitié décollé de son épaule. « J’arrive ! », lance-t-il, à l’autre bout du couloir. Jazz est déjà au pied de la porte, remuant la queue. Maintenant, des coups secs sur la porte ont remplacé la sonnerie. « Eh Alex, j’arrive, c’est bon ! », dit-il derrière la porte, passablement agacé. Il fait signe à Jazz de rester tranquille, avant d’ouvrir et de se retrouver nez à nez avec… Greta. « Oh. Déso, je pensais que c’était Alex. », dit-il. « Tout va bien ? », lui demande-t-il avec un pointe d’inquiétude dans la voix. Il sait où est-ce qu’elle s’était abritée pendant la tempête, et la crainte que quelque chose de mal lui soit arrivé vient serrer sa gorge. Il s’était promis de ne pas interférer, mais si Greta venait à souffrir, il pourrait très bien revenir sur sa promesse.

@Greta Moore

Le temps s’était calmé presque aussi vite qu’il s’était changé en ce cyclone dont Greta avait pu constater les dégâts sur le trajet de chez Arthur à chez elle. Seulement quelques minutes de marche et pourtant, le décor se dévoilait déjà bien assez sous ses yeux et cela avait eu pour effet de lui rappeler l’absence de réponse de Lucas. Elle avait envoyé plusieurs messages, tous les destinataires - Carmine, par exemple, dont le message l’avait encore plus soulagée que tous les autres - avaient répondu et l’excuse du réseau n’en était plus une. Alors elle s’était questionnée, peut-être n’avait-il pas eu envie de lui donner de nouvelles alors qu’elle lui avait refusé un service. Peut-être qu’il y avait une explication simple, mais compte tenu de son implication chez les pompiers et son premier accident, la blonde avait finalement choisi de s’inquiéter. S’arrêtant un instant dans la rue pour vérifier une nouvelle fois son téléphone, elle avait fait volte face et n’avait pas pris le temps d’aller se changer avant de sauter dans un taxi. Et quand elle en était sortie, son état d’esprit avait déjà changé et elle ne savait pas si cela était une bonne idée, la spontanéité dont elle avait été prise avait eu le temps de faire son chemin. « J’arrive ! » Malgré le son de sa voix qui venait lui assurer que tout allait bien, Greta avait frappé à nouveau. « Eh Alex, j’arrive, c’est bon ! » Et à cette annonce, elle aurait pu tourner les talons et partir, mais quelque chose l’en empêchait, sûrement cette envie de le voir qui ne l’avait pas quittée depuis son entrée dans le taxi. « Oh. Déso, je pensais que c’était Alex. » A en juger par la façon dont il l’accueillait, sans même un t-shirt sur le dos, il était évident qu’il ne s’attendait pas à elle. Pour sa défense, elle l’avait pressé, et elle avait simplement baissé les yeux comme une enfant prise en flagrant délit plutôt que de le saluer.


« Tout va bien ? »
« J’irai beaucoup mieux si tu répondais à mes messages, putain, Luke. »

Elle avait immédiatement regretté le ton accusateur qu’elle avait utilisé quand ses yeux s’étaient finalement posés sur lui pour découvrir son état. Elle avait d’abord vu ses yeux, que d’énormes cernes venaient entourer, donnant à son visage un air presque aussi fatigué que lorsqu’il était à l’hôpital. Puis son regard s’était baissé pour constater que ses anciennes blessures avaient été rejointes par un pansement, qui, s’il semblait nouveau, menaçait tout de même de tomber à tout moment. Alors elle n’avait pas réfléchi là où ils avaient les choses, refermant la porte derrière elle avant de venir constater les dégâts.  « T’as essayé de te faire ça tout seul ? » Ses yeux se levaient au ciel alors qu’elle lui avait indiqué de s’asseoir pendant qu’elle utilisait ses anciens repères pour trouver la trousse à pharmacie de Lucas et revenir à ses côtés, mettant toute la délicatesse du monde pour venir changer ce pansement. « En fait j’espère que tu l’as fait seul parce que si quelqu’un t’a fait ça, faut qu’il fasse une formation de premiers secours. » Bien sûr qu’elle parlait pour combler le silence, pour tenter de rendre normal ce comportement, pour leur donner l’impression à tous les deux que tout pouvait redevenir comme avant. Mais quelque chose sonnait faux, elle en était convaincue, et après avoir terminé le pansement, ses mains étaient retombées sur ses cuisses en même temps que son visage. Greta avait poussé un long soupir avant de profiter que Lucas ne se tourne enfin vers elle pour affronter son regard.  « J’ai eu peur qu’il te soit arrivé un truc… Enfin un truc plus grave qu’une épaule en vrac. » Elle ne minimisait pas sa blessure, mais ce n’était rien face à cette crainte de l’avoir perdue, similaire à celle ressentie lorsqu’il avait eu son accident, à la différence que cette fois-ci, cela ne deviendrait pas le prétexte à un rapprochement trop précipité entre eux. Et pour cause, Greta qui n’était pas repassée chez elle, avait laissé le sac préparé à la hâte pour séjourner chez Arthur à l’entrée. Rien de tout cela n’était calculé, mais ce détail venait valider les raisons qui l’avait poussée à tuer dans l'œuf tout espoir de quelque chose de plus qu’une amitié entre eux. Mais ils avaient beau essayer, paradoxalement, maintenir ce lien qu’elle avait eu à cœur de préserver semblait extrêmement difficile.

Surpris par le ton employé par la blonde, Lucas ne répond pas tout de suite, les yeux légèrement écarquillés. « Euh… J’ai plus de batterie. Je suis rentré y a vingt minutes. », explique-t-il, presque penaud, comme s’il était un enfant pris la main dans un sac de bonbons. Il fait volte-face, laissant la porte ouverte - invitation silencieuse à entrer pour Greta, qui le suit et ferme derrière lui. Lorsqu’elle lui demande s’il a essayé de faire ça tout seul, il sait qu’elle parle du pansement qu’il était en train de se faire juste avant qu’il arrive. « J’ai été interrompu, figure-toi. », lance-t-il sur le même ton qu’elle, un petit sourire aux lèvres. Il la voit lever les yeux au ciel, avant de lui ordonner en silence de s’asseoir. Il obéit, tandis qu’elle part récupérer la trousse de soin dans sa salle de bains. Sa présence chez lui, si tôt après la fin de la tempête le surprend, sachant où est-ce qu’elle se trouvait juste avant. Elle n’a pas réellement répondu à sa question plus tôt, et il commence à s’inquiéter. Et si son arrivée précipitée chez lui n’était que le fruit d’une dispute avec son ex ? Et si elle lui avait envoyé plusieurs messages, lui demandant de venir la chercher ? Lucas commence à tergiverser, se mordant distraitement le pouce, en imaginant les pires scénarios possibles, liés à son manque d’anticipation sur la batterie de son téléphone. L’écrivaine revient, le sortant de ses pensées, et reprend le pansement qu’il avait commencé. Ses mots le font sourire et il repense au pansement qui se trouvait sur son épaule une vingtaine de minutes plus tôt. « T’aurais dû voir celui que m’a fait Mabel… J’avais le choix entre un pansement Reine des Neiges et un pansement Pat’patrouille… », dit-il, avec un rire léger. Parler de Mabel n’était peut-être pas la meilleure des idées, alors il poursuit. « J’ai choisi la Reine des Neiges, évidemment. », reprend-il, avant de se racler la gorge. Une sorte de malaise palpable s’installe entre eux, chose inhabituelle. Ils essayaient tant bien que mal de rester amis, malgré les turbulences qu’ils ont connu cette année. Mais quelque chose d’invisible semblait vouloir à la fois les retenir l’un contre l’autre et les séparer. Évidemment, les aveux de l’un et l’autre au mariage de Swann et Rory, le retour d’Arthur - oui, il avait appris son prénom - dans la vie de Greta et ses problèmes d’addiction n’y étaient pas étrangers. Il était tellement difficile pour eux de retrouver leur équilibre d’avant et une certaine nostalgie amère saisissait Lucas de temps à autre. Il se retourne vers la blonde, alors qu’un silence s’éternisait depuis plusieurs secondes entre eux, finalement brisé par un long soupir de Greta. Son inquiétude à son égard le touche. Si tout n’était pas si compliqué entre eux, il l’aurait prise dans ses bras, serrée fort contre lui, pour lui dire qu’il allait bien. À la place, il se lève et fait quelques pas vers son sweat posé en boule sur le canapé - sweat à l’effigie des pompiers de Brisbane - et le passe sur son dos. « Je suis pas en sucre, looseuse, t’inquiète. », lui lance-t-il, avec un petit clin d’oeil. « Je me suis fait ça en voulant sauver un petit chat. Un morceau de grillage qui s’est accroché. », lui explique-t-il. Il aurait pu inventer une histoire bien plus impressionnante, mais il souhaitait plus que tout être honnête avec elle. Il revient près de la jolie blonde et s’assied juste en face d’elle, sur l’accoudoir du canapé. « Enfin, c’est l’une des nombreuses choses que j’ai faites pour sauver la ville, tu sais… », dit-il, prenant un air faussement modeste, pour plaisanter. Elle doit la voir, cette étincelle dans son regard. Elle ne l’a pas vue depuis tellement de temps, ça doit crever les yeux. « Je sais que ça va paraître bizarre, vues les circonstances, mais… c’était génial. D’être moi, à nouveau. » Il préfère ne pas épiloguer, au risque de passer pour un mec qui se réjouit du malheur des autres, et décide de changer de sujet. « Alors comme ça, tu t’inquiètes pour moi ? », la taquine-t-il, les bras croisés sur sa poitrine.

@Greta Moore

Greta n’avait pas pour habitude d’être aussi spontanée, mais son instinct lui avait crié d’aller vérifier par elle-même que tout allait bien. Comme si se trouvait devant elle l’excuse parfaite pour tenter de renouer un lien qui avait été inévitablement impacté par ce soir-là, où elle avait eu le sentiment de faire un choix entre deux hommes auxquels elle n’était pourtant pas liée. Elle aurait dû chasser la culpabilité plus vite que cela, il y avait tout un tas de circonstances atténuantes mais la place qu’avait pris Lucas était bien trop importante pour qu’elle minimise les faits. Peut-être aurait-elle dû se taire et garder pour elle tout ce qu’elle lui avait confié, mais le simple fait de l’avoir entraîné dans un tableau où Arthur évoluait lui avait donné le sentiment d’être dans le faux. Alors elle avait pris un risque et en payait aujourd’hui les conséquences. S’il était indéniable que le retour de son ex avait comblé un vide dont elle n’était même plus consciente après toutes ces années, cela n'effaçait pas le second qu’avait créé cette amitié en ruines. « Euh… J’ai plus de batterie. Je suis rentré y a vingt minutes. » Son attitude et le son de sa voix avaient permis à Greta de prendre conscience du ton employé et de réaliser combien son comportement était inapproprié, illogique. Pourtant, maintenant qu’elle avait entamé la démarche et osé venir jusqu’à lui, elle ne pouvait plus reculer alors autant poursuivre comme si de rien était. Elle était entrée, fermant la porte derrière elle pour venir s’affliger de l’état du pansement du pompier. « J’ai été interrompu, figure-toi. » Son agacement s’était évanoui pour laisser place à cette douceur qui lui était caractéristique et elle lui avait rendu son sourire, continuant tout de même à le materner. C’était idiot, il était blessé mais restait pourtant un pompier qui n’avait d’ailleurs pas hésité à retourner à la bataille dès que le moment s’était présenté. Greta s’était concentrée sur les soins qu’elle lui prodiguait et cette sensation de retrouver rien qu’une infime utilité pour lui l’apaisait déjà un peu. « T’aurais dû voir celui que m’a fait Mabel… J’avais le choix entre un pansement Reine des Neiges et un pansement Pat’patrouille… » Oh. C’était donc Mabel qui avait pris soin de Jazz, et la blonde s’était machinalement tournée vers le chien comme si celui-ci allait désapprouver avec elle. Le sentiment qu’elle avait ressenti n’était pas le même lors de l’annonce d’Arthur concernant sa colocataire - elle se méfiait simplement des gens avec qui Lucas décidait de nouer des amitiés.

« J’ai choisi la Reine des Neiges, évidemment. »
« Evidemment. »

L’échange de rire avait été bref et aucune relance n’avait permis de leur empêcher de se retrouver au milieu d’un silence bien trop long pour ne pas être gênant. C’était de cette façon qu’ils pouvaient constater combien tout avait changé - seulement quelques mois auparavant, ils pouvaient rester de longues minutes, voire des heures, ensemble en silence sans que cela n’amène de malaise. Ce n’était plus le cas, et puisqu’ils étaient déjà dans une position inconfortable, Greta avait finalement décidé de parler. Face à son affirmation, Lucas s’était levé et elle l’avait suivi du regard jusqu’à ce qu’il se tourne à nouveau vers elle après avoir remis son sweat. « Je suis pas en sucre, looseuse, t’inquiète. » Le surnom associé au clin d’oeil l’avait fait rire, mais elle n’était pas encore totalement apaisée, attendant d’en savoir plus sur ce qu’il avait vécu lors de la tempête. « Je me suis fait ça en voulant sauver un petit chat. Un morceau de grillage qui s’est accroché. » Cette fois-ci, son rire avait été bien plus franc parce qu’elle ne s’attendait absolument pas à cette réponse. « Un petit chat… T’entends ça Jazz ? » Et la simple évocation d’un félin avait amené le chien à japper joyeusement et si Greta l’avait toujours adoré, c’était encore un peu plus le cas maintenant qu’il participait à détendre l’atmosphère. « Enfin, c’est l’une des nombreuses choses que j’ai faites pour sauver la ville, tu sais… » Il plaisantait, et pourtant, elle pouvait constater que la pointe de fierté qui brillait dans ses pupilles n’était pas feinte. « Je sais que ça va paraître bizarre, vues les circonstances, mais… c’était génial. D’être moi, à nouveau. » Il avait saisi une opportunité de renouer avec son ancienne profession et elle espérait que cela participerait à avancer le deuil qu’il devait en faire plutôt que l’inverse. « Alors comme ça, tu t’inquiètes pour moi ? » Ses bras s’étaient croisés sur son torse et il semblait s’amuser de la situation, alors elle avait tenté de suivre son exemple.  « Oui bon ça va ! » avait-elle lancé en riant.  « Désolée d’avoir débarqué comme ça mais c’était pas une petite tempête et il aurait pu arriver n’importe quoi… » Ses yeux s’étaient baissés. « Du coup, ouais, je m’inquiétais. Rien n'a changé à ce niveau-là, Lucas. » Les mêmes yeux brillants lorsqu’elle le savait heureux comme aujourd’hui, la même inquiétude que celle ressentie lorsqu’il lui avait annoncé ne plus pouvoir être pompier et ce sentiment là ne l’avait jamais quitté, malgré tout. « Je pense que t’as eu raison d’y aller, en fait. » avait-elle continué. « Ça faisait très longtemps que je t’avais pas vu comme ça. » Cela faisait quelque temps qu’elle ne l’avait plus vu tout court. Sa main s’était posée sur la sienne dans un réflexe, un simple geste amical qui avait eu pour effet de réunir leurs regards. C’était difficile, les sentiments dont elle avait pris conscience en début d’année et avoués quelques mois auparavant ne s’étaient pas évaporés, ils étaient encore quelque part, pourtant écrasés par le poids de ce que représentait Arthur pour elle. Elle avait dû faire un choix, et s’il était évident qu’elle ne pourrait jamais être qu’une amie pour l’anglais, elle pouvait encore l’être pour Lucas et c’était ce à quoi elle tentait de se raccrocher.  « C’était juste comme ça ? Ou tu vas pouvoir retrouver un rôle à la caserne ? » Son espoir était grand, mais le visage de Lucas ne semblait pas confirmer une bonne nouvelle.  « Parce que je m’inquiétais aussi de te voir retoucher à ton rêve en pleine guérison et que ça compromette tout une fois tout ça terminé. » avait-elle finalement dit, parce que quelqu’un se devait d’oser poser ces questions-là et elle espérait être encore en position de le faire et de lui éviter d’affronter ce genre d’épreuve seul.

Quand il l’entend rire, un poids sur la poitrine de Lucas se libère. Au moins, il arrive toujours à la faire sourire. L’ambiance semble se détendre un peu, et le pompier en profite pour raconter d’où vient la blessure sur son épaule. Greta rit à nouveau, comme si le sauvetage du petit chat était bien ridicule comparé à ce qu’elle s’était imaginé. Et elle ne se prive de faire part à Jazz de sa surprise, qui aboie en retour. « Eh, j’ai sauvé plein de gens aussi ! », se justifie-t-il. L’atmosphère plus détendue, combinée aux rires de Greta, donne à Lucas le signale que leur jeu d’antan est toujours possible. Il n’hésite donc pas à la taquiner sur le fait qu’elle s’est précipitée chez lui, une fois la tempête terminée. Sa réaction ne se fait pas attendre, et si elle commence en riant, elle prend une tournure plus sérieuse par la suite. « Faut pas t’en faire autant, tu sais. » Il ne sait pas vraiment s’il parle de la tempête ou de leur relation. Il croise son regard, certainement aussi brillant que le sien, et il doit rassembler toutes ses forces pour ne pas la serrer dans ses bras. Bien évidemment, ses mots le touchent, il aimerait lui raconter en détails chaque intervention qu’il a vécu ces deux derniers jours, qu’elle partage avec lui la fierté d’avoir reporté l’uniforme, même si ce n’était que pendant quarante-huit heures. À la place, quand elle lui dit qu’elle ne l’avait pas vu comme ça depuis très longtemps, il se contente de répondre, avec un petit sourire : « Ouais, moi aussi. ». Sa main sur la sienne le surprend - ils n’ont pas eu ce genre de geste l’un envers l’autre depuis des mois, et s’ils semblaient insignifiants auparavant, Lucas ne peut s’empêcher d’y accorder énormément d'importance aujourd’hui. Ne sachant trop comment réagir, il plonge ses yeux dans les siens, sans dire un mot. Le temps s’arrête un instant, jusque’à ce que la jeune femme le questionne sur ce qui allait se passer pour lui, désormais. « Je crois que… que ça m’a aidé à accepter pour de bon que ma carrière est terminée. », dit-il, en soutenant toujours son regard. « J’ai bien vu que tout le monde était inquiet. Et même sans ça… Je peux pas me donner à fond comme les autres. Je sens bien que ma jambe n’est plus la même. Pour l’instant ça va, mais j’ai peur que d’ici quelques heures, quand l’adrénaline aura quitté mon corps et que mon énergie retombera, je sois en train d’hurler de douleur. », termine-t-il, légèrement anxieux. Tout ceci n’était que la stricte vérité. Même s’il a adoré redevenir pompier le temps de deux jours, il a vu comme ses anciens collègues le regardaient. L’inquiétude de ses proches, notamment d’Alex. Et lui, même s’il n’a pas eu peur, n’est plus le même qu’avant, physiquement. Son corps ne lui permet plus de soutenir ce rythme effréné plusieurs jours et nuits par semaine. Il aurait besoin de récupérer pendant plusieurs jours à chaque fois, ce qui n’est pas compatible avec ce métier, où il faut être sur le qui-vive, en permanence. « De toutes façons, Swann ne sera jamais d’accord. Je lui ai pas encore dit que j’étais parti en renfort. Il va me donner encore des milliers d’exercices à faire pour me punir. », dit-il, pour détendre un peu l’atmosphère. Lucas le savait, des séances de kiné supplémentaires étaient à venir, mais il préférait remettre ça à plus tard. Évoquer son kiné devant Greta fait immédiatement remonter les souvenirs du mariage auquel il l’avait accompagnée quelques mois plus tôt. Une soirée qui avait pris une tournure bien inattendue et qui avait complexifié leur relation. « Tu l’as revu, Swann ? Depuis le mariage, je veux dire ? », demande-t-il. À vrai dire, la réponse l’importe peu, il cherche juste un prétexte pour reparler de cette fameuse soirée où quelque chose entre eux s’était brisé.

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La complicité était toujours là, bien enfouie au plus profond d’eux et elle avait pu la toucher du doigt en seulement quelques minutes. Et en un instant elle avait compris le trop grand vide qu’aurait laissé Lucas s’ils avaient décidé de mettre un terme à leur amitié : en la transformant en une relation dont Greta n’aurait jamais eu aucune certitude quant à l’avenir ou en la gâchant parce qu’elle avait été trop brutalement honnête. « Eh, j’ai sauvé plein de gens aussi ! » Malgré les rires et les comportements amicaux, la discussion avait rapidement pris une autre tournure. « Faut pas t’en faire autant, tu sais. » Il avait raison et elle en était consciente, mais elle ne savait pas faire autrement. Greta avait toujours mis un point d’honneur à être présente pour ceux qui comptaient et Lucas avait une place particulière pour elle. C’était plus fort qu’elle, elle n’avait pas réussi à chasser de son esprit des idées pessimistes en sachant qu’il était parti sur le terrain. Elle connaissait ses qualités de pompier, pourtant, le savoir blessé changeait la donne et l’avait amenée à s’inquiéter au point de venir à l’improviste chez lui pour s’assurer que tout allait bien alors qu’elle était probablement la dernière personne qu’il avait envie de voir après tout ça. « Ouais, moi aussi. » Une chose était sûre, à le voir là, le sourire aux lèvres et l’air plus épanoui que jamais, elle ne regrettait finalement pas sa décision. Mais même si elle voulait garder l’image de ce Lucas là, elle ne pouvait s’empêcher de continuer à s’inquiéter pour lui, à se demander combien renouer avec la profession pouvait à nouveau le détruire. « Je crois que… que ça m’a aidé à accepter pour de bon que ma carrière est terminée. » Elle avait levé le menton même si elle comprenait difficilement comment remettre un pied dedans avait pu l’amener à tirer un trait définitif sur sa carrière. « J’ai bien vu que tout le monde était inquiet. Et même sans ça… Je peux pas me donner à fond comme les autres. Je sens bien que ma jambe n’est plus la même. Pour l’instant ça va, mais j’ai peur que d’ici quelques heures, quand l’adrénaline aura quitté mon corps et que mon énergie retombera, je sois en train d’hurler de douleur. » Elle avait grimacé, mais elle comprenait enfin où il avait voulu en venir. « Je suis tellement désolée. Mais ça me rassure de t’entendre en parler avec autant de calme. » Il était plus détendu, comme apaisé avec l’idée d’avoir vu un rêve se briser, et elle était persuadée de sa sincérité car il n’avait jamais réellement su lui mentir. Ses yeux ne quittaient pourtant pas les siens parce qu’elle tentait d’y lire encore quelques réponses à des questions qui lui brûlaient les lèvres. « T’aurais pu te ménager un peu, qu’est ce qu’il se passera quand la douleur se réveillera justement ? » Elle mourrait d’envie de lui demander clairement s’il touchait encore à ses anti-douleurs, s’il prenait toujours des doses bien plus importantes que celles recommandées. Elle mourrait d’envie de lui proposer de rester jusqu’à s’assurer que la douleur serait supportable mais elle ne l’avait pas fait, refusant de retomber dans un jeu auquel elle avait mis fin.

« De toutes façons, Swann ne sera jamais d’accord. Je lui ai pas encore dit que j’étais parti en renfort. Il va me donner encore des milliers d’exercices à faire pour me punir. » Son sourcil s’était arqué, Brisbane ne devait pas compter un grand nombre de Swann qui était qui plus est kinésithérapeute alors elle avait tiqué. « Tu l’as revu, Swann ? Depuis le mariage, je veux dire ? » Elle n’avait pas eu besoin de poser la question pour qu’il y réponde, venant faire le lien entre le prénom et le lien d’amitié qui la liait à lui. « Bien sûr que je l’ai revu, c’est l’un de mes meilleurs amis. Celui d’Arthur, aussi. » Pourtant, Swann comme Lucas ne l’avaient pas prévenu de ce détail là. Son ton était accusateur alors que Greta se retrouvait sur la défensive en constatant combien la situation pouvait être problématique. Connaissant Lucas, il n’avait probablement pas réfléchi à tout cela. « J’imagine que Swann était la meilleure personne pour remplacer Sofia. » avait-elle tenté, essayant de minimiser l’impact que tout cela était en train d’avoir sur elle. C’était une porte ouverte, une façon d’aborder une nouvelle fois un sujet probablement bien trop compliqué pour tous les deux alors elle était restée silencieuse un petit moment avant de reprendre. « Parce que c’est un très bon kiné. Pour le reste, je comprends pas ta décision. » Peut-être que comme elle l’avait dit à Emery, elle s’était fait tout un monde de peu de choses et que finalement, Lucas était apaisé avec tout ce qui s’était dit. Le problème c’était qu’elle ne l’était pas encore totalement.

S’il a vécu l’arrêt brutal comme injuste et injustifié, retourner sur le terrain quelques jours a été une véritable prise de conscience pour l’ancien pompier. Ces médecins n’avaient pas voulu le punir, mais simplement le protéger, lui et les autres. L’évidence était un peu difficile à regarder, mais son nouveau corps ne pouvait plus répondre à la rigueur et la forme physique que demande son métier. Y retourner l’avait au moins aidé à en prendre pleinement conscience et il semblait enfin commencer à l’accepter. Lorsqu’il explique tout cela à Greta, la blonde semble à la fois rassurée et désolée pour lui, et elle ne tarde pas à lui faire savoir. « Disons que les choses commencent à faire leur petit bout de chemin. », finit-il par dire. Mais l’écrivaine aborde un sujet encore épineux pour lui - sa gestion de la douleur. Ils n’avaient pas reparlé de son addiction, et encore moins de ce qu’il avait entrepris pour se sevrer. « Quand je… », il allait dire « je suis en manque », mais les mots ne réussissent pas à passer ses lèvres, comme s’il ne se considérait pas encore comme ce qu’il était vraiment - un addict. « Quand j’ai besoin, », reprend-il, un peu nerveux. « Je vais à des réunions. Mais là, avec la tempête… J’avoue que j’appréhende un peu. » Il n’avait pas vraiment anticipé ce qui allait se passer, et la peur de manquer de quoi que ce soit et de ne pas pouvoir y faire face sereinement commençait à lui serrer l’estomac. Il décide de clore cette discussion en changeant de sujet, évoquant son kiné comme une chose totalement banale et légère. Mais la réaction de l’écrivaine surprend l’ancien pompier. Ses sourcils se froncent et sa mâchoire se serre, quasi imperceptiblement, mais pas assez pour que Lucas ne le remarque pas. Sa réponse vient rapidement expliquer les traits fermés sur son visage. Évidemment, parmi tous les kinés de la ville, celui recommandé par sa cousine, Alex, se trouvait évidemment être très proche d’une personne que le pompier ne portait pas vraiment dans son coeur. « Ah. » Il ne sait pas quoi dire d’autre, si ce n’est expliquer comment il en était arrivé à choisir Swann comme kiné. Mais il trouvait cela un peu étrange de devoir se justifier à son sujet. « Alex et Swann sont amis, c’est elle qui me l’a recommandé, après le mariage justement. » Il fait une pause. « Je ne savais pas que Swann et Arthur se connaissaient. » Et comme aurait-il pu le savoir ? Certes, Arthur était présent au mariage, mais il ne savait pas exactement quel était son lien avec les mariés. Arthur n’était pas le sujet de conversation préféré de Lucas et Greta, et sa relation avec Swann, même si elle est plus qu’une simple relation patient/médecin, ne les avait pas amené à faire l’étalage de leur vie privée respective. Sa bonne humeur et l’étincelle dans ses yeux semblent s’éteindre à petit feu, et Lucas avait peur de voir où cette conversation allait. « Oui, c’est un très bon kiné, effectivement. Un bon gars, aussi. », dit-il, la rejoignant sur ce point. Il avait du mal à croire qu’Arthur et lui puissent être si proches - même s’il ne le connaissait pas, il avait du mal à comprendre comment deux personnes à l’aura si différente pouvaient s’entendre. La deuxième partie de sa phrase sonne comme une accusation et il doit se contrôler pour ne pas laisser la fatigue l’envahir et répondre sur le même ton qu’elle. « Comment tu voulais que je sache ? On a pas réellement discuté de… ton entourage dernièrement. » Il ne savait pas comme le formuler différemment, comme si le prénom d’Arthur était interdit entre ses murs. « Je vais pas te voler ton meilleur ami, si c’est ce qui t’inquiète. », lance-t-il sur le ton de la plaisanterie, en faisant volte face, direction la cuisine. Il préfère fuir cette discussion, ne se sentant pas du tout à l’aise. Il semblait qu’il avait été clair sur ses intentions de ne pas interférer dans sa relation avec son ex - quoi qu’il se passe entre eux, mais le fait que Lucas puisse avoir une quelconque interaction avec Swann semblait faire paniquer la jolie blonde, ce qui l’inquiétait. Comme si Swann détenait des informations qui ne seraient bonnes ni pour lui, ni pour elle. « Tu veux du thé ? », demande-t-il, depuis la cuisine, alors qu’il remplit la bouilloire d’eau pour la mettre à chauffer. Son cerveau tourne à plein régime soudainement et il se sent tiraillé entre mettre les pieds dans le plat, et garder ses questions pour lui.

@Greta Moore

Greta prenait un peu plus confiance, gardant toujours en tête la maladresse avec laquelle elle avait pris en main les choses. Malgré tout, Lucas l’avait laissée entrer, il avait réussi à participer à détendre l’atmosphère et il la laissait même maintenant entamer une discussion difficile avec lui. « Disons que les choses commencent à faire leur petit bout de chemin. » Devant une vulnérabilité toute relative de la part du pompier, la blonde ne pouvait que se retrouver plongée quelques mois auparavant, quand leur complicité n’était pas plus que cela. Greta avait suivi son parcours, de l’accident jusqu’à l’addiction, et il lui était pratiquement impossible de s’autoriser à ne plus être présente même si c’était peut-être finalement la décision la plus logique qu’il y avait à prendre. Elle ne savait pas son point de vue, ne pouvait que le supposer. Il semblait en paix avec tout ça en apparence, mais elle le connaissait assez pour savoir qu’il était important de creuser un peu plus. « Quand je… » Oh comme elle imaginait le cheminement qui devait se faire dans son esprit alors qu’il devait parler de quelque chose qui avait déclenché une guerre entre eux. Son regard tentait de l’encourager, alors qu’elle-même craignait pourtant de ne pas être entièrement prête à tout entendre. « Quand j’ai besoin, je vais à des réunions. Mais là, avec la tempête… J’avoue que j’appréhende un peu. Parce qu’il ne pourrait pas se rendre aux réunions jusqu’à ce que la ville reprenne vie ? Parce qu’il n’était plus en mesure de se procurer les anti-douleurs ? Elle n’était pas sûre de comprendre. « Si t’as besoin de parler… Ou de quoi que ce soit. » La proposition restait ouverte alors qu’elle mettait un point d’honneur à ne pas le blâmer ou le juger.

Il était évident que la discussion ne pouvait pas rester aussi courtoise, que la difficulté des événements passés ressurgirait forcément. Pourtant, Greta n’avait pas anticipé la spontanéité avec laquelle les relations qui s’entrecroisaient serait évoquées. « Ah. » Il était réellement étonné, elle pouvait le voir à l’expression de son visage. Bien sûr qu’elle n’était pas allée plus loin que de lui indiquer que son ex serait présent. Elle en avait selon elle déjà trop dit, mais il semblait que cela n'était franchement pas assez pour éviter une situation gênante. « Alex et Swann sont amis, c’est elle qui me l’a recommandé, après le mariage justement. » La coïncidence était malheureuse, mais elle n’était que cela. « Oui, c’est un très bon kiné, effectivement. Un bon gars, aussi. » Elle avait forcément acquiescé, tentant de garder la discussion centrée autour des qualités de Swann mais elle n’avait pu s’empêcher de comprendre comment ils en étaient arrivés là. « Comment tu voulais que je sache ? On a pas réellement discuté de… ton entourage dernièrement. » Greta avait soupiré, remplaçant une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille. « Je ne savais pas que Swann et Arthur se connaissaient. »  « T’as raison, tu pouvais pas savoir. » Un timide sourire s’était dessiné au coin de ses lèvres. « Le monde est sacrément petit. » Une constatation qui prenait de plus en plus son sens alors que des éléments de sa vie passée refaisaient surface, venant chambouler toute la vie qu’elle avait tenté de recréer ici. Elle était arrivée avec une volonté de changer les choses et pourtant, elle se retrouvait au même point, incapable d’écrire, entichée du même homme et son anonymat maintenant disparu. Malgré la volonté qu’elle avait de garder Lucas comme ami, il était évident qu’un sujet bien précis ne serait jamais abordé avec lui. Elle culpabilisait déjà assez, elle ne pousserait pas le vice jusqu’à se confier sur son histoire avec Arthur. Elle était de toute façon habituée à ce que le sujet soit devenu tabou avec bon nombre de ses amis, sauf Swann justement. « Je vais pas te voler ton meilleur ami, si c’est ce qui t’inquiète. » Le rire qui avait fait écho au sien était nerveux bien plus que sincère, parce que la situation était loin d’amuser Greta. « Dis pas de bêtises. » avait-elle répondu avec un peu plus de douceur dans la voix. Lucas s’était levé, leur accordant un répit à tous les deux alors que la complexité de leur relation était maintenant palpable. « Tu veux du thé ? » « Bien sûr que je veux du thé. » Le cliché anglais qu’elle était lui collait toujours à la peau et, même sans cela, l’écrivaine était ravie de la distraction et de pouvoir planter son regard dans la tasse brûlante plutôt que dans celui de Lucas. « Tu avoueras que c’est étrange. » avait-elle lancé depuis la place qu’elle n’avait pas quitté alors que Lucas préparait le thé. Il était resté silencieux jusqu’à amener la tasse que Greta avait attrapé avec une vivacité qui témoignait de la gêne qu’elle ressentait. « Luke… » Sa tasse était l’accessoire idéal pour tenter d’entreprendre une discussion difficile. « Si j’ai pris les devants c’est pour éviter que ce soit bizarre entre nous. Et j’ai l’impression que c’est tout l’inverse, en fait. » Et elle regrettait amèrement d’avoir été aussi franche avec lui, quand elle aurait pu garder ses sentiments pour elle. « J’ai pas envie que tu m’en veuilles d’avoir été honnête. J’avais absolument pas anticipé ta réponse, pour tout te dire. » Elle avait bu une gorgée de thé comme si elle ne venait pas de prononcer des mots extrêmement difficiles et la réponse de Lucas avait semblé mettre des heures à arriver.

Il avait fui. S’était réfugié dans sa cuisine, en arborant un air décontracté, alors qu’il était tout l’inverse. Les pensées s’accumulaient dans son esprit. Il s’était mis dans une situation bien inconfortable, sans le vouloir. Il adorait Swann en tant que kiné, mais savoir qu’il s’agissait d’un des plus proches amis d’Arthur le mettait maintenant mal à l’aise. Comme si sa relation avec Greta n’était pas assez compliquée… Il essayait de se tenir à distance de tout cela, et il semblait qu’il avait plus ou moins mis les deux pieds dedans. La bouilloire siffle pour lui indiquer que l’eau était assez chaude. Il la verse dans deux tasses qu’il avait sorti au préalable de son placard, comme un automate. Il entend Greta lui parler, depuis son salon, mais il ne sait pas quoi lui répondre. À l’entendre, on dirait qu’il a fait exprès. Il reste un instant encore dans sa cuisine, le regard vide, au dessus des deux mugs fumants. L’écrivaine n’a pas l’air décidée à changer de sujet. Ainsi, c’était maintenant. S’ils avaient tous les deux plus ou moins consciemment évité d’en parler pendant plusieurs semaines, l’heure était aux discussions sérieuses. Elle lui semblait loin, l’euphorie qui l’habitait encore ce matin, en quittant la caserne. Planqué depuis bien trop longtemps, il avait pris son courage à deux mains, ainsi que les deux tasses sur le comptoir, avant de retourner dans le salon rejoindre Greta. Il lui en tend une, avant de s’asseoir dans son fauteuil, Jazz venant se coucher à ses pieds, un instant plus tard. La blonde prononce son nom, sonnant ainsi la fin des quelques minutes de tranquillité qu’il s’était accordé. Il espérait qu’une seconde tempête n’était pas en préparation, ici même, dans son appartement. Il lève la tête de sa tasse pour planter ses deux orbes sombres dans les siennes. Sa première phrase lui décoche un rire à peine nerveux. « Oui, c’est un peu vrai. », acquiesce-t-il, ses deux mains serrant son thé. Lorsqu’il l’entend lui dire qu’il lui en veut peut-être, il s’empresse de la rassurer. « Non, non, je t’en veux pas. », dit-il, un peu perdu. Et s’il lui en voulait finalement ? Qui sait, si elle n’avait pas commencé cette discussion, le soir du mariage, leur relation n’en serait que meilleure aujourd’hui ? Mais qu’est-ce qui lui dit qu’il n’aurait pas pris les devants, si elle ne l’avait pas fait ? Il soupire, fatigué. « C’est difficile, de faire ce qui est bon pour soi, hein ? » Sa question n’en est pas vraiment une. Il prend une gorgée de son thé, pour se donner le temps de savoir quoi dire ensuite. « Tu me manques. », finit-il par dire. « Mais… » Il a de la peine à la regarder dans les yeux. Ses sentiments sont confus et la fatigue qu’il commence à ressentir ne l’aide pas à avoir les idées claires. « Je dois garder mes distances, tu comprends ? Pour toi, pour moi… » Il se mordille le bout du pouce, tic nerveux qu’il a depuis toujours. « Si je reste près de toi, ça va être trop dur de ne pas me mettre entre toi et lui. Et ça va te faire souffrir, ça va me faire souffrir. Il faut que je garde la tête froide, que je me concentre sur ma guérison, Greta. », lui explique-t-il. Il hésite un instant, avant de finalement dire ce qu’il a vraiment sur le coeur. Elle avait voulu être honnête avec lui, il allait faire de même. « Parce que quand t’es là, j’ai juste envie de te serrer contre moi. De te dire tout ce qu’il se passe dans ma tête. Et je ne veux pas que tout ça te mette dans une situation qui te rendrait malheureuse. Tout ce que je veux, c’est que tu sois heureuse, même si ça signifie que je doive souffrir un peu. » C’était ce qui était le mieux pour eux, garder leurs distances. Même si elle lui manquait terriblement, que leur relation n’était plus la même. « Si j'étais un mec bien, je m'y tiendrais à tout ça. Je m'éloignerais de toi pour de bon. Mais j'y arrive pas... », avoue-t-il. C'était un vrai aveu de faiblesse pour le pompier. Lui qui avait appris à tout laisser pour son travail. Greta était sa seule faiblesse, et il s'en était rendu compte pendant les derniers mois.

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C’était maladroit que de lui proposer d’être une oreille attentive comme elle avait pu l’être avant qu’ils aient une discussion qui aurait peut-être jamais dû avoir lieu. Greta n’avait cependant pas réussi à faire autrement, parce que lui assurer d’être toujours présente était presque un réflexe. Cette tendresse qu’elle ressentait à son égard n’était pas prête de changer, et quant à ses sentiments, ils étaient toujours présents mais étaient à présent noyés parmi ceux - un peu plus forts car ayant eu le temps de se développer correctement par le passé - qu’elle avait pour Arthur. Assise sur le canapé du pompier, elle avait eu le temps de réfléchir pendant qu’il avait trouvé refuge dans la cuisine et pour cause, elle lui faisait des reproches alors qu’il n’en méritait aucun. « Oui, c’est un peu vrai. » Savoir Lucas entre les mains de Swann était rassurant du point de vue de sa santé, mais extrêmement compliqué. Comme si cela justifierait son comportement, Greta avait entamé une autre discussion, peut-être encore plus périlleuse que la première. « C’est difficile, de faire ce qui est bon pour soi, hein ? » Ses doigts entremêlés, Greta avait posé ses mains sur son front en soupirant. « Crois-moi ou pas, mais j’ai essayé de penser à toi en premier. » La blonde n’avouerait pas qu’elle n’était pas sûre d’avoir pris la bonne décision, tout simplement parce qu’elle n’avait pas pris conscience au moment de cette fameuse discussion de l’ampleur que cela prendrait. Elle savait qu’elle ne mettrait pas longtemps à retomber dans les bras d’Arthur, mais elle savait aussi combien le risque que tout cela reste anecdotique était grand. Quant à Lucas, elle l’avait placé en premier, parce qu’il était une constante bien moins relative dans sa vie et qu’elle refusait de le faire souffrir. Greta avait souhaité lui parler de ce qu’elle ressentait parce que ce n’était pas quelque chose qu’elle pouvait lui cacher plus longtemps, et les choses auraient dû s'arrêter là, il aurait dû la remercier et la prendre dans ses bras. Comme un ami. Mais si l’écrivaine était bien placée pour savoir que rien ne se passait jamais comme on l'avait anticipé, elle avait été la première surprise de sa réponse. « Tu me manques. » Ces mots-là avaient déclenché une sensation étrange dans son estomac. « Mais… » Elle le connaissait maintenant trop bien pour ne pas savoir ce que signifiait cette pause, placée juste après le mais. « Je dois garder mes distances, tu comprends ? Pour toi, pour moi… » Elle restait silencieuse, écoutant ce qu’il avait à dire, parce que c’était la seule chose à faire maintenant qu’elle avait entamé la discussion. Une discussion nécessaire, qui découlait de celle commencée lors du mariage et Greta comprenait maintenant à quel point elle la regrettait. « Si je reste près de toi, ça va être trop dur de ne pas me mettre entre toi et lui. Et ça va te faire souffrir, ça va me faire souffrir. Il faut que je garde la tête froide, que je me concentre sur ma guérison, Greta. » La culpabilité grandissait alors qu’elle réalisait qu’elle n’était pas en train de faciliter les choses, bien au contraire. C’était pourtant son but premier en arrivant ici, s’assurer que Lucas allait bien, mais voilà qu’elle venait maintenant se placer comme un obstacle à sa guérison. La blonde laissait son thé refroidir entre ses mains, trop figée par les mots qui s’abattaient sur elle pour se décider à en aspirer la moindre gorgée. « Parce que quand t’es là, j’ai juste envie de te serrer contre moi. De te dire tout ce qu’il se passe dans ma tête. Et je ne veux pas que tout ça te mette dans une situation qui te rendrait malheureuse. Tout ce que je veux, c’est que tu sois heureuse, même si ça signifie que je doive souffrir un peu. » Un maigre sourire s’était affiché sur son visage, un sourire triste, qui venait illustrer à quel point son bonheur était éphémère. Lucas s’exprimait comme s’il l’imaginait déjà à nouveau en couple avec Arthur et elle se sentait ridicule, en connaissant l’état actuel des choses. Bien sûr, il y avait un risque qu'elle ait tiré une croix sur une relation avec son meilleur ami qui aurait pu se transformer en quelque chose de sincère mais cela ne l’avait pas empêché de choisir Arthur et la raison derrière cette décision l’effrayait. « Si j'étais un mec bien, je m'y tiendrais à tout ça. Je m'éloignerais de toi pour de bon. Mais j'y arrive pas... » Avant de tenter de lui amener une réponse, Greta avait soupiré et posé sa tasse de thé. « J’ai aucune idée de ce qu’on est supposés faire. » avait-elle commencé. « J’aurais dû rien dire, selon toi ? » A peine sa question posée, Greta avait regretté de l’avoir fait parce qu’elle n’avait pas envie de lui déléguer le fardeau, il avait déjà trop de choses à gérer. « Je suis désolée, c’était pas une bonne idée de venir te voir, mais j’en avais besoin. » Comme si après avoir fait de son mieux pour éviter à Lucas de souffrir, elle s’autorisait maintenant à être égoïste. « Je peux pas me résoudre à te sortir de ma vie du jour au lendemain, Lucas. » Son regard avait trouvé le sien, le suppliant presque de leur accorder une seconde chance en tant qu’amis.

Greta l’écoute dérouler son monologue, sans dire un mot. La tasse de thé entre ses mains refroidit petit à petit. Il se livre à elle, dans la continuité de ce qu’ils s’étaient dit au mariage de Swann et Rory. La conversation avait été initiée par la blonde et Lucas avait saisi l’opportunité de lui dire ce qu’il avait sur le coeur, ce qui trottait depuis un moment dans un coin de sa tête. Néanmoins, il avait retourné le problème dans tous les sens, quelque chose de plus qu’amical, de façon officielle, n’était pas possible à l’heure qu’il était. Et de toute évidence, c’était la même chose pour elle. Ils étaient d’accord, et pourtant, tout était devenu si étrange, si compliqué entre eux. Le souvenir de leur amitié semblait si loin et en même temps, un avenir dans lequel leur relation se serait transformée en une idylle amoureuse était hors d’atteinte. Alors, pour ne pas trop qu’ils souffrent tous les deux, il avait un peu décidé de s’éloigner d’elle, sans toutefois y parvenir. Il tenait bien trop à elle, elle était bien trop importante dans sa vie, pour son équilibre si fragile. L’écrivaine finit par soupirer, comme si le poids du monde tenait sur ses épaules. Elle semble être au même point que lui, tiraillée, ne sachant que faire. Le fait qu’elle soit aussi perdue qu’il l’est ne le soulage pas, bien au contraire. Il avait essayé de faire bonne figure, de se montrer digne, pour ne pas la faire souffrir, pour qu’elle puisse se concentrer sur ce qu’elle estimait bien pour elle (même s’il n’approuvait pas forcément). Et voilà que la blonde débarquait chez lui, paniquée, pour ensuite lui faire des semi-reproches avant de remettre une conversation si épineuse sur le tapis. Cette femme va finir par le tuer… « Je crois qu’on est deux… », acquiesce-t-il, avant de soupirer. Puis, elle lui demande si elle aurait mieux faire de ne rien dire, le soir du mariage. « Tu sais, je pense que si tu n’avais pas abordé le sujet ce soir-là, je l’aurais certainement fait un jour où l’autre. », lui répond-il. Et c’était la stricte vérité, puisque Lucas avait plongé tête baissée dans l’opportunité qu’elle lui avait laissé. « Si je t’en avais parlé en premier, est-ce que ton discours aurait été le même ? » La question se pose, puisque si lui n’avait personne d’autre dans sa vie, elle en revanche… Aurait-elle été honnête ? Ou lui aurait-elle simplement dit que ses sentiments n’étaient pas réciproques ? « Je peux pas me résoudre à te sortir de ma vie du jour au lendemain, Lucas. », avait-elle fini par lui dire, ses prunelles se connectant aux siennes, implorantes. Son coeur se brise, instantanément, mais il n’en montre rien. « Arrête, on dirait qu'on est la meuf et le gars dans les Hunger Games. ». Il tente un trait d'humour, mais ça tombe à plat. Leur conversation est bien trop sérieuse pour rire de quoique ce soit. Il se lève pour fouiller dans un tiroir de la commode et y trouve son paquet de cigarettes. Il ouvre la fenêtre, s’appuie contre le rebord avant d’allumer la cigarette qu’il a glissé entre ses lèvres. À nouveau, il fuit son regard, parce qu’il ne peut pas supporter de la voir si triste. Mais s’il fuit, c’est aussi parce qu’une pointe de colère, de jalousie, s’insinue en lui. Il doit se mordre la joue pour ne pas dire ce qu’il pense vraiment, malgré lui. Et puis, merde, il faut crever l’abcès. « Du jour au lendemain, peut-être pas. Mais… si les choses deviennent vraiment sérieuses avec Arthur, je pense qu’on sait tous les deux ce qu'il risque de se passer », avoue-t-il. « C’est pas un reproche que je te fais, Greta. Mais comme t’es venue… Autant qu’on en parle. » Il fait une pause, aspirant une nouvelle dose de nicotine, avant d’écraser son mégot dans le cendrier sur le bord de la fenêtre. Il se retourne pour lui faire face. « J’ai bien vu l’effet qu’il a sur toi. Il m’a fallu d’une seule soirée pour avoir ne serait-ce qu’un aperçu. » Il ne dit pas qu’elle l’oubliera. Il ose espérer qu’il aura toujours une place dans son coeur. « Si c’est lui que tu choisis, je ferai jamais le poids, je le sais et tu le sais. », lui dit-il. Il essaie d’être totalement honnête et sincère avec elle, les mensonges et les non-dits ayant presque mis fin à leur amitié par le passé. « Et je dis pas ça pour que tu me convainques de quoi que ce soit ou pour qu’on s’apitoie sur mon sort, ou je sais pas quoi d’autre encore… Je suis juste lucide. » Il décide finalement de s’approcher d’elle, pour s’accroupir à sa hauteur. « Mais quoi qu’il arrive, je serai toujours là pour toi. », finit-il par lui dire. Son inquiétude transparaît certainement dans sa voix ; il ne peut pas s’en empêcher. Il ne connait rien de son histoire avec le businessman, mais quand une personne fait ce genre d’effet à quelqu’un… Il ne peut pas y avoir que du bon. Et il ne veut surtout pas que Greta s’imagine que choisir Arthur signifie qu’elle ne peut plus compter sur lui en cas de besoin. « Et puis… je compte bien tenir la promesse que je t’ai faite au mariage, tu sais. »

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Greta semblait avoir adopté la fâcheuse tendance à vouloir mettre des mots sur tout, des étiquettes qui ne correspondaient finalement à rien. Elle tentait d’avancer avec Arthur sans se poser de questions mais le sujet de ce qu’ils étaient réellement en train de faire revenait toujours gâcher des moments qui ne devaient être que ça. Et face à Lucas, elle était en train de faire la même chose, quitte à ruiner sa tentative de venir arranger les choses. « Je crois qu’on est deux… » Les options s’étaient drastiquement réduites depuis que son ex petit-ami était de retour dans sa vie : ils devaient choisir entre rester amis ou tout gâcher parce qu’ils s’étaient laissés dépasser par leurs sentiments. Greta aurait aimé que cela soit aussi simple, mais la vérité était que les centaines de questions qui trottaient dans son esprit n’étaient pas simplement un caprice de sa part. « Tu sais, je pense que si tu n’avais pas abordé le sujet ce soir-là, je l’aurais certainement fait un jour où l’autre. » Le regard azur de Greta s’était planté dans le sien, comme si elle cherchait à y entrevoir la sincérité qu’elle ne pouvait pas croire entendre dans sa voix. C’était là le fond du problème, cette réciprocité, et elle ne pouvait pourtant pas lui en vouloir de lui avoir dévoilé. Ils n’étaient coupables de rien, ils devaient simplement trouver comment se sortir de cette impasse s’ils ne voulaient pas se perdre définitivement. « Si je t’en avais parlé en premier, est-ce que ton discours aurait été le même ? » « C’est une très bonne question. » avait-elle répondu spontanément en levant le menton et en laissant sa main glisser sur Jazz qui s’était approchée d’eux comme pour les réconforter. « J’aurais été une sacrée connasse si je t’avais laissé seul avec tes sentiments. » Elle avait haussé les épaules avant de rire légèrement, alors que la conversation ne s’y prêtait absolument pas. C’était un rire nerveux parce qu’elle prenait conscience de ce qu’elle venait de dire, du fait qu’elle confirmait à nouveau tout haut les sentiments bien présents entre eux. Elle avait secoué la tête, enchaînant sur la façon dont elle ne pouvait pas le voir disparaître de son entourage à cause de quelque chose qui était, en temps normal, positif.  « Arrête, on dirait qu'on est la meuf et le gars dans les Hunger Games. » avait-il répondu, la faisant rire et lui adresser un coup de coude.  Les choses se détendaient peu à peu, les nœuds étaient encore coriaces et loin d’être démêlés mais ils tenaient peut-être quelque chose en reprenant le chemin de cette complicité qui était la leur.

« Du jour au lendemain, peut-être pas. Mais… si les choses deviennent vraiment sérieuses avec Arthur, je pense qu’on sait tous les deux ce qu'il risque de se passer » Elle s’était tournée vers lui pour le laisser continuer, trouvant tout de même refuge dans sa tasse de thé alors qu’elle appréhendait ses mots. « C’est pas un reproche que je te fais, Greta. Mais comme t’es venue… Autant qu’on en parle. » Elle avait acquiescé pour lui indiquer de continuer et qu’elle ne lui en voudrait pas de donner son point de vue - après tout, personne ne se gênait jamais pour donner un avis non désiré sur leur relation. « J’ai bien vu l’effet qu’il a sur toi. Il m’a fallu d’une seule soirée pour avoir ne serait-ce qu’un aperçu. » Il était difficile pour elle d’assimiler l’effet qu’avaient ces mots sur elle. Un électrochoc, lui montrant combien Arthur l’aveuglait mais également la culpabilité qu’elle ressentait encore à propos de cette soirée-là. « Si c’est lui que tu choisis, je ferai jamais le poids, je le sais et tu le sais. » « C’est pas une question de choix… » avait-elle tenté de glisser au milieu des mots de Lucas, qui l’avait stoppée pour terminer. « Et je dis pas ça pour que tu me convainques de quoi que ce soit ou pour qu’on s’apitoie sur mon sort, ou je sais pas quoi d’autre encore… Je suis juste lucide. » Greta l’écoutait parler et fixait son profil et tout ce que son esprit lui criait était à quel point cet homme était droit et probablement idéal. Elle se haïssait de ne pas réussir à simplement tomber dans ses bras pour laisser la porte ouverte à quelque chose qui s’était déjà terminé par un échec. Il ne s’agissait pas d’un choix, comme elle l’avait souligné, mais de quelque chose qui dépassait tout entendement et qui la ramenait sans cesse vers un autre. Peu importe ce que la raison la suppliait de suivre. « Mais quoi qu’il arrive, je serai toujours là pour toi. » Si les choses avaient été réparées, alors elle l’aurait pris dans ses bras, pourtant, elle s’était contentée d’un sourire lorsqu’elle avait été assurée qu’il pourrait le voir.  « Et puis… je compte bien tenir la promesse que je t’ai faite au mariage, tu sais. » Elle avait posé sa tasse, le moment pour elle d’être franche était venu. « Wow. » avait-elle d’abord dit en riant et en frottant ses paumes de main sur son jean, témoignant de sa nervosité. « T’as rien à prouver face à Arthur, Lucas. J’ai pas envie que tu penses ça, et j’ai pas envie de t’expliquer pourquoi c’est en train de se passer comme ça mais lui et moi on a partagé beaucoup de choses et… » Elle avait secoué la tête, clôturant ce point prématurément car parler d’Arthur à Lucas sonnait étrangement faux et était un exercice qui la mettait extrêmement mal à l’aise. « J’ai pas envie que tu m’attendes. Tu mérites tellement mieux qu’une fille qui t’avoue ses sentiments mais te plante car son ex est dans les parages, vraiment. Soyons honnêtes, j’ai merdé, c’est sûr je peux me vanter d’avoir été franche mais ça me tue que ça se passe comme ça. » Greta avait repris son souffle, ses mains s’agitant alors qu’elle déversait tout un discours probablement incohérent qui reflétait la bataille qui se jouait dans son esprit. « Je sais pas où je vais, je sais pas pourquoi je suis devenue ce putain de cliché de la meuf qui choisit le bad boy plutôt que le gentil garçon… » Lucas avait ri, et elle en avait fait de même. « J’te jure je me sens si stupide. Mais je sais que je serai jamais réellement moi-même si je lui donne pas une seconde chance, quitte à me casser la gueule. Et quand ce sera le cas, je veux pas que tu sois en train de m’attendre. Je veux que tu sois là pour me relever, comme l’ami que t’as toujours été et pour ça faudra que tu sois le Lucas heureux, celui que j’ai rencontré. Et tu le seras pas en m’attendant. » Et ce n’est que lorsque son regard avait enfin retrouvé celui de Lucas qu’elle avait réalisé être en train de pleurer.

Lucas attend en silence face à l’écrivaine. Il a parlé tellement longtemps, sans lui laisser l’opportunité d’en placer une, alors c’était son tour maintenant. Ses premiers mots ne se font pas attendre et elle frotte les paumes de ses mains sur ses cuisses. L’ancien pompier craint alors de l’avoir mise bien trop mal à l’aise, ce qui n’était pas son but. Il l’écoute vouloir le rassurer par rapport à Arthur, ce qui déclenche chez lui un sourire gêné. Comme il lui avait dit plus tôt, il n’avait pas dit tout ça pour qu’elle le convainques de quoi que ce soit. Et la suite de sa phrase lui donne raison, puisqu’elle s’avance presque à lui expliquer en quoi sa relation avec Arthur et si particulière. Heureusement pour lui, elle s’arrête à temps. Bien évidemment, il la soutiendrait, quoi u’il arrive, mais il ne tenait pas non plus spécialement à connaître tous les détails. La blonde préfère alors enchaîner sur autre chose, ses mains s’articulant dans les airs et ses lèvres déversant un flot de paroles qui visiblement avaient tourné un moment dans son esprit avant d’être dites. « Hé, respire… », lui dit-il, en attrapant sa main au vol. Il lui dit cela autant dans son intérêt que dans le sien, car il aimerait vraiment pouvoir comprendre ses intentions et si elle continuait à déballer son sac de la sorte, Lucas avait peur de rater quelques informations au passage. Visiblement, le contact de sa main contre la sienne lui apporte un peu de sérénité, puisqu’elle apparaît un peu plus posée lorsqu’elle reprend. Lucas ne peut s’empêcher de rire lorsqu’elle compare Arthur à un bad boy et lui à un gentil garçon. « Tu dis ça parce que tu fermes trop les yeux sur mon côté bad boy… » Il balance ça sur le ton de l’humour, mais Lucas avait bien lui aussi son côté obscur - et le peu de fois où Greta s’y était frottée, ça s’était mal terminé. Mais alors qu’ils riaient légèrement tous les deux, la suite de la conversation devient alors plus sérieuse. L’écrivaine lui avoue à demi-mot qu’elle est bien consciente de peut-être foncer dans un mur, mais qu’elle devait y aller pour ne pas avoir de regret. La suite n’est que le son inaudible des larmes de Greta et celui assourdissant du coeur de Lucas qui se brise face à elles. Son cerveau n’a pas le temps de trouver quoi dire : ses bras, puissants, entourent déjà ses épaules et l’attirent contre lui. Il pose son menton au sommet de son crâne, avant d’enfouir son visage dans ses cheveux blonds - c’est la seule solution qu’il a trouvé pour camoufler ses propres larmes. « T’as intérêt à être heureuse toi aussi, looseuse. », finit-il par murmurer.

@Greta Moore