Elimbah - 2000

“Je peux me transformer s’il faut. J’ai tout le nécessaire à la maison! Ca pourrait être drôle.” Louis ferme les yeux pour imaginer comment Birdie pourrait se transformer en sorcière des bois, puis il éclate de rire lorsque le résultat final s’imprime dans sa rétine. Il voit très bien sa cousine dans une longue robe remplie de fleurs, les cheveux emmêlés dans des branches d’arbres, et une verrue sur le nez. Parce qu’une sorcière digne de ce nom a toujours une verrue sur le nez, non ? Ça suffit à lui faire oublier que ses parents n’y croiraient pas une seule seconde. Parce qu’ils ne croient déjà pas aux sorcières, et qu’en plus ils connaissent leur nièce, alors ce n’est pas une verrue sur le nez qui les empêcherait de la reconnaître sous son déguisement. Mais Louis s’en fiche, il a bien envie de voir Birdie en sorcière des bois, lui, il s’inquiétera du reste plus tard. « Tu pourras me montrer ? » demande-t-il une fois que son fou-rire s’est calmé. Ça commence à faire beaucoup de choses à lui montrer, entre ça et le travail de bûcheron du voisin. Sans compter la chasse aux trolls et l’observation des rapaces. Pas sûr que la semaine de vacances soit suffisante pour arriver au bout de ce planning chargé. Parfois, Louis voudrait vivre toute l’année à Elimbah, comme ça il aurait tout le temps pour explorer les environs avec Birdie, mais il sait que ce n’est pas possible. Il en a déjà fait la demande à ses parents, et leur réponse a été catégorique.

Louis est déçu de ne pas avoir pensé à prendre son livre sur les rapaces - il leur aurait été bien utile pour déterminer la race de l’oiseau qui volait tout près de leur cabane - mais Birdie le rassura bien vite. “J’ai un à la maison aussi, on pourra revenir demain si on veut.” Le petit garçon hoche la tête avec vigueur. Il a déjà hâte d’être demain, pour pouvoir reprendre son observation des oiseaux. En parlant d’oiseaux, si quelqu’un a un prénom parfait pour s’y intéresser, c’est bien Birdie, et Louis ne manque pas de le lui faire remarquer, surtout quand elle lui confie qu’elle aimerait pouvoir voler. “Gniagniagnia, elle était trop facile celle là.” Il ne doit pas être le premier à le lui dire, et certainement pas le dernier, mais ça ne l’empêche pas de glousser, une main devant sa bouche. Une fois son sérieux retrouvé, il peut imaginer ce que ça permettrait, de voler, et lui s’imagine déjà surplomber l’immensité des océans. “C’est pas faux. J’y avais pas pensé.” Birdie a l’air moins emballée, mais Louis n’en profite pas pour se moquer, comme il l’aurait fait avec Claire. Sa cousine ne s’est jamais moquée de lui, même s’il est plus jeune et qu’il avait parfois peur de choses insignifiantes, alors il ne trouverait pas ça très gentil de le faire. Et puis si Birdie ne veut plus jouer avec lui, les vacances deviendront tout de suite beaucoup moins intéressantes.

C’est ensuite au tour de Louis de choisir un super-pouvoir, et son choix se porte rapidement sur courir aussi vite que l’éclair ce qui lui apporterait un avantage non négligeable au rugby. “Trop cool! Mais ça serait pas un peu de la triche quand même ?” Il se gratte la joue, réfléchissant à la remarque de Birdie. Elle n’a pas tort, c’est vrai, même si ça l’embête de l’admettre. Il n’a toutefois pas le temps de lui dire, que déjà elle poursuit. “Oh, on s’en fout, ça serait quand même très stylé! T’imagine, t’aurais même plus besoin de faire la queue nulle part! Tu crois que si tu cours assez vite, tu pourrais aller… Dans le futur ?” Sa déception disparaît immédiatement et est remplacée par un immense sourire sur le visage du petit garçon. « Tu penses que ce serait possible ? » lui demande-t-il des étoiles dans les yeux. Il essaie d’imaginer ce que ça ferait, de courir tellement vite que les mois et même les années finissent par défiler autour de lui, mais il est encore trop petit pour savoir comment ça fonctionne, pour aller dans le futur, mais il compte sur Birdie pour lui en dire plus. « Du coup je pourrais savoir qui va gagner la coupe du monde ? Et je pourrais déjà être assez grand pour déménager de la maison ? » Ça lui plairait assez, de pouvoir voyager dans le futur et de ne plus avoir à respecter les règles strictes de ses parents. « En tout cas, je pourrais faire le tour du monde trop facilement ! Comme tes parents. » Ça au moins, il arrive à comprendre comment ce serait possible. « Est-ce que tu penses que si je cours assez vite je pourrais courir sur l’eau ? » Il a déjà vu des dessins animés où le héros le fait, alors il se dit que ce serait possible pour lui aussi. Comme ça il n’aurait même plus besoin de prendre l’avion ou le bâteau pour faire le tour du monde. Il ne faudrait juste pas qu’il fatigue au milieu de l’océan, sinon il risquerait de couler.

Comme voler c’est aussi un super pouvoir qu’il trouve trop chouette, Louis s’intéresse ensuite à ce que Birdie en ferait. “J’aimerai voir la terre. J’ai vu plein de beaux paysages dans un livre à la maison. Je veux les voir. Ça a l’air trop beau! Se sentir tout petit au milieu  de la nature. Ca doit être fou! Ca serait comme ici mais en plus grand!” Louis hoche la tête, comme subjugué par ce que lui raconte sa cousine. « Ça doit être beau de tout voir du ciel, c’est vrai, » commente-t-il en hochant la tête d’un air entendu. « Tu pourrais repérer plus facilement les trolls qui se cachent dans la forêt en plus ! » s’exclame Louis en se rappelant de leur quête initiale. « Et moi je pourrais leur tendre des pièges en courant très vite. » Ils en feraient, une belle équipe, tous les deux.

Elimbah - 2000

Évidemment que Birdie accepte de montrer à Louis ce que ça donne de la voir déguisée en sorcière des bois lorsqu’il lui demande. Elle est gentille comme ça, Birdie. Et elle aime se déguiser aussi, sûrement. Cette spontanéité soulage le petit garçon, qui n’est ainsi plus le seul à faire lever les yeux de ses parents au ciel, parce qu’il a très envie de tester une nouvelle activité ou parce qu’il a formulé à voix haute une énième idée abracadabrantesque. Aux côtés de Birdie, Louis s’autorise à être un enfant, alors que ce n’est pas toujours possible à la maison, quand ses parents décident qu’il doit se calmer - faire moins de bruit - aller jouer dans sa chambre. A Elimbah, il n’est pas le seul à faire trop de bruit, à salir ses vêtements ou à rater l’heure des repas parce qu’il était trop absorbé par son jeu dehors. Et ça, ce sont de vraies vacances.

Birdie lui soumet l’idée qu’en courant très très très très vite, il pourrait même aller dans le futur, et l’idée paraît très séduisante aux yeux de l’enfant qu’il est, alors il demande confirmation. “Faudrait demander à Elwyn, il s’y connaît dans ces trucs-là!” Louis hoche la tête, l’air sérieux. Elwyn, c’est presque un adulte - il est juste plus rigolo que les autres adultes - alors ce qu’il dit, c’est forcément vrai. Une fois qu’il aura confirmé leur hypothèse, les deux cousins pourront imaginer encore plus d’aventures rendues possibles par ce nouveau super-pouvoir qui leur ouvrira les portes du futur. Birdie continue ensuite à lui confirmer tout ce qu’il serait possible de faire s’il courait aussi vite que l’éclair, et le cerveau de Louis se remplit de mille et un scénarios autour de ça. Il s’imagine faire le tour du monde, voir des éléphants en vrai et peut-être même découvrir de nouvelles espèces d’animaux. Il s’imagine courir sur les océans et faire la course avec les dauphins. Il s’imagine aussi devenir le meilleur joueur de rugby du monde, évidemment. Même si, Birdie l’a dit, ça serait un peu de la triche, c’est vrai. Mais dans ses rêves à lui, aucune règle ne l’en empêche.

Puis c’est au tour de Birdie de rêver. Rêver de voler comme les oiseaux dont elle porte le prénom. La terre vue du ciel. Louis a vu des photographies, prises depuis des hélicoptères, et il ne peut que confirmer que ça doit être grandiose de le voir pour de vrai. “J’aimerai savoir si on peut manger les nuages. Je les imagine être des chamallows avec un goût fruité.” Jusqu’à aujourd’hui, Louis ne s’était jamais posé la question, alors il ferme les yeux et tente d’imaginer quel goût aurait un bout de nuage dans sa bouche. « De la barbe-à-papa ! » s’exclame-t-il en se souvenant de la seule fois où ses parents l'avaient autorisé à en manger. Il se rappelle encore de la texture de cette gourmandise qui fondait sur sa langue et qui lui donnait presque l’impression de pétiller. Il se rappelle aussi de ses lèvres collantes qui avaient gardé le goût de la barbe-à-papa jusqu’à ce que sa mère lui passe un gant de toilette sur le visage une fois rentrés chez eux. « Je suis sûr qu’ils ont le goût d’une barbe-à-papa. » Imaginer les nuages qui traversent le ciel comme des gigantesques barbes-à-papa donne encore plus envie à Louis de partir à leur assaut, mais bien vite son attention est redirigée vers la mission que Birdie lui a présenté lors de son arrivée. “La meilleure team du monde!” Louis s’empresse de frapper la main de sa cousine avec la sienne, trop heureux d’être inclus de la sorte dans ses aventures. À cet instant il se dit qu’ils resteront sans doute la meilleure team du monde jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux très vieux et très ridés, et ça le remplit de joie.

Les deux enfants finissent par reprendre leur rôle de guetteurs, et le temps s’écoule au rythme de la course du soleil dans le ciel qui, peu à peu, fait s’agrandir les ombres des arbres de la forêt. “Bon… Faudra qu’on revienne demain.” C’est Birdie qui sonne le glas de leurs aventures du jour, et Louis ne peut s’empêcher d’exprimer sa déception. « Oh. » Il serait bien resté là lui, perché en haut de leur cabane, plutôt que de devoir retourner voir ses parents. “Et tes parents vont sûrement bientôt partir, on pourra rester plus longtemps les jours d’après!” La perspective de revenir demain, et surtout de ne plus devoir respecter les règles de ses parents redonne le sourire à Louis, qui se lève enfin et époussette son pantalon avant d’aider Birdie à ranger leurs affaires. « Bon d’accord. Il faudra bien penser à prendre des provisions encore. » Le plus important, évidemment.

Et quand ses parents le gronderont parce qu’en descendant de la cabane, son pantalon s’est accroché à une branche et qu’il s’est déchiré sur le côté, il serrera les dents en pensant à ses futures aventures avec Birdie pour ne pas pleurer.