@Lucas Allen

(central laundry service) Après la tempête, la vie reprend peu à peu son cours. Il a reçu un grand nombre de demandes pour de nouveaux rendez-vous au cabinet mais force est de constater qu’il ne peut pas répondre positivement à chacune d’entre elles, à commencer parce que les journées ne font que vingt-quatre heures et qu’il s’est promis de ne pas dépasser ses heures légales de travail. Non par fainéantise, mais bien parce qu’il sait que sa fille l’attend à la maison et qu’il ne veut pas correspondre à ce modèle de parent préférant toujours le bien-être d’autrui, ou de sa carrière, avant celui de sa propre famille. N’en reste pas moins que son travail est une vocation et qu’il y consacre de son temps avec plaisir, surtout alors qu’il se résume grossièrement à aider autrui - et se faire détester pour les exercices qu’il impose. « L’avantage, c’est que tu sais que tu peux faire une lessive et tes exercices en même temps. » Maintenant qu’il a retrouvé des couleurs depuis la nuit de la tempête, Swann a un regard rieur qui est ponctué par son sourire éternellement amusé lorsqu’il se pose sur Lucas. « L’inconvénient, c’est que je le sais aussi. » Et qu’il n’a désormais plus aucune possibilité de lui dire qu’il n’a pas eu le temps de faire ses exercices, ou même qu’il a pu oublier. Plus aucune excuse ne pourrait être acceptée: s’il fait l’effort de venir jusqu’au cabinet de temps en temps, il peut aussi donner quelques minutes de son temps chaque semaine, non ? Une pensée aussi simple qu’utopiste.

« Blague à part, je me la joue médecin particulier mais si t’as une douleur, tu me le dis. On prévoira un vrai rendez-vous. » Et il arrêtera de ressembler à ce véritable cliché de toutes les dernières séries américaines sur la médecine, montrant en tête d’affiche un médecin plein d’ambition (et parfois cancéreux) voulant révolutionner l’univers de la médecine mais surtout son petit hôpital de quartier. Swann n’a rien de tout ça mais il n’en sort pas moins des cases de temps à autres. Après tout, Lucas est à la fois un patient mais aussi un proche d’ami, alors cela lui donne un rôle assez particulier dans la vie de Swann à son tour. Cela lui donne la capacité d’oser décaler leur rendez-vous dans un lieu atypique, aussi. « Parce que je me trompe pas si je présume que t’es pas resté les bras croisés après la tempête ? » Et encore une fois, son ton ne porte pas de reproches. S’il avait été pompier, même mis en retrait, il n’aurait pas hésité à aider autant que possible: c’est ce qu’il a d’ailleurs fait, à la simple hauteur de son quartier et sans que ses connaissances de kiné lui aient été bien utiles. Les petites actions ont parfois leur importance, c’est ainsi qu’il se rassure et pense que lui et Rory ont aidé à leur niveau, comme ils le pouvaient.

Depuis la fin de la tempête, Lucas n’arrêtait pas. La reprise de l’uniforme des pompiers de Brisbane - même pour un court moment - lui avait donné des ailes et il avait à coeur de s’engager dans la reconstruction de la ville ainsi qu’auprès de ses habitants. Il avait aidé à distribuer les délicieux repas de sa voisine Nabi, participé à de nombreuses opérations de nettoyage des rues, mais ce matin, il avait décidé de donner de son temps au refuge animalier. Étant propriétaire d’une douce bête à poils répondant au nom de Jazz, il ne pouvait pas rester sans rien faire en sachant que nombre d’animaux de compagnie, effrayés par la tempête, s’étaient égarés et avaient fini au refuge. Il en avait d’ailleurs sauvé quelques uns lors de son renfort à la caserne quelques jours plus tôt, et il voulait savoir ce qu’il en était advenu et notamment, s’ils avaient retrouvé leurs familles. Ainsi, Lucas s’était rendu au refuge ce matin, pour proposer son aide. La plupart des bénévoles l’ont tout de suite reconnu et semblaient ravis de le voir venir prendre des nouvelles des petits rescapés de la tempête. Après s’être fait faire visiter les locaux, Lucas s’est trouvé accompagné d’un jeune homme de 16 ans, bénévole lui aussi, qui lui a montré comment bien s’occuper des pensionnaires du refuge ; comment nettoyer les cages, où se trouvaient l’eau et les croquettes, quels animaux étaient plus ou moins craintifs… L’ancien pompier a dû se retenir plus d’une fois d’adopter un animal, puisqu’ils étaient bien tous plus attachants les uns que les autres. Son jeune guide lui avait ensuite proposé d’aller promener plusieurs chiens dans la forêt non loin qui avait été nettoyée des débris liés à la tempête. Le sol était encore bien humide, et des flaques de boues et de sables minaient leur chemin. Évidemment, cela représentait une aubaine pour les deux golden Retrievers qu’ils avaient emmené en balade, mourant d’envie de se dégourdir les pattes. La promenade s’était donc résumée en un festival de sauts et de roulades dans les dites flaques, donnant bien de peine à Lucas et son accompagnant à ne pas rester propres et secs. À leur retour au refuge, ils ont dû passer un bon moment à laver et brosser les deux fauteurs de trouble, sous l’hilarité générale des autres bénévoles. Au moins, le trentenaire n’avait pas perdu sa journée. Néanmoins, vu l’état de ses vêtements, un passage à la laverie semblait s’imposer de toute urgence. Mais sur le chemin du retour, une information que son cerveau avait plus ou moins mise de côté lui était revenue en mémoire : il devait voir Swann, son kiné, aujourd’hui, et l’heure de leur rendez-vous s’approchait dangereusement. En effet, son regain d’énergie et d’activité avait des conséquences sur son corps - et notamment sur sa jambe difficile - et il le sollicitait plus régulièrement ces dernières semaines. Évidemment, si Lucas faisait ses exercices de façon plus rigoureuse et régulière, il n’aurait peut-être pas besoin de le voir aussi souvent - et Swann n’oubliait jamais de le lui rappeler. Qu’à cela ne tienne, l’ancien pompier avait saisit son téléphone pour lui proposer de se voir à la laverie - autant joindre l’utile à l’agréable (non). Leur relation ne s’arrêtait pas à celle d’un patient et de son médecin, Lucas s’était donc permis de lui faire cette demande, qu’il avait acceptée. C’est ainsi qu’il s’était retrouvé à faire ses exercices au beau milieu de la laverie - vide de monde, par chance ce jour-là - sous le regard amusé de Swann. La machine dans laquelle il a mis son linge sonne la fin du cycle, de même que la fin de l’exercice qu’il était en train de faire. Les remarques de son kiné lui arrachent un sourire. « Mais c’est pas pareil quand t’es là ! Tout est plus fun, tout de suite. », lance-t-il, pour se trouver une nouvelle excuse de ne pas faire ses exercices, n’oubliant pas de glisser un peu de pommade sur le dos de Swann au passage. Lucas ouvre la machine qui a fini de sonner, pour transvaser son contenu dans le sèche linge juste au dessus. Il entend le kiné le sommer de prendre un rendez-vous en cas de douleurs, sous-entendant qu’il imagine bien qu’il n’est pas resté sans rien faire ces dernières semaines. « Après la tempête, pendant la tempête… J’avoue que j’ai peut-être un peu forcé. Alex arrête pas de me demander de ralentir, tu la connais. », confie Lucas à Swann, en fermant la porte du sèche linge, avant de lancer le cycle de séchage. « Mais niveau douleurs, ça dépend des jours… J’essaie de me calmer sur les antidouleurs, donc y a vraiment des jours où je souffre. » C'était un euphémisme : il allait aux NA plusieurs fois par semaine, promesse qu’il s’était faite à lui et ses proches de sortir de cette addiction. Le cycle de séchage lancé, ils avaient une bonne demie-heure devant eux et Lucas savait que s’il ne parlait pas le premier, Swann risquait de lui donner de nouveaux exercices à faire. Un regard vers l’extérieur de la laverie et le café du coin lui semblait une bonne porte de sortie. « Je te paie un café, le temps que ma machine sèche ? Je te dois bien ça, pour le déplacement déjà. », propose-t-il, avec un sourire.

@Swann Craine

« Mais c’est pas pareil quand t’es là ! Tout est plus fun, tout de suite. »
« Même ma fille sait qu’elle ne peut pas faire que ce qui l’amuse. »

Du moins, elle le saura quand elle sera en âge de comprendre de tels concepts, parce qu’il est vrai que pour le moment Robin n’y comprendrait rien et qu’elle lui sert simplement de parfaite excuse pour donner un exemple à Lucas. Son excuse, justement, n’a absolument rien de valable et Swann ne peut l’accepter comme elle vient. S’il est capable de faire ses exercices avec lui, il sera capable de le faire aussi en étant seul. « Après la tempête, pendant la tempête… J’avoue que j’ai peut-être un peu forcé. Alex arrête pas de me demander de ralentir, tu la connais. » Swann balance sa tête, ne cherchant pas à garder pour lui le regard un brin accusateur qu’il pose sur Lucas. Il est de ceux têtus comme il en connaît malheureusement beaucoup d’autres: les douleurs ne sont pas grand chose, les exercices ne feront pas de miracles, et tout n’est pas si pire. Il préfère sans doute encore ce genre de comportement que d’autres clients parlant de désastre absolu à la moindre petite douleur, mais quand même, un juste milieu serait trop demandé ? « Et toi et moi on sait qu’elle a raison. » Il ne lui donnerait pas raison sur tous les sujets de ce monde, mais en ce qui concerne la douleur pour laquelle Lucas devrait consulter, cela n’en reste pas moins un fait: une douleur est la preuve que quelque chose cloche et qu’il faut demander de l’aide à ceux qui sont en capacité de l’offrir.

Assis sur une des machines, il observe Lucas vider la sienne, comme s’il n’y avait rien de plus normal que de parler douleurs musculaires dans le même temps. « Mais niveau douleurs, ça dépend des jours… J’essaie de me calmer sur les antidouleurs, donc y a vraiment des jours où je souffre. » - « Attends, t’en es au point où tu prends des antidouleurs ? » Et cette fois-ci, il fronce les sourcils, aussitôt sincèrement inquiet pour son ami. Il n’y va pas de main morte et quand il parle de calmer le jeu, Swann y voit de nombreux drapeaux rouges qui se dressent aussitôt face à lui. « Plusieurs ? Par jour ? » La médication n’est pas un sujet qu’il maîtrise bien mais il sait au moins reconnaître une dose qui pourrait être un danger. « Je te paie un café, le temps que ma machine sèche ? Je te dois bien ça, pour le déplacement déjà. » Le souci de l’anglais ne saurait s’envoler maintenant que Lucas a eu des mots plutôt clairs quant à sa situation et c’est pour cette raison qu’il hoche simplement la tête: il ne compte pas en rester là. « T’as déjà eu besoin d’en prendre avant ? Des antidouleurs ? » Il veut savoir où il se situe, il veut savoir où situer la douleur. Il veut savoir s’il a des antécédents et, surtout, ce que cela peut en dire sur sa capacité - ou non - à gérer la douleur. Malgré tout, il suit Lucas jusqu’au café le plus proche.

« Attends, t’en es au point où tu prends des antidouleurs ? » Oups. Lucas aurait dû tourner sa langue plusieurs fois dans sa bouche. Si Sofia savait que l’ancien pompier avait abusé des médicaments, il était vrai qu’il ne l’avait pas mentionné à Swann. Le trentenaire se concentre sur la machine qu’il vide, arborant un air tranquille, comme si tout était normal. Mais son cerveau, lui, fonctionne à toute vitesse. Il allait devoir donner des explications au kiné, il le savait. Ses questions se faisaient pressantes, et il se risque à jeter un oeil vers lui pour y trouver sa mine inquiète, ses sourcils froncés. De toute évidence, ce n’est pas le genre de conversation que l’on aimerait avoir dans la laverie du quartier. Plutôt que de chercher à l’esquiver - et de toutes façons, il connaît assez bien Swann pour savoir qu’il n’avait aucune chance de se défiler - il décide de prendre les choses en main et lui propose d’aller boire un café à quelques mètres de la laverie. Pour toute réponse, l’anglais hoche la tête, mais revient à la charge, le questionnant sur les médicaments qu’il prend. « Oui, les médecins m’en ont prescrit au début… », répond-il, un peu évasif. Une fois le linge dans la machine, il lance le programme de séchage avant de quitter les lieux avec Swann.
Quelques minutes plus tard, ils sont installés à la terrasse du café juste en face. Un jeune homme vient prendre leur commande. Ils n’ont pas prononcé un mot depuis qu’ils ont quitté la laverie. Lucas se racle la gorge, légèrement mal à l’aise. « Au début, ça devait être juste au cas où. », commence-t-il par raconter. « J’avais souvent mal alors les médecins m’ont prescrit les antidouleurs, pour quand ça devenait trop insupportable. » Il se mordille le bout du pouce, distraitement, tâchant d’expliquer les choses de manière logique. « Puis, ils m’ont annoncé que je n’allais plus pouvoir être pompier et… je crois tout est un peu parti en couilles à partir de ce moment-là. » Il repense à sa lente descente aux enfers, l’addiction qui prend le dessus petit à petit, sa dispute avec Greta lorsqu’elle l’a découvert. Le serveur revient leur porter leur commande, permettant à Lucas de faire une pause dans son récit. « Greta a fini par s’en rendre compte. Alex, aussi. Alors, j’ai essayé de me sevrer tout seul. C’était pas la joie. », dit-il, avec un rire un peu amer. Il touille la cuillère dans sa tasse de café, distraitement. « J’ai fait plusieurs rechutes, notamment cet été. J’ai compris que tout seul, ça allait être compliqué, alors je me suis inscrit aux NA. Je vais aux réunions plusieurs fois par semaine. », termine-t-il. Il n’ose pas regarder son ami dans les yeux, honteux. « Je sais que j’aurais dû t’en parler, avant que tu me prennes comme patient. Je pensais m’en sortir tout seul, enfin bref. C’est difficile pour moi. » Il se trouve des excuses, péniblement. « Je suis désolé. » Il finit par s’excuser, tout penaud, comme un enfant pris la main dans un paquet de bonbons. Il s’attend à se faire sérieusement sermonner, voire même à ce que Swann quitte la table. Il attend sa sentence, en silence.

@Swann Craine

Même s’il accepte de le suivre dans un café pour continuer cette discussion avec un brin de confort, Swann ne risque pas pour autant d’en oublier sa question première: est-ce qu’il prend réellement des antidouleurs ? « Oui, les médecins m’en ont prescrit au début… » Au début, mais il semble toujours en prendre dans son quotidien, ce qui est une réponse n’ayant finalement rien pour rassurer l’anglais, lequel ne sait plus poser son regard ailleurs que sur le profil de Lucas. Il leur laisse le temps de changer d’un lieu à l’autre avant de reprendre le sujet et est au moins soulagé de ne pas avoir à tirer les vers du nez de Lucas, ce dernier continuant de bonne foi ses explications. « Au début, ça devait être juste au cas où. » Swann ne peut pas se placer contre l’utilisation des antidouleurs et il ne juge pas que des médecins puissent les prescrire: dans certaines occasions, ils sont bienvenus et une véritable bénédiction. Mais il faut prendre garde à ce que la bénédiction ne se transforme pas en malédiction, voilà tout. En silence, il l’écoute lui raconter ce qui ressemble à une forme certaine de descente aux enfers. « Je comprends que t’aies pas envie d’en parler au premier venu. » Et il comprend aussi qu’il n’est pas bien différent du premier venu, même s’il a pris Lucas comme patient et qu’ils ont quelques amis en commun. Swann aime Alex, il aime aussi Greta, mais à propos de Lucas il n’en sait trop rien pour le moment encore: il apprend à le connaître, il apprend aussi à l’apprécier même si cela n’a rien de bien difficile. Simplement, il est évident qu’ils ne sont pas totalement transparents l’un envers l’autre et que la frontière entre amitié et relation purement professionnelle est difficile à statuer.

« Elles savent toutes les deux à leur façon comment gérer l’addiction. » Alex, parce qu’elle l’a connu personnellement d’une certaine manière. Greta, parce qu’elle continue de le connaître encore et encore à cause des erreurs d’Arthur. « Et c’est déjà un très grand pas en avant que tu prennes les choses en main. Crois moi, c’est souvent le pas le plus difficile à faire. » Et lui, s’il peut oser dire ça comme s’il s’y connaissait un tant soit peu, c’est grâce à quinze ans d’amitié avec Arthur et tout ce que ça implique. « Comment tu te sens aujourd’hui ? » Déjà, il est plutôt évident que Swann a abandonné toute idée de lui parler exercices et autres choses qu’il pourrait réaliser dans le cadre de ses séances de kiné. Dans une autre vie, il aurait sûrement aimé être psy, bien que dans celle-ci il se contente d’en consulter un de façon assez régulière pour son propre bien mais surtout pour le soulagement de ses proches, qui n’ont pas (plus) à s’en faire pour lui. « Les filles sont douées dans leur rôle, mais si tu veux une oreille attentive de plus, on a un cycle à tuer. » Et il ne le lâchera pas avant que son linge soit prêt, de toute évidence, alors autant que leur discussion soit utile.

Swann l’écoute sans rien dire. Lucas lui raconte comment il en est arrivé là, un peu honteux. Certes, ce qui lui était arrivé était terrible et de nombreuses circonstances atténuantes pouvaient expliquer sa descente aux enfers. Mais, quelque part, il s’en voulait de ne pas avoir été plus fort. Surtout que certains de ses comportements ont foutu en l’air plusieurs de ses relations, son amitié avec Greta arrivant en tête de liste. Swann fait preuve de compréhension, enlevant par la même un poids de sa poitrine. Évidemment, parler de son histoire n’était pas chose facile pour l’ancien pompier, mais Swann était aussi un des médecins qui le suivait régulièrement maintenant. « Ça explique, mais ça n’excuse pas. », répond-il, un peu gêné. Lucas est certainement un peu dur avec lui-même, mais il aurait aimé être totalement honnête avec Swann, dès qu’il a accepté d’être son kiné. Il espérait que la relation de confiance qu’ils avaient commencé à construire au cours des derniers mois ne serait pas gâchée à cause de lui. Mais ses mots le rassurent peu à peu et sonnent comme un encouragement à continuer dans cette voie. Il lui aura fallu un an pour faire ce fameux pas dont parlait Swann. Et encore, c'est aussi parce que Joaquin avait beaucoup insisté. Mais s’il avait accepté d’y aller, c’était également parce qu’il le devait à ses proches, qui l’avaient vu dépérir à petit feu sans pouvoir rien y faire. Lorsque l’Anglais lui demande comme est-ce qu’il se sent, il ne peut s’empêcher de soupirer longuement. Il a pris l’habitude de répondre machinalement, sans réfléchir. Il a failli dire que ça va même si ça n'allait pas tant que ça, par réflexe. Mais il s’était promis de ne plus mentir. «  Honnêtement ? Ça dépend des jours. Y a des jours où j’ai l’impression de retrouver l’ancien moi. Quand je suis allé aider mes anciens collègues pendant la tempête, par exemple. J’étais… plein d’énergie, je me sentais invincible, invulnérable. Comme si j’avais jamais eu mon accident. », explique-t-il, en faisant des gestes avec ses mains, pour accompagner son discours. « Et y a vraiment des jours où je lutte contre moi-même. Je me précipite à une réunion dès que c'est possible. Je dis pas grand chose, j’écoute juste, en général. Et si je peux pas, j’essaie de m’occuper au maximum si j’ai pas trop mal, pour penser à autre chose. » Il repense à tout ce qu’il a fait ces dernières semaines : le bénévolat au refuge animalier, les distributions de repas à ceux qui avaient perdu leur maison et qui étaient hébergés dans des logements d’urgence. Il n'avait pas arrêté. Lorsque Swann lui dit que les filles - sous entendu, Alex et Greta - était douées dans leur rôle, Lucas ne peut s’empêcher de rire. Sa proposition d’oreille attentive le touche, il sort de son rôle de praticien pour basculer dans quelque chose de plus personnel. « Heureusement qu’elles sont là, oui. J’avais tellement peur d’en parler à Alex, connaissant ce qu’elle avait vécu… Et Greta… » Parler de la blonde fait remonter dans sa mémoire l’expression de son visage, lorsque celle-ci avait appris que Swann était son kiné. Sa réaction l’avait surpris, tout autant que le demi reproche qu’elle lui avait fait sur son choix. Maintenant qu’il savait quel était le lien entre Greta, Arthur et Swann, il n’était plus tout à fait sûr de ce qu’il pouvait dire ou non au trentenaire. Ses rapports avec Greta étaient suffisamment compliqués et il n’avait pas spécialement envie de la mettre en colère ou de se disputer avec elle au sujet de Swann. « Greta est Greta. » C’est une façon bien maladroite de finir sa phrase, mais il n'avait pas prévu que l’écrivaine arrive dans la conversation. Ne sachant plus quoi dire d’autre, Lucas avait alors opté un sourire un peu gêné. Il espérait que Swann, qui la connaissait depuis plus longtemps que lui, saurait interpréter sa phrase de la façon qui lui conviendrait le mieux et changer de sujet.

@Swann Craine

Demander à ses proches comment ils se sentent est une question que Swann a l’habitude de poser, non par simple politesse mais bien parce qu’il est intéressé par la réponse en face. Ainsi, le fait que Lucas réponde d’abord par un long soupir est un premier signe qui n’a rien de rassurant. Les mots qu’il ajoute ensuite ne font que confirmer sa première idée. « Honnêtement ? Ça dépend des jours. [...] » Pensant pouvoir le comprendre sans mal, il hoche la tête. Lucas a voulu aider dans une situation d’urgence particulière et personne ne pourrait le lui reprocher, pas même alors que l’adrénaline jouait sans doute son rôle dans tous ses gestes et idées. « Te rendre aux réunions est déjà un grand pas en avant. » Y participer est sans doute meilleur encore, évidemment, mais il est partisan de l’idée qu’il faut y aller pas à pas. Le plus important n’est pas de régler le problème en un claquement de doigts mais qu’il le soit un jour, pour ne plus qu’il y ait un risque de retour en arrière. « Heureusement qu’elles sont là, oui. J’avais tellement peur d’en parler à Alex, connaissant ce qu’elle avait vécu… Et Greta… » Pour Alexandra, il ne peut le contredire, lui-même conscient des problèmes qui ont été les siens quand il est question d’alcool et de drogue. A toujours avoir vécu dans une prison dorée, elle a voulu en sortir trop vite et trop fort ensuite. Il ne le lui reproche pas, tout le monde fait des efforts. Tout va bien mieux pour elle aujourd’hui, et c’est ce qui importe le plus, encore une fois. Ce qui interroge Swann, surtout, c’est la suspension après l’évocation du prénom de Greta, une seconde proche en commun.

« Greta est Greta. »
« C’est-à-dire ? »

Il s’en fait aussitôt, Swann, craignant d’entendre qu’elle connaît à son tour des problèmes liés à la drogue sans qu’elle le sache. Ce dont il s’inquiète, surtout, c’est que ces dernières puissent être nés à cause du retour omniprésent d’Arthur dans sa vie - ce dont Swann se rend pleinement coupable, parce qu’il veut penser que c’est une bonne chose pour eux deux. S’il comprend que Lucas a plutôt envie d’enterrer le sujet pour mieux passer à autre chose, Swann fait plutôt le choix égoïste de ne pas suivre son désir premier. Il se fait du souci pour Greta, ce qui n’était pas initialement prévu, et il ne saurait passer à autre chose sans d’abord obtenir la réponse à sa question. « Qu’est-ce qu’elle a à voir là-dedans ? » Sa préoccupation va jusqu’au point où il se permet d’insister sur le sujet, ce qui est une chose qu’il ne fait généralement pas, éternellement trop soucieux de respecter les limites de tout le monde autour de lui, quitte à ce que ce soit parfois à son propre détriment.

Sans s’en rendre compte, Lucas s’était mis sur un terrain bien glissant. Si parler d’Alexandra ne lui posait aucun problème, Greta était un sujet bien plus sensible, en compagnie de Swann. L’ancien pompier ne savait pas bien comment finir sa phrase, il avait parlé trop vite. Greta est quoi ? Une des seules choses qui l’aide à tenir ? Greta est avec Arthur ? Greta, Greta, Greta est… Il avait fini sa phrase d’une bien drôle de façon, même si qualifier la blonde n'était pas une mince affaire tant elle était unique en son genre. Visiblement, la pompier avait piqué la curiosité - ou à en croire son visage - l’inquiétude du kiné. Ne souhaitant pas épiloguer davantage, Lucas avait préféré le rassurer rapidement, tentant d’expliquer ce qu’il avait bien voulu dire par là. « Bah, tu connais Greta… », bafouille-t-il, « Elle est facilement inquiète pour les autres… » Le bourbier dans lequel le trentenaire s’était fourré lui semblait se renfermer sur lui, petit à petit, et il se rendait bien compte qu’à la place d’afficher un air naturel et décontracté, sa réaction laissait penser tout le contraire à Swann. Il profite du silence à peine embarrassant (de son côté, du moins) qui suit pour boire une gorgée de son café. Malheureusement pour lui, l’Anglais ne lui laisse pas de répit et revient à la charge. Son malaise grandit un peu plus à l’idée de parler de Greta avec son meilleur ami, alors que celle-ci n’avait clairement pas l’air ravie qu’ils se connaissent. Mais dans le cas présent, Swann est visiblement très inquiet pour son amie, pour un simple mot glissé par Lucas, alors il se doit de rétablir la situation. « Rien du tout, je voulais pas t’inquiéter. On est proche, elle a été très présente pour moi, au début de ma convalescence. », finit-il par expliquer. En voulant rassurer le kiné, Lucas espérait ne pas en avoir trop dit - ne sachant pas si l’écrivaine avait déjà parlé en détail à Swann de leur relation, et notamment ce qu’il s’était passé au mariage. « Mais, on est pas obligé de parler de Greta, tu sais. » Ça ne le rendra certainement que plus suspect, mais l’ancien pompier n’avait pas trouvé de façon plus polie pour essayer de clore le sujet. Il espérait alors silencieusement que son compagnon comprendrait son message et n’insisterait pas davantage.

@Swann Craine

« Bah, tu connais Greta… Elle est facilement inquiète pour les autres… »
« Oh, ça. »

Il est un véritable ingénu, parfois, Swann. Quand Lucas commence à lui expliquer le fond de sa pensée, il ne s’attarde pas sur les bafouillements de ce dernier mais seulement les mots en eux-mêmes: oh, ça n’est pas un ton qu’il aborde en jugeant son amie de longue date, non, loin de là. En réalité, il est seulement soulagé de l’entendre dire qu’il ne s’agit que de ça et que, de fait, Swann doit arrêter de se faire des plans sur la comète tout en imaginant le pire. Il n’y a pas de pire, simplement une Greta toujours (un peu trop) égale à elle-même, bien qu’il soit à son tour mal placé pour juger quiconque faisant passer l’intérêt des autres avant le sien propre. Si Arthur n’en était pas le parfait contre-exemple, il aurait rejeté la faute sur leur sang anglais. « Rien du tout, je voulais pas t’inquiéter. On est proche, elle a été très présente pour moi, au début de ma convalescence. » Et sur ces mots-là, il se concentre un peu plus sur le fond que sur la forme, oui. Il comprend la malaise de Lucas, tout comme il voit à quel point ce dernier semble vouloir en finir au plus tôt au sujet de tout ce qui pourrait concerner leur amie commune, que ce soit de près ou de loin. « Mais, on est pas obligé de parler de Greta, tu sais. » - « On en parlera pas si tu veux pas, non. » Il assure, tout en prenant la peine de souligner qu’il a bien compris le jeu de Lucas. Il ne sait pas pourquoi il existe sur une telle forme, mais les indices arrivent un à un, alors il aura sans doute le fin mot de cette histoire. « Entre toi et Arthur, je crois qu’elle a un peu à coeur de sauver les causes perdues. » Bien qu’ils ne jouent pas dans la même cour, il faut l’avouer. Lucas est un enfant de chœur en comparaison d’Arthur, et c’est peut-être ce qui lui manque aux yeux de Greta, justement. Mais sur le terrain des sentiments, il préfère ne pas s’avancer davantage, et encore moins s’impliquer. « Je rigole. Tant que chacun y trouve son compte, c’est tout ce qui compte. » Et maintenant, il n’est pas certain qu’avoir rajouté cette précision était une bonne idée mais puisque les mots ont été dits, il est trop tard pour revenir en arrière. « Je t’ai assez embêté avec mes questions. On devrait retourner à la laverie. » Et la prochaine fois, il le jure, il lui demandera de venir au cabinet sans se la jouer médecin cool et multitâches: pas de laverie, pas de questions sur Greta non plus. Tout le monde ne pourrait que mieux s’en sortir ainsi.

« C’est pas vraiment que je ne veuille pas en parler, c'est juste… compliqué. », se justifie Lucas. Il espérait que Swann n’avait pas pris son insistance à ne pas vouloir parler de la blonde pour de l’impolitesse. Mais il préférait clore ce sujet, avant de dire des choses que le kiné n’était pas censé savoir ou pire encore - que lui-même apprenne des choses qu’il n’avait pas envie d’apprendre. Le jeune marié pique néanmoins sa curiosité, en le comparant lui et le fameux Arthur a des causes perdues. Il n’avait absolument pas envie de parler de ça, et voilà maintenant qu’il mourrait d’envie d’en savoir plus. Il préfère ne rien dire et se mordre la langue. Greta n’avait jamais parlé à Lucas de sa vie en tant que Sighbury. Il ne connaissait que Greta Moore, et quelque chose lui disait qu’il pourrait en apprendre bien plus sur sa vie londonienne en posant des questions à Swann. Il tenait là une opportunité, dont il ne savait pas s’il avait envie de la saisir ou juste de fermer les yeux pour ne pas la voir. Mais l’Anglais ajoute une phrase encore plus intrigante, et Lucas ne peut s’empêcher d’ouvrir la bouche. « Comment ça ? », demande-t-il, malgré lui. Sa curiosité l’a emportée sur la crainte d’en apprendre trop. Mais sa relation avec Greta était devenue si compliquée ces derniers mois qu’il n’osait plus rien lui demander. Leur conversation chez lui le lendemain de la tempête résonnait encore en lui, et notamment ses craintes quant à son rapprochement avec Swann. C’est d’ailleurs à son tour de vouloir clore la discussion, mais l’ancien pompier le retient avant qu’il ne se lève de sa chaise. « Attends, attends… », dit-il, doucement. Il pèse le pour et le contre encore un instant. A-t-il vraiment envie de franchir cette limite, alors que l’écrivaine semblait vraiment mal à l’aise à cette idée ? D'un autre côté, s’il s’était promis de ne pas interférer directement dans sa relation avec Arthur - peu importe ce qu’elle était, il s'était aussi promis de veiller à ce qu’elle ne souffre pas. Sa curiosité, piquée à vif, le poussait à poser des questions qu’il ne pouvait poser à personne d’autre qu’à la personne qui se trouvait maintenant en face de lui. « Est-ce qu’elle t’a parlé de… de moi ? », ose-t-il alors demander. Son regard est fuyant, gêné de demander ainsi auprès de la blonde à Swann. D’autant plus qu’étant son meilleur ami, il n'avait pas la garantie que ce dernier lui répondrait avec sincérité. « Déso, je devrais pas forcément me mêler de ce qui me regarde pas. Je veux pas te mettre dans une position inconfortable, mais… on se parle plus trop depuis ton mariage. » Il se rend compte que sa phrase sonne comme une légère accusation, comme si le mariage de Swann et Rory avait été la cause de l’effritement de leur amitié, alors qu’il n’en était rien. « Un mariage vraiment chouette d’ailleurs, je veux dire, c'était magnifique, Alex n’arrêtait pas de pleurer de joie. », dit-il pour se rattraper. Il n’a jamais été doué dans ce genre de situation, trouvant toujours le moyen de s’embourber un peu plus. Il soupire, las d’essayer de faire bonne figure. « J’essaie de me la jouer cool et détaché, mais c’est pas facile. Je m’inquiète pour elle, moi aussi. », finit-il par admettre, en se grattant la tempe nerveusement. Si Swann ne voulait rien lui dévoiler, il le comprendrait totalement. Mais il s’en serait voulu de n'avoir rien tenté, de toute évidence.

@Swann Craine  

« C’est pas vraiment que je ne veuille pas en parler, c'est juste… compliqué. » Et il comprend, Swann. Il jure qu’il arrive à comprendre sans mal que le monde ne peut pas être tout blanc ou tout noir et qu’il n’y a aucun mal à ça: lui aussi est passé par là à de nombreuses reprises, pour de nombreux sujets différents aussi. Les amitiés, les amours ; ce sont aussi deux sujets qui ne donnent parfois aucune envie de s’appesantir sur l’éternel même thème et il arrive à le comprendre sans mal. A une époque, il aurait aussi répondu qu’il ne veut pas ne pas parler de Rory, mais que tout est compliqué. Et cette période a duré bien trop longtemps pour son propre bien. Dans un sourire sincère, il hoche la tête et se promet mentalement de ne pas l’embêter davantage avec le sujet s’il est si réticent à en parler. « Comment ça ? » Lucas est néanmoins celui qui relance le sujet, sans doute intrigué par la mention d’Arthur bien plus que celle de Greta. Malgré lui, Swann étire un sourire en demi-teinte. « Rien. Je pense juste que vous êtes importants pour elle. » Malgré tous leurs défauts, et Dieu sait qu’ils sont nombreux pour Arthur: n’en reste pas moins qu’il est important, lui aussi, et qu’aucune de ses erreurs n’a un jour fait office de veto.

Et si Swann essaie de son côté de clore la discussion pour ne pas ajouter un brin d’incompréhensions à ce qui semble déjà exister, Lucas tient un avis différent sur la situation générale. « Attends, attends… Est-ce qu’elle t’a parlé de… de moi ? » Swann pèse un instant le pour et le contre pour estimer quelle réponse lui donner. Il a entendu son prénom, oui, à commencer quand il a fallu donner l’identité de celle qu’elle inviterait à ses côtés à son mariage, mais est-ce qu’il en a entendu parler outre mesure ? Pas vraiment. A l’image d’un chat, Swann retombe donc sans mal sur ses pieds. « Je lui ai demandé qui est ce Lucas qu’elle voulait inviter à mon mariage. » Le sourire qu’il ajoute signifie qu’il n’y a rien de plus à en dire, et qu’elle ne lui a de toute façon rien dit de plus. Arthur lui-même, qui semblait pourtant avoir la langue en feu, s’est contenté de maugréer quelques reproches ici et là: rien de différent du traitement donné à autres personnes foulant cette Terre, donc. « Déso, je devrais pas forcément me mêler de ce qui me regarde pas. Je veux pas te mettre dans une position inconfortable, mais… on se parle plus trop depuis ton mariage. » - « Vous vous êtes disputés ? Il s’est passé quelque chose ? » Il fronce doucement les sourcils, soucieux. Greta a son caractère, c’est un fait, mais il veut croire qu’elle sait préserver les relations qui le méritent. Surtout, il veut croire que son mariage n’a pas été un terrain de guerre pour qui que ce soit. « J’essaie de me la jouer cool et détaché, mais c’est pas facile. Je m’inquiète pour elle, moi aussi. » De toute évidence, le linge attendra donc. Le souci sur la personne de Greta l’emporte aisément sur tout le reste, sans même avoir à y réfléchir à deux fois. « Tu penses que y’a des raisons suffisantes pour que tu t’inquiètes ? » Il le demande d’un ton bas et calme, prêt à aborder le sujet sans mal. Simplement, il tient à demander à Lucas s’il est sûr de lui et s’il n’est pas en train de s’imaginer ce qui n’existe pas, parce que les relations humaines sont complexes et parfois impénétrables. « J’ai pas eu l’impression qu’elle aille mal, dernièrement. » Il finit par confier, pour inciter Lucas à lui faire part de ses doutes de façon précise.

Évidemment, la tentative de Lucas d’en savoir plus sur le fameux Arthur se solde par un échec, puisque Swann se contente de répondre évasivement à sa question. Tant pis, il aura au moins essayé. Mais alors que le kiné tente de mettre fin à cette conversation, l’ancien pompier essaie néanmoins de glaner quelques informations sur Greta. Il avait encore en mémoire leur dernière discussion, chez lui, qui avait un goût légèrement amer. Ils avaient fini dans les bras l’un de l’autre, se promettant sans se le dire d’essayer d’être heureux séparément, si cela était possible. Mais la blonde avait plus ou moins avoué qu’elle savait que la relation dans laquelle elle voulait s’engager avec Arthur était peut-être vouée à la faire souffrir. Depuis, Lucas n’avait pas osé lui poser de questions à ce sujet, alors Swann pouvait peut-être bien sa seule et unique source d’information sur la question. Il commence par une bête question sur lui, et la réponse de l’Anglais lui arrache un sourire, même si elle ne satisfait pas vraiment sa curiosité. Alors, il décide de se dévoiler davantage, notamment en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il se montre un temps soit peu curieux. Les sourcils froncés de Swann sont un signal pour le brun qu’il peut se confier davantage. « Non, non, on ne s’est pas disputé… », commence-t-il, le regard perdu dans le fond de sa tasse de café qui a tiédi maintenant. « On a juste eu une conversation qu’on aurait certainement dû avoir plus tôt, mais… bad timing. », finit-il par dire, en reprenant plus ou moins les mots de la blonde lors de cette fameuse soirée. « On essaie de rester bons amis, mais j’ai dû me tenir un peu éloigné, pour son bien. Et pour le mien, aussi. », finit-il par admettre à Swann. Lorsque ce dernier lui demande s’il a des raisons qui justifieraient son inquiétude au sujet de l’écrivaine, Lucas ne dit rien, ne sachant pas trop s’il doit en dire plus. Il a besoin de savoir, mais les larmes et le discours de Greta chez lui le hante encore. Et même si Swann semble lui confirmer que la blonde n'allait pas mal, il ne sait pas si cette information lui est dite par peur de divulguer quelque chose qu’il ne devrait pas ou par réelle honnêteté. « Désolé, tu as certainement raison, mais… », s’excuse l’ancien pompier. Il se racle la gorge. « C’est juste que la dernière fois qu’on s’est vu… elle m’a plus ou moins avoué que redonner une chance à Arthur allait la faire souffrir, d’une façon ou d’une autre, mais qu’elle pouvait pas ne pas le faire. » Voilà, il l’avait dit. Peut-être Greta le maudirait-elle si elle savait qu’elle en avait parlé à Swann, mais à qui d’autres pouvait-il bien confier ses inquiétudes à ce sujet ? Au mieux, le trentenaire lui dirait la vérité et au pire, il ne lui dirait rien mais veillerait sur la blonde à sa place. « Et moi, je peux rien faire pour la protéger. », finit-il par dire, comme un aveu de faiblesse de sa part.

@Swann Craine

Malgré lui, et alors que cela se trouve bien loin de ses habitudes, Swann a l’impression de médire sur deux de ses meilleurs amis anglais. Arthur le mérite parfois, certes, mais ce n’est pas le cas de Greta. « Non, non, on ne s’est pas disputé… On a juste eu une conversation qu’on aurait certainement dû avoir plus tôt, mais… bad timing. » Pensant comprendre ce dont il est question, Swann hoche la tête même alors que Lucas ne le regarde pas. Il ne connaissait pas cette partie de l’histoire et est désolé de la finalité de cette discussion. Ils nourrissaient apparemment des ambitions différentes et bien que ce soit un sentiment qu’il n’ait jamais expérimenté (Dieu soit loué), il peut comprendre à quel point cela s’avère être blessant et particulièrement triste. « On essaie de rester bons amis, mais j’ai dû me tenir un peu éloigné, pour son bien. Et pour le mien, aussi. » - « Tu as sûrement bien fait. » Il ne connait pas les détails de leur discussion mais parfois prendre un peu de recul est la décision la plus sage à prendre. Et dans le cas d’une peine de coeur, c’est souvent nécessaire.

« C’est juste que la dernière fois qu’on s’est vu… elle m’a plus ou moins avoué que redonner une chance à Arthur allait la faire souffrir, d’une façon ou d’une autre, mais qu’elle pouvait pas ne pas le faire. » Swann grimace. C’est ce que Arthur fait de mieux: faire souffrir ses proches. Il est quelqu’un de bien,au fond, mais il est surtout particulièrement doué pour le faire oublier et surtout pour l’oublier lui-même, quand il en est déjà revenu au point où il fait passer ses propres intérêts avant ceux du reste du monde entier. Swann l’aime sincèrement pour la personne qu’il est, mais il est capable de reconnaître ses défauts malgré tout, et il en est sûrement de même pour Greta. « Arthur est quelqu’un de spécial. » est tout ce qu’il arrive à expliquer. Il est son meilleur ami, et il est une personne qui lui a fait du mal un nombre incalculable de fois. « Et moi, je peux rien faire pour la protéger. » Il marque mollement la négation de ses mouvements de tête. « C’est pas une question de la protéger. » Elle sait à qui elle a à faire, elle sait dans quoi elle s’embarque. Elle sait, aussi, que jamais Arthur ne lui ferait du mal volontairement. Ni même physiquement. Psychologiquement, ça, malheureusement, Swann ne peut le nier. « Mais je sais qu’il apprécie sincèrement Greta. » Il ne lui a jamais dit, évidemment, mais il n’a jamais non plus mis autant d’efforts dans une seule et même relation. Lui aussi veut croire qu’il existe une issue favorable l’idée d’un eux. « Vouloir les séparer ne serait pas une bonne idée, je pense. » Il aurait le mauvais rôle et ne le mérite pas. Il doit laisser les choses se faire, les décisions être prises. Les erreurs faites. « Laisse les essayer, ok ? » Et s’il doit finalement réparer les pots cassés, alors Swann ne doute pas qu’il sera toujours là pour le faire. En attendant, il ne vaut mieux pas s’inquiéter de trop en amont.

Le syndrome du sauveur est quelque chose que Lucas connaît trop bien. Une bonne partie de sa vie a constitué à sauver les autres, parfois au péril de sa propre vie. Et même maintenant que tout ceci était plus ou moins derrière lui, il ne pouvait s’empêcher de vouloir protéger tout le monde, encore plus lorsqu’il s’agissait de ses proches. Il revoit le regard embué de larmes de Greta, dans son appartement. Alors, lorsque Swann lui dit, de façon plus ou moins détournée que ce n’est pas - que ce n’est plus - son rôle de protéger l’écrivaine, un fort sentiment d’impuissance se saisit de lui. Le pire, c’est qu’il avait raison. Lucas se tient la tempe, démuni. Greta est une adulte et elle a pris sa décision, en toute connaissance de causes. Quand le kiné lui garantit qu’Arthur l’apprécie sincèrement, il ne sait pas si ça le rassure. Mais il devra se contenter de cela. « Tu les connais mieux que moi. », finit-il par dire, résigné. Il allait devoir faire confiance à Swann, n’ayant d’autres alternatives. Lucas s’était promis de rester en retrait, pour le bonheur de Greta. Alors, il se sent obligé de rassurer l’Anglais à son tour, lorsqu’il sous-entend que l’ancien pompier souhaite les séparer. « Oh, je n’en ai pas l’intention, tu sais. Je suis pas idiot. J’veux que son bonheur. Comme nous tous, au final. » Un silence étrange s’est installé entre les deux hommes, finalement brisé par Swann, lui demandant de laisser les choses se faire. Il ose enfin le regarder dans les yeux, lui accordant un léger sourire, même s’il est teinté d’un peu de tristesse et de résignation. « Je te fais confiance, t’inquiète pas. », lui répond-il. En réalité, la confiance que Lucas avait pour Swann n’avait rien à voir avec tout ça, mais il avait besoin de le croire pour se sentir mieux. Si le jeune papa y croyait, alors tout se passerait bien pour Greta, avec ou sans lui. C’est tout ce qui comptait et il devait s’accrocher à cette pensée : tout irait bien pour elle, elle est bien entourée. Il finit sa tasse de café, avant de se lever. « Bon, les machines de la laverie ne disposent pas encore d’un programme qui plie le linge tout seul, alors… », dit-il, sur un ton se voulant décontracté. Cette discussion n’avait pas été très agréable, ni pour lui, ni pour Swann, mais elle avait le mérite d’avoir enlevé une certaine pression des épaules de l’ancien pompier. « Et Swann… », ajoute-t-il, en mettant ses mains dans les poches de sa veste. « Merci. Je suis rassuré que Greta puisse te compter parmi ses amis. » S’il avait encore quelques inquiétudes, Lucas avait au moins cette certitude que quelqu’un veillait sincèrement sur l’écrivaine, quand il ne le pouvait pas.

@Swann Craine