@Ezra Beauregard

(sirromet wines) J’ai entendu parler d’une certaine générosité se mettant en place des suites de la tempête, mais personne ne sera étonné que je n’en fasse pas partie. Pour cause, retrouver un toit de façon permanente à mon fils et moi-même fait bien plus partie de mes priorités que d’aider des inconnus dont je ne sais rien. Je ne suis pas le plus à plaindre, et pourtant aider mon prochain ne m’intéresse pas si ce n’est pas de Sloan dont il est question. Qui plus est, j’ai bien trop à faire pour prendre de mon précieux temps à cela et parmi mes obligations se trouvent certaines que je n’ai aucune hâte de voir arriver. Une discussion avec Ezra, par exemple, en faisait partie. La dernière fois que nous avons discuté, il m’a appris que ma propre femme était en couple avec un autre, alors je pense être en droit de ne pas en garder un bon souvenir et de ne pas avoir envie de reproduire la même discussion. Quoique maintenant, au moins, je suis à peu près sûr de pouvoir dire qu’elle ne compte pas me présenter un petit-ami sorti de nulle part. Une certaine part d’inconnu continue pourtant d’exister, parce que je me surprends souvent à ne plus reconnaître ma propre femme, laquelle je connais pourtant depuis près de quinze ans. La Ginny d’il y a deux ans était différente. Celle d’aujourd’hui, que ce soit en bien ou en mal, a terriblement changée.

« J’ai des cadeaux de Noël à faire et pas de temps à perdre. » J’explique la raison de notre entrevue ici, tout comme j’explique le fait que non, je ne compte pas aider à ce foutu réveillon des gamins. Il en a deux à gérer et un autre en route, lui-même devrait avoir des priorités ailleurs j’imagine. Un an plus tôt, c’est un cadeau pour James que j’aurais pu chercher dans un vignoble. Aujourd’hui, l’idée est totalement proscrite et même en étant un adepte de l’humour noir, je ne me risquerai pas à ça. Pas avec lui, pas sur ce sujet bien précis. Qu’il invente une excuse de son côté aussi, qu’il dise vouloir faire un détour pour savoir comment avance le réveillon, qu’il me dise ne même pas avoir fait 1+1 du lieu de rendez-vous que je lui ai donné. Je m’en moque bien. Je n’en ai même absolument rien à faire. Nos chemins se sont séparés avec la disparition de Ginny mais, ironiquement, son retour ne les fait pas se rapprocher à nouveau. Certaines choses défaites ne peuvent être refaites, et je pense qu’on le sait tous les deux sans pour autant en être triste. Il ne manque pas à ma vie, je ne manque pas à la sienne, mais nous avons toujours des comptes à rendre et lui doit trouver un cadeau de Noël pour son filleul. « J’ai pas demandé comment elle t’a appris son retour. » Peut-être qu’il ne lui a pas demandé comment elle m’a appris la chose non plus, parce que dans ce moment bien précis chacun ne pensait pas à l’autre. Je ne lui en veux pas, quand bien même il se moque sans doute de ce que j’en pense. Je veux savoir comment il vit la chose, lui. Je veux savoir si je suis le seul à trouver tout ça incroyablement tordu et difficile à accepter, malgré le soulagement omniprésent à la vue de son visage bel et bien vivant.

Il avait levé les yeux au ciel comme ce n’était pas permis lorsqu’il avait vu le nom de Auden s’afficher sur son téléphone - c’était de toutes façons là la seule réaction qu’il réussissait à avoir lorsqu’il s’agissait de Williams, car pas une seule fois ce dernier lui avait inspiré autre chose que de la lassitude. Mais il faisait partie de ces personnes qu’il ne réussirait surement jamais à réellement exclure de sa vie, malheureusement, alors il avait appris à composer avec avec le temps. De temps en temps, il lui rappelait à quel point il était un être humain détestable, et l’autre partie était réservée au fait qu’ils partageaient des rejetons en commun - pas de sang mais de noms de famille, ou apparentés. Aujourd’hui était une situation où intervenait un de leur point commun, celui qui leur posait le plus de soucis ces derniers temps d’ailleurs: Ginny.

« J’ai des cadeaux de Noël à faire et pas de temps à perdre. » Ezra eut un petit rire qui siffla à travers ses lèvres. « Je compte pas passer la fin de l’année avec toi, t’inquiètes pas. » Mais l’idée de passer au vignoble pour les cadeaux de Noël n’était pas qu’une mauvaise idée, et c’était surement même une pierre deux coups pour Beauregard aujourd’hui. La seule qui semblait être contente de cette sortie, c’était Alice, arrachée dans le porte-bébé qu’il tenait devant lui, avec ses grands yeux curieux qui observait absolument tous les détails autour d’eux.

« J’ai pas demandé comment elle t’a appris son retour » Déglutissant, il ajouta là un soupire alors qu’il laissait son regard accrocher certains noms en rayon tout en restant assez loin de ces derniers pour que les pieds de la petite évite de toucher quoi que ce soit. « Je me doute bien que t’en as pas grand chose à faire. » Lorsqu’ils discutaient, il avait toujours cet espèce de gout doux-amer en bouche - et ne savait trop faire autrement que de parler de façon un brin trop passive-agressive, surtout agressive surement. Cependant, dans ces circonstances là, il y avait certaines choses dont il avait envie et besoin de discuter aussi, dont il ne pourrait discuter avec personne d’autre qu’Auden malheureusement. Alors, Ezra inspira longuement avant d’exprimer tout aussi longtemps. « J’ai pas demandé non plus, tu me diras. » Un point partout, la balle au centre. « Elle est venue au garage, s’est pointée comme une fleur. » Par réflexe surement, il avait attrapé les mains d’Alice pour caresser la peau de ces dernières de ses pouces, geste réconfortant et le ramenant facilement à l’instant présent et à l’idée que ce qu’il s’était passé était passé, justement. Le petit rire faussement amusé se fit entendre plutôt facilement à la suite de ses premiers mots, aussi. « C’est juste la deuxième fois qu’elle me fait le coup, je vais finir par m’y habituer. » Ce n’était pas drôle, cela n’était pas pris à la légère de son côté mais à part tenter d’en rire, il n’avait pas tant d’autres options que cela.

Il finit par tourner son visage vers Auden, haussant un sourcil dans sa direction. « Toi ? » Parce-qu’il n’avait pas posé la question à Ginny ce jour là mais il la lui posait aujourd’hui. Et parce-que surtout il y avait une seconde interrogation qui était bien plus importante à ses yeux: « Et Sloan ? »

« Je compte pas passer la fin de l’année avec toi, t’inquiètes pas. » Tant mieux, parce que c’est au moins un point sur lequel on peut arriver à tomber d’accord sans trop de mal. Je n’ai pas envie de m’éterniser à ses côtés et je sais qu’il en est de même pour lui: qu’il soit le parrain de Sloan n’a rien arrangé par miracle. A l’époque, cette proposition avait surtout été faite pour Ginny, mais très rapidement elle s’est soustraite de cette équation sans que nous ayons eu notre mot à dire. Je m’abstiens de lui répondre quoi que ce soit, parce que ce sujet n’a aucune importance au cœur de notre discussion: je veux lui parler de Ginny et non de sa progéniture. Il n’a de toute évidence pas su résister à l’envie de venir avec la sienne sans que je sache si c’est par nécessité ou par simple envie. N’en reste pas moins qu’il donne l’impression d’être rôdé à l’exercice: je l’observe anticiper toutes les catastrophes sans mal. « Je me doute bien que t’en as pas grand chose à faire. » Ma tête se balance de droite à gauche. Sa réponse ne devrait pas changer la face de mon monde, en effet, mais elle ne m’en intéresse pas moins. « Tu sais que si j’en avais rien à faire, j’aurais pas posé la question. » Je me garde d’utiliser le mot “foutre”, parce que sa gamine est présente et que ça suffit à me convaincre de faire des efforts. Avec Ezra, cela fait longtemps que je n’agis plus par curiosité mais bien par pragmatisme et nécessité. « J’ai pas demandé non plus, tu me diras. » Je hausse les épaules. Peu importe. Qu’il demande ne m’apporterait rien de plus, et à lui non plus. Je préfère qu’il ne le fasse pas, parce que j’ai toujours gardé ma vie privée privée, justement.

« Elle est venue au garage, s’est pointée comme une fleur. » Mon rire est nerveux. Elle aurait osé utiliser la même technique avec tout le monde, alors ? Bien sûr, cela ne m’étonne finalement pas tant que ça. Après tout, ce n’est pas comme si elle venait avec beaucoup de réponses: se pointer comme une fleur reste le meilleur qu’elle puisse encore arriver à envisager. « C’est juste la deuxième fois qu’elle me fait le coup, je vais finir par m’y habituer. » La légèreté d’Ezra n’est pas la même que la mienne. En réalité, je ne me sens toujours pas capable d’en rire. Tout est encore trop récent et, surtout, tout est toujours aussi douloureux. Son départ autant que son retour, par ailleurs. Rien ne va correctement et pourtant je ne serai pas celui qui risquerait de lui demander de retourner d’où elle vient pour nous laisser tranquilles. « Toi ? » - « Si je vais finir par m’y habituer ? » Mon pas ralentit, mon regard se pose sur Ezra avec une dureté que je n’avais sans doute pas anticipée. Il est celui qui a tout pour être heureux maintenant. Il a la famille qui ressemble à sa propre fratrie, ce qui doit sans doute le rendre heureux sans contrepartie. « Certainement pas, non. » Je lui reprocherai toujours son départ et ce malgré les circonstances de ce dernier mais, surtout, je ne sais pas si j’arriverai un jour à agir comme si sa présence parmi nous est la plus logique et naturelle qui soit. J’aimerais. Pour notre fils, au moins. « Et Sloan ? » - « Il ne l’a pas reconnue de suite. Elle est partie trop tôt. » Il a reconnu les photos, mais il n’a pas reconnu Ginny en tant que telle. J’en suis persuadé. Il n’est pas en âge de m’expliquer les nuances, mais je le sais. Je m’en doute. Je connais mon fils, bien plus que ce n’est son cas. « Elle s’est pointée la bouche en coeur chez nous aussi. » Je finis par avouer que nous sommes tous les deux logés à la même enseigne en notre qualité de père d’un de ses fils. Du reste, le fait qu’elle porte mon nom n’entre plus en compte - et c’est sans doute tant mieux. « Je l’ai prévenue qu’elle avait pas intérêt à se faire une place dans sa vie si c’est pour disparaître à nouveau. » Et puisque j’imagine déjà qu’Ezra lui a tout laissé passer, comme il l’a toujours fait, je précise ce qui a été dit de mon côté pour que la situation soit claire pour tout le monde: plus de mensonges, plus de conneries. « T’y crois à son histoire de groupe à Sydney ? » Elle dit groupe, je pense autre chose, et c’est un regard un brin soucieux que je pose sur le profil du brun. « Parle franchement. C’est plus vraiment mon problème, sa vie. » On va élever notre fils, et plus rien d’autre. Pas quoi que ce soit de plus.

Là où Ezra avança qu’il ne devait pas en avoir grand chose à faire, Auden nia d’un mouvement de la tête la véracité de ce qu’il avançait. « Tu sais que si j’en avais rien à faire, j’aurais pas posé la question. » Après un instant de réflexion, il pencha quelque peu sa tête sur le côté en haussant un sourcil: la remarque était pertinente. Il n’était pas de ceux qui perdait leur temps et leur salive dans des banalités faites pour arrondir les angles - il avait plutôt tendance à les sculpter les angles. De toutes façons, face à cette question ils se retrouvaient sur un pied d’égalité puisqu’Ezra ne s’était pas enquis non plus de l’information. Il savait qu’il avait été le premier des deux au courant, mais n’avait pas cherché par la suite à savoir comment les retrouvailles entre Ginny et lui s’étaient passées - peut-être qu’un peu trop machinalement, son cerveau enregistra dans un coin de penser à poser la question à la jeune femme un jour, si l’occasion se présentait.

Après un instant de silence, Ezra finit par répondre à sa question, non sans tenir ses propos avec un ton quelque-peu sarcastique, accompagné d’un rire qui n’était franchement pas amusé - plutôt conforme à celui qu’Auden avait laissé échapper l’instant d’avant. Cette situation était ridicule du début à la fin - et pourtant, elle était assez importante et prenait assez de place dans leur quotidien pour qu’ils se retrouvent quelque-part pour en discuter. « Si je vais finir par m’y habituer ? » Le regard qu’il posa sur lui fut bien plus dur, plus bien noir qu’il n’aurait de son côté anticipé pour leur rencontre; parce-qu’il savait qu’Auden ne le portait pas dans son coeur et que la situation devait surement lui peser, mais en l’occurence pour le moment il n’avait rien fait de mal. Pour une fois. Peut-être qu’il fronça un brin les sourcils. « Certainement pas, non. » Il leva les yeux au ciel, inspirant un brin plus longuement. « C’était ironique, Auden, redescends d’un cran. » De mémoire c’était pourtant son rayon, ce type d’humour; il aurait du saisir la subtilité dès qu’elle fut mise en avant. Surtout que ce n’était pas pour cela qu’il lui avait retourné la question: Ezra voulait savoir comment Ginny était revenue vers lui, vers eux - il n’oubliait pas Sloan dans l’équation, non plus. « Il ne l’a pas reconnue de suite. Elle est partie trop tôt. » Il eut un pincement au coeur, alors qu’instinctivement il pencha son visage pour déposer un baiser sur le dessus de la tête d’Alice, qui elle semblait amusée des couleurs et des mouvements effectués par la marche de son père. Son coeur se pinçait surtout pour le petit: il s’imaginait comment cela pouvait être étrange pour lui de voir ce visage qui devait être familier dans un coin de son esprit sans réussir à le reconnaitre réellement.

« Elle s’est pointée la bouche en coeur chez nous aussi. » Il opina du chef sans ajouter la montre remarque: il n’était pas surpris de cette nouvelle, puisque c’était la façon qu’elle avait choisi d’agir pour lui aussi. « Je l’ai prévenue qu’elle avait pas intérêt à se faire une place dans sa vie si c’est pour disparaître à nouveau. » Peut-être que le petit rire arraché à Ezra en cet instant fut un brin trop sonore pour sonner naturel et spontané - parce-qu’il était surtout étouffé et attristé. « On est deux comme ça. » Il mordit quelque peu sa lèvre inférieur de ses dents. « Hors de question que j’annonce une nouvelle fois à Noah que sa mère a disparu, est morte ou je sais pas quoi encore. » C’était la chose la plus dure et la plus déchirante qu’il ait eu à faire au cours de sa vie, et il n’était pas question à ses yeux de réitérer l’expérience.

« T’y crois à son histoire de groupe à Sydney ? » Le regard que lui portait Auden en cet instant était bien moins menaçant que celui qu’il lui portait pour le moment; peut-être attendait-il réellement son avis et sa réponse à cette question. « Parle franchement. C’est plus vraiment mon problème, sa vie. » C’était effectivement vraiment ça - ce n’était pas dans ses habitudes, ce qui laissa Ezra un instant muet et presque perplexe. Il finit par hausser quelque peu les épaules. « Par histoire de groupe, tu veux dire son truc de secte là ? » Parce-que toutes les explications avaient beau avoir été ajoutées à cette histoire, justement, pour Ezra cela revenait à lui décrire les activités qui occupait les adeptes d’une secte. Il haussa les épaules une seconde fois, ce qui fit rire Alice. « Je sais pas. Je me dis que c’est bien pratique quand même. » Parce-que comme ça, elle avait pu échapper au monde réel pendant deux ans sans en subir les conséquences. « Et en même temps, c’est pas nouveau que j’ai toujours eu du mal à me dire qu’elle soit partie de son plein gré sans prendre des nouvelles de ses fils. » Parce-que cela avait toujours été le point qui restait noir aux yeux de Beauregard: qu’elle ait disparu des radars sans prévenir pour que les petits soient au courant ou sans prendre des nouvelles de ses derniers. « Elle t’a raconté aussi qu’elle a soi-disant envoyé des lettres et tout ça là ? » Toutes ces conneries auraient été la formulation exacte si la petite n’avait pas été là; des choses qui semblaient bien pratique pour se soulager la conscience de ne pas être présente et surtout d’avoir disparu même du nez de la police. « Ca sonne comme quelque-chose qu’elle aurait pu faire, mais en même temps y’aurait eu une trace d’elle quelque-part si ça a vraiment été le cas. »

« On est deux comme ça. » Et si je sais très bien qu’il a trouvé des mots différents que les miens pour aborder un tel sujet, je n’en doute pas moins qu’il a bel et bien partagé à Ginny le fond de sa pensée, parce que son éternelle empathie n’outrepasse pas le bien de son fils. Il vaut sans doute mieux qu’elle ait été prévenu plutôt deux fois qu’une puisque j’imagine Ezra être aussi intransigeant que moi sur le sujet. « Hors de question que j’annonce une nouvelle fois à Noah que sa mère a disparu, est morte ou je sais pas quoi encore. » C’est au moins un sujet que le jeune âge de Sloan m’a épargné, en partie du moins, et c’est effectivement le genre de conversation pour laquelle je comprends qu’Ezra souhaite rester aussi loin que possible. Personne n’a envie de parler de tels sujets avec son enfant. « J’espère que ça n’arrivera pas. » Je me contente de lui répondre avec sincérité. Je l’espère pour lui, et je l’espère aussi pour mon propre fils, qui est aujourd’hui en âge de comprendre une telle chose si je devenais obligé de le lui annoncer à mon tour.

Néanmoins, outre l’idée qu’elle parte déjà, je ressens aussi et surtout le besoin de lui parler de son retour autant que des années de silence imposées avant ça. « Par histoire de groupe, tu veux dire son truc de secte là ? » Et si justement on change une appellation pour une autre, cela démontre bien qu’il n’y croit pas totalement. Ou tout du moins, qu’il n’adhère pas à cette histoire de la même façon dont Ginny nous l’a partagée. « Sans doute, oui. » Utiliser ce terme rendraient mes soupçons trop présents, alors je préfère encore jouer au sourd et à l’aveugle. Pour le moment, c’est un état qui me convient. Ce qui est passé ne saurait être changé, de toute façon. « Je sais pas. Je me dis que c’est bien pratique quand même. » Il n’y a pas beaucoup de choses qui auraient pu expliquer deux années d’absence auprès de ses fils qui, nous le savons tous les deux, elle aime profondément.. « Et en même temps, c’est pas nouveau que j’ai toujours eu du mal à me dire qu’elle soit partie de son plein gré sans prendre des nouvelles de ses fils. » J’ai toujours refusé d’y croire, avant d’être obligé d’accepter les faits tels qu’ils étaient: elle était sûrement morte, si on avait aussi peu de nouvelles de sa part, pour ne pas dire aucune. « Elle t’a raconté aussi qu’elle a soi-disant envoyé des lettres et tout ça là ? » - « Toi aussi, alors. » Et je ne saurais dire si elle répand son mensonge parce qu’elle voudrait y croire elle-même ou parce qu’il y a finalement un fond de vérité à tout ça, malgré tout. « Ça sonne comme quelque-chose qu’elle aurait pu faire, mais en même temps y’aurait eu une trace d’elle quelque-part si ça a vraiment été le cas. » - « Si tu attends une réponse de moi, tu peux encore attendre. Parce que j’en sais rien. » Et ce n’est pas une énième attaque à son encontre. Je n’en sais rien et j’en suis désolé, parce que ce n’est pas un sujet à propos duquel j’aime rester dans l’ignorance. Mon regard se pose un instant sur sa fille. J’esquisse un bref sourire, et repose déjà mon attention sur Ezra. « C’est bien que tu sois allé de l’avant. » Un peu moins qu’il ait eu besoin d’une décennie pour le faire, mais c’est au moins chose faite maintenant, et je ne peux pas le lui retirer. « Son retour chamboule pas tout ? » Sans doute que non puisqu’ils ne sont plus ensemble depuis longtemps et que je suis celui dont elle porte encore le nom, mais puisque nous jouons le jeu des confessions, la question y a sûrement sa place.

« J’espère que ça n’arrivera pas. » Pour une fois, le petit rire amer qui échappa des lèvres d’Ezra ne fut pas à l’encontre d’Auden lui-même, ni des paroles qu’il lui adressait mais plutôt de la situation en elle-même - et cela se voyait dans son regard: il espérait aussi que cela n’arrive plus jamais, parce-que c’était la pire expérience qu’il ait eu à vivre. Et pourtant, il avait perdu des proches au fil des années et avait du annoncer certaines mauvaises nouvelles à d’autres de cette catégorie; mais regarder son fils dans les yeux pour lui dire que sa mère ne reviendrait plus était largement en haut de la catégorie et était une expérience qui lui avait déchiré le coeur comme cela n’était pas permis. « J’espère que ça t’arrivera pas non plus. » Et parce-que pour une fois qu’ils pouvaient être sur la même longueur d’ondes sans avoir besoin de forcer ou de fausser, il en profitait un peu, c’était vrai.

L’histoire de groupe que Ginny leur avait donc raconté à tous les deux, Ezra n’était pas dupe et comprenait tout à fait à quoi cela correspondait - il fallait justement avoir vécu reclus pour ne pas y penser. « Sans doute, oui. » Auden était apparemment plus sceptique sur la question. Tout semblait trop bien s’aligner pour que cela ne soit pas vrai, mais en même temps c’était devenu l’excuse autant que l’explication parfaite; presque trop facile. «  Toi aussi, alors. » Les lettres n’étaient pas une invention seulement à l’attention d’Ezra donc, elle s’en était servie aussi pour Auden. « Je trouve ça trop facile, je sais pas. » Pourtant, cela semblait sonner autant juste que faux - et c’était ça le problème, parce-qu’il n’arrivait pas à savoir s’il y croyait ou s’il avait simplement envie d’y croire parce-que cela permettrait de mettre plus facilement trois années catastrophiques de leur vie. « Si tu attends une réponse de moi, tu peux encore attendre. Parce que j’en sais rien. » Il fronça le bout du nez, émis un petit grognement presque complètement silencieux. « J’ai été trop habitué à ce que ce soit le cas. » Qu’il en sache davantage par rapport à lui, qu’il ait plus de réponses à fournir que de questions à poser. Dans leur situation, ce n’était donc pas avantageux effectivement; peut-être qu’avec le temps, Ezra réussirait à comprendre ce qui s’était vraiment passé. Pour le moment, il n’était pas sur d’en avoir réellement envie.

« C’est bien que tu sois allé de l’avant. » Le regard d’Auden était passé d’Ezra, à sa fille, pour revenir sur lui et peut-être que pour la première fois en sa présence depuis des années, le rire du père fut authentique - et il fut le premier surpris de s’entendre rire quelque peu. « Il était temps non ? » Autant ils ne seraient jamais en accord sur bien des points et des comportements - pas besoin de les expliciter -, autant ils s’étaient toujours retrouvés l’un à côté de l’autre pendant toutes ces années à cause toujours de la même personne. Ils avaient donc pu se voir grandir, malgré eux. Auden savait tout autant que lui qu’il était temps qu’Ezra passe définitivement à autre chose pour construire une famille de son côté; sans oublier la première partie qui se composait de Ginny et de Noah, cette partie là serait toujours une constante à ses côtés. Les choses étaient simplement différentes désormais. « Son retour chamboule pas tout ? » Doucement, il secoua la tête de gauche à droite avant de déposer un baiser sur le crâne de sa fille qui elle, adorait être avec son père et promenée ici et là. « Ca chamboule rien du tout, non. Pas de ce côté là. » Pas du côté de Lily et de lui, puisque c’était dans cette direction il le savait que la question d’Auden allait. « Ca rajoute une couche de questions et ça fait se remettre en question sur certains points, mais y’a d’autres choses qui sont à leur place depuis longtemps maintenant. » Parce-que le fait qu’ils finissent par construire leur famille à eux, avec Lily, c’était la chose qui faisait le plus de sens ces dernières années pour Ezra - et cela se voyait, de toutes façons, il ne fallait pas être devin pour le savoir. Laissant un léger soupire lui échapper, il reporta son regard sur Williams. « Toi ? » Donnant-donnant; de temps en temps, ils se comportaient comme de vrais adultes et ils ne s’insultaient pas, même en silence.

Discuter sur Ginny en compagnie d’Ezra n’est pas une activité à laquelle j’aurais un jour cru m’adonner. Il n’est pas dans mon équipe, et Ginny n’est pas chez l’ennemi. Simplement, tout a été redistribué et je ne sais pas exactement de quelle manière ça a pu l’être. « Je trouve ça trop facile, je sais pas. » Moi aussi. Toute cette histoire est trop simple et trop compliqué à la fois ; tout fait sens et rien n’en fait. Personne ne pourrait croire qu’une autre personne s’est laissée embarquer dans quelque chose aussi vicieux qu’une secte et pourtant, quand il s’agit de l’éternelle naïveté de Ginny, je ne peux pas réfuter l’idée aussi facilement. « J’ai été trop habitué à ce que ce soit le cas. » Je marque la négation. Ces dernières années, j’ai eu une place plus privilégiée que lui auprès de Ginny et personne ne pourrait le nier, mais cela ne va pas plus loin en ce qui concerne sa fuite. Au contraire, je l’ai provoquée bien plus que je l’ai empêchée. Tout est sûrement de ma faute, raison pour laquelle je ne me sens pas à ma place pour la juger sur ce qui a pu se passer. « J’ai même pas envie de lui poser des questions sur ce truc. » J’en ai déjà trop entendu parler.

« Il était temps non ? »
« Il était temps, oui. »

Il a ruminé un peu trop longtemps pour son propre bien et je ne dirai pas le contraire, à commencer parce que je n’en pense pas autrement. Maintenant qu’il a fondé sa famille - et qu’il n’a pas fait semblant -, je peux assurer qu’il a tourné la page et c’est une chose dont je suis soulagé. Il a mis du temps pour en arriver là, et une part de moi espère que je n’aurai pas besoin d’autant d’années pour en venir à mon tour à une conclusion semblable. « Ça chamboule rien du tout, non. Pas de ce côté là. » Je ne demande pas de quel côté il est question, les baisers qu’il pose sans cesse sur le crâne de sa fille ayant tendance à répondre à la question avant même qu’elle existe. Il est assuré que la vie qu’il a aujourd’hui est celle qu’il désire et tant mieux, parce que je ne peux que lui souhaiter un brin de bonheur. « Ça rajoute une couche de questions et ça fait se remettre en question sur certains points, mais y’a d’autres choses qui sont à leur place depuis longtemps maintenant. » - « Tant mieux. » Et sur ce point je ne cherche pas à le contredire, tout comme je n’ai pas à cœur de lui poser davantage de questions. S’il est heureux, alors tant mieux. Cela assure au moins un certain niveau de stabilité à Sloan, dont il reste le parrain malgré tout, sans que je me souvienne pleinement de comment nous avons pu en arriver là. Si Ginny n’était jamais revenue, j’aurais sans doute laissé nos chemins se séparer sans vouloir les faire se rapprocher à nouveau. Tout aurait été plus simple ainsi. « Toi ? » Je n’ai rien d’aussi réjouissant à lui annoncer et rien d’aussi certain non plus. J’ai dix ans de retard sur lui ; en témoigne le fait que Ginny soit encore ma femme, malgré tout. Je hausse les épaules sans savoir quoi lui répondre. Ça change tout, et ça ne change rien aussi. « Je vais de l’avant. » Je ne précise pas comment, je ne précise pas avec qui non plus. Peu importe. Ezra le premier n’en a sûrement rien à foutre, et ça a tout pour m’arranger. « Je sais pas vraiment comment. » Je ne sais pas quel chemin suivre non plus, et ce n’est pas à Ezra que j’ai envie de partager mon désir de demander le divorce pour que les choses reprennent sur de nouvelles bases. Il finira par le savoir de toute façon, parce qu’il reste omniprésent. « J’ai l’impression de savoir ce que t’as vécu, toi, à l’époque. » Mon rire est gras et faux. Ce n’est pas réellement comparable, à commencer parce que j’ai gardé Sloan avec moi tout du long, mais peu importe. J’ai été séparé d’elle à un moment où je ne m’y attendais pas. « Et sans vouloir te vexer, j’avais pas vraiment envie de le vivre de plus près. » Parce qu’on va pas se mentir: elle n’a pas intérêt à disparaître à nouveau un jour. Jamais.

Qu’Auden n’ait pas de réponse à lui fournir n’était pas dans ses habitudes, parce-que d’ordinaire il était celui qui était supposé être au courant de tout concernant Ginny. Ce n’était pas un fait qui était plaisant aux yeux d’Ezra, mais ça avait pourtant été la réalité pendant des années maintenant - et il s’y était habitué. La jeune femme avait pris pour habitude, après son retour en Australie, de le tenir aussi au courant de tous les changements qui pouvaient s’opérer dans sa vie, mais toujours en seconde intention. Aujourd’hui, et ce n’était pas forcément pour les bonnes raisons, les cartes étaient redistribuées. « J’ai même pas envie de lui poser des questions sur ce truc. » Il serra les mâchoires. « J’ai pas eu le courage de le faire trop dans les détails moi pour l’instant. » Parce-qu’il avait eu une colère bien trop présente pour se préoccuper des détails, qu’il avait préféré foncer tête baissée dans l’instant présent plutôt que de se poser trop de questions auxquelles il n’aurait pas forcément ue de réponse satisfaisante - ou pour lesquelles il était prêt à écouter.

« Il était temps, oui. » - « Ouais. » Et il aurait agi de cette sorte bien plus tôt si les choses avaient été plus simples, plus évidentes.

Aujourd’hui, c’était le cas et c’était pour cette raison là que c’était bien plus simple pour lui d’agir de cette sorte alors qu’il avait trouvé la personne avec qui construire sa vie. Lily et lui auraient pu être une évidence pour bien des personnes, mais il avait fallu attendre une décennie pour que cel le vienne pour eux aussi - et désormais, ils vivaient une version de leur avenir qu’ils avaient toujours espéré avoir. Et si le retour de Ginny apportait son lot de question, cela ne changeait rien au reste, en témoignait autant les paroles que les gestes d’amour qu’il avait à l’égard de sa fille accrochée dans son porte-bébé. « Tant mieux. » Il hocha quelque peu la tête, esquissa ce qui ressemblait d’une façon ou d’une autre à un sourire en coin.

Il lui retourna la question, et ce ne fut en rien à cause d’une curiosité mal placée: Ezra savait ce qu’il vivait, connaissait les circonstances dans lesquelles il se trouvait bien malgré lui. Après tout: il avait vécu quelque-chose de similaire plusieurs années auparavant et avait mis bien du temps à s’en sortir. Comment Auden réussissait-il à gérer, avec un gamin sur les bras en plus de tout le reste ? « Je vais de l’avant. » C’était surement le mieux pour tout le monde; pour celui qui avait été laissé en arrière et avait cru au décès de sa femme que pour cette dernière, car Ezra avait vu la véritable peur dans le regard de la brune resurgir lorsqu’ils avaient évoqué Auden justement. « Je sais pas vraiment comment. » - « Vous avez le temps d’en discuter. » Puisqu’elle n’était plus officiellement décédée, cela allait être bien plus simple, non ? « J’ai l’impression de savoir ce que t’as vécu, toi, à l’époque. » Au rire d’Auden fut joint celui de Beauregard - il n’était pas le seul à avoir cette impression alors. « Et sans vouloir te vexer, j’avais pas vraiment envie de le vivre de plus près. » Il plissa le bout de son nez. « Vraiment, sans blague. » Bien sur qu’il usait du sarcasme pour lui répondre, là où c’était une évidence même que personne n’aurait jamais eu envie de le faire. « Promis ça s’améliore par la suite. » Il plaqua ses mains délicatement sur les oreilles de sa fille comme si elle allait comprendre ce qu’il s’apprêtait à dire à son jeune âge. « T’auras surement un connard ou deux qui réapparaitront au milieu de ton chemin mais promis après ça va mieux. » Et pour une fois, il ne ferait pas vraiment partie de ceux qui mettraient des bâtons dans les roues; Auden l’avait dit lui-même: il allait de l’avant. Pour lui, pour elle, c’était la meilleure chose à faire et c’était dans cette direction qu’Ezra allait appuyer son avis.

Finalement, il laissa un soupire lui échapper - dénué d’amusement ou de reproches. « J’espère juste qu’elle va rester dans le coin cette fois-ci. » Et parce-que cela lui semblait nécessaire à s’entendre parler, il ajouta une précision à ses paroles. « Pour les garçons, je veux dire. Ils méritent tous les deux qu’elle soit là quand même. » Même si cela ne serait pas une partie de plaisir pour les deux pères, leurs progénitures ne méritaient pas de grandir en ayant dans un coin de leur esprit l’information comme quoi leur mère les avait abandonnés.