@Ugo De Luca

(west end markets) Le soleil brille à nouveau sur Brisbane et la vie reprend peu à peu son cours depuis le passage d’Ola. Certains se démènent pour aider leurs prochains autant que leurs voisins mais, de mon côté, seul le bien-être de Sloan arrive à m’intéresser - du reste, je sais que ma famille est en sécurité et le reste ne me regarde pas. Personne n’est blessé et outre ma propre maison, aucune n’a été détruite. Ce n’est sûrement là que le moyen pour moi de mettre un coup de pied aux architectes de la maison que je planifiais d’habiter courant 2024 sans être aucunement pressé: maintenant je le suis bel et bien, pressé. James nous offre l’hospitalité sans date butoire mais pour lui autant que pour moi, je reste bien conscient que ça ne peut qu’être une solution temporaire et absolument rien de plus. Je ne veux pas mettre davantage mon nez dans son mariage et ses désirs de paternité qui, d’une certaine manière, ne me regardent absolument pas. Il a sa vie, j’ai la mienne, et c’est une barrière difficile à garder intacte lorsqu’il s’agit de vivre sous le même toit, qui plus est en faisant des allers-retours avec Sloan pour s’assurer qu’il continue de voir sa mère, miraculeusement revenue à Brisbane et à la vie.

Et au milieu de tout ça, la vie continue. J’ai été chargé de faire la cuisine dans une maison où cette pièce est purement celle servant à y entreposer la machine à café, ce qui m’a poussé à me rendre au marché pour y trouver de quoi nourrir mon fils convenablement, mais aussi peut-être me donner de l’inspiration, pas seulement en termes de nourriture mais aussi d’art. Mes dernières peintures à moitié commencées ont péri dans la tempête et il n’y a plus rien sur quoi je pourrais encore me reposer. « Je me suis dit que si tu pouvais venir, c’est que tout vas bien pour toi. » J’annonce, après avoir donné rendez-vous à Ugo ici, pour discuter un peu avec lui et qu’il ne pleure pas dans les chaumières en disant que son meilleur ami l’abandonne. Je suis occupé, très occupé, mais je trouve toujoursun peu de temps pour lui, ou du moins assez pour avoir une simple conversation avec lui. Après ce qu’il s’est passé en ville, qui plus est, je comprends que cela semble davantage nécessaire pour lui comme pour beaucoup d’autres personnes de prendre des nouvelles de ses proches, surtout alors qu’il n’est pas sans ignorer que ma maison est pour le moment inhabitable - et que le “moment” en question risque de s’éterniser quelque peu tant les dommages sont importants et mon envie de tourner la page l’est tout autant. « Et j’espère bien que tu ne comptes pas me donner tort ? » Malgré toutes les tournures et les longueurs que je prends, je n’en oublie pas de lui demander en retour si tout va bien pour lui, parce que je sais que je ne suis pas le meilleur au jeu de prendre des nouvelles - et parce que, aussi, la question de son sort m’est très importante.

« Je me suis dit que tu si tu pouvais venir, c’est que tout va bien pour toi. » Malin. Tout va bien pour lui. Pour une fois, il avait eu de la chance. Il avait passé la tempête en compagnie de son ex-femme et de leurs enfants. Pas de scène romantique, simplement une longue relation au cœur de laquelle se trouve leur famille. Il s’était néanmoins assuré que le jeune amant et étalon de son ex-femme ne soit pas dans les parages ; il ne faut pas abuser de sa bienveillance et de son calme olympien. Ainsi, il avait passé le plus clair de la tempête à espérer que sa maison soit épargnée mais surtout que l’endroit où ils se trouvaient le soit tout autant. Maya avait passé le plus clair de son temps accroché au bras d’Ugo alors que l’adolescent pianotait sur son téléphone dans l’espoir d’y voir une issue de secours. Ugo hausse les épaules à la remarque. Tout va bien pour eux. Plus de peur que de mal. Des dégâts matériels. Aucune valeur sentimentale. Sa voiture en avait pris un sacré coup et il avait dû se faire raccompagner par son ex-femme, ce qui en soit avait été le pire événement de ce qui se révélait être pour d’autres une tragédie. « Et j’espère bien que tu ne comptes pas me donner tort. » « Te contredire ? tu sais bien que je n’en ai pas la folie », plaisante-t-il en venant poser une lourde main sur l’épaule de son ami. « Plus de peur que de mal pour nous. Quelques dégâts matériels mais rien de bien dramatique en fin de compte » ajoute-t-il, en sachant pertinemment qu’il peut s’estimer heureux de pouvoir dire ça sur ce ton et avec autant de sérénité. Les nouvelles n’étaient pas aussi roses pour tout le monde. Il suffisait d’écouter la radio, allumer la télévision ou simplement se promener en ville pour constater que d’autres avaient été bien plus violemment touchés.

« Mais toi alors ? Quelles sont les nouvelles ? Où est-ce que tu crèches ? Tu sais qu’il y a de la place à la maison au besoin …  »

« Te contredire ? Tu sais bien que je n’en ai pas la folie. » Je souris pour ces paroles en elles-mêmes autant que pour leur sous-entendu: non, effectivement il n’y a rien dont il puisse se plaindre au sujet des dégâts causés par la tempête. Du moins, rien de réellement impactant, et c’est bien là tout ce que je garde à l’esprit. Quelques dégâts matériels sans doute, mais rien de plus. Absolument rien de plus. « Plus de peur que de mal pour nous. Quelques dégâts matériels mais rien de bien dramatique en fin de compte. » C’est ce que j’avais fini par en conclure, habitué à tirer des conclusions des peu de mots qu’Ugo concède à partager - et sans doute qu’en retour, il en est de même aussi pour lui, raison pour laquelle ce qui ressemble à une plainte de ma part n’en est pas réellement une. Nous sommes faits du même bois, ce qui explique pourquoi nous nous entendons aussi bien et aussi simplement. Je suis au moins soulagé que tout aille bien pour lui et pour sa famille parce qu’ils ont bien d’autres choses à gérer que de se soucier d’une foutue tempête dans leur vie.

Lorsque nous passons près de tissu, je les effleure du bout du doigt pour en juger la qualité, comme si je pouvais me vanter d’être un fin connaisseur désormais. N’en reste pas moins qu’ils me semblent pathétiques et que je retire aussitôt ma main, craignant presque que cela cause du tort à mon doigté artistique. « Mais toi alors ? Quelles sont les nouvelles ? Où est-ce que tu crèches ? Tu sais qu’il y a de la place à la maison au besoin … » Je savais que la question finirait par venir, mais j’espérais sans doute qu’il attende un peu plus de deux minutes pour cela. Je ne lui ai pas caché l’état catastrophique de ma maison et surtout le fait qu’elle soit totalement inapte à l’habitation pour le moment. Ce que je lui ai caché, c’est la solution de repli qui a été la mienne. « On est chez James - pas de commentaire, Ugo. » L’annonce arrive presque aussitôt que l’ordre que je lance à mon ami: je sais ce qu’il en pense, je sais où il va en venir et plus ou moins ce qu’il va oser me dire, et rien de tout ceci n’est une bonne idée à prononcer à voix haute. « C’était soit ça, soit je retournais en Italie. » Et à titre personnel, retourner en Italie n’aurait pas été pour me déranger: je déteste ma famille mais pas mes terres. Du point de vue du stylistes, les choses étaient bien différentes et je suis à peu près sûr qu’il a regardé la distance exacte entre Côme et Brisbane. Quelque chose autour de “beaucoup, vraiment beaucoup”. « Sa femme le tolère et Sloan est heureux de garder ses marques, donc c’est pas si pire. » Je trouve des excuses à mon idée et j’explique une décision au sujet de laquelle il n’a pas encore eu le temps d’en placer une. Ce que je fais, surtout, c’est soigneusement éviter de statuer ce que ça signifie pour James et moi. Après tout, ça ne change pas forcément quoi que ce soit que de vivre sous le même toi, hm ?

« On est chez James - pas de commentaire, Ugo. » Ugo tourne aussitôt la tête vers Auden comme pour s’assurer qu’il ait bien compris. Il est chez James. Comment ? Même si les traits de son visage marquaient toujours la surprise et laissaient paraître la ribambelle de questions qui lui traversait l’esprit. Pas de commentaire, il lève les mains quelques secondes, innocent. Il ne posera pas les questions et ne fera aucun commentaire. Auden le connaît suffisamment pour s’imaginer les différents commentaires. « C’était soit ça, soit je retournais en Italie. Sa femme le tolère et Sloan est heureux de garder ses marques, donc c’est pas si pire.» « Si ça se passe bien, y’a rien à dire. » qu’il réplique comme s’il était devenu celui qui relativise. Tu parles ! Il était surtout en train de se demander comment tout cela allait se terminer. Jamais une bonne idée de mettre de l’huile sur le feu. A un moment, ça exploserait … c’est ce qu’il pensait et c’est ce qu’il redoutait surtout qu’il y avait cette information qui ne cessait de tourner en rond dans son esprit et dont il n’avait pas encore parlé … « et c’est provisoire, donc … du coup … tout va bien ... » répète-t-il en esquissant un sourire rassuré.

« Et t’en fais pas, je ne le prends pas absolument mal que tu ne m’ais pas demandé si vous pouviez crécher à la maison », une petite tape du plat de la main sur le bras, complice, « par contre, imagine la tronche que j’ai fait quand Val m’a dit qu’elle avait eu des nouvelles de Ginny » Il tourne finalement la tête vers Auden, s’arrêtant même de marcher. Balancer des bombes sur la place publique, c’est malin. Ça évite les crises et il fait comme si l’information était … anecdotique alors que c’était un véritable tremblement de terre. Il haussait les épaules. « Outre le fait que j’ai dû faire semblant d’être au courant, pose pas de questions, c’était mon égo surdimensionné …comment tu vis ça, bordel ? Comment tu fais pour être … comme ça ? » Calme. Normal. Serein. Certes, il était doué pour jouer avec les apparences et planquer ses failles et ses doutes … mais il s’agissait tout de même de Ginny. Ginny ! Et, il finit par reprendre sa marche. Marcher pour accélérer ses pensées. Marcher pour ne pas paniquer. Marcher pour éviter de lui donner le sentiment d’être en plein interrogatoire même si les questions étaient au bord de ses lèvres …

« Si ça se passe bien, y’a rien à dire. » Il ne s’en tiendra pas à cette réponse et je le sais déjà, parce que la crainte que cela puisse ne pas bien se passer ne faisait pas partie de moi. Et je doute qu’elle soit en priorité dans son esprit non plus: il y a beaucoup de problèmes à ce que j’aille habiter chez James, mais l’entente n’en fait pas partie. On s’entend bien. Un peu trop, peut-être, et si problème il doit y avoir alors c’est justement sur ce point bien précis qu’il se situe. « et c’est provisoire, donc … du coup … tout va bien ... » Mon pouce caresse ma lèvre inférieure sans délicatesse alors que mon regard ne laisse pas la moindre seconde de répit à Ugo. Je lui ai dit qu’il ne gagnerait rien à faire des commentaires, et il sait très bien pourquoi: je ne parle pas de James en temps normal et j’ai encore moins à cœur de le faire en sa présence, alors qu’il représente son patron avant toutes choses. « Bien sûr que c’est temporaire. » Le temps de trouver une location décente, rien de plus. Je n’ai même pas pris le temps de le préciser à James, seulement parce que je pars du principe que c’était aussi évident pour lui que pour moi. « Y’a sa femme dans la baraque, je te rappelle. » Et peu importe que je cherche à induire de cette information: elle est importante à prendre en compte. Elle est la raison pour laquelle cette situation ne peut être que temporaire, aussi.

« Et t’en fais pas, je ne le prends pas absolument mal que tu ne m’ais pas demandé si vous pouviez crécher à la maison. » Je n’aurais pas demandé à ce qu’on me tende la main, même dans une situation telle que celle-ci et même auprès d’un de mes meilleurs amis. Demander de l’aide de qui que ce soit est difficile et la seule raison pour laquelle j’en suis venu à vivre chez James, c’est parce qu’il me l’a proposé en premier. « T’es vexé, alors. » Dire une chose, en penser une autre. Je le connais, Ugo, et sa réponse a le don de m’arracher un sourire sincèrement amusé. « par contre, imagine la tronche que j’ai fait quand Val m’a dit qu’elle avait eu des nouvelles de Ginny. » Et cette fois-ci, sa réponse m’amuse bien moins que la précédente. Mon pas ralenti, mon sourire s’efface. Je fixe l’horizon plutôt que mon ami. Foutues bonnes femmes qui parlent de tout à tout le monde. « T’as des nouvelles de Val, au moins. » J’ironise. Pour un couple en train de divorcer, c’est quand même un bon début, même si seule ma femme semble leur donner du grain à moudre.

Rapidement, Ugo perd ses moyens bien plus qu’il en est question de mon côté. « Outre le fait que j’ai dû faire semblant d’être au courant, pose pas de questions, c’était mon ego surdimensionné …comment tu vis ça, bordel ? Comment tu fais pour être … comme ça ? » - « Je suis pas sûr d’y croire moi-même. » S’il y a bien un sentiment qui peut expliquer tout le reste de mon comportement, c’est celui-ci. Je ne suis pas certain que ma femme se trouve face à moi quand tel est le cas, tout comme je ne suis pas certain de ne pas être dans un long rêve dont je risque de me réveiller à tout moment. Rêve ou cauchemar, selon, mais le simple fait de voir Sloan heureux me fait vouloir qualifier le tout de rêve. « Je vais lui demander le divorce, de toute façon. » Elle ne le sait pas encore officiellement, mais moi j’en suis persuadé. Je sais que je ne changerai pas d’avis. L’idylle est passée. Pas oubliée, mais passée. « Elle peut voir Sloan de temps en temps parce que ça le rend heureux, mais y’a rien d’autre à en dire. Elle est partie y’a longtemps et tout a changé. » Raison pour laquelle son retour ne peut pas être fêté en grandes pompes, ni même annoncé de cette façon.

« Bien sûr que c’est temporaire. Y’a sa femme dans la baraque, je te rappelle. » Ugo se contente de lever les épaules avec un air désinvolte. Comme si le fait qu’une épouse soit dans une demeure puisse changer quoi que ce soit. Il ne portait peut-être pas de jugement à voix haute car il ne connaissait pas les détails mais il savait déjà que c’était … une étrange situation, que c’était une étrange relation et que le fait de vivre sous le même toit ne rendait les choses que plus étranges. En guise de réponse, un marmonnement qui ressemble de près ou de loin à un acquiescement. Ok, il y a sa femme. L’envie de demander si les choses auraient été différentes … sans la femme … se fait de plus en plus grande mais il se retient. Il est sympa et il connaît la pudeur de son ami. Pas le moment de le mettre sur le grill. Oh il le fera. Sans aucun doute. Mais pas maintenant. « T’es vexé, alors. » « Un peu », lâche-t-il aussitôt en détournant la tête et le regard, les mains dans les poches. Au moins, il était honnête ; c’était son côté diva.

« T’as des nouvelles de Val, au moins. » Il est malin, l’enfoiré, c’est ce que se dit Ugo et son regard qui pétille d’amusement lui fait comprendre. Oh oui, c’est vrai qu’il ne devrait pas passer autant de temps avec son ex-femme mais il y a les enfants, c’est facile comme excuse. Les lèvres pincées pour contrôler son sourire, il essaie de garder son meilleur-ami sur la voie : l’autoroute Ginny. Pas de changement de sujet. « Je suis pas sûr d’y croire moi-même. Je vais lui demander le divorce, de toute façon. » Les lèvres d’Ugo forment un o mais il acquiesce. Un divorce semble logique. Au moins, cela lui permettra de tirer un trait sur une histoire, leur histoire. « J’connais un bon avocat si jamais t’as besoin … », il tente avec un sourire. « Elle peut voir Sloan de temps en temps parce que ça le rend heureux, mais y’a rien d’autre à en dire. Elle est partie y’a longtemps et tout a changé. » « Pfiuuuh, tu m’épates Auden. Vraiment. Je ne sais pas si c’est le coup du choc et de la surprise qui te rend comme ça … et que tu vas nous faire une crise phénoménale d’ici quelques mois, mais dans tous les cas, tu m’épates. » Sa main se pose sur l’épaule de celui qui marche à ses côtés. « Il a de la chance de t’avoir, c’gamin. » Un sourire sincère.

« Vous avez eu le temps de parler ? Si tu veux, je peux m’occuper de Sloan pour une soirée, une journée … et vous prenez le temps de parler …. »

« Un peu. » Il est un enfant, Ugo, à se retrouver vexé pour si peu alors qu’il n’y a pas le moindre sorte de compétition ou de Dieu sait quoi. Il était là avec James, bien avant, mais l’histoire est différente, l’amitié l’est bien plus encore. Finalement, si je suis bien moins fier et assuré lorsqu’il commence à parler de Ginny, je ne me perds pas en considérations inutiles au sujet de mes sentiments: ils n’ont pas été oubliés ou effacés, mais ils ne sont plus ce qui importe avant tout le reste. Je l’aimerai toujours d’une certaine manière, et je déteste cette idée, mais ce n’est plus un d’une certaine manière qui me pousse à vouloir continuer en tant que mari et femme. Elle a besoin d’être libérée, et moi aussi. « J’connais un bon avocat si jamais t’as besoin … » - « Elle se battra pas. » Je la connais assez pour pouvoir le dire. Elle a décidé ne plus vouloir de ce mariage bien avant que j’en accepte l’idée à mon tour, alors j’imagine que ma demande viendra bien plus comme un soulagement qu’autre chose. Cela devrait m’avoir poussé à lui parler bien plus tôt mais même avec le temps qui passe, je n’ai pas envie d’avoir une telle discussion avec elle. J’aurai un avocat pour la procédure, pas pour quoi que ce soit d’autre. Elle aura la maison si elle veut ; je garderai toujours la garde de Sloan, quoiqu’il arrive.

Ugo me fait part de l’estime qu’il a pour moi et je dégage simplement la main qu’il pose sur mon épaule. Je n’ai pas envie de l’épater pour la façon dont je gère le retour de Ginny dans ma vie. J’ai envie que mon talent épate les gens, et absolument rien d’autre. Tout ce que je fais au sujet de ma femme, je le fais pour le bien de mon fils, et il n’y a rien d’épatant là-dedans, encore rien qui peut me rendre fier ou heureux. Je m’adapte. C’est de la survie, purement et simplement. « Vous avez eu le temps de parler ? Si tu veux, je peux m’occuper de Sloan pour une soirée, une journée … et vous prenez le temps de parler …. » - « Non, pas besoin. » Je le remercie de sa proposition (dans un coin de ma tête, je l’ai remercié) mais je ne compte pas laisser Sloan à qui que ce soit pour que papa et maman puissent discuter. « Il n’y a rien à dire de plus. Elle est partie, elle l’a laissé, et on avait déjà commencé à s’éloigner avant ça. » Quand je l’ai frappé, ça a été le geste de trop et j’en suis le premier conscient. Il n’y a pas de retour en arrière possible, ce qui est une bonne chose pour elle. Ce qui est une bonne chose pour moi, aussi, parce que ma vie ne s’est pas arrêtée pendant deux ans. « Elle était avec un gars, ça veut dire ce que ça veut dire. » Elle a tourné la page ; il n’y a donc rien dont on doit discuter. « Je suis passé à autre chose aussi.» D’une façon ou d’une autre, c’est le cas. « Essaie d’en faire de même plutôt que de m’emmerder avec ton avocat. » Il pleurera un peu moins l’absence de Valencia, comme ça.

« Il n’y a rien à dire de plus. Elle est partie, elle l’a laissé, et on avait déjà commencé à s’éloigner avant ça. » Les mots rendent la situation simple … ou plutôt font de la situation une situation comme les autres. Est-ce vraiment le cas ? Ugo a toujours le sentiment que les paroles d’Auden sont là pour atténuées la vérité. L’atténuer ou la dissimuler. Il ne sait jamais vraiment s’il doit continuer de forer pour en connaître les véritables blessures, raisons et détails ou si son rôle est simplement d’être là, à portée de main pour le « au cas où ». Il n’acquiesce d’aucun signe de tête. Il n’émet aucun son pour confirmer les paroles de son ami. Il se contente d’écouter et d’enregistrer les informations. « Elle était avec un gars, ça veut dire ce que ça veut dire. » La remarque pique son attention et il plisse légèrement les yeux. Un signe qu’elle ait tourné la page ou qu’elle essaie ; lui-même est en train d’expérimenter cette action. Tourner la page semble être si facile, frivole et pourtant, il a le sentiment que sa page à lui pèse une tonne, plusieurs tonnes mêmes. Pas sûr qu’il l’ait totalement tourné ou qu’on puisse vraiment la tourner. « Je vois », souffle-t-il simplement en laissant son regard s’égarer sur les étals. « Je suis passé à autre chose aussi. Essaie d’en faire de même plutôt que de m’emmerder avec ton avocat. » Un éclat de rire et un coup contre son épaule du revers de la main en guise de représailles. « C’est parfait, génial pour toi si vous parvenez tous les deux à aller de l’avant et à « tourner la page » », expression qu’il prononce avec une grimace et en utilisant ses doigts comme guillemets, « je trouve que c’est une expression merdique pour expliquer ce que ça veut dire et sous-entend. C’est pas si simple et surtout même quand on pense être sur la bonne voie, y’a toujours ces vieux moments qui te frappent de plein fouet et te font douter … pas du fait que ce soit une bonne idée de divorcer, non … putain, c’est juste que c’est pas une histoire de quelques mois … » Il parle trop, comme toujours. A l’inverse de Auden. Il soupire et secoue la main. « J’aimerais pouvoir avoir un peu plus de ta nonchalance, on va pas se mentir » qu’il finit par confirmer en lui offrant un sourire sincère. Ça serait sans doute beaucoup plus simple … vraiment ?

Ugo sait désormais ce qu’il a à savoir et je n’ai aucunement envie de m’avancer plus loin dans cette conversation. Il voit tout avec le prisme d’un certain amusement et d’une curiosité qu’il a au moins le mérite de contenir, mais de mon côté je ne veux pas alimenter le tout en lui racontant quoi que ce soit au sujet de celui qui reste malgré tout son patron. Il n’y a rien de tangible à raconter, ou du moins rien de tangible qui puisse avoir le droit d’être raconté. « C’est parfait, génial pour toi si vous parvenez tous les deux à aller de l’avant et à « tourner la page ». » La gesture qu’il ajoute aux gestes tend à prouver qu’il ne pense pas un seul instant que tourner la page soit une finalité envisageable. Tout ce que je me garde de dire, c’est que ce n’est pas parce que Vale et lui en sont incapables qu’il en est de même pour tous les mariages. Nous ne sommes pas comme eux, tout comme ils ne sont pas comme nous. Il reprend, et bien que je ne déloge pas mon regard du sien, il n’en est pas moins noir.

« Je dis pas qu’on va divorcer en claquant des doigts et que ça va être facile. » Je ne m’épancherai pas autant que lui sur toutes les raisons qui rendent cette décision difficile, mais je n’en pense pas moins. J’ai aimé Ginny et je l’aime encore, personne de sensé ne pourrait remettre en question mes mots, mais je suis désormais bien placé pour savoir que l’amour ne peut pas tout expliquer. Je l’aime, et c’est justement pour ça que je ne veux plus lui imposer les carcans de ce mariage qui n’en a plus que le nom. Est-ce qu’elle s’est demandée une seule fois où son alliance pouvait être ? « Avoir de la nonchalance ça va pas sauver la mise. Même si je comprends que tu voudrais être moi au sens plus large, évidemment. » Mon sourire s’étire avec amusement. Je reprends mes blagues où je les avais laissé, parce qu’il est temps de retrouver ce que j’ai toujours connu et de laisser au temps le temps de faire son oeuvre. Nous serons toujours les mêmes une fois divorcés, et peut-être qu’à l’avenir on réfléchira à deux fois avant de penser à se lancer à nouveau dans une idée semblable. C’est tout ce que je peux nous souhaiter.

« Je dis pas qu’on va divorcer en claquant des doigts et que ça va être facile. » Voilà un petit détail qui change légèrement la donne. Auden le fixe, le toise même alors qu’Ugo se contente de répondre à son regard avec juste de l’intérêt. Un divorce n’a jamais été facile. L’étape de signer ses foutus papiers et s’accorder sur une garde alternée ou non, c’est même la partie la plus facile … c’est de composer sa vie avec une personne en demi-teinte qui change la donne. « Bien », souffle-t-il simplement en hochant d’un signe de tête. Au moins, il pouvait être rassuré quant au fait qu’Auden pouvait être préparé au pire. «Avoir de la nonchalance ça va pas sauver la mise. Même si je comprends que tu voudrais être moi au sens plus large, évidemment. » Ugo continue de marcher avant de s’arrêter légèrement, posant une main sur son épaule pour le bousculer légèrement tout en roulant des yeux. «Oublie cette idée, j’ai arrêté de copier ta coupe de cheveux au lycée … », lâche-t-il en italien en soupirant, un sourire amusé aux lèvres. Il ne va pas se mentir. Auden a toujours été une sorte de modèle. Depuis leur plus jeune âge. Il avait la famille idéale. La maison idéale. Il était à ses yeux le frère qu’il n’aurait jamais, la famille qu’il n’aurait jamais et fort possible qu’étant adolescent, il l’est pris comme modèle, souhaitant être un peu plus comme lui, un peu moins comme lui-même. L’âge adulte fait relativiser : ils sont dans la même merde.

«Bon je n’ai pas l’autorisation de poser beaucoup de question quant à cette cohabitation provisoire qui se passe bien … Tu penses néanmoins devoir rester là-bas encore longtemps ? Besoin d’un coup de main quelconque pour vite rentrer chez toi ? Paraît que je sois pas trop mauvais comme bricoleur », c’était sa mère qui le lui avait dit quand il était allé lui donner un coup de main … et qu’il était tombé sur Savannah … L’idée lui donne le tournis. «T’as vu ? Je sais me tenir et essaie de contenir ma curiosité du mieux que je peux … », il lève les mains avec innocence, «mais faudra que tu finisses par avouer que tu m’aides pas vraiment à contenir ma curiosité. » Un sourire amusé aux lèvres. Tant de mystères.