Studio photo, le 28 décembre.

Les angoisses s’empilent, des couches de sédiments qui marquent chaque pensée, chaque interrogation. Madison ne sait même pas par quel bout déconstruire le stress. Habituellement, avant un photoshoot, elle est toujours un peu nerveuse, elle veut bien faire, se demande comment cela va se passer. La sobriété qu’elle s’impose dans son travail ne l’aide pas - l’alcool est devenue un anxiolytique puissant dont elle a bien du mal à se passer au quotidien, désormais. Mais aujourd’hui, elle n’est pas juste inquiète que le photoshoot se passe bien, non, elle doit aussi contrôler sa nervosité à l’idée de rencontrer Carmine Sighbury, quelqu’un qu’elle a l’habitude de voir dans les pages d’un magazine et qu’elle admire. Ce n’est pas la première fois qu’elle travaille avec des gens dont elle suit le travail, elle s’estime chanceuse d’avoir cette opportunité à chaque fois, et pourtant elle a du mal à ravaler les palpitations de son petit coeur. Et, comme si ça ne suffisait pas, Carmine n’est pas juste un mannequin connu qui perce les photos que l’on fait de lui. Il est aussi le… Le quoi, exactement, Madison ne sait pas. Mais Carmine est le quelque chose d’Archie. Archie, avec qui Madison est brouillée depuis des semaines, mais qui lui a quand même offert ce cadeau, cette chance de prendre Carmine en photo. Ce photoshoot n’a donc décidément rien d’habituel et la nature anxieuse de Madison a bien du mal à se calmer.

Elle a sorti le grand jeu pour Carmine, appelé des anciennes connaissances de fac, une maquilleuse avec qui elle aime travailler, et une styliste. Dans ce milieu, Madison a réussi à se former un petit réseau qui s’entraide, parfois pour des coûts moindres, simplement pour soutenir les projets des autres. Il faut dire que la promesse d’avoir son nom associé à un photoshoot de Carmine Sighbury a permis de négocier le salaire taux horaire. Puis Madison a passé des heures sur Pinterest pour trouver l’univers visuel, le soir de Noël, avec l’aide de Maxine en facetime pour calmait ses angoisses et l’aider à regrouper ses pensées spirales. Elle a envoyé un moodboard à l’agent de Carmine, tout a été négocié, validé. Le jour J, Madison est arrivée des heures en avance pour tout installer et être sûre que tout soit irréprochable. Elle ne peut pas supporter l’idée que ce photoshoot, plus que n’importe quel autre, ne soit pas absolument parfait.

Elle entend son coeur qui bat dans ses tempes, essuie ses mains sur son pantalon en velour à répétitions pour en ôter la moiteur. Tout est prêt, elle tourne en rond, vérifie son matériel, que les batteries soient chargées, une fois, deux fois, trois fois. Elle a son appareil photo numérique et ses objectifs de prêt, et un appareil argentique aussi, comme toujours. La maquilleuse et la styliste ont installé leurs affaires dans un coin, elles discutent à voix basse. Madison ne leur a pas dit comment elle a pu se dégoter un photoshoot avec LE Carmine Sighbury, elle s’imagine qu’elles pensent que la famille aisé de Madison a quelque chose à voir avec. Elles ont à la fois complètement raison, et complètement tort - si le père de Madison savait ce qui se tramait, au fond…

Madison entend Carmine arriver avant de le voir, et elle a le temps d’inspirer une dernière fois, et voilà qu’il apparaît. Elle se sent minuscule à côté de lui - une impression peut-être confortée par leur 30 cm d’écart. « Bonjour ! » Bon, elle a au moins réussi à le dire sans bredouiller. C’est un bon départ. Elle tend sa main pour serrer celle de Carmine, un réflexe de politesse que son père lui a appris. « Encore merci de vous être libéré, et pendant les fêtes de fin d’années, je… Vraiment, merci. Je suis honorée », son débit de parole est un peu trop rapide pour être naturel, elle sent que ses joues ont rougi, comme à chaque fois qu’elle est nerveuse, mais elle essaie de ne pas trop y penser.

Elle s’écarte légèrement, fait signe à la maquilleuse et la styliste de s’approcher. « Je vous présente Mona, votre maquilleuse pour la journée, et Claire, votre styliste. » Les présentations sont faites dans les règles de la politesse, dont Carmine et son charme british connaissent tous les secrets. « Nous pouvons regarder les tenues ensemble ? Je sais que votre agent vous a fait valider l’idée globale de l’esthétique du shooting, mais j’aime quand c’est collaboratif et que le modèle est à l’aise, donc n’hésitez pas… Oh, j’ai prévu du thé aussi ! » Elle s’exclame, avant de rougir à nouveau. « Désolée, je vous bombarde d’informations. Je suis juste vraiment… Très contente de faire ce photoshoot. » Tellement contente qu’elle a passé la journée, hier, à courir dans tout Brisbane pour trouver la marque de thé que Carmine a mentionné dans un interview il y a des années comme l’une des meilleures variétées.

@Carmine Sighbury

Alors que Carmine pénêtre dans le petit studio, Madison se rappelle d’un article qu’elle a lu des années de cela, un interview du britannique alors qu’il était devenu l’égérie d’une énième marque. Le journaliste y racontait leur entrevue, et décrivait notamment “l’effet Carmine” dès que le mannequin rentrait dans une pièce. La phrase a marqué Madison, cette idée que l’on puisse ainsi faire tourner les têtes en passant le pas de la porte, simplement par son charisme. La jeune fille, timide et anxieuse, sait parfaitement être dénuée de ce charme-là, et a toujours admiré ceux qui le possèdent. En cet instant, elle comprend à quel point l’article a dit vrai : quelque chose change dans la pièce immédiatement, Mona et Claire, malgré tout leur professionnalisme, ont elles aussi l’air troublées. « Enchanté de faire votre connaissance. » Il a un geste délicat, un baisemain qui trouble Madison. « Tout le plaisir est pour moi. » Madison est consciente qu’elle rougit, tout comme Mona et Claire, mais elle sait au fond que sa nervosité n’a rien à voir avec la beauté de Carmine. Elle est consciente qu’il est séduisant, pourtant, et pendant longtemps elle a aussi à de l’attirance cette anxiété qu’un bel homme lui provoque. Aujourd’hui, elle n’est plus très sûre. Elle se demande si Archie, lui, s’est peut-être dit que les sentiments que les hommes lui provoquent sont plutôt de la jalousie, de l’amitié, de la méprise. Ou est-ce qu’il a su, dès qu’il a rencontré Carmine, qu’il lui plaisait ?... Enfin, bon. Ce n’est pas comme si elle pouvait lui demander, de toute manière.

« Je serai ravi de m'asseoir et de déguster le thé tout en observant les tenues. » Carmine est assez poli pour ne pas commenter le stress de Madison, ce qu’elle apprécie immédiatement. Elle guide le mannequin vers le petit coin qu’elle a installé, et met l’eau à chauffer avant de la verser dans la théière. Elle a un petit sablier pour mesurer les minutes, nerveuse qu’elle est de rater le thé de Carmine.

« Accepteriez-vous de nous présenter les pièces ? » Demande Carmine à l’attention de Claire, et une nouvelle fois, comme lorsqu’il l’a appelée, Madison relève à quel point Carmine a un don pour donner l’impression que c’est son interlocuteur qui lui fait la plus agréable des faveurs. Chez d’autres, cet excès de politesse pourrait peut-être sembler faux, mais il est absolument charmant chez Carmine. Claire commence à montrer les pièces, et Madison prend son courage à deux mains pour oser faire des commentaires au fur à mesure. Elle sert également le thé à Carmine et aux autres.

« Le shoot sera-t-il en couleurs, ou en noir et blanc ? » La question arrive alors qu’un haut gris est montré par Claire. « La coupe du col est intéressante, mais la couleur est pâle. Il faudra modifier la lumière pour avoir du contraste. » La photographie est une telle passion pour Madison que pendant un instant, elle oublie d’être timide, et répond, ses yeux pétillant : « Je songeais au noir et blanc, oui, et vous avez raison, il faudra ajuster la lumière... J’ai déjà travaillé d’autres portaits en noir et blanc de personnes qui avaient des traits très contrastés, des yeux sombres, des cheveux bruns, mais je suis très intéressée à l’idée de travailler quelque chose qui peut moins s’appuyer sur le contraste pur pour rendre la photo intéressante. Et avec votre visage, je pense que ça sera par-parfait », revoilà la gêne, Madison mordille l’intérieur de sa joue et sourit pour chasser le malaise. Mais c’est ce à quoi elle a pensé immédiatement quand elle a su qu’elle pourrait prendre en photo Carmine : ses cheveux châtains, ses yeux très clair, des photos dans les gammes de gris où le regard est attiré par le charisme du mannequin, les expressions. « J’aime l’idée que ce soient vos expressions qui créent le contraste. J’admire beaucoup le travail de  la photographe Sally Mann et la façon qu’elle a d’utiliser le noir et blanc… », continue Madison, avant de réaliser que Carmine ne connaît peut-être pas tous les photographes du monde, surtout que Sally Mann s’écarte beaucoup des photos de mannequinat. Elle sent que ses joues rougissent, et elle reprend : « En tout cas, peut-être que ce haut peut être intéressant pour une photo au cadrage rapproché, pour souligner le col, et la couleur pâle pourrait permettre de mettre en avant d’autres élèments, comme vos yeux. » Elle réfléchit à haute voix, regarde Claire pour avoir son approbation. « Mais, euh, nous pourrions commencer avec cette tenue-là ? » Elle désigne un haut foncé et un jean brut qu’ils ont reperés et associés. « Je pense que ça sera la tenue la plus simple pour se mettre dans le bain du photoshoot ? » Elle propose avec un sourire. Ensuite, il faudra que Carmine passe au maquillage sous les mains expertes de Mona, et le vrai travail pourra commencer. Madison a déjà hâte ; de laisser l’inspiration la traverser, et de pouvoir observer depuis derrière l’objectif, sa cachette préférée.

@Carmine Sighbury

Madison est plaisamment surprise de voir Carmine citer l'œuvre phare de Sally Mann : outre ses amis d’université et ses collègues, la plupart de son entourage n’a pas forcément la même inclinaison dévorante pour l’art qu’elle. Dans sa famille, ses parents collectionnent quelques pièces parce que c’est de bon goût, dans leur milieu, que d’avoir des beaux tableaux, mais ils ne sont pas passionnés, ne relèvent jamais l’intérêt que Madison y porte. Même Archie, malgré toute sa bonne volonté de suivre les lubies de sa sœur, n’a pas toujours cette sensibilité-là. Madison se demande si Carmine, clairement porté sur la culture et l’art, en discute avec Archie. De quoi parlent-ils, quelle relatione exactement entretiennent-ils ? Elle a du mal à imaginer Archie parler d’art avec Carmine, encore moins de ses émotions. Mais elle sait aussi que ce n’est pas seulement une relation physique, ses dernières disputes avec son frère lui a prouvé - Archie ne serait pas dans un tel état d’instabilité et d’agressivité s’il n’avait pas peur, et il n’aurait pas peur s’il ne ressentait pas quelque chose qu’il n’arrivait pas à contrôler.

Carmine se change, passe au maquillage, et Madison reconnaît dans ses gestes le professionnalisme de quelqu’un qui a été sur des shoots des centaines de fois. Mona et Claire essaient de rester professionnelles, elles aussi, mais elles murmurent malgré elles avec des petits rictus amusés dès que Carmine a le dos tourné. Madison, elle, règle son appareil photo numérique, fait quelques photos test du fond avant que Carmine ne revienne vers elle, enfin prêt. « Une musique à me suggérer ? » Il a dans sa main son téléphone portable, et immédiatement, le cœur de Madison s’emballe. Elle aime souvent avoir de la musique en fond quand elle travaille, mais elle avait peur de mettre quelque chose qui déplaise à Carmine, et elle réalise qu’elle n’a aucune idée de ses goûts musicaux, et la politesse qu’il lui fait lui semble une affreuse question piège. « Demandez, vous serez exaucée. » Nerveuse, Madison murmure un long “hmmm” pendant que son cerveau tourne à 100 à l’heure. Elle a une vision d’Archie qui lui dirait probablement de ne pas sur-penser autant et de juste mettre quelque chose qui lui plaît à elle. Elle songe à la vision du photoshoot qu’elle a, à ce qui lui parle et pourrait la rassurer. « Faisons honneur au Royaume-Uni… Radiohead ? » Elle propose, essayant d’avoir l’air assurée. « L’album In Rainbows ? » Elle réalise tout à coup bêtement le symbolisme, l’arc-en-ciel, et devient cramoisie. Sois normale Madison, sois normale, elle s’ordonne,si tu fais comme si de rien n'était, personne ne relèvera c’est juste des arc-en-ciels c’est rien ça veut rien dire ça veut dire - « C’est juste, euh, l’un de mes albums préférés. Parce que, juste, euh, l’ambiance de l’album. Me parle. »  Elle s’embrouille pour rien. « La chanson All I Need est ma préférée. » Et elle enfouit son visage dans son appareil pour terminer les derniers réglages. Elle inspire, et fait signe à Carmine de se placer. Les notes de la chanson détendent légèrement ses épaules. Elle sait ce qu’elle fait, se dit elle. « On commence par quelques photos tests, je voudrais bien calibrer mon appareil et voir comment vous bougez… Donc, hm, juste… Allons-y », elle propose avec un sourire mal assuré. Et évidemment, Carmine sait ce qu’il fait. C’est impressionnant. Madison l’observe bouger derrière son objectif, et elle a l’impression de regarder une rivière tant les mouvements sont fluides. Et très vite, Madison calle ses mouvements sur les siens, instinctivement, bouge son appareil photo, fait quelques réglages. A un moment, elle réajuste un spot lumineux et sa silhouette contre la lumière projette une ombre sur Carmine. Elle plisse les yeux, décale le spot, regarde Carmine « Est-ce que vous pourriez vous positionner à l’endroit où la lumière n’atteint presque plus le set ? » Mi-ombre, mi-lumière… Madison recommence à prendre des photos, sent que petit à petit elle atteint cette zone où toute sa concentration est sur l’instant, et ses angoisses s’envolent enfin. Dans le fond, la voix du chanteur de Radiohead la berce, ses chansons qui ont toujours l’air de cacher un secret, d’être douce-amère. Madison s’approche de Carmine, photographie son visage plus proche. Qu’est-ce qu’il est beau, se dit-elle. « J’aime beaucoup l’intensité des plans rapprochés. Est-ce que l’on pourrait changer votre haut, mettre le fameux qui avait un col intéressant ? »

@Carmine Sighbury

Madison se sent plus à l’aise à chaque cliché qu’elle prend, sa vision artistique se forme petit à petit, elle comprend mieux où elle veut aller et emmener Carmine avec. « Assis ? Debout ? » Madison pince les lèvres, et décide d’aller chercher le tabouret, l’installa là où la lumière attrape les moindres plis et courbes du visage de Carmine.  Elle prend quelques photos un peu éloignée, mais recommence à se rapprocher, intriguée par les traits de Carmine qu’elle veut saisir de plus près. Mais bien qu’il soit assis, il est toujours plus grand que Madison, qui attrape un petit repose pied pour se surelever et ne pas avoir à le prendre en contre-plongée. Elle est proche de lui, son appareil entre eux captant la tension du moment.

« Qu'est-ce qui vous plait dans la photographie ? » Ce n'est pas la première fois que l'on pose cette question à Madison. Dans les discussions sur les bancs de l'université, celles des soirées avec ses amis, ou les dîners de famille. Elle se souvient, la première fois qu'elle a rencontré les parents d'Oliver, ils lui ont posé la même question. Elle a des réponses plus ou moins honnêtes selon son auditoire, parfois elle se contente de bafouiller "je trouve le médium intéressant" et de changer le sujet. Mais face à Carmine, c'est légèrement différent. Une part d'elle veut donner la bonne réponse, pas seulement parce qu'il est quelqu'un qu'elle admire, mais surtout parce qu'il est spécial pour Archie - peu importe ce qu'Archie voudra admettre - et par ricochet, Madison veut faire bonne impression. « La fausse immédiateté », elle avoue, continuant à attraper quelques clichés de Carmine, son regard puissant qui envahit l'objectif. « Je me souviens, quand j'étais petite, regarder les albums de familles, les photos dans les musées, et me dire.... "On dirait presque le réel." » Elle a un petit sourire à la fois triste et tendre en se souvenant de l'enfant qu'elle a été, qui débordait d'anxiété et de solitude. « De tous les médiums artistiques, c'est celui qui pourrait capturer le plus fidèlement le monde. Et pourtant même dans une photo prise sur le vif, sans retouche ou mise en scène, il a toujours une intention derrière là où l'appareil a été pointé. » Elle réalise qu'elle a oublié de buter sur les mots. À bien des égards, la photographie est un refuge pour elle, un endroit où elle peut enfin être elle-même et sa timidité fond à chaque cliché. Mais elle réalise aussi qu'elle a donné une demi-réponse, a parlé de ce qu'elle aime dans la photographie de manière générale, et pas réellement dit pourquoi elle a décidé d'en faire son métier - malgré le désaveu de ses parents, qu'elle a toujours cherché à rendre fiers, qui le voient comme un passe-temps qu'elle abandonnera quand elle sera femme au foyer. « Et, hm, plus... Personnellement », elle commence, recommençant à se sentir gênée, comme dès qu'elle va parler honnêtement, « je crois que la photographie est le seul moyen que j'ai trouvé pour parler », elle admet, affreusement sincère. Mais étonnement, elle remarque derrière son appareil que les yeux de Carmine se sont allumés, une petite étincelle qui, faute de mots pour exactement la décrire, Madison choisit d'associer à de l'intérêt. Son visage prend une expression différente, qu’elle a envie de capturer. Elle s’écarte légèrement, change d’angle. « Est-ce que vous pouvez porter vos mains à votre visage, ou peut-être votre clavicule ? J’aimerais les avoir sur le portrait », elle demande, concentrée.

Elle repense à l’étincelle dans ses yeux, quand elle lui a répondu en étant vulnérable. Peut-être que Carmine ne lui a pas posé la question simplement pour être poli, mais parce qu'il veut entendre ce qu'elle a à dire. Alors elle continue. « J'ai toujours préféré observer plutôt que participer. Je ne sais pas si c'est juste mon tempérament, ou parce que j'ai grandi dans une famille où la place des forts caractères étaient déjà prises. » Elle a un sourire en convoquant dans la conversation Saddie, mais surtout Archie, elle se plaît à imaginer que Carmine comprend de quoi elle parle, et pendant une demi-seconde, cette entente tacite silencieuse, ce "je sais que tu sais", fait plaisir à Madison.  « Prendre une photo, c’est la meilleure manière que j’ai trouvé pour observer et participer en même temps. J'ai l'impression d'être présente, de pouvoir dialoguer avec ce qui m'entoure et... » Elle hésite, bute sur les mots, mais finit par admettre : « C'est ma façon de dire au monde que je l'aime », elle confie, son visage à nouveau cramoisie. Elle agite sa main. « Désolée, je suis trop sentimentale. » Elle a un petit rire maladroit, gênée, redresse l’appareil photo, un bouclier malgré elle.

Mais maintenant que la conversation est lancée, elle est curieuse, elle aussi. « Et vous ? Pourquoi le mannequinat ? » Elle demande avec un sourire, avant de rajouter : « Outre le fait que vous êtes évidemment très doué pour. » Elle ouvre la galerie photo de son appareil et montre l’un des derniers clichés à Carmine avec un grand sourire. C’est une photo de trois-quart, il a ses sourcils légèrement froncés, une main posée à la base de son cou. Ses yeux regardent au loin, ailleurs. « Vos yeux sont tellement expressifs » , elle souffle dans un murmure admiratif. « J’adore les photos où l’on se demande à quoi pense le modèle. »


@Carmine Sighbury

Comme à chaque fois que Madison parle un peu trop, ses joues se colorent et elle baisse les yeux quelques secondes, persuadée d’avoir dérangé, de s’être ridiculisée. Elle envie les gens qui savent comment assembler leurs mots et ne jamais en dire un de trop ou un de moins ; elle a l’affreuse impression que quelqu’un d’aussi charismatique que Carmine va forcément lever un sourcil, plisser les yeux, et la juger. Madison doit mordre l’intérieur de sa joue pour se retenir de bredouiller d’autres excuses pour s’être emportée. Elle se reconcentre sur les yeux de Carmine, qu’elle observe sagement derrière son bouclier d’appareil photo. Ce qu’elle aperçoit sur son écran n’est rien d’autre que… De l’intérêt ? De la patience ? De la… compréhension ? Puis, un minuscule éclat, au moment où la playlist change et que la voix de Freddie Mercury envahit le petit studio. L’estomac de Madison se serre à nouveau, mais elle ne dit rien. Elle a toujours aimé cette chanson, cette expression, break free, parce que oui, quelque chose en elle voudrait sortir, éclater le mur qui lui sert de poitrine, mais elle a l’impression que ce n’est pas non plus son masque qu’elle briserait dans le processus.

Après avoir montré quelques photos à Carmine, et sourit à sa plaisanterie, Madison modifie quelques réglages sur l’appareil et se remet à travailler. Elle est émerveillée par la façon dont Carmine arrive à passer de la discussion au sérieux d’une pose, en seulement quelques secondes. Mais aussi un peu émerveillée, elle l’avoue, par le flot créatif qui l’emporte, bousculant sa propre timidité au passage, la poussant à poser une question en retour à Carmine. Il semble hésiter un instant avant de répondre.

« C'est ma façon d'être un bon fils. » Les yeux de Madison s’écarquillent, heureusement cachés par son appareil. Sans le savoir, Carmine vient de lui confier quelque chose qui tombe dans une cachette déjà bien creusée dans sa poitrine. « Et un bon frère. » Madison a des années d’expertise dans l’art de rester neutre quand elle panique - devant une jolie fille, un verre de vin vide, le regard de son petit-ami trop pressant - lui permettant de ne pas frissonner devant les mots de Carmine. « Ma sœur a toujours aimé faire des bêtises. » Elle capture son visage éclairé par le bonheur et la nostalgie des souvenirs. « Attirer l'attention sur moi la préserve de la presse. Un peu. » Et en cet instant, alors qu’elle s’est reconnue dans les mots de Carmine quelques minutes plus tôt, ce n’est plus elle que ses paroles convoquent, mais l’ombre d’Archie, d’un grand frère. Madison pense à lui, à l’océan de froid entre eux, ces derniers mois, et sent le manque comme un coup de poing dans le bas de son ventre. « Elle en a de la chance, votre sœur », elle répond, hésite, et ajoute, « c’est précieux, d’avoir un frère comme ça. Je… Moi aussi, quand j’étais petite, mon frère couvrait mes bêtises, les vases cassés, les devoirs oubliés. » Quand j’étais petite. Aujourd’hui, c’est différent. « J’ai toujours trouvé que ça avait l’air d’être beaucoup de pression d’être un frère. » D’être un fils, un homme, un aîné. Evidemment, la pression, Madison la porte sur ses épaules aussi, celle d’être une fille respectable, hétérosexuelle, mariée, polie. Mais celle de gens comme Archie - et comme Carmine, visiblement - a l’air particulièrement lourde.

« Pour tout vous dire, je comprends cette impression de participer et de communiquer à travers l'objectif. » Madison sourit en voyant Carmine prendre l’initiative, et elle s’adapte facilement, avec l’agréable impression qu’ils sont définitivement en symbiose. Elle apparaît dans le miroir, prise aussi sur la photo, ce dont elle a rarement l’habitude. Ce n’est pas pour lui déplaire, car en cet instant, elle a l’impression que le reflet de Carmine est beaucoup plus similaire au sien qu’elle se l’imaginait. « Mais ce que je préfère, c'est raconter des histoires. » Une nouvelle fois, Madison se surprend à sourire, amusée, détendue, et les clichés s’enchaînent facilement. Elle en observe quelques-uns sur l’écran de son appareil, pour vérifier la luminosité, et une nouvelle fois, un sourire attendrie attrape ses lèvres. « J’aime bien cette histoire », elle commente, les yeux baissés. « Merci d’avoir répondu sincèrement à ma question. Je… » Elle cherche ses mots, à nouveau intimiditée d’être vulnérable. « Je ne pensais pas que… Le reflet du modèle serait étrangement similaire à celui de la photographe », elle dit en désignant du menton leur reflet hybride dans le miroir. « Je crois que vouloir être une bonne fille, une bonne sœur, une… bonne personne, c’est la base de toute ma personnalité », elle murmure,  presque gênée, mais essaie d’être courageuse et de relever la tête. « La seule fois où j’ai tenu tête à mes parents, c’est quand j’ai décidé de devenir photographe. Ils pensent que c’est un passe-temps et me préféreraient déjà mère au foyer je pense. Archie a été le seul à me soutenir, au début. » Elle a un petit sourire triste, fier. Elle ne peut pas s’empêcher de vouloir dire du bien d’Archie devant Carmine, même s'ils ont passé Noël à faire semblant de ne pas être en froid.


@Carmine Sighbury (et petit poke @Archie Kwanteen )

Madison ne s’est pas attendue à ressembler à Carmine, et encore moins à lui parler si honnêtement. Elle est surprise de constater que le mannequin est encore plus charismatique et impressionnant que le laissent deviner les pages de magazine, et que pourtant, il est aussi plus accessible, plus humain. Lorsqu’il a accepté la demande d’Archie de se faire prendre en photos par Madison, cette dernière s’est imaginé qu’il faisait simplement une fleur à son frère, au vu de leur… Relation, ou peu importe ce qui se trame entre eux. Elle s’est promis de ne pas avoir trop d’attentes, s’est dit que Carmine viendrait sûrement, serait poli, professionnel, et repartirait avec un sourire. Et voilà qu’ils discutent, qu’il lui pose des questions, qu’elle sourit, se détend à ses côtés. Elle se demande quel effet il a sur Archie, est-ce que Carmine réussit à craquer sa coquille aussi ? « Vous êtes jeune, Madison. Ce que vous faites est qualitatif. Persévérez. » Carmine a murmuré, près d’elle, pour qu’elle seule puisse entendre. Elle sent immédiatement l’émotion brûler ses joues, et elle cligne plusieurs fois des yeux, essayant d’accepter le compliment qu’elle entend être sincère. « Je, euh, merci », elle se remet à bredouiller, sa confiance en elle fondant immédiatement devant la douceur de Carmine. « Ceux qui ne croient pas en vous aujourd’hui finiront par réaliser votre valeur.» Est-ce que ses parents pourront un jour la voir comme une vraie photographe, comme une artiste ? Peut-elle seulement se voir comme tel ? Elle évite le mot, parce qu’il lui semble pompeux, et pourtant, derrière ses clichés, c’est sa passion pour l’art qui la dévore. Elle ne veut pas simplement prendre des photos pour des journaux ou des entreprises, elle veut créer, partager sa vision, essayer de dire quelque chose. « Malheureusement, tout le monde n'est pas capable d'admettre ses erreurs de jugement. »

Elle a un petit sourire qui se fige quand Carmine posa sa main sur son épaule. Carmine Sighbury touche mon épaule et me dit que mes photos ont de la valeur, what the fuck is my life, se dit Madison, le cerveau tournant à 100 à l’heure. « Faites confiance à votre frère. Ses goûts en matière d'Art sont discutables, mais son don pour dénicher les paris gagnants est sans égal. » Cette fois-ci, Madison ne peut pas s’empêcher d’avoir un petit rire. Carmine Sighbury touche mon épaule et me dit que mes photos ont de la valeur ET me fait une inside joke sur Archie, what the fuck is my life, elle se répète, rougissant toujours. « Discutables, oui, mais… Il a meilleur goût dans d’autres domaines. » Madison a parlé si bas qu’elle se demande si elle a parlé tout court. Elle soutient le regard de Carmine une demi-seconde, devient à nouveau cramoisie, et s’écarte, le souffle court de l’audace de son sous-entendu. Carmine Sighbury touche mon épaule et me dit que mes photos ont de la valeur ET me fait une inside joke sur Archie ET JE LUI DIS QU’ARCHIE A RAISON DE L’APPRECIER what the fuck is my life ????

Madison arrive tout de même à se remettre dans l’esprit du photoshoot, et elle est contente de sentir dans chaque cliché son entente silencieuse avec Carmine. Ils terminent une heure plus tard, et après que Carmine se soit à nouveau changé, Madison le raconte hors du studio, le coeur toujours nerveux dans sa poitrine.  « Merci pour ce moment de qualité. Je suis impatient de voir le résultat. Mon agent se chargera des détails relatifs à la parution des images. Pour le reste … » Madison regarde ce que Carmine lui tend sans comprendre, elle prend la carte, ses oreilles bourdonnent tandis qu’elle regarde le numéro. « Voici mon numéro personnel. » Elle lève un sourcil, surprise. « Il me fera plaisir de vous référer ou de vous mettre en contact. » Les yeux de Madison s’écarquillent, son cerveau s’emballe, elle réfléchit à toute vitesse pour quoi dire, quoi faire, elle secoue la tête, baisse les yeux, les relève. « Euuuuh, oh, ah », elle lâche bêtement, et a un rire nerveux. « Pardon, euh, je me reprends. Merci Carmine, je… » Elle inspire. « Merci beaucoup pour aujourd’hui, c'était une opportunité incroyable pour moi. Et merci pour la carte », elle ajoute, la regardant à nouveau. Elle se demande si elle l’aura le courage d’un jour l’appeler pour lui demander de la mettre en contact avec quelqu’un, cela lui paraît complètement improbable. « Attendez de voir les photos avant de me recommander, peut-être », elle essaie de plaisanter. « Et… » Elle regarde Carmine, hésite. Elle voudrait tellement lui dire quelque chose à propos d’Archie, sans savoir quoi, lui dire qu’elle est contente que son frère l’ai rencontré, lui dire qu’elle sent que Carmine est important pour lui ; mais c’est un terrain trop glissant, elle et Archie sont trop brouillés, elle a trop peur de commettre un impair. Elle ravale ses mots et détourne le regard. « Fêtez bien la nouvelle année », elle conclue à la place, ignorant tout de ce que le mois de janvier va réserver à Carmine.



Terminé @Carmine Sighbury