sometimes giving up is the strong thing

@ambrose constantine

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Les circonstances auraient du être différentes, cela allait de soi et ce n’était pas bien compliqué à deviner; il n’y avait qu’à voir le regard que portait Ruben alors qu’il sortait de sa voiture, mallette à la main. Dans les conditions qui avaient été supposées initialement, il ne serait pas venu seul jusqu’ici, et aurait su d’avance qu’il allait être accueilli correctement si tel n’avait pas été le cas à son arrivée sur la structure de soins. Là, il ne savait sur quel pied il allait devoir danser ni comment allait le traiter Ambrose - et c’était cette partie là à travers tout le reste qui le gênait dans un premier temps. Leur dernière discussion ne s’étant pas du tout déroulée comme il s’y était attendue, ayant laissé des dégâts qui étaient conséquents et remarquables surtout, ayant été suivie d’un long silence pendant le quel Ambrose avait refusé véritablement d’adresser la parole à Ben. Ce dernier avait même eu du mal rien qu’à avoir signe de vie de la part du jeune politicien après la tempête, alors qu’il s’inquiétait réellement pour lui - même si le mensonge n’était jamais de mise, bien sur que l’autre ne l’avait pas cru. Il avait serré les mâchoires, avait ravalé son égo et c’était dit que le temps ferait son effet.

Pour le moment, le seul effet qu’il avait eu c’était d’étirer ce silence qui déchirait sans qu’il n’en parle Ruben de l’intérieur. Il n’avait été rompu que parce-que les deux jeunes hommes avaient déjà convenu d’une date pour un rendez-vous - et ce dernier n’était malheureusement ne rien galant, puisque c’était pour surement annoncer une mauvaise nouvelle à Ambrose que Ben était ici aujourd’hui. Quelques mois plus tôt, ce dernier lui avait demandé s’il était possible de faire une dernière auscultation de son père, pour savoir si véritablement ce dernier était condamné comme le pensaient les médecins de la structure dans laquelle il était hospitalisé depuis des années désormais ou si sa famille et lui pouvaient continuer à espérer une quelconque amélioration. D’après le peu d’éléments à sa disposition, Ruben savait presque déjà d’avance comment allait se passer le reste de l’après-midi - et son coeur se serrait déjà d’avance des mots qu’il allait devoir émettre à l’intention de celui qui lui portait déjà une rancoeur grande comme le monde.

« Constantine ? » L’une des infirmières lui indiqua le chemin à suivre à travers le dédale des couloirs pour se rendre à la chambre qu’elle lui avait indiqué; il ne mit qu’une poignée de secondes, peut-être bien au pire une minute, à arriver jusque devant la porte. Timidement alors, il frappa trois petits coups contre le dos de cette dernière, appuyant sur la poignée pour avoir accès à la pièce. Bien sur, à peine cette dernière poussée, son regard tomba sur Ambrose dans un coin de la chambre, et il serait resté là à le regarder encore un instant s’il ne se devait pas de garder une posture davantage professionnelle à celle qu’il endossait d’ordinaire à ses côtés. « Salut. » Comment commencer une discussion face à quelqu’un qui ne ovulait plus entendre parler de vous et qui aurait préféré ne pas vous avoir rencontré ? Ce n’était pas une situation que Ruben avait l’habitude de gérer, puisque la dernière personne qui n’avait plus voulu entendre parler de lui s’était engagée dans l’armée et avait fini par perdre la mémoire. Il repoussa la porte à la suite. « Je voulais d’abord te voir toi avant d’aller voir l’équipe médicale. » Parce-qu’il avait envie de le voir, dans un premier temps; mais parce-que la suite de cette journée allait déjà être assez éprouvante pour Ambrose et qu’il n’avait pas l’intention d’ajouter la moindre couche d’inconfort non nécessaire, alors il attendrait ses indications pour poursuivre selon ses désirs à lui. « C’est toi qui mènes la danse. » Même s’il aurait préféré procéder d’une certaine manière plutôt que d’une autre, aujourd’hui n’était pas le moment pour ce genre de chose.

Le silence perdure après que les coups aient été portés contre la porte. Ambrose devine sans mal qui se cache derrière, et c’est justement pour cette raison qu’il préfère ne pas répondre et économiser sa salive. Ruben entrera de toute façon. Ils en ont parlé, et il ne risque pas de tourner les talons maintenant, après avoir fait tout ce chemin, et pas même alors qu’Ambrose a souligné par message que le rendez-vous tenait toujours. Peu importe ce qui a pu se passer entre eux, il veut toujours ce qu’il y a de meilleur pour son père, toutes choses relativisées quant à son état de santé. « Salut. » Le regard du plus jeune ne se déloge pas de la figure éternellement statique de son père. Il l’observe de son coin de la pièce, comme si un miracle allait pouvoir arriver en cet instant. Si leur vie était un film, c’est en cet instant qu’il aurait bougé un doigt et que tous les médecins auraient convenu d’un “véritable miracle de Noël”. « Je voulais d’abord te voir toi avant d’aller voir l’équipe médicale. » Il referme la porte derrière lui et éteint le peu de brouhaha qui existait dans le couloir et s’immiscait jusqu’à eux. Un silence de mort règne toujours dans les hôpitaux, plus encore à partir du moment où on arrive à faire abstraction du bruit des machines. « C’est toi qui mènes la danse. » Ambrose remonte enfin son regard dans le sien, avec une lenteur trahissant l’éternelle difficulté qu’il éprouve à détester Ruben. Il voudrait être rassuré par son étreinte, lui qui n’en a rien à faire de mener la danse dans un tel moment de sa vie. « Ça sert à rien. C’est toi qui t’y connais, pas moi. » Il se targue de connaître beaucoup de choses mais dans le domaine de la médecine, il n’est rien ni personne et même après avoir lu un nombre incalculable de livres et d’articles à propos de ce qui est arrivé à son père, il n’est toujours pas un professionnel.

« T’as besoin d’en discuter avec eux ? Je pensais que c’était juste… je sais pas, juste toi. » Juste toi et moi. Parce que l’équipe médicale lui a déjà dit ce qu’elle pense de toute cette histoire et que leur conclusion n’a pas le moins du monde été appréciée par Ambrose. Tout ce qu’il veut entendre, dans le fond, c’est que Ruben-je-sais-tout a décrété qu’ils ont tort et que la situation peut continuer ainsi pendant dix ans encore. Il pourrait toujours aller voir son père durant une décennie encore. « J’ai ses rapports, si tu veux. » Ses constantes, son dossier médical. Ce qu’ils lui ont donné, ce qu’ils ont arrêté de lui donner. Tout ce qu’ils ont fait durant toutes ces années pour simuler un semblant de vie dans le corps d’un homme ayant tout perdu il y a bien trop longtemps, en réalité. Ambrose reste persuadé que s’il n’avait pas été dans l’équation, la famille aurait décidé de le débrancher il y a deux décennies. Mais il est le gamin qui voulait voir son père, et personne ne l’a refusé à un orphelin.

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L’absence de réponse de la part d’Ambrose à toutes ses premières paroles soulignait quelque-chose en silence, justement, dont Ruben se doutait grandement: il ne veut toujours pas le voir. Et même si cela restait quelque-chose qu’il ne tolérait pas - ou se contentait de le faire parce-qu’il n’avait pas envie d’ajouter la moindre huile sur un feu qu’il avait apparemment déclenché tout seul -, il n’en ferait rien pour aujourd’hui parce-que ce n’était pas la raison pour laquelle le chemin de Rose et le sien se croisaient aujourd’hui.

Non, la raison était allongée dans le seul lit présent dans la pièce, vers lequel toute l’attention du jeune homme fut concentrée pendant un temps avant qu’il ne daine relever son regard vers Ruben. «  Ça sert à rien. C’est toi qui t’y connais, pas moi. » Certes, c’était effectivement lui l’expert dans le domaine; cependant, il s’agissait là du père d’Ambrose et il ne ferait pas un pas sans que ce dernier ne lui ait donné le moindre feu vert, parce-qu’il ne voyait pas les choses autrement. Ruben se doutait surtout grandement de la finalité de cette conversation, de sa visite et de la façon dont cette dernière saurait impacter le futur de celui pour qui il éprouvait vraiment une sympathie particulière. Alors, il n’agirait pas tant que cela ne lui était pas explicitement demandé par le principal concerné, même si effectivement ce n’était pas lui l’expert dans le domaine. « T’as besoin d’en discuter avec eux ? Je pensais que c’était juste… je sais pas, juste toi. » Il aurait besoin d’en discuter surement avec eux à un moment donné, oui, parce-que c’était en discutant entre confrères qu’il était plus simple d’en venir à un diagnostic plus concret. « J’ai ses rapports, si tu veux. » Et Ruben savait pertinemment que le dossier médical c’était bien, mais que ce n’était pas tout; certains avis et certaines façons de voir la situation n’étaient pas consignés dans quelques pages imprimées parce-que ce n’était pas là leur place, autre qu’en salle d’équipe où les avis étaient plus développés et honnêtes. Discuter ne laissait pas de traces. « Ca peut être que moi, oui, si tu veux. » Il pouvait au moins commencer par cette partie là et voir par la suite. Il pouvait au moins faire en sorte de lancer cette suite de journée qui serait surement l’une des plus dures à supporter pour Ambrose qu’eux deux dans cette chambre. Qu’eux trois - mais rien qu’à voir les machines qui tenaient le père de Rose encore en vie, Ben savait que cela faisait un bout de temps qu’il n’était plus parmi eux.

Allant poser sa mallette sur le rebord de la fenêtre, il finit par attraper le dit-dossier médical pour le mettre ouvert sur l’unique table de la chambre. « Je risque de rester un bon bout de temps ici. » Il préférait prévenir Ambrose de suite: ce n’était pas forcément que pour de bonnes ou de mauvaises raisons, c’était simplement parce-qu’il ne saurait statuer en un coup d’oeil et rien d’autre. « Je veux prendre le temps de lire son dossier, et de l’examiner moi-même. » Dans un monde idéal, il lui aurait même fait repasser certains examens qui devaient déjà être consignés dans les pages qu’il avait sous les yeux, mais son instinct lui disait qu’il n’en aurait pas besoin - pas pour ce patient là. « Je sais pas si tu avais prévu de rester tout du long, ou si tu préfères revenir plus tard ? » Supporterait-il la présence de Ruben durant tout ce temps, autant proche de lui, après lui avoir tenu un discours bien moins encourageant la dernière fois qu’ils s’étaient vus ? Il savait que la part des choses étaient à faire dans cette situation, parce-qu’il s’agissait d’un terrain où il était réquisitionné en tant que docteur Hartfield et non en tant que Ben Hartfield. Mais Ambrose serait-il apte à supporter sa présence tout autant que son cadre professionnel qu’il garderait tout le long de son temps passé dans cette chambre ? Il préférait savoir où il mettait les pieds savant de se lancer corps et âme dans la lecture, dans l’analyse, et dans une conclusion qu’il n’avait pas hâte de mettre en avant. « J’aurais rien à te cacher, si tu veux rester jusqu’à temps que j'ai terminé. » Il le lui avait dit: il menait la danse, il se plierait à ses envies et demandes. Et il saurait de son côté supporter bien sur qu’il soit à ses côtés, parce-que des deux il n’était pas celui ne pouvant supporter la vision de l’autre.

« Ça peut être que moi, oui, si tu veux. » Et oui, c’est ce qu’il veut. Il n’a rien contre l’équipe médicale de son père, mais il commence à leur en vouloir à la seconde où ils émettent l’idée qu’il n’y a plus rien à faire pour lui. Il veut un second avis et, surtout, il veut un avis différent. Il veut l’avis de Ruben, même si ses rapports avec ce dernier en sont venus à changer du tout au tout au dernier moment. Ambrose refuse que leur relation impacte l’avenir de son père ; il refuse d’être égoïste à ce point. « Je risque de rester un bon bout de temps ici. » - « Tant mieux. » Il se contente de répondre, sans pour autant expliquer le fond de sa pensée. Tant mieux si Ruben prend son temps, parce que cela signifie qu’il va analyser la situation sous tous les angles et qu’il finira par conclure que son père va bien, qu’il ne va pas si mal. Il finira par dire que tout n’est pas perdu, parce qu’Ambrose refuse d’être réellement catégorisé comme un orphelin. « Je veux prendre le temps de lire son dossier, et de l’examiner moi-même. Je sais pas si tu avais prévu de rester tout du long, ou si tu préfères revenir plus tard ? » Le regard du plus jeune se pose sur son père et uniquement sur ce dernier. Il s’est toujours tourné vers Ruben, peu importe combien de personnes pouvaient contenir les salles dans lesquelles ils étaient, mais face à son père il ne fait pas le poids. Ambrose n’a d’yeux que pour lui, comme cela a toujours été le cas, malgré leur absence totale de dialogue depuis toujours. « Je reste. » Non par manque de confiance, mais bien parce qu’il s’en voudrait s’il en venait à laisser son père seul. Il aurait l’impression de déjà l’abandonner. « J’aurais rien à te cacher, si tu veux rester jusqu’à temps que j'ai terminé. » Et une fois de plus, Ambrose hoche la tête, son avis allant dans le même sens que celui de Ruben, pour la première fois depuis longtemps. Parfois, ça fait du bien. Surtout, cela ferait réellement du bien si ce n’était pas fait dans la même pièce que le corps (presque) sans vie de son père.

« On m’a toujours dit qu’il était un bon père, mais je sais pas si c’est pour me rendre heureux ou si c’est la vérité. » Il trouve place sur un fauteuil non loin et s’assoit dessus à l’image d’un enfant trop flexible, ses pieds coincés sous ses cuisses. Il aurait aimé dire quelque chose comme “il t’aurait adoré”, mais la vérité c’est qu’il n’en sait absolument rien, parce qu’il connait aussi peu son père que c’est le cas de Ruben, qui ne l’avait jusqu’alors même pas rencontré. « Il a l’air d’être quelqu’un de bien, en tout cas. » C’est ce qu’il veut penser. Une bonne personne en a épousée une autre, et ils étaient assez heureux ensemble pour souhaiter des enfants, à trois reprises et même encore après avoir eu des jumeaux. « Il mérite qu’on prenne soin de lui. » Et c’est ce qu’Ambrose s’efforce de faire, s’obstinant à payer un hôpital au-delà de ses moyens et à aller contre l’avis des médecins pour toujours prolonger ses soins, encore et encore, dans l’espoir impossible qu’il finisse un jour par se réveiller tout en disant avoir bien dormi. « Norman m’a élevé comme son fils, mais j’ai toujours fait la distinction entre lui et mon père. » Il ne l’a jamais appelé papa, par exemple. Il a toujours su que son papa n’était pas loin, mais qu’il n’était pas Norman. Et il a l’impression de s’autoriser autant de confessions uniquement parce qu’il sait que la fin est proche, ce qui l’autorise à passer outre l’embargo de paroles imposé sur la personne de Ruben. Aujourd’hui est une simple trêve, rien d’autre.

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Il se plierait aux demandes d’Ambrose, aujourd’hui, et ce sans broncher pour une fois - parce-que c’était pour ça qu’il était là aujourd’hui. Bien sur, il était attendu de lui qu’il approche la situation d’un point de vue professionnel pour apporter son propre diagnostic; mais il ne pourrait se contenter d’être que le docteur Hartfield pour une fois ici, dans cette pièce, avec le brun naviguant non loin de lui. Il se devait aussi d’être Ben, la meilleure version de Ben qu’il était capable de démontrer. Alors si Rose ne désirait pas voir le reste des médecins intervenir pour le moment, il se plierait à cette décision. Il avait assez d’éléments et sa vision professionnelle justement de la situation entre ses mains pour commencer à travailler sans demander d’avis ou d’informations à personne d’autre. Cela prendrait du temps, mais il avait matière à étudier, à travailler. « Tant mieux. » C’était peut-être l’une des rares fois où prendre son temps était effectivement synonyme de positif: cela mettait en avant qu’il étudiait tous les aspects avec précision et minutie. Même si, sans le dire à haute voix parce-que ce n’était pas le but de cette visite, Ruben se doutait déjà malheureusement de la façon dont les choses tourneraient ici aujourd’hui.

« Je reste. » - « Ok. » Du bout des lèvres, avec toute la douceur dont il était apte d’éprouver à son égard - et elle était infiniment plus grande que pour bien d’autres.

A partir du moment où ces bases là furent établies, il ne voyait plus de raisons de ne pas se mettre au travail. Attrapant le dossier que Rose lui avait mis de côté, il posa ce dernier à plat sur l’une des tables disponibles - le dossier était bien gros pour que cela puisse être bon signe, encore une fois. « On m’a toujours dit qu’il était un bon père, mais je sais pas si c’est pour me rendre heureux ou si c’est la vérité. » Du coin de l’oeil, il vit le brun s’installer dans l’un des fauteuils - non loin de son père, mais à distance pour ne pas gêner. « Il a l’air d’être quelqu’un de bien, en tout cas. » Le regard de Ben s’éclipsa un instant en direction de la silhouette semblant endormie. « Il mérite qu’on prenne soin de lui. » Son regard glissa de l’un à l’autre des Constantine de cette pièce, pour s’arrêter sur celui dont il avait l’impression autant de connaitre les traits du visage par coeur que de les découvrir en cet instant. Ils avaient déjà parlé de sa famille, de ce père que Ben rencontrait en réalité aujourd’hui pour la première fois; mais entre en parler des années plus tôt et voir les deux hommes réunis dans la même pièce aujourd’hui, cela ne donnait pas le même rendu. « Tu es le seul à prendre soin de lui aujourd’hui, ou tes frères et soeurs viennent ici aussi ? » Il essayait d’être le moins envahissant possible, Ruben, mais il voyait bien qu’ils touchaient là l’un des sujets les plus sensibles - et il était sincèrement intéressé et touché par l’approche et la place qu’avait Ambrose dans tout ça. Il ne serait pas ici aujourd’hui sinon. « Norman m’a élevé comme son fils, mais j’ai toujours fait la distinction entre lui et mon père. » Norman ne serait jamais son père. « Il t’a parlé de lui un peu ? Avec le temps ? » Comment avait-il décidé de faire en sorte que ce père aux abonnés absents par la force de la cruauté de la vie soit tout de même présent dans le quotidien d’un enfant qui avait déjà bien vu trop d’horreur pour son jeune âge ?

Relevant le regard d’Ambrose, Ruben fit faire à ce dernier le chemin inverse pour se reposer sur ce père qui n’avait jamais été qu’un souvenir. Il fit ce qu’il aurait fait dans n’importe quelle autre circonstance, que Rose soit à ses côtés ou non: il avança de quelques pas dans la pièce, pour se poster d’un côté du lit. Bien sur qu’instinctivement, son regard se porta vers le peu de machines finalement qui l’entouraient - mais il s’attarda ensuite sur son visage. « Bonjour, monsieur Constantine. » Parce-qu’il y avait une règle à laquelle Ben ne dérogeait jamais: qu’importe l’état de conscience de ses patients, il les traitait comme s’ils étaient tous alertes face à lui. Le cerveau était un élément incroyable et apte à de nombreuses prouesses, de celles qu’ils ne pouvaient pas encore exactement expliquer - et certaines études montraient que certaines personnes étaient tout à fait conscientes de l’environnement sonores autour d’elles. « Je suis le docteur Hartfield, je suis neurochirurgien. » Et pour une fois, il donna son titre avec humilité. « Je travaille pas dans le centre où vous êtes actuellement, je travaille à l’hôpital St Vincent normalement. Mais votre fils m’a demandé de passer vous voir. » Il esquissa un petit sourire, que personne ne pourrait voir. « Je suis content de vous rencontrer. Et s’il vous plait, faites comme tout le monde et appelez moi Ben. » Il hésita un instant mais il ne devait pas arrêter ses démarches parce-qu’Ambrose était dans le coin: il lui avait dit que cela ne changerait rien. « Parce-que je suis pas seulement médecin, je suis aussi un ami d’Ambrose. Si on s’était rencontrés dans d’autres conditions, vous m’auriez appelé Ben alors on va garder l’idée aussi pour aujourd’hui. »

« On va passer une bonne partie de la journée ensemble, aujourd’hui. Non seulement je vais avoir beaucoup de lecture à faire de ce que j’ai vu car vous avez fait couler pas mal d’encre ces dernières années - » Vingt-cinq ans, il connaissait particulièrement bien l’âge d’Ambrose et savait que l’accident était arrivé peu de temps avant sa naissance. « - mais aussi parce-que je sais que vous avez pas mal de petits secrets à me révéler directement. Alors pour les dénicher, je vais vous ausculter plus d’une fois je pense aujourd’hui. Si vous voulez blâmer quelqu’un pour le dérangement… Et bien je suis le seul responsable en réalité, mea culpa. » Il eut un petit rire comme s’ils avaient véritablement une discussion et que tout ce qu’il se passait en cet instant été on ne pouvait plus normal. Laissant son regard encore un instant sur le visage de l’homme qui ne réagirait bien sur pas à ses paroles, il eut un nouveau petit sourire. « Ambrose vous ressemble beaucoup, vous savez. » C’était flagrant à le regarder de façon prolonger en cet instant. « La seule chose que je vois pas là, c’est s’il a les mêmes yeux que vous, donc je vais regarder ça pour vérifier. » Entremêler une conversation normale dans ses actes médicaux, c’était là une des façons de rendre les choses moins désagréables et une technique qu’il utilisait quotidiennement. Cela lui permit surtout de lancer la longue liste des vérifications qu’il ferait aujourd’hui.

Ruben était toujours assis dans l’autre fauteuil présent dans la pièce alors que le soleil se couchait au delà de la fenêtre de la chambre. Reposant les feuilles qu’il tenait entre ses mains, son regard se laissa être porté en direction d’Ambrose, de l’autre côté de la pièce qui n’avait toujours pas bougé non plus. Il n'avait absolument aucune idée du temps qu’ils avaient pu passer dans cette pièce aujourd’hui, mais dans cette bulle suspendue, il n’en avait que peu à faire de cela. Parce-qu’ils pourraient être ici pendant des heures et des heures, des jours entiers même, cela ne changerait pas ce que Ruben soupçonnait bien avant même d’arriver ici: ce n’était pas des bonnes nouvelles qu’il donnerait à Rose aujourd’hui. Il était persuadé qu’une partie du jeune homme le savait aussi, mais qu’il préférait se rattacher à la maigre partie contenant encore un peu d’espoir. « Je commence à avoir faim. Tu veux commander quelque-chose ? » Et bien sur que parce-qu’il s’agissait d’Ambrose face à lui, Ben repoussait le moment où il allait devoir lui dire que cet espoir était vain.

« Tu es le seul à prendre soin de lui aujourd’hui, ou tes frères et sœurs viennent ici aussi ? » Le menton d’Ambrose s’enfonce autant que possible dans le genou qu’il a relevé aussi près de lui que possible ; pour prendre le moins de place que possible. Son regard est figé sur un des pieds du lit. « Certains viennent. D’autres pas vraiment. » Et puisque cela a tendance à évoluer avec le temps, il ne prend même pas la peine de citer les membres de sa fratrie. Certains font plus d’efforts que d’autres, certains sont plus touchés que d’autres. Avec le temps, il a appris à moins se sentir coupable de la situation, mais il continue d’apprendre à accepter les choix de vie du reste de sa fratrie. « Il t’a parlé de lui un peu ? Avec le temps ? » Sans qu’il ne sache réellement pourquoi, cette question le fait esquisser un sourire. « C’est pas la personne la plus expansive qui existe. Mais il fait de son mieux. Quand j’étais plus petit, surtout, il me racontait des histoires au sujet de mon père. » En grandissant, il a sans doute jugé Ambrose assez grand pour ne plus en avoir besoin, tout comme il a dû se dire que depuis le temps, deuil était fait. Et quand bien même c’est loin d’être le reflet de la réalité, il n’en veut pas à Norman d’aucune manière. Il les a accueilli et il s’est occupé de toute la fratrie comme de son propre sang, alors il n’y a rien dont ils pourraient lui tenir rigueur.

« Bonjour, monsieur Constantine. »

Tout le reste de la discussion, il l’écoute tel le témoin d’une scène qui n’aurait jamais dû exister. Son regard s’attarde sur tous les gestes de Ruben pour lesquels il note la lenteur autant que la douceur. Son ton de voix est différent, aussi, bien loin de celui qui était le sien lors de leur dernière dispute. Son père est un patient dont il prend particulièrement soin, même alors qu’il est bien placé pour savoir que ce dernier n’est pas conscient de ce qui se passe autour de lui. Ambrose l’est, et Ambrose le remercie de toute l’attention qu’il lui apporte. Il aurait aimé le lui présenter dans d’autres circonstances, il aurait vraiment aimé. « Ambrose vous ressemble beaucoup, vous savez. » Ses paupières s’agitent pour ne pas laisser trop d’émotions exister. Il avait pu se préparer aux autres mots, mais pas ceux-ci. A un moment de la journée, il pense avoir besoin de sortir pour se remettre les idées en place mais lorsque le soleil finit par se coucher, il n’a toujours pas bougé de son éternelle même chaise et il pourrait retracer minute par minute tous les gestes effectués par Ruben, sans pour autant pouvoir expliquer la raison médicale de chacun d’eux. « Je commence à avoir faim. Tu veux commander quelque-chose ? » Il a aussi peu faim qu’il a envie de partager un repas avec Ruben. « Commande pour toi. » Mais il ne niera pas que Ruben est ici depuis longtemps et qu’il a sûrement faim, alors il ne peut pas lui reprocher de vouloir une pause. Il est venu, et c’est déjà assez miraculeux en soi pour qu’Ambrose ne se montre pas trop exigeant. « T’es en train de gagner du temps, là, ou pas ? » Son ton est bas et déjà désolé, parce qu’il se doute de la réponse qui sera à donner face à cette réponse: oui, il gagne du temps. Il pouvait sans doute lui dire que les médecins ont raison à la seconde même où il a posé son regard sur le dossier, même. « Parce que si c’est une mauvaise nouvelle, je l’ai déjà entendu une fois, alors tu sais… » Il peut encore l’entendre une seconde, sans doute, même s’il ne nie pas que cela lui brisera littéralement le coeur. Ruben devrait avoir l’habitude sur ce terrain là.

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« Certains viennent. D’autres pas vraiment. » C’était un comble, en réalité, qu’il ne puisse pas répondre avec une facilité déconcertante par une vérité générale à cette question. Normalement, il n’aurait pas du avoir besoin de noyer le poisson, il aurait du pouvoir dire qu’ils étaient tous présents à parts égales, qu’ils étaient tous impliqués pour faire en sorte que ce semblant de continuité de vie soit la plus douce possible. A la réponse qu’il donnait, Ambrose lui avouait en silence qu’il était malheureusement surement celui qui passait le plus de temps entre ces quatre murs - alors qu’il était pourtant celui qui n’avait réellement connu l’homme qui se tenait à quelques mètres d’eux dans son lit, allongé, immobile. Les années avaient passé mais Ruben se rappelait parfaitement que Rose était le dernier de sa fratrie, et ses paroles aujourd’hui confirmaient encore l’idée qu’il n’avait malheureusement jamais connu son père, lui. Il avait pu apprendre à le connaitre heureusement à travers les récits que Norman, son oncle. « C’est pas la personne la plus expansive qui existe. Mais il fait de son mieux. Quand j’étais plus petit, surtout, il me racontait des histoires au sujet de mon père. » Et ainsi, il avait pu combler autant que cela avait été possible le manque qui se faisait forcément présent chez l’enfant qu’il avait été à une époque. Ben se demandait comment cela aurait été, si son père à lui n’avait pas été à leur côté - et il se rendait compte à quel point son quotidien aurait été bien plus endommagé que pouvait déjà l’être celui d’Ambrose, ce qui lui arracha un frisson le long de l’échine qu’il garda pour lui; ils n’étaient pas là pour échanger leurs avis sur la question, il était là pour rendre un service au jeune homme qui évitait saignement son regard et sa proximité depuis des semaines désormais.

Il avait senti le regard du plus jeune sur lui toute la journée durant; il lui avait dit que ce n’était pas dérangeant de l’avoir dans la même pièce que lui pendant qu’il travaillait, parce-qu’il n’avait rien à lui cacher. Ce n’était pas dérangeant de se sentir observé lorsqu’il agissait comme tel puisqu’il était habitué à avoir à ses côtés des étudiants qui apprenaient de son expérience justement. Non, là où cela resta comme une sorte de brulure lente sur son épiderme, et ce encore alors que le soleil était couché désormais, c’était simplement le fait que ce soit Ambrose qui le regardait. Ben savait qu’ils étaient dans des circonstances différentes, et que ce n’était pas pour son plaisir personnel qu’il le faisait ou pour flatter son égo à lui; cela n’empêchait pas qu’il ne saurait rester réellement de marbre face à ce geste là - rester silencieux, oui, mais pas de marbre.

Et c’était parce-que la journée était déjà bien entamée et qu’il avait passé de longues heures à travailler qu’il proposa à Ambrose de commander quelque-chose à manger. « Commande pour toi. » Il pinça les lèvres un instant mais ne fit pas de commentaire. « Ca marche. » Il se doutait de la réponse qui lui aurait été fournie, mais il préférait tout de même demander; lui était en plein travail et avait l’habitude de ce genre de situation - si bien qu’il avait besoin d’énergie et ce n’était pas ce qu’il lisait dans le dossier sous ses yeux qui lui couperait l’appétit. En revanche pour Ambrose, il s’agissait de la santé et de l’avenir de son père, c’était on ne pouvait plus compréhensible qu’il soit moins enclin à avaler quelque-chose. Ruben ne pensa même pas un seul instant qu’il n’avait en plus de tout le reste en rien envie de partager un repas avec lui. Il attrapa son téléphone - ignora les messages et appels manqués sur l’écran d’accueil - et se serait mis à parcourir les menus proposés sur l’application de livraison la seconde suivante si la voix de Rose n’avait pas résonné de nouveau dans la chambre. « T’es en train de gagner du temps, là, ou pas ? » Les doigts de Ben arrêtèrent de naviguer sur l’écran, alors que son visage restait figé dans la même expression - il avait l’habitude d’être pris de court par ce type de paroles de la part des proches de ses patients, il n’en était pas à son premier rodéo et savait garder pour lui ce qui devait l’être tant que c’était nécessaire. « Parce que si c’est une mauvaise nouvelle, je l’ai déjà entendu une fois, alors tu sais… » Il savait, oui, comme il disait; ce n’était pas pour autant que ce serait réellement facile à entendre. Ambrose était fort, Ambrose était courageux; mais Ruben s’apprêtait à lui dire que la vie de son père touchait à sa fin et ce n’était pas quelque-chose que quelqu’un avait envie d’entendre.

Verrouillant l’appareil avant de le déposer sur la table devant lui, son regard se mit à parcourir les traits du visage du brun de l’autre côté de la pièce. Oui, il gagnait du temps - il ne savait pas s’il avait émis cette hypothèse en pensant avoir raison ou simplement pour prêcher d’abord le faux. Oui, il gagnait du temps parce-qu’il ne savait pas encore comment il voulait procéder à cette annonce; d’ordinaire, ce n’était même pas une question qu’il se posait car il avait des méthodes et des techniques testées et approuvées qui fonctionnaient pour la plupart des cas sur lesquels il bossait. Mais c’était Rose, face à lui - et il n’avait pas le loisir de se dire que c’était là un cas comme les autres, parce-que malgré tout ce qu’il pouvait en penser de son côté, ce n’était pas le cas pour Ruben. En revanche, il savait la carte qu’il jouerait: celle de l’honnêteté. « Je gagne un peu de temps, oui. » Qu’il finit par avouer, du bout des lèvres, après presque une minute de silence qui avait déjà répondu à la question par elle-même. « J’aurais voulu lui faire passer des examens. Qu’il a déjà eu, mais pour être sur de moi et confirmer ce que les précédents réalisés me disent sur papier. » S’ils avaient été au St Vincent, il aurait déjà demandé à ce qu’ils soient réalisés. Ils n’y étaient pas, et il marchait sur une corde raide. « J’aurais voulu faire un scan, et une batterie de tests sanguins. J’aurais voulu faire d’autres tests, j’en ai toute une liste en tête. » Le bout de son index grattait le dessus des feuilles du dossier, sachant très bien où ses paroles allaient et vers quelle finalité son discours se portait. « Ils auraient été pour tranquilliser ma conscience et pour n’avoir aucun doute, aucune hésitation, quand j’en serais arrivé à cette partie là de la conversation qu’on est en train d’avoir. » Parce-que c’était Ambrose et qu’il n’était pas question de lui annoncer quoi que ce soit qui pourrait être revu par la suite par des résultats contradictoires. Il n’y avait pas de chances que ce soit le cas en réalité, pour ce cas là.  Il inspira longuement. « Mais ma conclusion aurait été la même dans tous les cas. » Et parce-qu’il savait à quel point il était important de mettre les mots sur les maux: « Maintenir ton père en vie grâce aux soins et aux machines n’est plus nécessaire, Ambrose. Il ne reviendra pas. »

Et si Ruben ne lui répond pas dans la seconde qu’il ne gagne pas de temps, c’est justement parce qu’il continue de le faire. Déjà, Rose se mord l’intérieur de la lèvre et travaille sur la carapace qu’il doit se construire en vitesse. « J’aurais voulu lui faire passer des examens. Qu’il a déjà eu, mais pour être sur de moi et confirmer ce que les précédents réalisés me disent sur papier. » Mais son père a déjà passé des centaines d’examens sans même le savoir, alors c’est un point sur lequel le doute n’est pas permis: faire à nouveau ces tests serait une perte de temps et d’argent pour tout le monde. Ambrose refuse de faire passer son père avant d’autres personnes qui pourraient en avoir bien plus besoin que lui. « Ils auraient été pour tranquilliser ma conscience et pour n’avoir aucun doute, aucune hésitation, quand j’en serais arrivé à cette partie là de la conversation qu’on est en train d’avoir. » Ruben parle vite mais il n’hésite pas moins pour autant, et c’est rare pour Ambrose de l’observer dans de telles circonstances. Simplement, il aurait aimé que ce ne soit pas au détriment de la santé de son père, tout comme il aurait aimé que leur dernière discussion attende un peu plus: il aurait au moins pu prendre Ruben dans ses bras.

« Mais ma conclusion aurait été la même dans tous les cas. »
« Maintenir ton père en vie grâce aux soins et aux machines n’est plus nécessaire, Ambrose. Il ne reviendra pas. »

Ambrose inspire longuement et, cette fois, c’est son visage en entier qu’il enfouit entre ses genoux. Il ferme les yeux, noue ses bras autour de ses chevilles recroquevillées contre lui. Ce n’est pas la réponse qu’il voulait entendre, mais c’est évidemment celle à laquelle il s’attendait. « Il faut que je le dise à Norman. » Norman d’abord, la fratrie ensuite. Il saura le conseiller, il saura quoi lui dire. Il saura. Il sait toujours. Ambrose ne sait pas comment il va pouvoir le dire au reste de ses frères et sœurs, surtout alors qu’ils ont sans doute tous assimilé l’information bien avant lui. « On peut pas le débrancher maintenant. » Il finit par souffler. Il ne peut pas le faire pendant les fêtes de fin d’année et il ne peut pas non plus le faire en début d’année, incapable d’accepter l’idée que ce mois rime avec la mort de ses deux parents autant que son anniversaire. Ses mains s’accrochent autour de ses mollets pour canaliser une partie de la colère qu’il ressent. « Merci d’avoir pris le temps. » Il tente d’esquisser un sourire mais c’est trop lui demandé. Ruben n’était pas obligé de venir et il aurait eu toutes les raisons du monde de ne pas lui dédier sa journée, alors il le remercie sincèrement d’avoir tout de même tenu parole, surtout maintenant qu’il ne peut pas demander davantage de lui qu’un simple constat médical.

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@ambrose constantine

lieu: pacific wellness, logan city.
(c): maneskinss (gif), luleaby (codage).

***
Il n’existait aucune version de cette réalité où Ruben aurait refusé de venir ici aujourd’hui. Non seulement parce-qu’il l’avait promis à Ambrose que parce-qu’il n’était pas pensable pour lui de refuser de faire son métier, celui pour lequel il travaillait d’arrache-pied jour et nuit. Il n’y avait aucune version de la scène qui se déroulait sous leurs yeux où ce n’était pas lui qui prononçait ces mots à l’attention du jeune homme dans le fauteuil, de l’autre côté de la pièce; il n’existait pas non plus une variante où il préférait prendre le temps d’expliciter l’avis qui lui avait traversé l’esprit bien des fois déjà - et davantage à partir du moment où il avait passé le seuil de cette chambre. Jamais il ne se serait défilé dans tous les cas. Mais qu’il aurait préféré être ailleurs en cet instant alors que ses paroles, son verdict même se confrontait à la réalité de Rose et aux conséquences apportées à cette dernière. Il savait ce que c’était, de prendre quelqu’un qui vous était cher - malheureusement, il avait vécu cette situation de son côté de beaucoup trop près aussi. Lorsque son frère ainé les avait quitté, il aurait préféré être ailleurs aussi ce jour là et pourtant il ne se serait pas vu être placé ailleurs qu’à ses côtés. Il aurait préféré être ailleurs parce-que la douleur ne serait pas venue de suite, aurait été décalée dans le temps, aurait différé le moment où il n’aurait plus été de son monde. Il savait à quel point cela pouvait changer une vie sans équivoque; et il n’avait jamais souhaité que cela arrive à Ambrose. Encore moins que ce soit confirmé par ses propres dires, par son diagnostic et son jugement.

En cet instant, Ben aurait voulu être ici et ailleurs à la fois, parce-qu’il tenait à pouvoir accompagner Ambrose dans cette nouvelle et dans cette partie de sa vie qui allait rester marquée en lui à jamais, mais il aurait préféré ne pas être l’objet porteur de mauvaises nouvelles qu’il connaissait pourtant déjà. L’impact était juste différent parce-que c’était lui qui lui avait dit cette fois ci, il le savait. Il le voyait aussi, dans la façon dont il se tenait, là à l’opposé de lui. Se recroquevillant sur lui-même, cachant son visage à la vue du reste du monde. « Je suis désolé Ambrose. » Ben murmurait presque ces mots là, tant il ne voulait pas s’imposer mais il lui semblait important de le mentionner plutôt que de se le garder pour lui. « J’aurais voulu te donner d’autres nouvelles. »

« Il faut que je le dise à Norman. » Il allait devoir en parler à plus de monde qu’à Norman, mais ce n’était pas le moment pour Ruben de juger la façon dont il assimilait la chose et les actions qu’il désirait mener désormais et à la suite de cette journée. S’il désirait d’abord en parler à Norman, il était assez grand désormais pour faire les choix qui lui semblaient les plus pertinents. « On peut pas le débrancher maintenant. » Ruben secoua quelque peu son visage pour marquer la négation. « Y’a aucune raison de presser les choses. » Parce-que de toutes façons, les choses n’iraient que vers une seule évolution et que cette dernière ne se produirait pas sans effectivement une intervention humaine; alors ils n’étaient en rien pressés, Rose et sa famille avaient le temps de voir tout ça entre eux le temps désiré et nécessaire. Leur père était resté dans cet état de santé pendant des années, ce n’était pas quelques semaines qui changeraient quoi que ce soit à la donne de toutes façons - médicalement, il n’y avait aucun risque car plus la moindre cellule à sauver.

« Merci d’avoir pris le temps. » Il le referait sans hésiter un seul instant si la question lui était posée une seconde fois, malgré tout. « C’est pas grand chose. » Après tout, il avait les compétences médicales pour se permettre de faire un tel examen, les problèmes de santé du père d’Ambrose étant directement concernés par sa spécialité. Se redressant sur son propre siège, il croisa ses mains devant lui, laissant une seconde de silence et une autre peut-être encore s’écouler. « Si tu veux m’en parler, tu peux le faire. » Ben savait parfaitement que ce n’était pas pour tâtonner sur ce terrain là qu’Ambrose lui avait demandé de venir aujourd’hui, que ce n’étiat pas pour son soutien en tant qu’ami qu’il le remerciait d’être venu. Mais même s’il n’y croyait pas, le docteur maintenait ses paroles et sa vision de voir les choses: il tenait au brun et ne le laisserait pas tomber, pour aucune raison. S’il avait besoin de lui, il était là; s’il avait besoin de quoi que ce soit d’autre, il était là aussi - une épaule pour pleurer, une forme physique sur laquelle défouler sa colère même s’il le fallait. La seule chose qui importait pour lui, c’était qu’il puisse avoir la réaction qui lui semblait être celle adaptée et nécessaire pour assimiler les émotions évidentes qui le prenaient de toutes parts en cet instant. « Si t’as besoin de quelque-chose, je suis là, tu sais. » Mais il ne bougeait pas de l'endroit où il se tenait, car il avait compris qu’il n’était pas en mesure de s’imposer dans l’espace du jeune homme plus qu’il ne le faisait déjà à être dans la même pièce que lui.

« Je suis désolé Ambrose. J’aurais voulu te donner d’autres nouvelles. »

Il sait. Pour la première fois depuis de longues semaines, il n’en veut pas à Ruben. Ou tout du moins, il ne lui en veut pas pour ça, parce qu’il sait qu’il n’a en rien provoqué l’état dans lequel se trouve son père. Ils sont chacun assis sur leur siège dans un coin de la pièce, leurs quelques paroles enrobées par l’éternel bruit des machines qui continuent à maintenir son père en vie. Pour le moment du moins. Bientôt, ce ne sera plus le cas. Un jour, tout s’arrêtera. « Si tu veux m’en parler, tu peux le faire. » Il ne le sait pas mais il ne fait que remuer le couteau dans la plaie, Ben. Chacun de ses mots est un nouveau poignard qu’Ambrose a l’impression de recevoir en plein cœur. Sa joue est écrasée contre son genou, son regard est posé au niveau de la faible lueur provenant de l’autre côté de la porte de la chambre. Il voudrait parler à Ruben, il voudrait lui dire comment il se sent et il voudrait tout partager avec lui, absolument tout, mais il ne le peut pas. Sa bouche est pâteuse et son corps tout entier tire la sonnette d’alarme tant il a l’impression d’avoir chaud. « Si t’as besoin de quelque-chose, je suis là, tu sais. » Il aurait voulu une étreinte, laquelle aurait sans nul doute ouvert les valves. Mais il ne le demandera pas. Il ne peut pas.

Il préfère se mordre la joue et fermer longuement les yeux pour laisser deux larmes se frayer un chemin sur son visage. Deux seulement, avant d’essuyer leur chemin pris contre son jean. « Non, ça va. » Il ment pitoyablement sans chercher à être bon. Il sait qu’il ne risque pas de berner qui que ce soit, et surtout pas Ruben. « J’ai des dossiers à terminer. » Il se fraie un chemin vers la sortie, il trouve une excuse toute faite. Il a des dossiers à terminer, oui, mais il a aussi un patron qui serait le premier à comprendre qu’il n’a pas la tête à ça en cet instant même. Pourtant, il a encore moins la tête à passer du temps avec Ruben, d’une façon ou d’une autre. Il aurait aimé que tout se soit passé différemment, et il aurait aimé avoir le droit à une bien plus belle histoire à ses côtés. Ce qu’il commence enfin à accepter, cependant, c’est que ça n’arrivera jamais. Ni dans cette vie, ni dans aucune autre. Et maintenant, il n’y a plus rien qu’il puisse encore attendre de Ruben.

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Si en enfonçant de plus en plus son visage dans son genou, pour que sa joue n'en vienne à ne faire plus qu'un contre cette partie là de sa jambe, Ambrose pensait pouvoir échapper à l'observation accrue de Ruben à son égard en cet instant il s'enfonçait le doigt dans l'oeil jusqu'au coude - dans toute situation, il l'aurait observé avec attention mais aujourd'hui d'autant plus. Il savait que l'information qu'il venait de lui donner ne serait pas anodine pour lui, qu'elle allait l'impacter d'une façon ou d'une autre et il était hors de question pour Ben d'avoir son regard posé ailleurs plutôt que sur lui. Et même à distance, même en silence, il vit sans aucun mal de ce fait les deux seules larmes qui roulèrent sur les joues du brun; cela lui brisa le coeur et il ne chercherait même pas à le nier si la question lui était posée.

« Non, ça va. » Qu'il finit par prononcer après un temps qui sembla durer une éternité. Ambrose n'avait jamais vraiment été bon menteur, mais là qu'il ne cherchait pas à défendre le contraire c'était d'autant plus flagrant. Il n'allait pas bien, mais avec une telle réponse, il cherchait à éviter le soutien de Ben - et bien sur qu'au fon de lui, Ruben était énervé que ce soit le cas. Contrairement au fait que ce type de réaction lui brise le coeur, l'agacement qu'il pouvait ressentir vis-à-vis de cette situation ne se laissait pas voir lui. Ce n'était pas le moment, ce n'était pas l'endroit - même si bien sur une partie de lui trouvait cela idiot de refuser qu'il se montre disponible pour lui, pour qu'il puisse parler des émotions que son coeur portait alors que cela tombait presque sous le sens de le faire. « J’ai des dossiers à terminer. » Ambrose avait à peine terminé sa phrase qu'il était déjà debout et qu'il prenait déjà la fuite. « Rose... » Mais les mots de Ruben se dispersaient dans le courant d'air créé par le passage du jeune homme non-loin de lui, alors qu'il sortait de la pièce en quatrième vitesse comme si cette dernière le retenait prisonnier et qu'il manquait d'air à l'intérieur. La seule chose qui le retenait prisonnier en réalité en cet instant, c'était ses ressentis et la nouvelle annoncée qui se trouvait être étouffante à être supportée par un seul homme. Se levant à son tour de son fauteuil, Ben ne délogea en revanche pas sa silhouette de la place marquée par cette dernière désormais debout dans la chambre médicalisée - parce-que là il aurait voulu plus que tout partir à sa suite, il savait que sa présence n'avait été demandée en aucun cas et que cette dernière ne serait pas tolérée par Ambrose. Cela lui brisait le coeur une fois de plus, cela le frustrait énormément également - mais ce n'était pas le moment pour qu'ils aient cette discussion là; il n'était pas dans un état émotionnel qui le permettait et elle serait de toutes façons déplacée par rapport aux circonstances qui les entouraient.

A la place, après être resté un instant et un autre debout, Ruben se rendit à l'évidence et dans un soupire las, se laissa retomber à la place qu'il avait emprunté bien trop d'heures déjà pourtant dans cette journée. Se retrouver impuissant coup sur coup comme ça dans la même situation n'était pas dans ses habitudes et il pouvait déjà statuer qu'il détestait ce ressenti. Il se mit à faire la seule chose qui lui restait de disponible: rassembler les papiers du dossier du père de Rose pour rendre ce dernier à qui de droit - l'équipe médicale ici en l'occurrence. Remettant chaque feuille à sa place, complétant la totalité de sa prise de note à lui et de son compte-rendu détaillé de tout ce qu'il avait pu observer et des conclusions qu'il en tirait, il jeta un dernier coup d'oeil à l'homme allongé dans le lit alors qu'il étirait un petit sourire autant attendri que peiné. « Vous pouvez être fier de lui, vous savez. C'est un jeune homme formidable. » Parce-qu'il s'était toujours demandé si ce n'était pas le genre de paroles que son frère aurait voulu entendre avant de pousser son dernier souffle, si ce n'était pas le genre de choses que lui-même aurait voulu lui dire plutôt que de chercher mille et une solutions qui n'en seraient en aucun cas une. Peut-être parce-que dans cette situation, même s'il ne le connaissait pas, il avait l'occasion de dire au revoir à quelqu'un en connaissant l'issue d'une situation stable pour le moment mais qui connaitrait des jours plus sombres d'ici à peu de temps. Peut-être parce-que dire au revoir à son père, c'était là un geste à l'intention d'Ambrose qu'il faisait - même si ce dernier avait quitté la pièce et qu'il ne pouvait le voir agir de la sorte en cet instant. Il y avait mille et une raisons qui pourraient expliquer la raison pour laquelle Ruben se permettait une dernière parole avant de sortir à son tour de la pièce, lui-même ne connaissant pas réellement la véritable - en se disant qu'en réalité, cela n'avait aucune espèce d'importance alors qu'il déposait le dossier dans la bannette des infirmières de l'étage, s'éclipsant à son tour du bâtiment dans la nuit définitivement installée à l'extérieur de ce dernier.