@Ginny Williams

(novembre) Il a voulu déposer Ginny chez eux avant d’aller chercher Robin. Il lui a montré la chambre d’amis, il lui a montré sa salle de bain. Il lui a dit de faire comme chez elle, il lui a dit que la cuisine était à elle et que les placards sont plein de thés. Il lui a dit de ne pas arroser les plantes de Rory parce qu’elles sont capricieuses et que son mari lui a donné un emploi du temps bien précis (parce que Swann a tendance à les noyer, qu’il dit). Il lui a dit que Brownie adore les caresses mais qu’il ne sait pas rendre sa balle une fois cette dernière lancée. Du reste, il lui a dit revenir rapidement, et il a tenu promesse.

Après avoir eu l’impression d’abandonner sa fille pour mieux s’enfuir en courant, il avait besoin de la retrouver dans le calme. La fatigue est évidente après avoir roulé jusqu’à Sydney puis en être revenu sans jamais vouloir prendre le temps d’une pause, mais il ne dormira toujours pas avant de savoir à nouveau sa fille près de lui. Greta s’en est sûrement parfaitement bien occupée, il n’en doute pas un seul instant, mais il ne veut pas lui imposer sa présence davantage, surtout alors qu’un bambin de son âge demande particulièrement d’attention. Si bien qu’il ne s’est pas longuement étalé auprès de son amie, se contentant de la remercier chaleureusement de son aide et de promettre qu’à l’avenir, il la préviendra en avance. Pour le moment encore, il ferme un instant les yeux au contact de sa fille contre son torse, cette dernière comprenant à peine qu’elle est en train de passer d’une maison à une autre tant elle dort profondément.

« Gin ? » Ce n’est pas la voix d’un frère qui se demande dans quelle pièce de la maison elle peut se trouver ; c’est la voix d’un frère qui est en droit de se demander si elle est encore là et si elle n’a pas profité de sa demie heure d’absence pour filer à nouveau Dieu sait où. Il voudrait avoir une confiance pleine et entière envers elle, mais il va avoir besoin de temps pour ça. « On est rentrés. » Swann s’efforce de ne pas laisser transparaître ses doutes et ses craintes à travers son timbre de voix, lui qui pose les affaires de Robin dans l’entrée comme si de rien n’était. Il la garde toujours dans ses bras, officiellement pour ne pas risquer de la réveiller, officieusement parce qu’il veut la garder près de lui aussi longtemps que possible. Si Rory avait été là, il aurait sans doute ressenti le besoin de le serrer dans ses bras à son tour, mais il n’en veut pas un seul instant à son mari de vivre sa passion. Qui plus est, il n’aurait jamais pu anticiper la suite d’événements. « Robin est là. » Et il est temps qu’elle la voit en chair et en os et non plus seulement à travers une photo. Elle est sa tante, après tout et malgré tout.

« Gin ? »
« On est rentrés. »
« Robin est là. »

Le miroir me renvoie quelqu’un que je ne reconnais que peu. Une vague connaissance, une bribe d’un entourage lointain, une amitié qui date. Une personne pour qui je me retournerais, sur le trottoir, avec un sourire sur les lèvres mais un point d’interrogation dans les yeux. La douche que j’ai prise était ridiculement longue, et bouillante à l'extrême. Une part de moi avait besoin de nettoyer les dernières heures, les larmes et les doutes qui allaient avec. Les questions sans réponses, les sursauts dans la voiture alors que malgré moi je m’y suis endormie. Une douche qui, dans un monde parallèle, aurait pu nettoyer tout ce que les deux dernières années ont laissé de crasse sur ma peau tellement les yeux de Swann ont dévisagés la Ginny qu’ils voyaient de nouveau. Si la signification rhétorique d’un lavage de cheveux en bonne et due forme n’existait pas, par contre, on pourrait croire que c’est un exercice qui m’a permis de faire un pas de plus vers mon frère. Avec la plus grande des délicatesses, j’ai manipulé chacune des bouteilles de savon, de shampooing, de revitalisant qui lui appartenait. Pris le temps de sentir chacune des odeurs, de chercher à travers les parfums celui, ceux qu’il dégageait dans la voiture. Est-ce que Swann était infusé de lavande, ou de cyprès? Est-ce que ses mains et ses bras étaient plutôt orange douce ou huile de noix de coco? Et j’ai tout tenté, les combinaisons, j’ai savamment empilé les fragrances de manière à ce que chaque centimètre de moi soit exactement, précisément identique à Swann. Comme si respirer la même effluve que lui signifiait que je faisais partie de sa famille à nouveau. Comme si un mélange approximatif de plantes, de fruits et de fleurs pouvait me donner un sentiment d’appartenance ; stupide. C’est pour ça, que je me dévisage depuis presque dix minutes, dans la glace. Depuis quand est-ce que j’ai besoin de me rattacher à quoi que ce soit de plus qu’à l’amour qu’on se porte l’un l’autre pour croire que Swann et moi sommes de la même famille?

« J’arrive. » resserrant la ceinture de la robe de chambre deux fois trop grande que j’ai empruntée dans les affaires de mon frère, j’essore une dernière fois mes cheveux encore trempés avant de quitter la salle de bain pour le rejoindre. J’ai mémorisé le passage de l’entrée à l’étage assez facilement, la villa dans laquelle il habite misant sur les grandes pièces, sur la lumière, sur l’espace à vivre. Si j’avais rêvé une maison une seule pour Swann, pour qu’il y évolue et qu’il y bâtisse sa vie idéale, j’aurais espéré que ce soit ici. Tout lui ressemble, tout brille. Robin aussi, brille. « Oh. » ce n’est qu’une micro minute plus tard que je finis par les rejoindre, mon regard passant de l’un à l’autre sans jamais avoir envie de les lâcher des yeux. Elle est minuscule, blottie contre lui, endormie. Probablement la plus rassurée de tous maintenant qu’elle a de nouveau accès à la chaleur de son père. J’ignore où elle était, pendant qu’il était avec moi. J’ignorais aussi à quel point j’ai pu être égoïste de croire que Swann allait pouvoir laisser sa vie en suspens rien que pour venir me cueillir à douze heures de route dans la mienne. La gorge serrée mais le coeur qui déborde, je me permets de me hisser sur la pointe des pieds pour bien rencontrer la petite perle qui, sans faire quoi que ce soit de plus que d’exister, rend le regard de mon frère si brillant d’émotion et de fierté. « Elle est tellement chanceuse de t’avoir comme papa. »

Il soupçonne Robin de ne pas avoir beaucoup dormi chez Greta tant elle semble avoir désormais les paupières lourdes. Elle a trouvé le sommeil à la seconde où elle est entrée dans la voiture, elle n’a cessé de dormir depuis qu’il a échangé son siège auto pour la chaleur de ses bras et celle de ses baisers, soulagés de la retrouver. Swann savait que Greta s’en occuperait comme de son propre sang et c’est pour cette seule raison qu’il l’a confiée aux bons soins de son amie, mais cela ne peut pas être comparé au soulagement et au bonheur de la retrouver. Après tout, il n’est pas habitué à son absence, et il y a fort à parier qu’il sera celui souffrant le plus de ses premiers jours à l’école alors que la toute jeune Robin, de son côté, pensera plutôt au nouveau monde s’offrant à elle. Pour l’heure, la question ne se pose pas, et il recoiffe ses cheveux aussi fins que éparses sous les mouvements de son annulaire, sans exercer la moindre pression. Il l’aime tellement, au point où il ne sait déjà plus vraiment à quoi ressemblait la vie avant qu’elle n’en fasse partie. Ce qu’il sait, c’est que Rory le rendait infiniment heureux, et qu’il le fait toujours.

L’émotion se lit sans censure dans le regard d’une Ginny débordante de bonheur. Elle s’approche de Robin sans qu’il ne juge nécessaire de lui demander de faire doucement: elle était mère bien avant qu’il ne soit père ; elle sait gérer, et elle sait sans doute bien mieux gérer que lui. Il sera celui lui demandant conseils et non l’inverse. « Elle est tellement chanceuse de t’avoir comme papa. » Il se pince les lèvres, touché d’entendre de tels mots. Swann a a vu s’accumuler de trop nombreuses émotions récemment, mais celle-ci est douce et pure. Elle est belle, simplement belle. « Et t’as même pas encore vu son autre papa. » Il ajoute dans un sourire ému, Rory faisant à son tour un travail parfait aux côtés de leur fille. Déjà, il a hâte qu’il rentre de tournage pour la retrouver, parce qu’il sait qu’il n’y a qu’auprès de sa famille qu’il se sent véritablement complet et heureux. « Tu veux la tenir ? » Il n’a pas peur qu’elle parte en courant avec Robin, maintenant, alors il se permet de lui faire la proposition avec sincérité, sans craindre qu’elle puisse répondre positivement. Au contraire, il serait heureux que ce soit le cas. Après tout, Ginny est aussi sa famille. Peu importe ce que disent les liens du sang, il la considérera toujours comme sa propre soeur. « C’est ta nièce, quand même. » Et si elle est sa soeur, alors Robin est sa nièce, et personne ne pourrait démentir de telles paroles, encore moins alors qu’il est évident qu’elles ont tout pour le rendre particulièrement heureux et dissiper toute la fatigue accumulée qui était la sienne. En présence de Robin, plus rien d’autre n’existe, et cela est une vérité absolue depuis le jour où il a enfin pu poser son regard dans celui de celle qu’il savait qu’il appellerait un jour sa fille.

Ce sont les mèches trempées collées à l’arrière de ma nuque qui me rappellent qu’une minute plus tôt j’étais en panique, dans la salle de bain de mon frère. Autrement j’aurais tout oublié, tout rangé sous un immense tapis lourd de deux ans d’accumulation et de poussière tellement l’image de Swann et de Robin me déstabilise de la plus douce des façons. « Et t’as même pas encore vu son autre papa. » le simple fait qu’il puisse bâtir tout ça avec Rory panse bien des blessures que j’aurais pu porter en commun avec Swann, sans même que ce puisse en être autrement. Il vit la vie qu’il a toujours méritée, celle qu’il ne croyait pas être digne d’avoir, celle qu’il cachait lui-même sous son propre tapis, fût un temps pas si lointain que ça. Ce serait abominablement égoïste de penser brièvement que mon absence lui avait permis d’enfin de consacrer à faire autre chose qu’à guérir mon coeur éternellement amoché pour s’occuper du sien et de tout ce dont il avait besoin pour le remplir des bonnes personnes, et des bons sentiments. Encore une fois, un simple coup d’oeil à Robin m’empêche de sombrer dans ce genre de remords. « Il est pas mal lui aussi, j’en doute pas une seule seconde. » Swann sait très bien que je porte Rory dans mon coeur depuis la toute première fois où je l’ai rencontré. Peu importe les stratagèmes que Swann avait pu mettre en place pour limiter les indices à son propos. Je ne le connaîtrais pas que je l’estimerais beaucoup de toute façon, à la manière dont il aime Swann bien plus et bien mieux que personne ne le réussira jamais. « Mais tu peux pas me blâmer d’avoir un préféré. » fût un temps, cette phrase était utilisée pour secouer la hiérarchie familiale, alors que je la scandais haut et fort, sournoise au possible, devant un Matt outré. Le pincement au coeur est bref mais violent.

« Tu veux la tenir ? » sans même le savoir, ou en le sachant parfaitement, Swann vient pour une énième fois à la rescousse de mon regard voilé. « C’est ta nièce, quand même. » il esquisse un mouvement vers moi et je l’imite, la voix enrouée. « J’ai le droit? » la question remonte toute seule, comme si elle lui donnait le droit qu’il n’a même pas besoin d’avoir pour refuser de laisser Robin entre mes bras. Elle a bien vécu sans savoir que j’existais pendant assez de temps pour qu’il ait le temps de réfléchir à savoir si mon retour justifiait que je n’ai pas la chance de la côtoyer. Que je ne le mérite pas. Puis, il y a cette sensation, cette chaleur, cette lumière qui chasse les questions, les doutes, les angoisses et les craintes de remonter une nouvelle fois depuis le miroir et la douche bouillante. Robin ouvre un oeil puis un autre, et ses iris qui n’ont rien vu d’autre que l’amour de tous ceux qui l’entourent se vrillent dans les miens. Tout disparaît et il n’y a qu’elle. Qu’elle blottit contre moi. « Comment est-ce que tu te sens? » j’efface la question précédente, la rature avec l’énergie de celle qui secoue la tête et qui change l’énergie dans la pièce, entièrement immobile tant Robin entre mes mains est fragile, précieuse. « Je veux faire une trêve. » mes mots vont vers Swann mais mon attention n’est que sur sa fille. « Demain je te dirai tout ce que tu veux savoir, si tu veux savoir quoi que ce soit. » les raisons que j’ai effleurées, dans la voiture, entre deux siestes ponctuées de réveils brusques et de cris causés par des cauchemars brouillés. Tout ça est sale, tout ça est inutile. Tout ça peut attendre. « Mais aujourd’hui, je veux que ce soit qu’à propos de Robin, et de toi. »

Bien que Ginny n’ait toujours pas pu revoir Rory, son mari a déjà parlé des dizaines et des dizaines de fois de lui, comme s’il n’avait que son prénom à la bouche. Il sait pourtant qu’il ne serait nulle part sans lui et que cela représente une raison suffisante pour vanter ses mérites autant que tout l’amour qu’il lui porte. « Il est pas mal lui aussi, j’en doute pas une seule seconde. » Elle connaît le discours, depuis le temps. Elle ne l’a jamais entendu aussi frontalement et simplement, mais elle sait ce qu’il a toujours ressenti pour l’acteur et aujourd’hui celui qu’il appelle papa dès qu’il parle à Robin - sans obtenir de réelles réponses. « Mais tu peux pas me blâmer d’avoir un préféré. » Il sourit tendrement, lui qui a encore du mal à se rendre compte qu’elle est bel et bien face à lui et que, surtout, elle le sera demain encore. « Surtout si c’est moi, en effet, ça se comprend. » qu’il rajoute dans un rire, ayant tout appris de Matt et de son faux ego.

Avec plus de sérieux, il en vient à demander à Ginny si elle veut prendre le nourrisson dans ses bras, bien conscient de l’importance d’un geste pourtant terriblement anodin en apparence. « J’ai le droit? » Et il prend le temps de travailler un sourire infiniment doux, aussi doux que l’est le hochement de tête l’accompagnant: il lui en donne le droit et il ne pense pas un seul instant faire le mauvais choix. Ginny était mère bien avant qu’il ne soit père ; elle sait s’y prendre avec les enfants. Avec elle, Robin sera en sécurité, et cela suffit pour que Swann la laisse entre ses bras. Le bambin ouvre des yeux curieux sans pour autant se plaindre du changement. « Comment est-ce que tu te sens? » Cette question, il l’a entendue des centaines de fois. Il l’a entendue dans le cadre du quotidien et de la politesse, comme tout le monde, mais il l’a surtout entendue parce qu’il n’a eu de cesse de susciter les craintes de ses proches, encore et encore. Pourtant, cette fois-ci, c’est un regard presque effrayé qu’il partage avec Ginny: il se demande pourquoi la question vient maintenant et il se demande même pourquoi la question arrive, tout court. Est-ce qu’il a laissé paraître quelque chose ? Mais quoi ? « Je veux faire une trêve. Demain je te dirai tout ce que tu veux savoir, si tu veux savoir quoi que ce soit. » Il hoche la tête, soucieux d’entendre toute l’histoire au moins une fois. Peu importe à quel point ça fera mal, il veut tout entendre. « Je veux tout savoir. » Ce n’est pas une façon de parler. Il veut tout savoir au point où il ne tarde pas pour le lui préciser, parce qu’il ne veut pas rater sa chance qu’elle lui explique tout. « Mais aujourd’hui, je veux que ce soit qu’à propos de Robin, et de toi. » Le pacte lui convient. « Je vais bien, tu sais. » Si elle veut parler de lui, alors il ne rechigne pas. Il va sincèrement bien, et même mieux que jamais. Il est à un stade de bonheur qu’elle n’a jamais connu chez lui ; et qu’il n’avait lui-même pas connu avant peu. « J’ai… Tout va mieux, maintenant. Tout va bien. » Il prend le temps de remonter ses manches longues pour lui montrer son tatouage remontant le long de ses deux avant-bras. L’encre cache parfaitement ses cicatrices, dont personne ne pourrait se douter l’existence. Mais Ginny, elle, a tout vu. Elle connaît. Et elle tient Robin entre ses bras, que Swann ne sait faire autrement qu’embrasser contre sa tempe. « Elle a tout changé. » Pour le meilleur, évidemment. « Noah et Sloan ont bien grandi, eux aussi. » Il avance avec un brin d’hésitation, mais toujours avec optimisme. Robin est la prunelle de ses yeux et il l’aime plus que tout au monde, et cela lui permet de comprendre à quel point elle a sans doute hâte de retrouver ses deux fils, elle aussi. « Le sujet doit attendre demain ? » Il demande sérieusement, prêt à s’adapter aux demandes et besoins de Ginny. Si elle ne veut pas parler de ses fils, alors ils le feront plus tard et il ne lui en voudra pas le moins du monde ; il le jure.

Il pourrait y avoir une petite trame de piano, qui joue en trame de fond. Un rayon de soleil qui se casse à ses orteils, des oiseaux qui chanteant dans la cour, rien que des sourires et des regards brillants partagés. Quand Swann pose avec délicatesse Robin entre mes bras, tous les clichés pourraient pleuvoir que rien ne serait à la hauteur du coup d’oeil curieux qu’elle me renvoie. Ses prunelles scrutent, cherchent, s’amusent, oublient les filtres et n’en ont tout simplement pas besoin. Elle voit la vie aussi belle qu’elle peut l'être, quand rien ne l'a salit ou ne l’assombrit, et sans même en douter je me fais la promesse de tout faire, toujours, pour que l’existence de ce petit ange soit aussi douce que possible. Qu’elle n’ait pas besoin d’enlever ses lunettes de bonheur une seule fois, quand je serai dans ses parages. « Surtout si c’est moi, en effet, ça se comprend. » Matt l’aurait recouverte de cadeaux. Il aurait fait une crise de ne pas être parrain ET marraine. Il l’aurait choyée au point où elle serait devenue une enfant gâtée de la pire espèce. Matt me manque à un point où un creux se forme dans mon ventre, un vide qui remonte jusqu’à ma gorge, et que je chasse d’une inspiration et d’une esquive de plus. On parlera des sujets qui fâchent demain. « Je veux tout savoir. » je relève les yeux de Robin strictement pour plonger mon regard dans celui de mon frère et qu’il y voit bien que je le lui jure. Toutes les réponses, toutes les précisions, toute la chronologie au grand complet, il l’aura. Le secret qu’elles m’ont fait promettre de garder tombera en poussière dès qu’il l’abordera de près ou de loin et j’ose espérer que Swann le sait.

« Je vais bien, tu sais. » il semble douter, une seconde. Pas de bien aller, mais de quelque chose d’autre. J’arrivais à lire si bien, si parfaitement en lui avant. Des cartes me manquent, j’ai la serrure et la clé mais j’ignore comment tourner l’engrenage. Je prends ce qu’il me donne. «  J’ai… Tout va mieux, maintenant. Tout va bien. » ses mots s’accompagnent d’un mouvement imperceptible, une manche qu’il remonte, un tatouage délicat qui cache quelque chose de bien plus atroce que ça. Du bout des doigts, je caresse l’arrière de la nuque de Robin qui ne s’endort pas encore tout à fait mais qui ne bouge presque pas, pas assez pour que je juge bon de la rendre à son père. Encore une seconde. « Elle a tout changé. » comme Noah. Swann n’a pas besoin de dire quoi que ce soit que je sais qu’il le pense. Ces enfants qui arrivent comme des bénédictions. Ces cadeaux qui nous sortent de notre tête, qui nous poussent dans nos retranchements. Qui nous permettent de nous aimer, dans un rôle où on les protège et où on les aime encore plus. « Noah et Sloan ont bien grandi, eux aussi. » ces enfants qui me manquent terriblement. Ceux que lâchement j’ai une peur panique d’aborder. « Le sujet doit attendre demain ? » « Pas eux. Eux, on peut en parler. » parce qu’ils sont mes bénédictions à moi. Peu importe ce que les prochain jours et les prochaines conversations pourront amener, peu importe les accusations à venir qui m’incrimineront si fort que j’arriverai sournoisement à douter, moi aussi. « Est-ce que - est-ce qu’ils pensaient la même chose que toi? » un baiser s’est perdu sur le front de Robin entre temps. « Que j’étais morte? » j’ai fini par redresser la tête, non pas pour confronter Swann mais surtout la réponse qu’il aura à ma question. Confronter n’est pas le bon mot. J’en ai peu de toute façon, des mots, aujourd’hui. Sauf peut-être ceux-ci, soufflés, qui font écho aux fleurs à son poignet et à celles que j’ai senti remplacer les aiguilles, à Sydney. « Je me sentais tellement vivante, quand j’étais là-bas. »

Il observera toujours sa fille avec ces mêmes yeux remplis d’amour, il le jure. Il l’aimera toujours, même si elle pourrait lui dire des atrocités à l’adolescence. Jamais Swann ne pourrait oublier à quel point elle fait de lui un homme comblé, ce qui est un sentiment très largement complété par l’amour que Rory lui donne, et qu’il lui rend entièrement en retour. « Pas eux. Eux, on peut en parler. » Il a osé aborder le sujet de Noah et Sloan du bout des lèvres parce qu’à sa place, il aurait aimé savoir comment vont ses enfants et il est soulagé que Ginny ne repousse pas le sujet à plus tard. Elle a le droit de prendre son temps, elle a le droit d’avoir besoin de temps mais il est soulagé qu’elle n’en demande pas davantage au sujet de ses fils, qu’elle a toujours aimé d’un amour incommensurable. Il comprend plus que jamais un tel amour maintenant qu’il ressent la même chose à l’égard de Robin, qu’il couve du même regard depuis qu’elle est dans les bras de sa sœur et qu’il mentirait s’il disait ne pas ressentir un creux contre son torse.

Mais Ginny ne tarde pas à revenir à l’attaque avec ses questions, le tirant de ses pensées où il était déjà venu se réfugier. « Est-ce que - est-ce qu’ils pensaient la même chose que toi? Que j’étais morte? » Il l’observe être délicate avec sa propre fille et il se demande comment elle a pu vivre de ses enfants aussi longtemps, sans chercher à entrer en contact avec eux ou même les voir de ses propres yeux. Elle sait que Noah n’a pas eu une vie facile, elle était à ses côtés, mais elle l’a quand même laissé devoir s’habituer à une nouvelle famille, pour une énième fois dont tout le monde a perdu le compte. « Je sais pas. Je pense qu’on a tous fini par le croire, parce que c’est l’explication qui faisait du sens. » Parce qu’il n’y a pas besoin de la connaître pour savoir qu’elle aime ses fils plus qu’elle s’aime elle-même et qu’il n’y a pas de monde dans lequel elle aurait pu vivre sans eux. « Je me sentais tellement vivante, quand j’étais là-bas. » Il se pince à nouveau les lèvres. Swann jure qu’il veut savoir et qu’il veut comprendre, mais cela ne se fera pas sans être un peu plus dévasté. Ça l’attriste au plus haut point de l’entendre vanter les mérites d’un là-bas alors qu’ils étaient tous ici à l’attendre. « On dirait que tu regrettes d’être partie, à t’entendre. » Il annonce avec une tristesse infinie. Il l’a vue, Ginny qui doute, Ginny qui hésite, Ginny qui a perdu tous ses repères en peu de temps. « Tu vas y retourner, là-bas ? » A son tour, il a besoin de savoir s’il peut s’habituer de nouveau à sa présence ou s’il doit y rester perméable, pour son propre bien.

« Je sais pas. Je pense qu’on a tous fini par le croire, parce que c’est l’explication qui faisait du sens. » le changement de ton dans la voix de Swann est subtil, pour n’importe qui n’ayant pas passé une grande partie de sa vie à analyser chacun de ses mots et de ses gestes pour maximiser le temps passé à ses côtés. Avoir un frère qu’on ne rencontre que des années après sa naissance fait cet effet, souvent. Je n’ai jamais autant emmagasiné d’informations sur quelqu’un que lorsque Swann était dans la pièce. « On dirait que tu regrettes d’être partie, à t’entendre. » c’est pourquoi ces mots ne me surprennent pas, lorsqu’il les dit, lui qui les pense depuis au moins une bonne poignée de minutes et probablement même d’heures si on est tous les deux honnêtes avec nous-mêmes. « Tu vas y retourner, là-bas ? » « Non. » ma réponse vient vite, mais pas assez pour être fausse, précipitée, ou irréfléchie. Je sais très bien que je n’y retournerai pas. Au moment où j’ai pris la décision de partir, je savais déjà que je ne reviendrais pas en arrière, que mon séjour était fini, complet. Que Swann ait besoin de me l’entendre dire ne me froisse pas. « Jamais. » il peut me le demander autant de fois qu’il le voudra, dans tous les contextes et à toutes les sauces, la réponse sera la même. J’ai été chercher ce dont j’avais besoin, j’ai rempli toutes mes malles, tous mes dossiers, tous ces tiroirs vides d’inspiration et de confiance, de forces et de foi. Tout ça, ça déborde maintenant.

Et donc, mes fils me croyaient morte. La révélation qui n’en est pas une puisqu’elle me triture l’esprit depuis que Swann m’en a parlé pour la première fois à Sydney. Dans aucun scénario je saurais quoi dire, à Noah ou à Sloan, si je les avais devant moi en ce moment. Il n’y a aucune réponse valable, aucune explication censée, aucune excuse qui puisse mériter qu’ils l’entendent, s’ils ont vécu mon deuil. Swann est dur, mais Swann est juste. Il ne dit rien qui soit foncièrement méchant, ne me regarde pas avec de la colère qui n’est pas au moins un poil méritée. Mon frère est ce médiateur qui s’implique lorsque le bien-être de tous est à la clé, et je sais qu’il ne se permettrait pas de me rappeler à l’ordre ainsi s’il ne savait pas avec pertinence que c’est la bonne chose à faire. « Tu sais que chaque soir, je regardais les étoiles? » après un dernier baiser sur le front de Robin, je laisse à ma nièce ce qu’elle réclame maintenant, en silence mais les yeux rivés sur Swann. Une fois certaine qu’elle est bien reposée dans les bras de mon frère et qu’elle pourra y trouver doucement sommeil, je reprends, les doigts jouant les uns avec les autres. « Et je les entendais les regarder avec moi. » c’était notre habitude, avant, de s’installer dans le jardins avec des tonnes de coussins, de couvertures, d’oreillers, et de regarder les ciels de nuit jusqu’à ce que nos yeux piquent de fatigue. Noah posait des questions sur chacune des étoiles, Sloan pointait tout ce qui brillait et tout ce qui ne brillait pas en gazouillant. Swann était avec nous, parfois. « C’est comme ça que je survivais à leur silence. » parce qu’ils n’ont pas été les seuls, à vivre face à un mur. « Une fois qu’on est là-bas, c’est compliqué d’en sortir pour aller voir pourquoi personne ne nous répond. » ne pas recevoir de lettres ni même de maigres réponses de leur part me tuait à petit feu sans que je ne puisse faire quoi que ce soit d’autre qu’attendre, et espérer qu’un jour ils me donnent signe de vie. « …surtout quand on les comprend, d’ignorer leur mère qui est partie. »

Il avait terriblement besoin de verbaliser les pensées qui l’accablaient depuis de longues minutes déjà, si ce n’étaient des heures, à savoir la crainte que Ginny veuille déjà tout abandonner de Brisbane pour retourner dans ce là-bas indéfinissable. « Non. » Tant mieux. Il hoche la tête avec gravité, rassuré. « Jamais. » Ca, seul l’avenir le dira, mais il veut croire que Ginny sait ce qu’elle dit et qu’elle a déjà fait l’erreur une fois pour oser la commettre une seconde. « Tu sais que chaque soir, je regardais les étoiles? » Il ne le sait pas, non, bien sûr. Comment pourrait-il avoir connaissance de ça, lui qui la pensait morte au même titre que l’est toujours Matt ? Pour lui, ça n’a rien d’une erreur. Ils n’ont pas vu le corps, trop abîmé après avoir été malmené par l’océan et ses vagues, mais n’en reste pas moins que son sort n’a pas fait l’objet du moindre doute.

Robin retrouve ses bras, il l’enserre avec l’éternelle même délicatesse et l’éternel même amour aussi. Il a hâte qu’elle retrouve Rory, autant qu’il a lui aussi hâte de le retrouver. « Et je les entendais les regarder avec moi. C’est comme ça que je survivais à leur silence. » Parfois, il trouve inquiétante la facilité avec laquelle il arrive à comprendre sa sœur. Il craint de faire les mêmes choix de vie, il craint de tout abandonner du jour au lendemain sans raison apparente. Il a beau savoir que sa décision n’était pas la bonne, ni pour elle ni pour sa famille, il ne peut s’empêcher de lui chercher des circonstances atténuantes. Il en vient même à se dire qu’elle a été la plus forte d’entre tous, finalement, et s’il met assez du sien dans son mensonge alors peut-être que la vérité fera un peu moins mal à son tour. « Une fois qu’on est là-bas, c’est compliqué d’en sortir pour aller voir pourquoi personne ne nous répond… surtout quand on les comprend, d’ignorer leur mère qui est partie. » - « Je sais pas ce qu’ils t’ont dit, là-bas, mais y’a pas un monde dans lequel Noah s’est pas languit de toi. » Il ne peut pas en dire de même de Sloan, trop jeune pour comprendre de tels concepts, mais il peut au moins parler pour le plus âgé de ses fils qui connaît un peu trop bien le sentiment d’abandon pour sa part. « J’ai besoin de dormir mais on ira les voir demain si tu veux, ok ? » Il propose son aide et son soutien si jamais elle le juge nécessaire mais il est aussi prêt à la laisser discuter avec les premiers concernés seule si elle pense que ce serait une meilleure idée. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il n’a pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures et qu’il a besoin de repos avant de prendre la moindre décision. Et cela ne fera pas de mal non plus à Ginny, qui a besoin de s’adapter de nouveau à la vie à Brisbane. « Tu as tout ce que tu veux dans le frigo et… fais comme chez toi. » Si elle veut s’occuper de n’importe quelle autre manière, qu’elle le fasse. Il n’y a plus de règles, ici, et personne pour la museler. « Je vais la coucher. » Robin aussi a besoin de sommeil, parce qu’il imagine déjà qu’elle a sûrement eu du mal à comprendre pourquoi elle était soudainement chez Greta. « Je suis content que tu sois de retour à la maison. » Dans sa maison, certes, mais surtout à Brisbane. Qu’elle soit de retour chez elle, enfin.

« Je sais pas ce qu’ils t’ont dit, là-bas, mais y’a pas un monde dans lequel Noah s’est pas languit de toi. » à quelque part, même si la voix de Swann déborde de confiance et de certitude, j’avais besoin de l’entendre. Même si le monde entier est persuadé que jamais mon fils, Ezra, ou mon frère ne m’aurait laissée sans réponse, n’en reste que j’ai douté. Que je doute encore, que les marques sont là, bien au chaud, bien creuses et piquantes sous ma peau. J’ai véritablement cru, des semaines et des mois durant, qu’ils ne voulaient plus de moi. Que mes démons avaient gagné, qu’ils avaient raison et que j’en avais eu la preuve une bonne fois pour toutes. Swann a mal et ça, j’arrive à le reconnaître. J’avais le même discours que lui. Quand elles me disaient que je n’avais rien reçu, que les réponses n’étaient pas entrées, qu’encore une journée de plus s’était écoulée sans qu’ils ne m’écrivent. Je ne les croyais pas au départ, je n’ai pas voulu les croire avant un long moment. Le rejet est sournois quand on croit en être la cause ; il s’immisce comme un serpent vénéneux. « J’ai besoin de dormir mais on ira les voir demain si tu veux, ok ? » à ses mots, je sens à mon tour une immense fatigue commencer à me piquer les yeux. La route, les aveux, les conversations à demi-mots, la panique. Robin semble si sereine dans les bras de Swann. Pendant une minuscule seconde, je suis jalouse de la capacité qu’il a à rassurer sa fille à ce point sur le monde en entier et sur ce qui la guette dehors. J’aimerais qu’il puisse faire la même chose avec moi. J’aimerais que de sentir le poids de son bras autour de moi suffise à ce que tous mes problèmes disparaissent le temps d’une toute petite nuit de rien du tout.  

« Tu as tout ce que tu veux dans le frigo et… fais comme chez toi. Je vais la coucher. Je suis content que tu sois de retour à la maison. » j’hoche de la tête à quelque part à travers son discours, immobile mais les yeux qui suivent mon frère là où ses pas le mènent. Je reste posée où il me laisse de longues minutes durant, après. L’entendre vaquer dans la maison qui est la sienne, prendre ses marques, faire craquer le parquet lorsqu’il passe à la chambre de sa fille, lorsqu’il ferme les lumières, qu’il monte un étage, ou en descend un autre. J’ignore l’heure qu’il est lorsque, toujours sans avoir fait le moindre geste dans le noir, je me décide à enfin avancer. J’aurais pu facilement m’écrouler de sommeil en plein couloir, sur un tapis ou contre le dossier d’un canapé. Passant devant ce qui je suppose est la chambre d’amis que Swann m’a dédiée, je finis quand même par faire comme chez moi en cherchant la chambre de mon frère. Sachant que Rory n’est pas là et que je ne m’imposerais pas à ce point dans leur vie en plus de tout le reste, je me glisse à aux côtés de Swann sous les draps, le plus délicatement possible. J’ai toujours en tête cette image de Robin, si bien, si blottie, si calme contre le torse de mon frère. C’est ce que je recherche avec avidité, déposant ma tête sur l’oreiller à sa gauche et fermant les paupières à contact de ma tempe sur le tissu. Sans aucune surprise, une fois ma dernière expiration lâchée doucement, c’est un sommeil sans rêve et lourd au possible qui m’attend.