Le décor était le même, quotidiennement, et le côté aseptisé et immaculé de l’hôpital St Vincent n’avait plus rien d’impressionnant pour Diego. Dans quelques mois, il deviendrait titulaire, et ce constat renforçait ce sentiment de ne plus aller dans la bonne direction qu’il ressentait depuis la mort de Maria. Il avançait, comme poussé par un mécanisme, une routine, et non plus par vocation. C’était un sentiment amer avec lequel il était difficile de cohabiter mais Diego continuait à trouver la force de se lever chaque matin grâce à des patients qui n’avaient rien à voir dans ce qu’il avait vécu. Il s’était démotivé parce que perdre Maria lui avait laissé entendre que tout ce qu’il faisait était vain, mais il était assez intelligent pour savoir que les choses n’étaient jamais toutes roses ou noires et que les nuances étaient possibles dans un métier comme le sien. Il sauvait des patients, il en perdait certains, et s’il vivait une période de doute liée à cette fatalité qui le renvoyait parfois trop au portrait de sa petite sœur, il savait qu’il ne pouvait pas les abandonner. Ces enfants qu’il apprenait à connaître, ceux avec qui il s’efforçait de nouer un certain lien avant de leur établir un traitement qui devrait les soulager ou les sauver, dans les meilleurs des cas. Diego se raccrochait à tout le positif qu’amenait parfois sa profession, mais la pression d’échouer devenait bien trop difficile à gérer lorsque l’issue était parfois le décès de très jeunes patients.

Il avait donné les dernières indications aux infirmières avant de se diriger vers la salle de pause où il prendrait son déjeuner en vitesse avant de reprendre ses consultations de l’après-midi. Il connaissait l’endroit par cœur, un labyrinthe qu’il avait appris à maîtriser avec bien des difficultés, la première étape d’un long apprentissage. Arrivant au dernier croisement avant sa destination finale, Diego s’était figé. « Hartfield. Hartfield. Hartfield. » Le sourcil de Diego s’était arqué et il avait marqué un temps de pause avant de se diriger vers la personne qui venait de prononcer en boucle le nom de Ruben. C’était la distraction parfaite, et il n’avait pourtant aucunement envie de se mêler des affaires du docteur avec qui il avait presque réussi à retrouver un sentiment d’accalmie. Diego souhaitait aider ce patient qui semblait perdu, tout comme il l’aurait fait avec n’importe quel autre patient, et le fait que Ruben était la personne qu’il cherchait n’était qu’une pure coïncidence. « Vous cherchez quelqu’un, peut-être ? » Il n’était que quelques pas derrière lui et avait très bien entendu qui il cherchait, mais Diego n’était pas encore prêt à pronocner tout haut le nom d’Hartfield. Il restait encore sous l’effet de leur dernière discussion, où Ruben avait tenté de le déstabiliser et si le mexicain avait fait de son mieux pour feindre l'indifférence, la vérité était que le chirurgien avait totalement réussi son coup. Diego n’était plus aussi serein à l’idée de le croiser dans les couloirs et n’était plus certain de pouvoir encore user de ses habituelles attaques à son encontre. Il n’était pas certain de comprendre ce qu’il ressentait, ne maîtrisant que très peu cette sensation étrange qu’avait soulevé la proximité dont ils avaient fait preuve. Secouant la tête pour ne plus penser à ce moment, il avait adressé un sourire au jeune homme. « Vous êtes en neurochirurgie ici, si vous prenez à gauche ce sont les urgences et à droite les bureaux des médecins. » Et s’il continuait encore un peu plus loin dans le couloir, il trouverait la salle de pause où Diego se rendait, expliquant sa présence ici. « Vous êtes un patient ou un simple visiteur ? » avait-il demandé en croisant les bras, venant regarder le jeune homme de haut en bas avec la désagréable sensation qu’il pourrait peut-être être celui-là.

Les pas précipités des infirmières et des médecins ne cessaient de résonner dans ce couloir où personne ne se sentait jamais vraiment à l’aise. C’était ce que Diego s’imaginait, n’ayant fréquenté son territoire de jeu qu’à de très rares reprises pour ses propres blessures ou celles de ses cadets lorsqu’ils étaient tous plus jeunes. A l’époque, il se souvenait seulement de la façon dont l’endroit l’impressionnait et il savait se montrer empathique avec tous les visiteurs qui s’y sentaient un peu perdus. « Je… Ou-oui, non ! Enfin pa-pas vraiment. » Prononcer trois fois le nom d’Hartfield ne le ferait pas apparaître comme Bloody Mary, il espérait qu’il en était conscient. « Merci pour les précisions. » Il avait haussé les épaules avant d’adresser un sourire à ce patient qui avait quelque chose de particulier. Diego ne se connaissait aucun sixième sens, pourtant, quelque chose lui indiquait de ne pas se contenter de ces précisions-là et de tourner les talons. C’était probablement uniquement la mine perdue du garçon qui jouait en sa faveur et qui laissait le médecin penser qu’il se devait de s’assurer qu’il trouvait effectivement ce qu’il était en train de chercher. « C’était bien la neurochirurgie que je cherchais, mais ces couloirs se ressemblent tous un peu trop pour être sûr. » Blancs, immaculés, tristes à mourir et empreints d’une odeur si caractéristique qu’elle aurait pu donner la nausée à n’importe qui. Cette description avait remplacé celle qu’il faisait de l’endroit au début de son apprentissage et restait ancrée inlassablement dans son esprit. Pour chasser ses propres pensées, Diego avait continué ses questions, voyant que celui qui se tenait face à lui ne semblait pas non plus s’empresser de partir. « Ni l’un, ni l’autre. Enfin si, plutôt patient, mais je n’ai pas rendez-vous. Enfin, mon rendez-vous est déjà passé. » Tout cela semblait extrêmement confus et si Diego était oncologue pédiatrique et donc plus habitué à traîter avec des enfants et à établir des traîtements, il avait tout de même développé une certaine aisance relationnelle avec n’importe quel patient. Et celui-ci, qui plus est, semblait avoir réellement besoin d’aide alors Diego l’avait laissé continuer ses explications, une chance pour lui de les éclaircir. « Avant de partir je voulais juste voir si je pouvais croiser le docteur Hartfield. » Il y avait quelque chose de presque enfantin chez lui et c’était peut-être ce point là qui amenait Diego à croiser les bras et à s’appuyer un peu plus sur son pied gauche, comme si il s’apprêtait à rester là pour un petit moment encore. Et puis il y avait ce doute, cette petite voix au fond de son esprit qui remettait des pièces d’un puzzle ensemble sans qu’il ne s’en rende réellement compte. Ruben était un médecin réputé avec un nombre de patients probablement incalculable - il n’avait jamais vraiment pris le temps de s'intéresser à autre chose qu’à sa relation avec Nina - mais quelque chose le faisait tiquer. Comme la façon qu’il avait de baisser les yeux en répétant, encore une fois, le nom d’Hartfield. « Mais c’était vraiment au cas où, rien d’urgent. » Diego restait professionnel, mais cette réaction enfantine lui avait arraché un sourire qu’il avait tenté de dissimuler. « Ne vous en faites pas, vous avez bien fait de demander car je sais qu’il a dû partir sur une urgence. » Ou quelque chose du genre, Diego avait simplement entendu son service se mettre en alerte et supposé que Ruben serait en charge. « C’est votre unique référent ?  » Selon les cas, un patient pouvait être amené à voir différents spécialistes et certains seraient peut-être disponibles pour l’aider. « Vous avez oublié de lui demander quelque chose pendant votre rendez vous ? Si je peux passer un message…  » Diego s’était appuyé sur le mur où se situaient les affiches qu’il regardait plus tôt, croisant les bras sur son torse pour indiquer à ce patient qu’il était disposé à prendre un peu de temps pour l’aider. Après tout, se rendre utile valait mieux qu’une pause à boire un café au goût d’eau avec des collègues tous plus irascibles les uns que les autres.

Ruben avait disparu dans un nuage de différents médecins prêts à intervenir sur un cas urgent et c’était la seule information que Diego possédait. Il rendait service à ce patient en lui évitant d’arpenter l’ensemble des couloirs à la recherche d’un docteur qui était en fait au bloc opératoire et il rendait service à Ruben en interceptant la demande de celui qui devait être le fameux ex petit-ami. « Oh je vois. » avait-il répondu quand Diego lui avait indiqué qu’il ne trouverait pas Ruben à moins d’attendre quelques heures. « Ce sera pour une prochaine fois dans ce cas ! » Ce patient n’était pas insistant pourtant, avec cette phrase, il indiquait qu’il réitérerait la demande à voir Ruben et cela était loin d’être commun. Alors le médecin lui avait demandé un peu plus de précision quant à son suivi médical et avait offert de prendre un message. « Euh c’est gentil mais ce n'est pas la peine. Le docteur Hartfield n’est pas vraiment mon référent, c’était plus pour une question personnelle. » Plus que ses demandes, c’était probablement l’attitude du jeune homme qui avait mis la puce à l’oreille de Diego. Il avait juré avoir vu ses joues rosir en évoquant devoir demander quelque chose de personnel au docteur Hartfield et, qui plus est, ce genre de demandes restaient extrêmement exceptionnelles. Les proches des médecins qui venaient les voir savaient où les trouver et s’arrangeaient pour le faire sur leur temps de pause ou en ayant pris soin de les prévenir avant.  « Enfin c’est à la fois mé-médical et personnel. Je suis amnésique et le docteur Hartfield m’a proposé son aide. » Les doutes se dissipaient les uns après les autres, Diego mourrait d’envie d’indiquer à ce patient qu’il ne devait qu’écouter son médecin référent et qu’Hartfield ne pouvait s’occuper de son dossier s’ils se connaissaient personnellement mais il savait qu’il s’attirerait les foudres du principal intéréssé s’il dépassait les limites. « N’hésitez pas à retourner voir votre médecin référent si vous pensez manquer d’élément pour votre parcours de guérison. » avait-il simplement offert en haussant les épaules. Bien sûr, l’aide que lui apporterait Hartfield était bien plus désignée parce qu’il s’agirait de raviver sa mémoire avec des souvenirs bien précis et il le savait, mais Diego restait à sa place. Et dans cet environnement où il se devait de rester professionnel, il avait tenté de renvoyer le garçon vers son seul et unique médecin pour leur éviter à tous deux les ennuis vers lesquels ils semblaient se diriger. « Mais c'est pas la peine que vous lui passiez le message, je m’en chargerai. » La gêne du garçon était palpable, pourtant, Diego enchaînait les sourires et les hochements de tête pour lui indiquer qu’il comprenait.   « Comme vous le souhaitez. » avait-il répondu avec un énième sourire. « Mais merci beaucoup docteur… Gutiérrez, » Aïe. Baissant le menton pour lire son propre badge, Diego s’était passé une main dans les cheveux en prenant conscience que Ruben finirait par avoir vent de cette rapide discussion. Il devrait prendre les devants s’il ne voulait pas que celui-ci s’imagine encore autre chose qu’une simple coïncidence. « Je vous en prie, passez une bonne journée. » avait-il conclu avant de s’éloigner dans le couloir, plusieurs questions se précipitant dans son esprit.