and the story of us looks a lot like a tragedy now
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Le dos aggloméré tout contre la paroi de l’ascenseur, le regard perdu dans un ailleurs qu’elle contemplait presque sans bouger, l’environnement de Jo avait soudainement changé sous ses propres ordres. Escortée du rooftop pour rejoindre l’endroit qu’elle convoitait en secret, elle avait entendu félicitations et souhaits de bonne continuation sans s’en satisfaire davantage malgré l’allégresse que lui procurait les bons chiffres de son premier single, sorti depuis le mois dernier, la main solidement accrochée au bras de Marcus qui l’avait guidée comme il le faisait depuis quelques semaines désormais. Absente depuis qu’elle avait vaguement dit au revoir à l’assemblée, elle semblait recluse dans ses pensées depuis de longues minutes, sentant à peine le regard de son accompagnateur peser sur elle. S’il était inquiet, impressionné par le calme qui transissait sa cliente qui, d’ordinaire, était beaucoup plus agitée que maintenant, il savait pourtant qu’il ne valait mieux pas tenter de lui parler. Il ne le fit pas, continuant tout de même de la garder à l’oeil alors qu’au plus les secondes défilaient, au plus ses yeux semblaient s’assombrir et son plan mieux se dessiner sous l’épaisseur de ses cheveux réunis dans un chignon serré dans lequel des traînées dorée faisaient ressortir leur noirceur.

Elle remua doucement, presque au ralenti, se décollant de l’endroit où elle était adossé pour s’incliner et retirer ses chaussures à talons. Elle avait docilement accepté de participer à cette soirée sans connaître l’événement associé aux paillettes et à l’effervescence qui régnait chez les invités, obsédée par une seule et unique information, celle qu’on lui avait donnée à peine avait-elle foulé le sol du lobby de l’hôtel : Micah faisait partie de la liste des convives, et le sale con qu’il était faisait tout pour l’éviter. Elle comprenait quelque part, elle avait eu des mots salés à son encontre lorsqu’elle avait appris ce qui s’était passé entre lui et Midas, mais elle osait espérer qu’à défaut d’avoir un peu de respect pour son couple, il en avait au moins assez pour elle pour vouloir lui donner des explications en bon et due forme, même si la menace planait au-dessus de sa tête quant à la manière dont Jo voyait leur conversation. C’était bien simple, elle avait envie de le détruire "Tiens ça." Marcus cligna furieusement des yeux, réceptionnant la paire de chaussures que Jo lui fourra dans les mains sans demander son reste. Elle s’approcha de lui pour planter ses yeux soulignés de strass dans les siens, parla d’une voix calme, malgré le fond menaçant de ses paroles "Je t’ai jamais vraiment rien ordonné, mais puisque c’est moi qui signe tes chèques, on est d’accord que j’ai le droit de le faire." Sa rhétorique était implacable, laissant Marcus coi le temps qu’elle lui dise sans attendre aucune réponse de sa part "Quoiqu’il se passe, tu rentres pas dans cette chambre d’hôtel." L’ordre était sans équivoque, ses yeux ne quittant les siens que pour jeter un coup d’oeil au tableau de commandes de l’ascenseur qui s’arrêta juste à ce moment-là ; le temps qu’elle se souvienne du numéro de la chambre dans laquelle Micah se trouvait, et elle le quitta en lui affirmant "Tu restes là. Je gère."

Bien sûr qu’elle gérait. La détermination de son pas feutré qu’elle exécuta jusqu’à son point de chute était une preuve irréfutable que, dans tous les cas, elle ne se donnait pas d’autre choix que de gérer. Elle était contente que sa tenue de soirée soit relativement courte, ça l’empêcherait de se prendre les pieds dedans, et ainsi de garder une certaine stature, alors que dans son esprit, elle s’imaginait pourrir chaque centimètre carré du si beau visage de Micah dont elle ne comprenait pas les intentions au fond. Les siennes étaient claires à ce moment-là, et alors qu’elle continuait d’avancer, pieds nus, vers la porte de sa chambre, ses doigts sécurisant un à un les bagues qu’elle portait aux phalanges, elle se félicita d’avoir eu la bonne idée d’en porter autant ce soir, alliées de choix dans son envie irrépressible de marquer assez fort le jeune homme pour qu’il comprenne qu’il avait dépassé sa limite. Il choisissait de la fuir, mais elle, elle choisissait de l’affronter, et tant pis si elle s’en voudrait plus tard, quand elle prendrait conscience que ce qu’elle s’apprêtait à faire, c’était tout ce qu’elle avait dit à Midas ne plus vouloir faire, encore moins devenir ; une brute qui ne sait pas gérer le conflit autrement qu’en montant au créneau, et qui défendait son territoire comme une sauvage à qui on avait à peine appris à accepter qu’on puisse imposer sa loi sans frapper.

Si on lui demandait, elle dirait que c’est Micah qui a commencé. Le menton dressé, son port de tête lui donnant un air altier, elle arqua un sourcil en s’arrêtant enfin juste devant la porte de sa chambre. Juchée sur la pointe des pieds par habitude, jamais très à l’aise lorsqu’elle était à plat, elle ne se laissa pas déstabiliser toutefois. Avant de frapper, elle vérifia que tout sur elle était impeccable : du tombé de la robe en transparence qu’elle portait, au sens des boucles d’oreilles qui encadraient son visage… tout l’était, alors enfin, elle frappa, le regard dirigé droit devant elle. Murée en elle-même durant quelques secondes encore, elle voyait à peine la calligraphie brillante du numéro qui s’affichait sur la porte qui ne tarderait pas à s’ouvrir, elle le savait. Elle se mit à penser à des choses futiles, surtout au fait qu’elle souffrirait surement de sa différence de taille avec Micah étant donné qu’elle avait confié ses talons à Marcus. Mais ça ne l’impressionnait pas le moins du monde ; l’expression du visage du jeune homme non plus quand, apparaissant derrière la porte qu’il ouvrit enfin, elle lui fit avec le sourire venimeux qui était le sien lorsqu’elle s’apprêtait à marquer un point "Hey." Elle ne lui laissa pas le temps de réagir. Elle projeta son poing gauche au centre de son visage et atteignit l’ourlet de sa lèvre supérieure avec la plus grosse des bagues qu’elle portait au majeur. Le métal cogna contre la bosse de son propre doigt dont l’élancement était assez critique pour qu’elle sache déjà que, si elle s’obstinait à frapper avec cette main-là, elle finirait par le casser. Sauf qu’elle s'en fichait. Rentrant dans le corridor de la chambre sans attendre qu’on l'y autorise, elle claqua la porte derrière elle avec son pied avec la ferme intention de lui en décocher un autre dans la foulée, mais avant ça, elle lui dit presque avec fierté "Tu pourras pas dire que je t’ai pas prévenu."

Le coup avait été violent. Suffisamment pour irradier dans tout son visage, comme si son système nerveux s'était donné rendez-vous au coin de sa lèvre. Un goût métallique se déposa sur sa langue, qui avait machinalement trouvé son chemin jusqu'à la blessure. Mais ce n'était rien comparé à la violence avec laquelle son cœur s'était soulevé lorsque, acculé, il n'avait pu faire autrement que reconnaître que quelque chose d'autre s'était brisé en lui. Jo avait déjà annoncé la couleur. Les messages vocaux qu'elle lui avait envoyés quelques semaines auparavant n'avaient cessé de tourner en boucle dans sa tête, moins comme une menace que comme le requiem d'une amitié qu'il avait lui-même précipitée dans sa chute. S'il regrettait son geste envers Midas, c'était absolument pour les mauvaises raisons. Parce qu'il avait provoqué la fureur de Jo autant que parce qu'il s'était lui-même exclu de la course aux récompenses auxquelles il pouvait prétendre cette année. Si cette histoire n'avait pas pris des proportions démesurées, Micah aurait continué à dormir sur ses deux oreilles. Il n'avait pas réfléchi, ni même anticipé les conséquences de ses actes, et se retrouvait à s'en mordre littéralement la lèvre, tandis que Jo forçait son passage jusqu'à sa chambre d'hôtel. « Putain, Jo ! » s'était-il exclamé d'instinct, foncièrement conscient qu'il méritait ce traitement, jusqu'au soin que la jeune femme avait mis à orner ses doigts de ses plus belles bagues pour l'occasion. Il la laissa envahir l'entrée, puis refermer la porte sans laisser retomber sa colère, reculant pour ne pas faire mine de la provoquer en retour. Jo était ridiculement petite face à lui mais elle ne s'était jamais laissée démonter par leur différence de taille. A vrai dire, ça avait peut-être bien profité au coup que Micah sentait encore battre au coin de sa bouche. Il appuya son pouce dessus, signe de reddition, car il soupçonnait que lui faire mal était l'objectif premier de Jo en débarquant ici. Certes elle l'avait prévenu, mais ça ne rendait pas la sensation moins désagréable.

Ils parvinrent finalement jusqu'à la chambre. Micah s'apprêtait à se diriger vers la douche, si bien que sa veste trainait sur le lit, ses chaussures au pied du banc, et que sa chemise était à moitié déboutonnée, ne dévoilant rien de plus que ce qu'il avait l'habitude de montrer sur les réseaux. Les rideaux étaient tirés, les laissant à l'intimité d'une conversation qu'il avait longtemps repoussée, voire évitée. Si ça ne tenait qu'à lui, il se serait expliqué envers Jo bien avant. Son équipe était tellement sur son dos qu'il trouvait d'ailleurs étonnant d'avoir été autorisé à participer à un événement auquel elle aussi était invitée. Une erreur sans doute. Ce serait mentir de dire qu'il ne l'avait pas cherchée du regard toute la soirée, sans jamais la croiser néanmoins. En regagnant sa chambre, Micah avait eu l'impression d'être sorti d'affaire pour de bon. Jo était suffisamment imprévisible pour faire une scène en public, et c'était l'inverse de ce dont il avait besoin en ce moment. Il avait donc baissé sa garde une fois à l'abri des regards, trop naïf pour jeter un œil à travers le judas avant d'ouvrir la porte. « Calme-toi. » dit-il sans hausser le ton, décidé à tempérer la situation pour une fois. « J'admets, ce coup je l'ai pas volé. Mais qu'est-ce que tu veux de plus ? Je paye ma connerie tous les jours depuis des semaines. Je me suis fait snobber des Golden Globes. Je suis l'ambassadeur de la masculinité toxique sur les réseaux sociaux. J'ai pas besoin de ton sermon. » renchérit-il, conscient que Jo n'avait pas grand-chose à faire de ses états d'âme, ni la moindre compassion pour lui. Il n'en aurait pas pour lui-même, à vrai dire, mais il lui restait assez de fierté pour se défendre de ne pas avoir agi tout à fait gratuitement. Midas n'avait de comptes à rendre à personne lui. Cette complaisance à son égard, il l'avait instillée depuis des années en prétendant être un homme modeste et bien sous tous rapports. Plus que son emportement, Micah payait le fait d'être un homme privilégié dans un monde de plus en plus enclin à les pointer du doigt. La seule faveur qu'il avait pu faire à Midas, qui n'était pas en reste en termes de privilèges, c'était d'être bien moins consensuel que lui dans l'opinion médiatique. « Est-ce que ma version des faits t'intéresse au moins ? Ou celle de Midas fait office de parole d'évangile ? »

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"Tu me dis pas de me calmer." Elle avait envie de lui en coller un autre. Elle n’était pas venue pour rien et surement pas pour parler. Elle en avait sa claque de parler, ne sachant pas le faire comme elle le voulait vraiment, malhabile quand il s’agissait d’exprimer précisément ce qu’elle ressentait, peinant à adapter ses paroles aux réactions qu’on attendait d’elle, ces dernières étant souvent trop explosives pour ne pas tout anéantir sur leur passage. Ces dernières semaines, le silence de Micah avait été plus révélateur que ce qu’il aurait pu lui choisir de lui dire pour se défendre, et elle avait compris Jo. La tête inclinée sur le côté, pas impressionnée le moins du monde par sa différence de taille avec le jeune homme, elle le fit reculer en avançant avec lui jusqu’au centre de sa chambre d’hôtel, ne le quittant pas du regard au point d’en avoir les yeux qui brûlaient "T’as même pas eu les couilles de répondre à mes messages." lui fit-elle remarquer, les dents serrées et la voix gonflée par la rage. Continuant d’avancer avec et face à lui, elle se mut dans sa robe près du corps avec la souplesse d’un animal qui laisse à sa proie un instant de répit, ses pieds nus effleurant le sol moquetté de la chambre avec lenteur, mais détermination "Tu t’es planqué derrière quoi, hm ? Les conseils de ton équipe, c’est eux qui t’ont dis de pas me répondre ? T’as besoin de ça pour te défendre d’être un putain de lâche ?" Elle aussi, elle sentait le coup qu’elle venait de lui donner irradier, et ce dans chacune des phalanges sollicitées pour lui faire du mal, le métal de ses bagues lui servant pour le marquer à coup sûr. L’ironie, c’était que celle qu’elle portait au majeur et que Micah avait reçu au coin de la lèvre, elle lui avait été offerte par Midas, un choix qui n’était pas anodin évidemment, comme quoi dans son imprévisibilité, Jo savait soigner ses actions pour les rendre lourde de sens.

Elle sentait des picotements vifs dans la paume de sa main qui prenait leur racine dans la réponse de son majeur et de son annulaire gauche à la violence qu’elle avait projeté contre son visage, et elle avait beau avoir mal, elle les plia pour se prêter à relancer une invective, loin d’être apaisée par le ton qu’employait Micah pour s’adresser à elle. Son poing trembla quand elle le serra plus fort, ses deux doigts manifestement en mauvais état la suppliant de relâcher la pression, ou d’au moins enlever sa bague. Le brandissant dans l’espace qui les séparait sans rien en faire pour l’instant, un rire goguenard lui échappa lorsqu’elle l’entendit ajouter quelque chose "C’est maintenant que je suis supposée te plaindre ? Tu t’attendais à quoi, à ce qu’on te pardonne de te comporter comme un putain de rétrograde juste parce que t’as la chance de pas être trop moche ?" Ses yeux furieux suivaient les siens avec l’énergie d’une déception réelle, son menton rentrant brusquement lorsqu’elle reprit "Ou peut-être que tu t’attendais à ce que je te pardonne de l’avoir frappé juste parce que t’es mon ami ? Que je prendrais ça pour un putain de service quand tout ce que t’as réussi à faire, c’est me mettre dans une position que je déteste ?" Elle ressentait l’étrange impression de n’avoir jamais vraiment connu cet homme qu’elle adorait pourtant depuis des années, et qui représentait jusqu’à maintenant sa seule source sincère de soutien et d’amitié. Elle ne savait pas ce qui la blessait le plus au fond Jo, l’idée qu’il soit incapable de se réjouir pour elle en dehors de ce qu’elle accomplissait pour sa carrière, ou si c’était qu’il émette un avis négatif sur celui qu’elle aimait en l’accusant d’être un manipulateur doublé d’un tyran, tout en revendiquant quelque chose qui n’avait jamais vraiment été à lui.

Tout s’entremêlait d’une façon perturbante. Elle desserra enfin son poing, mais ce n’était que pour s’approcher de lui et lui choper le menton comme elle avait fait l’autre fois à Byron Bay, ne supportant pas qu’il puisse déjà pencher vers la dérision pour se défendre. Ne lésinant pas sur la pression du bout de ses doigts contre ses joues, loin d’être émue du sang qu’elle voyait perler au coin de sa lèvre, elle persiffla "Hé, ta gueule. T’es pas en position de parler de lui comme ça, tu m’as bien comprise ?" Elle lui repoussa vivement le visage juste après, sa paume repoussant son menton sans ménagement "Je te laisserai pas faire, alors si tu veux parler, réfléchis bien à ce que tu vas dire." Le menaçant finalement de son index pointé dans sa direction, elle enchaîna sans attendre qu’il se redresse "Je sais ce que tu lui as dit, et je le crois pas capable d’inventer quoi que ce soit à propos de ça." Ça collait avec leur dernière conversation. Elle avait eu le temps de réfléchir Jo, elle savait que ce que Micah avait fait était moins une réponse aux paroles de Midas qu’une réponse à ce qu’elle, elle lui avait dit quand ils s’étaient retrouvés en tête-à-tête, et ça la débectait au point qu’elle secoua la tête, son expression revêtant celle du dégoût "Il me manipule pas." Les sourcils haussés, farouchement convaincue de ce qu’elle disait, elle le défia des yeux de lui soutenir le contraire. Midas exprimait son mécontentement, il lui faisait entendre ce qui était bon de faire ou non quand on était en couple, et c’était ce qu’elle attendait de lui. Elle lui avait plusieurs fois demandé de le faire en arguant qu’elle ne savait pas faire ces choses-là — ce n’était pas de la manipulation, elle n’en démordrait pas. Elle continua, sa tête remuant de droite à gauche en même temps, ses mâchoires se carrant plus fort à chacune des mots qu’elle adressa à Micah "C’était déjà ridicule de t’entendre le soupçonner de le faire quand on s’est parlés dans cette voiture à Byron Bay, mais que tu te sentes obligé d’aller me défendre de quelque chose que je laisserais jamais personne faire, lui ou qui que ce soit d’autre, ça l’est encore plus."

Les dents serrées, Micah s'appliquait à ne pas envenimer la situation. Il aurait très bien pu lui rétorquer que cette invitation à se calmer lui semblait bien plus polie que celle à dégager que lui avait inspiré le geste peu ordinaire avec lequel elle l'avait accueilli. La jeune femme était imprévisible ;  une qualité qu'il avait toujours admirée chez elle, qui l'amusait parfois, mais ce soir elle lui faisait peur. Non pas que Jo l'intimidait, mais parce qu'il avait déjà perdu son sang froid face à Midas, et qu'il ne voulait plus dire ou faire des choses qu'il serait amené à regretter. Elle le savait. Contrairement à Midas, qui avait tâtonné pour trouver ses limites, elle connaissait précisément ses faiblesses. Elle connaissait son arrogance. L'orgueil qu'ils partageaient tous les deux. Et la mauvaise foi qu'il n'hésitait pas à déployer dans les moments de faiblesse. L'attaquer sur sa virilité était le meilleur moyen de le faire réagir. « Me parle pas de couilles quand ce que tu me reproches c'est d'en avoir eu face à Midas. J'hallucine qu'il soit venu chialer sur ton épaule. » avait-il riposté, la bouche tordue par la douleur encore vive qui se réveillait à chaque mot prononcé. Jo avait l'air profondément énervée, blessée, mais Micah la soupçonnait de l'être davantage par déception envers lui que par attachement envers Midas. Ses excuses seraient d'une platitude absolue, alors à quoi bon ? De toute manière Jo avait décidé d'en découdre. Elle appuyait avec une habileté déloyale sur tout ce que Micah considérait comme une atteinte à son intégrité. Sa remarque sur sa prétendue lâcheté lui arracha un rire nerveux qu'il regretta aussitôt la douleur ravivée à la commissure de ses lèvres. « Bien-sûr qu'on m'a dit de ne pas répondre... et je suis pas assez con pour pas les écouter pour le coup. C'était déjà ma parole contre la sienne, alors j'ai pas besoin de donner des preuves en plus de ça. » Qu'attendait Jo exactement ? Qu'ils se livrent à une guerre ouverte, puis se servir des messages et relevés téléphoniques dans le cadre d'un procès ? Micah ne faisait confiance à personne. D'autres figures étaient tombées pour moins que ça. « Tes messages étaient putain de violents Jo. Tu crois que tu serais pas dans la même merde que moi si ça finissait entre de mauvaises mains ? » Malgré les apparences, ce n'était pas une menace. La seule différence entre elle et lui, c'était qu'elle avait eu l'intelligence de s'attaquer à lui sans le moindre témoin. Il trouvait d'ailleurs sa démarche plus vicieuse encore qu'un pauvre coup donné sous le coup d'une colère spontanée. Si les langues n'étaient pas si pendues à ABC, et les employés suffisamment bien estimés pour ne pas déceler derrière une information exclusive un moyen de se faire de l'argent facile, ils n'en seraient pas là aujourd'hui. Cette affaire serait restée dans le cercle privé et n'aurait pas pris les proportions que Jo lui accordait. Qu'avait bien pu dire Midas pour le dépeindre comme un prédateur assoiffé de vengeance ? « Te mettre dans une position que tu détestes ? Laquelle ? » demanda-t-il, secouant la tête avec confusion. « C'est moi qui m'en prends plein la gueule depuis des semaines, j'ai aucune idée de quoi tu parles. » A quel moment Jo décidait de tourner la situation à son avantage, comme si cette erreur lui coûtait plus qu'à lui. Elle s'envolait pour les Grammys dans quelques jours, et les pronostics étaient toujours en sa faveur. D'ailleurs, ce petit moment de victimisation de Midas lui avait sans doute même permis de gagner quelques points, d'invoquer la compassion de gens qui se fichaient outre mesure de sa musique.

La laissant s'approcher de lui, puis lui harponner le menton avec une condescendance qui le faisait bouillonner de l'intérieur, Micah continuait de serrer les dents. Jo se croyait invulnérable, assez forte pour se permettre de ridiculiser un homme qu'elle ne pouvait regarder dans les yeux qu'en se dévissant le cou, mais elle avait tort. Micah ne lui ferait jamais de mal intentionnellement, mais il pourrait. Pourtant, elle était enfermée seule dans cette pièce avec lui, lui crachant son mépris à la figure comme si ce coup porté des semaines plus tôt n'était pas qu'une simple erreur. Sur quoi reposait donc cette assurance, si ce n'était la conviction profonde qu'il n'était pas un homme mauvais ? « Je lui ai dit quoi exactement ? » C'était tout ce qui l'intéressait. Ce discours que Midas lui avait servi, certainement déformé par toute l'antipathie qu'il lui inspirait, et la honte de ne pas avoir dégainé en premier. « Je dois commencer à avoir la mémoire qui déraille, parce que j'ai pas souvenir de lui avoir dit quoique ce soit d'irrespectueux. » Jo savait qu'il ne plaisantait pas avec ces histoires de mémoire. C'était une référence évidente à son père, et à un héritage génétique que les tests avaient déjà écarté. Et si cela se réduisait à cette histoire de manipulation, lui non plus n'en démordrait pas. Jo pouvait se croire assez valeureuse pour se défendre seule, elle n'était pas plus lucide que n'importe qui dans un jeu de manipulation. « C'est le principe de la manipulation Jo, tu t'en rends pas compte. » dit-il soudainement adouci, son regard finissant par croiser le miroir qui ornait le mur derrière un bureau. « Putain tu m'as pas loupé. » dit-il en se détaillant de bas en haut. En plus de sa lèvre qui saignait, plusieurs coupures lui lacéraient le menton et la joue. Piochant dans un seau à glace, il enveloppa quelques glaçons dans le liteau qui accompagnait la bouteille qu'on lui avait déposée pour finir la soirée. Il tendit le seau à Jo. « Tiens, pour ta main. » avait-il offert avant de s'asseoir sur la chaise qu'il tira de sous le bureau. « Tu te crois vraiment meilleure que moi ? Moi j'avais pas de bagues, et c'était absolument pas prémédité. » s'était-il défendu, sachant pertinemment que Jo n'aurait pas la moindre compassion, ni le moindre regret immédiat pour ce geste inommable envers lequel elle faisait preuve d'une complaisance hypocrite. « Ok je me suis emporté mais foutez-moi la paix tous. Personne avait besoin d'être au courant de cette histoire, c'est entre lui et moi. »

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@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

"Non, ce que je te reproche, c’est de t’être servi de notre amitié pour justifier ton besoin de lui en coller une à la seconde où t’as su que ce qui se passe entre nous, c’est pas une histoire montée de toutes pièces, et que je l’aime." L’inimitié de Micah pour Midas, elle résultait de ça : de l’effet qu’avait eu sur lui l’officialisation de leur couple, lui qui s’était déjà amusé de percevoir des ragots à ce sujet en dépeignant la possibilité que ce soit véridique comme une stratégie intéressante à mettre en place histoire de faire fructuer leur réputation et maintenir l’intérêt général sur ce qu’ils proposent au public. Elle s’en voulait de ne pas avoir été lucide à ce sujet Jo, de ne pas avoir écouté Midas quand, des mois durant, il lui avait mis le nez sur le fait que leur proximité était d’une ambiguïté qui n’avait rien de drôle, plus malaisante qu’autre chose. Elle avait beau eu la défendre sans aucune hésitation, n’ayant jamais vu le problème d’entretenir ce lien avec Micah, elle comprenait désormais que ça laissait une porte trop largement ouverte et surtout que ça invitait à tout un tas de choses pour lesquelles, elle, elle n’éprouvait plus aucun intérêt, se complaisant dans la simplicité et la sincérité d’une relation amicale forte, qui comptait plus que n’importe quelle autre à ses yeux. Elle secoua vivement la tête, pas étonnée qu’il se moque des confessions de Midas de cette façon, mais refusant qu’il le fasse parce qu’à ses yeux, ça n’avait rien de drôle "T’aurais préféré qu’il fasse quoi ? Qu’il riposte et que vous vous donniez en spectacle à la Une de tous les magazines ? Ça te suffit pas, ce qui se passe en ce moment ?" Elle lui demandait par rhétorique. Elle savait au fond qu’il en avait largement assez, le bashing qu’il essuyait depuis cet incident étant aussi virulent que l’époque dans laquelle ils vivaient était intransigeante avec les agresseurs "C’était quoi la prochaine étape de ton plan, un affrontement sur un ring en public ? Tu vis à quelle époque putain." Dans le passé, ça l’aurait flattée d’être courtisée au point de susciter des accès de violence chez ses prétendants, mais aujourd’hui, elle ne trouvait ça rien d’autre qu’humiliant étant donné qu’elle tenait à chacun d’eux d’une façon différente et qu’elle voulait pouvoir vivre en harmonie avec cette idée. Sentant sa main gauche protester au regard de la manière dont elle s’était servie d’elle pour s’en prendre à Micah, elle baissa ses yeux dessus pour se rendre compte qu’au-delà de la douleur, son aspect changeait déjà. Rougie, elle semblait palpiter à l’image de son coeur dans sa poitrine. Mais ça ne pouvait pas lui être plus égal que ça puisqu’elle sentit poindre la menace du côté du jeune homme vers qui elle releva brusquement la tête pour le fixer sans ciller. Abasourdie, elle ne l’aurait jamais cru capable de ça "C’est une menace ?" lui demanda-t-elle, sérieuse, se remémorant sans mal toutes les horreurs qu’elle avait débité dans les messages vocaux qu’elle lui avait laissés après avoir su ce qu'il avait fait.

Elle resta coite, le regard posé sur lui avant de choisir de s’en détourner pour faire un demi-tour sur elle même et accuser le coup en laissant un très léger rire soufflé du fond de sa gorge serrée lui échapper, autant au sujet de ce qu’il venait de lui dire que de ce qu’il ajouta et qui mettait en exergue l’idée qu’au fond, il ne comprenait absolument pas les raisons de sa réaction et qu'il n’était intéressé que par une seule et unique chose : sa réussite. Elle marqua un temps de pause, se repliant en elle-même pendant quelques secondes, et puis elle reprit en se retournant vers lui pour le regarder selon un angle différent ; celui de l’inconnue qui en rencontre un autre pour la toute première fois "T’es tellement conditionné pour rien voir d'autre que ton succès, que tu te rends même pas compte que je suis pas en train de te parler de carrière, d’image et de réputation, là." La voix presque soufflée, elle continua "Je te parle de toi, de moi, de ce que je croyais être quelque chose d’important, plus que ce qu’on raconte dans la presse ou sur les réseaux sociaux." Ils étaient ambitieux, l’un autant que l’autre. Ils avaient envie de compter, de faire carrière et de réaliser des rêves dont ils avaient fait le tour tous les deux à une époque, s’encourageant l’un et l’autre à aller de l’avant pour y parvenir et jusqu’alors, Jo pensait que c’était ça qui consolidait leur relation si forte. Elle avait omis au travers de ça que Micah ne pensait en effet qu’à son image, et qu’il était un monstre de cynisme dont le seul but était d’oeuvrer pour sa réussite, et uniquement sa réussite. Il se foutait du caractère humain de ses relations, la leur ne lui ayant servi qu’à quoi, finalement ? Elle ne voulait même pas le savoir, et prise à la gorge par l’émotion que ça lui procurait de se rendre compte qu’elle s’était trompée sur quelqu’un qu’elle considérait comme un pilier, elle finit par lui répondre, aussi brute que l’était son émotion sur l’instant "Laquelle ? Celle où je dois choisir entre lui et toi pour avoir la paix." Elle serra les dents, se détournant de nouveau de lui pour marcher au petit bonheur dans sa chambre d’hôtel, ressentant soudainement le besoin d’être assez loin de lui pour ne pas être contaminée par ce qu’il dégageait comme suffisance, ne perdant pas de son mordant même en ayant été invectivé par quelqu’un qui se sentait déjà honteux d’en être arrivé là.

Elle se mordit très fort l’intérieur des joues, goutant le sang dans la seconde, et cala son dos raide contre l’un des murs près d’une commode aussi peu haute qu’elle. Jo prit une profonde inspiration en se sommant de retenir les larmes qu’elle sentait à ça de lui échapper pour de bon tant elle trouvait tout ça insupportable, même si c’était elle qui l’avait en partie provoqué "Tu lui as rien dit d’irrespectueux, t’es bien sûr de toi ?" lui demanda-t-elle en inclinant la tête sur le côté tout en le regardant avec insistance, les sourcils froncés si fort qu’elle sentait la crampe la guetter "T’as remis en cause l’influence qu’il a sur moi et t’as prétendu que si toi et moi, on s’adressait l’un à l’autre comme on le faisait, c’était certainement parce que je prenais pas mon pied." Putain de répartie de cour de récré si vous voulez son avis. Sauf qu’elle n’était pas plus originale dans le genre, et qu’à un autre moment, ça l’aurait bien fait marrer. Là, elle le haïssait tout juste d’avoir instillé le doute chez un Midas déjà à moitié convaincu que Micah n’attendait qu’une chose "Dans quel monde t’as cru que c’était respectueux de dire ce genre de conneries ? Je croyais que c’était clair entre toi et moi." Pas de nous, parce qu’elle ne voulait pas lui faire ce plaisir, et que le seul nous qui existait à ses yeux, il n’en faisait même pas partie. Pourquoi se sentait-il autant légitime de dire ce genre de choses quand il ne comptait pour rien dans son histoire avec Midas ? Elle leva sa main gauche blessée tout contre sa poitrine, sentant son coeur sous sa paume, ne comptant pas démordre de ce qu’il lui dit juste ensuite à propos de la manipulation supposée de Midas. Elle lui répondit, plus sûre d’elle que jamais "Je m’en rends pas compte parce que ça existe que dans ta tête putain. Tu l’as rencontré qu’une fois et ça a été pour le cogner." lui rappela-t-elle en espérant qu’au moins, il admettrait que de fait, émettre des constats dans ces conditions, c’était concrètement se foutre de la gueule du monde. Résolument, elle fit un signe de négation de la tête "J’en ai pas besoin." repoussa-t-elle quand il joua au grand seigneur en lui offrant de la fraîcheur pour sa main qu’elle sentait palpiter sous ses anneaux et qu’elle garda contre sa poitrine en le regardant s’asseoir, défait par le résultat du coup poing de Jo sur son visage. Elle se foutait de lui avoir fait du mal autant qu’il avait l’air de se foutre d’en avoir fait à Midas - un partout, balle au centre "Je suis pas venue pour me revendiquer meilleure que toi. Y a qu’une seule bonne personne dans cette histoire, et c’est ni toi ni moi." C’est lui, prononcèrent ses yeux humides à sa place alors qu’elle enchaînait pour couper la phrase du jeune homme en plein milieu "C’était pas des paroles en l’air." Elle ne lui laissa pas le temps de réfléchir, elle ajouta pour bien se faire comprendre "Quand je t’ai dit que si tu te servais de nous pour faire parler de toi, tu le regretterais, c’était pas des putains de paroles en l’air. T’as de la chance que le vent tourne en notre faveur, et que tu payes assez tes conneries pour que je sois pas obligée de te détruire, mais j’hésiterais pas, Micah." conclut-elle sans le lâcher des yeux, toujours adossée à son pan de mur, la tête aussi haute qu’elle s’en savait capable s’il recommençait.

L'obstination de Jo n'était pas nouvelle, mais celle qu'elle déployait pour faire de Micah le méchant de l'histoire était trop excessive pour être tout à fait spontanée. En insistant de la sorte, elle donnait l'impression de vouloir se convaincre que son discours, très certainement ruminé depuis des semaines, venait d'elle. Qu'il n'était pas le produit de ce que Midas avait pu marteler à son sujet pour les éloigner l'un de l'autre sans se donner le mauvais rôle. Micah secoua la tête, fronçant les sourcils d'un air confus.  « Il me sort par les yeux, mais j'avais aucun besoin de lui en coller une. Qu'est-ce que tu racontes ? » s'exclama-t-il pour rejeter cette théorie absurde selon laquelle il avait rongé son frein depuis le départ. « Tu crois vraiment que c'était mon projet de le cogner depuis le moment où vous avez officialisé les choses entre vous ? » finit-il par demander, acculant ainsi la jeune femme face à ses arguments fallacieux. Elle lui facilitait la tâche en se trompant à ce point sur son compte. Le connaissait-elle vraiment pour l'accuser d'être un homme assez violent pour déclencher lui-même les bagarres ? « Tu sais dans la vie, c'est pas toujours ceux qui mordent qui sont les plus méchants. Je regrette ce que j'ai fait parce que ça m'a foutu dans la merde, mais c'est tout. » Il ne s'excuserait jamais face à Midas d'avoir aussi mal réagi car il estimait qu'il avait mérité ce coup. Ce qu'il regrettait, c'était de ne pas avoir été suffisamment intelligent pour le faire loin des caméras d'un plateau de télévision, et des yeux de ceux qui en tiraient les ficelles. Jo lui demanda naïvement s'il aurait préféré se donner en spectacle, à quoi il répondit en opinant. « Franchement ouais, j'aurais préféré. Parce que je mérite pas d'être le seul à payer pour cette histoire. » Les propos de Midas avaient été aussi blessant qu'un coup de poing. A son avantage, ils marquaient bien moins le visage que l'ego. Micah n'en était pas sorti indemne mais il soupçonnait fortement le chanteur d'avoir réécrit l'histoire pour se faire passer pour l'unique victime de cette altercation. Jo n'était pas la seule à être déçue. Elle le décevait à chaque fois qu'elle insinuait qu'il portait seul cette culpabilité. Micah calma le jeu lorsqu'elle tourna ses avertissements en menace. « Tu sais bien que c'est pas une menace. Je suis peut-être un connard mais j'ai des principes. » Mais ce soir Jo faisait son procès. Peu importait qui il était foncièrement, elle s'obstinait à ne voir que l'homme qui avait fait du mal à celui qu'elle aimait. Ses failles, sa loyauté, tout cela ne comptait plus à ses yeux.

Comme un lion en cage, Jo faisait les cent pas, étouffant un rire nerveux lorsqu'il osa remettre en question la position inconfortable dans laquelle son comportement la mettait. Elle parlait donc d'eux. Micah n'était pas dupe. Déjà dans le van qui les avait conduits à Bondi Beach elle parlait d'eux au passé. Midas et elle avaient un avenir. Lui n'était plus que le vestige d'une ancienne vie. Il étouffa un rire à son tour. « Ton choix est assez clair j'ai l'impression. » clarifia-t-il « Mais j'ai pas le souvenir de t'avoir jamais demandé de choisir. C'est ce qu'il t'a demandé ? » Bien entendu, Jo n'avouerait jamais devant lui que Midas était capable de lui poser ce genre de dilemme. Peut-être ne l'avait-il pas exigé frontalement mais il était assez vicieux pour lui faire comprendre qu'il ne voulait plus de Micah dans l'équation. Jo s'adossa au mur près d'une commode, tandis qu'il effleurait le bureau. Cette distance, aussi dérisoire fût-elle, symbolisait le fossé qui s'était creusé entre eux. Elle s'appliqua à nouveau à lui répéter ce qu'il avait bien pu dire à Midas ce matin-là, comme si cela pouvait le convaincre de sa partialité. Micah connaissait très bien l'histoire, elle n'avait personne d'autre à convaincre qu'elle-même. « Et est-ce qu'il t'a raconté ce qui lui a valu un poing dans la gueule ? Que tu aurais fait l'erreur de ta vie en restant avec moi ? » renchérit-il, doutant que Midas avait fait l'étalage de ses torts lorsqu'il avait soi-disant tout raconté à Jo dans les moindres détails. Il avait peut-être fait l'impasse sur l'étincelle qui avait mis le feu aux poudres, mais Jo était de toute manière trop fière pour se montrer surprise. Cette manie qu'elle avait de mettre Midas sur un piédestal était aussi suspecte qu'elle l'accablait. Micah s'était retenu de lui demander ce qu'un saint pareil pouvait bien faire avec elle après tout. Il tourna la phrase autrement pour souligner l'invraisemblance du portrait qu'elle dressait de lui. « On est tous les deux pourris et lui c'est un agneau. Tu vois pas le problème Jo ? » Il avait forcément ses travers. Il était juste beaucoup plus doué pour les camoufler. Micah avait le visage écorché. Le cœur de Jo battait de colère dans ses phalanges. De son côté, Midas devait dormir sereinement sur ses deux oreilles maintenant qu'il avait achevé de semer la discorde. En dépit de la fierté de Jo, il déposa le seau sur le sol. Elle ferait ce qu'elle voulait de ce geste d'affection. « T'es vraiment en boucle sur cette histoire de coup monté ? C'est ça le prétexte que t'as choisi finalement pour faire une croix sur moi et te convaincre que c'est pas de la manipulation ? » dit-il le dos courbé sur sa chaise. Le poids des accusations était trop lourd sur ses épaules. Contrairement aux siennes, les menaces de Jo étaient sans équivoque. « Je vois pas ce que tu pourrais faire de pire Jo. J'ai perdu les Golden Globes. Je vais perdre les Oscars. Et je t'ai perdue toi. Tu veux faire quoi de plus pour me détruire ? J'ai rien d'autre à donner. » conclut-il, les yeux rivés vers le sol, ses mains labourant son crâne dans un geste de désespoir. « J'ai rien. »

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@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Dans la pile de tous les scénarios qu’elle avait écrits, produits, réalisés et joués seule, celui où son amitié avec Micah prenait ce tournant n’apparaissait même pas. Il y en avait eu d’autres, ils en avaient déjà parlé sans pudeur, bercés par une nostalgie séduisante, quand les vestiges de leur passé d’amants s’immisçaient sournoisement entre eux pour être survolés et détournés au bénéfice d’une autre réalité où ils seraient tous les deux aussi malheureux que leur pseudo-vie de famille aurait été amenée par le dépit pure et simple, certainement pas par l’amour. Elle se trouvait bien conne d’avoir cru que l’entente parfaite dont ils jouissaient depuis le tout premier jour soit intouchable autant que la tendresse qu’ils se réservaient l’un à l’autre sans compromis, au point qu’elle avait oublié qu’ils souffraient des mêmes défauts, des mêmes maux, et que ceux qu’on lui reprochait de cultiver pour se protéger, Micah en prenait autant soin qu’elle de son côté. Elle trouvait ça insupportable, d’être soudain confrontée au miroir dans lequel elle s’était plaisamment admirée durant des années et de se rendre compte qu’en vérité, son reflet était d’une laideur à faire peur "T’es même pas foutu de te réjouir pour moi." Et ça lui faisait du mal. C’était ça, plus que tout le reste, qui la travaillait. Il était son soutien le plus fidèle, celui qui, avant tout le monde, avait oeuvré pour sa réussite en l’encourageant dans tout ce qu’elle  envisageait et entreprenait, même si son ambition dévorante la faisait se perdre dans des fantasmes qu’elle ne réaliserait jamais tant ils étaient spectaculaires : Micah avait toujours été persuadé qu’elle réussirait. Il le lui avait dit un nombre incalculable de fois sans qu’elle ne songe ne serait-ce qu’une fois à ne pas le croire sincère. Là, c’était la toute première fois qu’il remettait en doute l’un des choix qu’elle faisait, et il pourrait arguer que c’était parce que ça concernait sa vie privée, que ça n’entrait pas en ligne de compte et ne faisait en rien fléchir la béquille qu’il avait été pour elle au cours de ces dix années d’amitié, elle avait toujours pensé qu’il n’y avait pas de limite à ce qu'il était près à lui laisser comme bénéfice du doute. Aucun, visiblement, quand ça concernait la seule personne avec qui elle voulait passer sa vie. Elle laissa un rire dénué de toute joie filer d’entre ses lèvres quand il essaya de défendre sa bonne foi "C’est pas toujours ceux qui mordent qui sont les plus méchants ?" répéta-t-elle, la bouche entrouverte et la tête se secouant doucement de droite à gauche pour tenter de saisir les subtilités de son raisonnement. Il lui échappait cependant "T’essayes de me faire gober que tu te places dans le camp des gentils alors que tu viens de te vanter de pas regretter ce que t’as fait ? Je te croyais plus lucide au sujet de la personne que tu es." Agacée, elle le pointa de sa main droite valide pour qu’il stoppe son cheminement verbale et asséner, rageuse "Arrête maintenant, putain. T’as joué au con, tu récupères ta récompense. Ça t’en fera au moins à polir pour te regarder dedans." Que c’était bas, que c’était mesquin. Mais c’était la personne que Jo était, et elle non plus, elle ne comptait pas le regretter.

Sur l’instant en tout cas. Dans la seconde, en plus d’être furieuse, elle était ébahie par la menace planant au-dessus d’elle et qui trouvait sa source dans les paroles de Micah qui lui assura le contraire sans que ça ne la soulage, bien obligée de traiter avec les retombées de ce qu’elle avait déclenché ; plus tard quand elle sortirait de cette chambre et qu’elle se demanderait si, vraiment, il camperait sur ses fameux principes, ou s’il la trahirait un peu plus en choisissant son image "T’as l’air de tomber des nues." Elle lui avait déjà dit pourtant, qu’elle avait choisi celui avec qui elle comptait faire sa vie et qu’elle était prête à faire tout ce qu'il fallait pour que ça fonctionne, même à s’en remettre à des soupçons qui n’avaient pas lieu d’être et dont elle s’était défendue pendant trop longtemps. Jo, elle n’était pas assez construite pour imaginer faire autre chose que répondre à des accusations, même quand elles n’étaient pas justifiées, même quand elles la plaçaient dans une situation qu’elle détestait. Depuis quelques mois, elle en avait assez qu’on lui reproche de ne pas savoir se remettre en question, de ne pas savoir faire de compromis, et si elle s’évertuait à croire qu’elle n’avait rien à prouver à personne, libre et indépendante depuis des années maintenant, quand la rengaine devenait trop entêtante, elle redevenait la fille de son père : elle se laissait suggérer pour satisfaire, point final. Répondre à Micah ne lui traversa pas l’esprit, elle préféra s’arrêter sur la première partie de sa phrase que de lui admettre que non, Midas ne lui avait pas demandé de choisir, mais qu’à la manière dont le nom de Micah était constamment source de conflit, elle se sentait obligée de quelque chose. Ça l’emmerdait profondément d’être prête à plier pour avoir la paix, mais là encore, son choix était fait, et elle l’assumait, sinon elle ne serait pas ici, le coeur battant au même rythme que la douleur qu’elle ressentait dans sa main gauche. Un brin d’insolence filtra dans son ton, et comme Micah, elle était déterminée à appuyer là où ça faisait mal "Tu m’as peut-être rien demandé, mais je veux que ça te sorte jamais de la tête : c’est lui que je choisis." Elle eut un regard fixe dans sa direction, un sourire goguenard venant parfaire le tableau et fendre sa bouche maquillée quand elle réalisa au final que l’histoire se répétait "Exactement comme t’as choisi Penny à l’époque. À la différence que moi, je t’ai laissé partir et que j’en ai pas fait une affaire personnelle." Elle continua à le regarder, narquoise, un air de lui faire entendre un peu plus que son avis sur lui était en train de permuter et qu’elle s’apercevait qu’il n’était que ce qui s’appliquait à être : un m’as-tu-vu qui réagissait au quart de tour quand il avait l’impression que quelque chose lui filait entre les doigts, assez imbu de lui-même pour penser que c’était son droit d’émettre des critiques sur la vie d'autrui quand la sienne faisait peine à voir. Elle grimaça, son menton rentrant brusquement en l’entendant reprendre au sujet des mots qu’il avait échangé avec Midas "Mais tu crois quoi à la fin ? Qu’il m’a raconté que ce qui l’arrange pour te faire passer pour le connard de service ? T’as pas besoin de lui pour ça." En d’autre terme, elle savait très bien ce qui avait valu à Midas de se faire cogner. Au fond, elle n’avait pas d’avis sur la question, elle savait juste qu'il avait défendu son orgueil en attaquant de cette façon. Elle n’aurait pas fait mieux — sa main meurtrie en était la preuve —, et si c’était réconfortant sur le moment, à bien y penser, ce n’était pas bien glorieux non plus. Elle ne s’y arrêta pas toutefois, droite sur ses appuis malgré la peine qu’elle ressentait. Seulement, la colère supplantait absolument tout, comme très souvent, au point qu’elle en devenait blessante à un niveau indécent, que là elle regretterait aussi atrocement plus tard. Sur l’instant, elle attaqua, elle aussi, fort et sans délai "C’est toi le problème, Micah. Tu surréagis à tout ça uniquement parce que ça t’emmerde que je sois plus disponible." Elle se décolla du coin de mur contre lequel elle s'était appuyée. La main plaquée contre sa poitrine décolletée, sa tête se pencha sur le côté pour que ses yeux plein de colère viennent s’accrocher à ceux de Micah avec qui elle était loin d’en avoir terminé, s’approchant de sa silhouette assisse avec lenteur et souplesse, ses pieds nus caressant le sol à chacun des pas qu’elle fit en sa direction — elle renversa la seau à champagne en passant, elle s’en foutait, les yeux rivés sur Micah "Midas, il t’a retiré la possibilité de compter sur moi pour faire ta vie, c’est pour ça que tu peux pas l’encadrer. Il t’a retiré la seule option pas trop mal que t’avais pour pas finir ta vie comme ton père : seul, et sans pas grand-chose à quoi te raccrocher." C’était odieux. Elle était odieuse. Elle s’en rendit compte, marquant une pause qui la fit presque sursauter quand elle prit la mesure de ce qu’elle venait de lui cracher au visage.

Elle voulut s’excuser tout de suite. Mais la fierté l’en empêcha, surtout qu’il reprenait déjà de son côté, et que secouant négativement la tête, elle le corrigea sur-le-champ "J’ai jamais envisagé de faire une croix sur toi avant que t’en prennes physiquement à lui." Elle ne lui dirait pas qu’elle avait défendu leur amitié pendant des mois face à Midas, elle savait que ça ne ferait qu’ajouter de l’eau à son moulin qui tournait sans cesse. Le surplombant de sa petite taille alors qu’il était assis, elle confronta ses yeux avec témérité, et décida qu’elle ne se battrait pas davantage pour lui enfoncer dans la tête qu’elle faisait ses choix seule, voulant seulement évoluer dans le bon sens, avec la bonne personne. Il faut qu’on se blinde Midas, elle s’entendait le lui dire, et elle comprenait maintenant que c’était surtout elle qui devait s’y contraindre puisqu’elle n’avait qu’une seule faiblesse, et que ce n’était pas bien difficile de savoir laquelle. Elle ne contrôlerait jamais ce qu'on dirait au sujet de son couple, comme elle n’avait jamais vraiment contrôlé ce qu’on disait sur elle, et pourtant, elle avait fini par s’y faire, non ? En en faisant son affaire, en en jouant aussi, en le tournant à son avantage ; elle devait réitérer, elle y arriverait. Elle haussa les épaules, résolue à passer au-dessus l’avis de Micah, son menton se redressant et l’un de ses sourcils s’arquant quand elle lui dit avec suffisance "Crois ce que tu veux si ça t’aide à mieux comprendre qu’on puisse avoir envie de changer pour quelqu’un qu’on aime, moi j'ai rien à te prouver." Et elle n’avait plus rien à lui donner, si ce n’était du mépris et une promesse de vengeance si jamais il comptait ne pas en rester là et se servir de son couple pour faire parler de lui. Elle avouait que ce qu’il ajouta la touchait profondément, tellement qu’elle sentit que si elle ne se retenait pas plus fort encore, elle répondrait à l’élan de réconfort qu’elle voulait lui donner non seulement quand il mit en avant qu'il l’avait perdue elle, mais aussi qu'il n’avait rien — en le prenant dans ses bras, profitant qu'il soit assit pour le faire plus confortablement, en le serrant contre elle et en lui assurant qu'il avait tort. Sauf qu’elle était trop déçue, trop en colère, pour vouloir terminer leur relation sur une note moins critique que celle qu’elle laissa filer quand, restant bien ancrée dans le sol, à quelques centimètres à peine de lui, elle lui dit sans fausseté, ses yeux brillants davantage de dédain que de tristesse "C’est toi qui l’as cherché. T’as que ce que tu mérites."

La réalité distordue de Jo, dans laquelle ses arguments faisaient sens, suffisait à démontrer l'emprise  que Midas pouvait avoir sur elle. Intentionnellement ou non – ce n'était plus tellement la question –  il l'avait hypnotisée au point de lui faire croire que le défendre à tout prix était un devoir plutôt qu'un choix éclairé par sa propre conscience. Pourquoi Jo serait-elle si virulente si ce n'était par désir de vouloir bien faire ? Par désir de montrer de manière ostentatoire qu'entre Midas et elle c'était assez sérieux pour qu'elle prenne ses coups et ses erreurs personnellement ? N'avait-elle pas d'autres moyens de le prouver ? Se sentait-elle menacée à ce point dans son couple ? Son délire était tel qu'elle l'accusait maintenant de ne pas la soutenir assez. De ne pas être l'ami qu'il avait justement eu l'audace d'être en montrant les crocs face à Midas. Elle marchait sur la tête. « Me réjouir pour toi ? A quel moment je me suis pas réjoui pour toi ? Je me réjouirai toujours de tes accomplissement en tant qu'artiste mais je suis pas obligé de te soutenir dans ta vie sentimentale. J'ai jamais signé pour ça. » Micah ne savait plus exactement ce que lui reprochait Jo. Elle semblait perdue entre son image et sa vie privée, naviguant entre les deux au gré de ses envies pour arranger son discours. Une minute plus tôt elle parlait d'eux. Maintenant elle parlait d'elle. Ou s'agissait-il d'elle et Midas ? Les alternatives étaient trop nombreuses pour ne pas semer la confusion dans son esprit. Ce qu'elle s'obstinait à croire, c'était que Midas n'était pas le problème. Qu'il aurait toujours eu quelque chose à redire sur ses relations parce qu'une partie de lui demeurait attachée à elle. Et elle n'aurait pas entièrement tort. Toute personne qui se respectait nourrissait une défiance vis-à-vis de ceux qui s'invitaient dans la vie amoureuse de leurs amis. Souvent, l'amour, ou l'orgueil, rendaient ces mêmes amis particulièrement réfractaires aux critiques. C'était assez ironique, de constater qu'une personne qui débarquait depuis cinq minutes dans la vie des gens pouvait ébranler à ce point leurs convictions.  « Je suis pas le gentil, c'est pas ce que je revendique. Je dis juste que je suis pas le seul méchant de l'histoire. C'est quand même drôle de me faire la leçon alors que t'es la première à lui en avoir collé une. Il a un sacré palmarès de coups à la gueule pour un mec gentil. » Elle l'avait forcé à utiliser cet écart de conduite contre elle. Pourquoi s'érigeait-elle en gardienne des mœurs alors qu'elle l'avait giflé bien avant que l'idée lui effleure l'esprit ? Cette gifle qui elle aussi avait enflammé les réseaux, et dont plus personne, pas même Midas, ne lui tenait rigueur aujourd'hui. S'arrêtaient-elles ici, les frontières de la parité ? En condamnant le même geste avec bien moins de clémence lorsqu'il était perpétré par un homme ?

Son insolence n'avait quant à elle aucune limite. « Ouais je tombe des nues. Tu me parles de me réjouir pour toi, de la position dans laquelle je te mets, mais t'as pensé cinq secondes à ce que moi je ressens ? Ce que ça fait de me faire évincer comme une merde alors que je t'ai toujours soutenue. T'es devenue égocentrique à ce point ? » dit-il, hésitant à revenir sur toutes ces fois où il avait marché sur des œufs par respect pour elle, alors même que son couple n'était qu'une hypothèse carriériste. Le clou qu'elle enfonça le blessa bien plus que le coup qui engourdissait désormais sa joue. C'est lui que je choisis. Alors quel était le but de cette conversation, si ce n'était un besoin malsain de lui rappeler qu'il n'avait jamais été le choix de personne. Surtout pas de Penny, dont le nom fut prononcé sans la moindre raison, comme une carte joker que Jo gardait dans sa manche. « Wouah, le niveau de mauvaise foi. Venir mêler Penny à tout ça, t'as plus peur de rien. T'es carrément en train de réécrire l'histoire. Il a jamais été question de choisir entre elle et toi, t'avais très bien mis ça au clair dès le départ. » La relation qu'ils avaient entretenue à Sydney n'était qu'une parenthèse dans la vie de Micah, à laquelle Jo s'était parfaitement accommodée. Les remords qu'elle pouvait bien nourrir ne concernaient qu'elle et sa fierté. « Tu dis quoi, que t'étais amoureuse de moi finalement ? Je croyais qu'on était d'accord là-dessus, qu'on avait fait les meilleurs choix possibles pour nous à ce moment-là. » C'était exactement la conversation qu'ils avaient eue à Los Angeles. Les aveux décomplexés qu'ils s'étaient faits, alors qu'elle vivait déjà sa prétendue idylle avec Midas. Micah ne comprenait pas pourquoi Jo changeait son fusil d'épaule, si ce n'était par manque d'autres munitions. Ce comportement de diva, il l'avait trouvé attachant quand il n'était pas encore mesquin. Depuis le début de leur altercation, tout tournait autour d'elle, et voilà qu'elle s'érigeait désormais en  déésse à l'origine de son propre mythe. Micah, pauvre héro déchu, ne pouvant supporter de vivre sans son amour, décidait de briser tous ses espoirs. Il en resta pantois, mais son culot ne s'arrêta pas là. Jo n'aurait pas pu mieux piétiner leur amitié qu'en mentionnant son père, qui n'avait absolument aucun rapport avec leur histoire. Elle le savait, et elle l'avait fait par pure méchanceté. Dans la poitrine de Micah bouillonnait un mélange de colère et de tristesse. Deux émotion antagonistes qui éteignirent l'éclat de son regard. Il se leva machinalement, se déployant de toute sa taille même s'il se sentait foncièrement rabaissé, humilié. « Va te faire foutre Jo. » Son ton n'était même pas agressif, mais d'une neutralité effrayante. « Tu peux me menacer, me frapper autant que tu veux, mais t'en prendre à mon père... c'est même pas digne de toi. » Ses sourcils étaient froncés, ses yeux plissés par la déception d'entendre des mots aussi durs et surtout injustes sortir de la bouche de Jo. Rien ne pouvait être plus violent que ce qu'elle venait de lui dire. « J''aimerais que tu sortes de cette chambre maintenant. M'oblige pas à te le demander deux fois s'il-te-plait. » dit-il en lui signifiant la porte qu'elle avait claquée ce qui lui avait semblé une éternité. « J'ai rien de plus à te dire. »

and the story of us looks a lot like a tragedy now
@Micah Tomlinson ☆ crédit/ssoveia

Jo s’appliqua à marquer une pause mentale, à se recentrer sur ce qui lui restait de raison pour ne pas se jeter sur Micah et lui asséner un autre coup en plus de celui qu’elle lui avait déjà donné et dont ils souffriraient tous les deux d’une façon différente, que ce soit physiquement ou pas. Elle prit une profonde inspiration, laissa ses yeux se fermer en papillonnant des paupières, sa tête basculant brusquement en arrière sans qu’elle ne s’en rende tout à fait compte. Elle raffermit la pression de sa main blessée au creux de sa poitrine, partiellement découverte par le décolleté audacieux de sa robe de soirée, pour retenir son coeur qui battait absolument partout en elle au point que ça commençait à être atrocement désagréable et douloureux — et elle se tut, laissant le silence s’épaissir autour d’eux et former une bulle dans laquelle elle se sentirait bientôt étouffer, c’était une certitude. Elle ne se souvenait pas d’avoir signé quoi que ce soit en rapport avec sa relation avec Micah. Se trompait-elle ? Avait-elle été naïve de croire qu’il avait été sincèrement attaché à elle ? A l’entendre, elle avait le sentiment que tout ce qui les réunissait jusqu’alors, ça avait été écrit ailleurs que dans les astres, et qu’il devait conformément se référer à ce à quoi on l’avait fait adhérer, imposant ainsi des limites à ce qu'il était tolérable d’encourager ou non. Il la soutenait dans tous ses accomplissements en tant qu’artiste, mais ça s’arrêtait là ? Comment était-elle supposée le prendre ? Comment était-elle supposée continuer à croire qu’il tenait à elle quand il faisait toute une histoire de celle qu’elle décidait de vivre avec quelqu’un d’autre sous le seul prétexte qu’il craignait que ça la change ? Blessée, elle baissa de nouveau la tête, rouvrit les yeux, et le fixa avec encore plus de volonté, espérant que ses yeux finiraient par le transpercer pour lui faire encore plus de mal et atteindre ce qu’il protégeait sous son armure d’arrogance et d’amour propre "Alors quoi, tu me traites d’hypocrite maintenant ?" Sa propre question lui provoqua une grimace moqueuse, ses traits se fronçant en même temps qu’elle s’adressait à lui. Il était malin Micah, il savait user des bons stratagèmes pour pousser Jo dans ses retranchements, à défaut d’avoir le privilège de la faire démarrer au quart de tour. Elle plissa les yeux, faisant le point sur son visage qui garderait un temps la marque de son coup sans pour autant abimer la beauté des traits qui faisaient son succès auprès de tous les genres. Un sublime connard, c’était ce qu'il était "Tu sais rien de la raison derrière la gifle que je lui ai donnée, tu sais rien à propos de qui il est, tu bases juste ton avis sur vos différences parce qu’au fond de toi, tu sais que tu lui arriveras jamais à la cheville et ça aussi, ça t’emmerde, hm ?" Elle n’était peut-être pas très futée Jo, elle connaissait Micah suffisamment pour ne pas ignorer que finalement, tout ça, ce n’était qu’une question d’ego. Il ne fallait pas chercher bien loin pour le saisir : ce qui lui avait fait cogner Midas, c’était la perspective qu’il ne se trompe pas quand il lui avait dit que Jo aurait fait une erreur monumentale si elle était restée avec lui, après tout.

"C’est toi qui me parles d’égocentrisme, quand le seul truc qui t’a poussé à le frapper, c’est de l’entendre te dire que t’étais pas assez bien pour moi ?" Le menton rentrant à nouveau, elle se retint d’éclater de rire. De toute façon, son sérieux revint aussitôt assombrir ses traits pour mieux mettre quelque chose d’autre au clair avec lui "J’ai jamais voulu t’évincer, me prête pas des mauvaises intentions pour te faire plaindre." Elle continua sur sa lancée, agacée que, comme elle dans quelques instants, et ce uniquement pour lui faire du mal, il se permettait de réécrire l’histoire à sa façon "Par contre, j'aurais voulu trouver un moyen pour que vous cohabitiez sans que je me sente coupable de vouloir passer du temps avec chacun de vous." admit-elle presque timidement, avant de reprendre sur elle et d’ajouter "Si je le choisis lui, c’est parce que toi, t’as choisi de lui rentrer dedans en l’accusant d’avoir un ascendant sur moi, l’oublie pas." Et en émettant des suppositions sur leurs échanges qui étaient restés les mêmes pendant dix ans, qu’elle soit avec Midas ou pas "T’es naïf au point de croire que je resterais là sans broncher pendant que tu le dépeins comme un putain de pervers narcissique ?" Elle s’était approchée de l’endroit où il était assis, renversant au passage le seau à champagne sur la moquette luxueuse de sa chambre, si bien que, se mettant à chuchoter, il était désormais le seul à pouvoir l’entendre — le volume de sa voix depuis tout à l’heure aurait eu le pouvoir d’alerter tout l’étage, mais pas là, tandis qu’elle lui faisait "Sors de l’écran Micah, regarde autour de toi : on n'est pas dans un de tes films, là." Jo qui ne lui répéterait pas que non, elle n’avait jamais été et elle n’était pas amoureuse de lui, ni qu’en effet, comme Midas l’avait justement souligné avec moins de tact qu’elle, pour une fois, elle estimait avoir fait le meilleur choix en ne s’accrochant pas à lui comme à une perspective engageante d’avenir. Elle aimait Micah de tout son coeur, malgré le fait que sur le moment, elle le haïssait plus que jamais, mais une chose était immuable à ses yeux : s'ils étaient des âmes soeurs, c’était uniquement parce qu'ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, animés par les mêmes envies et besoins, non parce qu’ils étaient voués à terminer leur existence ensemble.

Dans tous les cas, ça semblait impossible maintenant, la limite que Jo venait de dépasser en mentionnant le père de Micah la faisant presque se recroqueviller sur elle-même quand il se déploya de toute sa hauteur pour se lever de sa chaise. Elle n’avait pas peur de grand monde, elle n’avait peur que de son père, mais Micah était aussi imposant qu’elle était minuscule, et pas uniquement en taille ; elle l’avait eu sur elle à de nombreuses reprises, elle connaissait sa douceur, elle connaissait sa puissance aussi, et elle n’ignorait pas que celle avec laquelle il l’avait contrôlée parfois, ce n’était rien à côté de celle avec laquelle il pourrait définitivement lui faire du mal si elle s’obstinait à le provoquer sans ciller. Aussi elle eut un mouvement de recul instinctif, prenant son invitation à se faire foutre avec dignité jusqu’à ce qu’un léger sourire fende ses lèvres, et que la partie d’elle la plus insupportable se réveille, la sommant avec conviction qu’il ne lui ferait rien de toute façon — elle aurait presque préféré qu’il le fasse pour échapper à ce qu’elle voyait briller dans ses yeux. Pour le forcer à se mettre davantage en colère, elle lui dit, aussi sérieuse que vicieuse "Sinon quoi, tu vas me frapper, moi aussi ?" Fais-le, voilà ce que lui renvoyèrent ses yeux sombres quand elle les plongea dans les siens, la tête levée dans sa direction jusqu’à ce que sa nuque devienne douloureuse et que de son côté, les larmes lui montèrent aux yeux sans qu’elle ne puisse le contrôler. Le temps d'une seconde à peine, elle songea à le bousculer par les épaules, à le provoquer encore et encore pour qu’il cède à ce qu’elle attendait de lui sans savoir ce qu’elle ferait vraiment si elle parvenait à ses fins et qu’il lui rendait le coup qu’elle lui avait donné quelques minutes plus tôt. Juste à temps, son corps grouillant de cette envie irrationnelle d’être corrigée en retour, elle réalisa qu’au fond, elle ne voulait même pas le savoir, et ce en même temps qu'elle réalisait aussi, et pour de bon, qu’elle était allée beaucoup trop loin. Il ne garderait pas longtemps les marques de son coup de poing sur son visage, mais il garderait un temps infini la marque de ce qu’elle venait de lui dire au sujet de son père ; une part d’elle aurait bien aimé qu’il la marque aussi fort, c’était vrai, mais l’autre voulait aussi arrêter les frais de toute cette histoire et battre en retraite pour se laisser le temps de faire le deuil de lui sans délai. Affrontant encore quelques secondes son regard, le sien se brouillant des larmes qui gonflaient de plus en plus au raz de ses cils, elle sentit son menton trembler, et elle sut que c’était son signal pour s’en aller. Elle redressa le menton, aussi fière qu’elle avait le coeur brisé, et quand elle se retourna, elle laissa une sorte de rire par le nez lui échapper, son pied cognant volontairement contre le métal du seau à champagne qui roula jusqu’au lit du jeune homme à qui elle ne lança aucune invective supplémentaire, aucun regard non plus.

rp terminé.