@Rhett Hartfield

« Tu penses qu’on arrivera à les chasser assez loin pour ne pas qu’ils reviennent cette fois-ci ? » Perché sur son cheval, tirant quelque peu sur les brides pour ne pas que ce dernier ne se mette à avancer sans son accord, il tourna son regard vers son frère et son compagnon d’arme. Il haussa un sourcil, sa question étant on ne pouvait plus en attente d’une réponse. Cela faisait des jours et des jours qu’ils s’organisaient, les autres soldats et eux, sous le commandement de leur chef, pour repousser la troupe d’indigènes qui revenaient à la charge sur la ville. « J’ai entendu dire qu’on aurai jamais assez de troupes pour s’en débarrasser, et qu’en plus ils perdaient la tête… »

Cela n’était pas exactement ce qui avait été dit, mais c’était ce que Ruben en avait retenu: ils arrivaient par groupes, la rage aux dents et l’envie de détruire tout sur leur passage féroce, de part et d’autres des routes menant à la ville. Ce qu’il n’avait pas été transmis comme information au jeune homme, c’était qu’ils ne venaient pas pour détruire tout sur leur passage mais pour récupérer les terres qui leur appartenaient et évincer ceux qui les avaient prises pour acquis.

« J’ai aussi entendu dire qu’ils jetaient des malédictions et des sorts, comme des sorcières. Tu penses que c’est possible ça ? » Il en avait entendu bien des choses, Ruben, mais n’avait que peu de réponses à ses questionnements - alors c’était tout naturellement qu’alors qu’il avait enfin un peu de temps avec son grand frère, qu’il prenne le temps pour lui poser les questions qui trottaient dans son esprit. Rhett aurait forcément certaines réponses à lui apporter, il avait toujours des réponses à donner à toutes ses questions que son petit frère pouvait avoir - et ce dernier ne s’était jamais retenu de lui en faire part, de celle qui lui semblait la pus idiote à la plus pertinente, parce-que tant qu’il pouvait poser les questions à son ainé tout le reste pouvait se passer à côté, ils s’en sortiraient.

(dimension fantôme) Jackson dirige leur brigade mais leur frère a trop de morale pour faire parvenir des informations complémentaires à ses cadets: ils en savent autant que le reste des troupes et autant que leur grade le leur permet. Certainement rien de plus, parce que la génétique ne devrait pas leur permettre d’avoir un avantage. Ainsi, ils en sont réduit à se poser de nombreuses questions. « Tu penses qu’on arrivera à les chasser assez loin pour ne pas qu’ils reviennent cette fois-ci ? » Ce n’est pas qu’il le pense, mais c’est qu’il l’espère du plus profond de son cœur. « Ils ont l’air déterminés. » Il ne veut pas tuer ses espoirs, mais il ressent tout de même le besoin d’être transparent avec lui. « J’ai entendu dire qu’on aurai jamais assez de troupes pour s’en débarrasser, et qu’en plus ils perdaient la tête… » - « Arrête d’écouter les discussions des hommes après qu’ils aient bu. » Et cette fois-ci, Garrett se montre bien moins conciliant. Même sur le champ de bataille, il ressent toujours le besoin de protéger son petit frère, et cela doit parfois passer par le besoin de lui dire de fermer ses oreilles de temps à autre.

« J’ai aussi entendu dire qu’ils jetaient des malédictions et des sorts, comme des sorcières. Tu penses que c’est possible ça ? » Il l’a entendu aussi, malheureusement, et cette fois-ci il n’est pas assez lâche pour oser repousser cette histoire sur le dos des soldats alcoolisés. Il l’a entendue trop de fois, encore et encore, au point où il pense à son tour qu’elle détient un fond de vérité. « Et toi ? T’en penses quoi ? » Il sait que Ruben lui a posé la question le premier mais la vérité, c’est qu’il ne sait pas ce qu’il en pense, et qu’il sait encore moins sous quel angle aborder la question. « Je pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu. » Dans la mesure du raisonnable. Normalement, tout est toujours dans la mesure du raisonnable. « Je pense aussi qu’on a jamais été mis en déroute aussi lourdement. » La magie pourrait expliquer.

« Ils ont l’air déterminés. » Pour les avoir vu de près, ce n’était pas un point que Ruben pouvait défendre - il se trouvait obligé d’être d’accord avec son frère. Les indigènes avaient l’air déterminés, mais c’était justement bien ça le problème: le doute commençait à être semé dans l’esprit de certains soldats. « Arrête d’écouter les discussions des hommes après qu’ils aient bu. » Il renfrogna le bout de son nez. Ce n’était pas la réponse qu’il aurait aimé entendre de la part de Garrett, mais il ne pouvait nier le fait qu’au moins, il n’aggravait pas la situation pour lui avec des informations hasardeuses comme pouvaient effectivement le faire d’autres membres de leur bataillon. Peut-être que Ben avait les oreilles qui traînaient de trop, mais il était surtout inquiet. Il était encore jeune, et cette bataille n’était pas anodine.

« Et toi ? T’en penses quoi ? » De la théorie qui circulait concernant les habilités proches du vaudou des indigènes. Mollement, Ben haussa les épaules. « Je sais pas quoi en penser. » C’était aussi simple que cela: que penser de quelque-chose qui ne semblait même pas réelle. « Je pense qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Je pense aussi qu’on a jamais été mis en déroute aussi lourdement. » - « Donc tu crois à l’histoire des magiciens. » Il déglutit avec peine: si Rhett y croyait, il ne savait donner de la tête autrement que dans la même direction, son regard s’en allant vers les pleines où les indigènes se cachaient surement. « S’ils arrivent à passer… » Il inspira longuement pour reprendre contenance. « S’ils arrivent jusqu’à la ville, ça veut dire que les habitants seront en danger. » C’était là le rôle de l’armée mise en place: protéger les habitants de Brisbane de l’invasion. Mais s’ils étaient finalement en danger, cela voulait dire aussi que certains d’entre eux le seraient. « Ca veut dire que Ethel et maman seront en danger. » Et c’était ce qui faisait surtout peur à Ruben maintenant.

Garrett ressent le besoin d’obtenir l’avis de la part de son petit-frère parce qu’il veut savoir comment lui répondre en retour. « Je sais pas quoi en penser. » Son aîné souffle doucement. Lui non plus, en réalité, ne sait pas quoi penser. Les hommes sont ivres et stressés mais il a lui aussi vu des lueurs étranges à l’aube, et il a entendu des mots de la part d’hommes qui ne connaissent pas le mensonge. « Donc tu crois à l’histoire des magiciens. » Il résume ses mots vulgairement mais Garrett ne peut pas en retour annoncer qu’il est dans le tort. Sans doute que les appeler magiciens n’est qu’une exagération puérile de leur part mais il faut bien avouer qu’il ne saurait comment les qualifier autrement. Il y a trop de choses qu’ils n’arrivent pas à comprendre.

« S’ils arrivent à passer… S’ils arrivent jusqu’à la ville, ça veut dire que les habitants seront en danger. » - « On est là pour que ça n’arrive pas. » Il reprend plus que jamais son sérieux: ils se sont enrôlés dans l’armée pour protéger leur pays et leur ville, et il peut déjà affirmer que jamais ils ne laisseront quelconque armées passer leurs défenses. Ni celles des morts, ni aucune autre. « Ca veut dire que Ethel et maman seront en danger. » Garrett pose vivement une main sur l’épaule de son cadet pour le ramener à lui et le forcer à l’observer dans les yeux. « Regarde moi, Ben. On va les protéger, elles et tout le reste de la ville. Peu importe qui se trouve derrière cette attaque, on va les repousser, ok ? » Qui, ou quoi. Il ne fait pas la précision mais il n’en pense pas moins. Peu importe ce qui viendra à les attaquer, ils les repousseront. Ils ont été formés au combat, ils peuvent s’adapter à toutes les situations. « Je te promets que personne toucher à Ethel et maman. » Ils devront leur passer sur le corps pour ça, et justement ça non plus Garrett ne le laissera pas passer sous aucun prétexte.

Il le pensait encore, jusqu’au moment où le cor de chasse résonnant vient annoncer que l’ennemi a passé la barrière de leurs frontières. « Ils attaquent. » Garrett souffle, pris de court par leur tactique. Ils ne les attendaient pas si tôt.

« On est là pour que ça n’arrive pas. » Ils étaient peut-être là pour ne pas que ça arrive, mais ils n’étaient pas non plus infaillibles; ils restaient des hommes armées de fusils, de pistolets, qui se battaient contre une force qui pouvait se trouver être bien plus grande qu’eux finalement. S’ils n’arrivaient pas à faire leur travail correctement, les habitants de la ville seraient en danger et deux noms venaient bien sur plus rapidement en tête que d’autres - ce fut la main sur l’épaule de Ben qui le tira des pensées dans lesquelles il était en train de glisser. « Regarde moi, Ben. On va les protéger, elles et tout le reste de la ville. Peu importe qui se trouve derrière cette attaque, on va les repousser, ok ? » Ses yeux naviguaient de gauche à droite dans le regard de son frère, cherchant la réassurance dont il avait besoin. Avalant avec difficulté sa salive, il hocha mollement sa tête. Rhett était sur de lui - et il n’avait pas de raison de douter des paroles de son frère, hein ?

« Je te promets que personne toucher à Ethel et maman. » - « Je veux pas qu’il leur arrive de mal. » Il était encore jeune, Ruben, mais il savait que ce n’était pas quelque-chose qu’il laisserait arriver si facilement. Pas alors que son frère détenait la motivation qu’il avait à ses côtés. Alors, lorsqu’il hocha la tête, ce fut avec davantage de confiance.

Bien sur que le bruit du cor de chasse retentissant à travers tout leur campement le fit tout de même sursauter, et qu’un voile de panique passa dans son regard. Ce n’était pas pour annoncer le diner qu’ils étaient appelés; c’était pour prévenir que la première ligne de défense avait été vaincue. « Ils attaquent. » Et ils seraient bientôt contre leurs épées et leurs fusils. Inspirant avec quelques tressaillements, Ben se tourna vers la ligne qui venait d’être vaincue. « Ils attaquent. » Et même s’il était transis de peur, même s’il n’avait pas du tout envie de se trouver ici, il resserra la ceinture de ses armes autour de la taille, releva les épaules pour s’apprêter à affronter une armée. « Garrett… » Il se tourna vers son frère. « Si les magiciens m’attrapent, tue moi avant qu’ils me jètent un sort s’il te plait ? » Hors de question de finir possédé.

« Je veux pas qu’il leur arrive de mal. » Garrett le veut tout aussi peu, ce qui est la raison pour laquelle il est prêt à répéter ces mêmes mots: il ne laissera jamais rien arriver aux femmes de leur famille. Ils les protégeront contre toutes choses, peu importe la forme que ces créatures et pseudo-soldats peuvent prendre. Ils vaincront et Garrett n’en doute pas, même alors que le cor de chasse annonce le début d’une bataille sanglante: ils en ressortiront vainqueurs. « Ils attaquent. » Tous les sens des frères s’agitent à leur plus haut niveau. Ils savent que dans cette guerre, leur vue ne suffit plus réellement et leurs réflexes ne seront que le début d’une bonne nouvelle.

« Garrett… Si les magiciens m’attrapent, tue moi avant qu’ils me jètent un sort s’il te plait ? » Garrett plante son regard dans celui de son frère, désemparé face à une telle demande. Il ne peut pas répondre positivement face à une telle requête. Il ne peut pas lui promettre qu’il donnera lui-même la mort à son frère, pas alors que jusqu’à peu ils avaient encore tout pour gagner la guerre haut la main. « On va les battre ces bâtards, tu m’entends ? » Il l’attrape par les épaules un instant et le secoue, comme si cela allait pouvait lui remettre les idées en ordre pour qu’il arrête de raconter des conneries. « Mets toi en position. » Il sort lui-même sa baïonnette pour donner l’exemple, le fusil pointé en direction de ces choses qu’il est prêt à déchiqueter si jamais les balles ne suffisent pas à les arrêter. « Pour maman et pour Ethel. » Ils n’ont pas le droit à l’erreur et, surtout, ils n’ont pas le droit à l’échec. Il protégera son petit-frère, parce qu’il est impossible d’imaginer un monde dans lequel ils ne rentreront pas tous les deux chez eux, sains et saufs.

Si Garrett lui disait s’attendre à de telles paroles de sa part dès l’instant où ils avaient entamé cette discussion, Ruben le traiterait de menteur. Mais à recevoir le regard qu’il lui offrait en l’écoutant, il savait que ce n’était pas le cas - mais cela semblait tout de même être d’une logique imparable pour le plus jeune des frères. Il désirait combattre, il désirait mettre ses capacités fraichement apprises à disposition de la patrie et des citoyens qui n’avaient pas demandé à être mis en danger de la sorte. En revanche, il n’était pas question si une telle malédiction existait réellement comme le bruit courait qu’il soit attaqué par cette dernière et qu’il en vienne à perdre l’esprit: il préférait encore que Rhett mette fin à ses jours plutôt que de céder à la folie. « On va les battre ces bâtards, tu m’entends ? » Il attrapa les épaules de Ben, ce dernier ancrant son regard dans celui de son ainé. Il l’entendait, ce n’était pas le soucis - il aurait juste aimé réussir à avoir autant d’aplomb et de certitude que lui. Mais il avait confiance en son frère, et s’il disait qu’ils allaient les battre, ne serait-ce alors pas le cas ? Pinçant ses lèvres, il opina du chef mollement au début, puis de manière de plus en plus vigoureuse. « Mets toi en position. » - « Oui monsieur. » C’était là le réflexe d’une autorité exercée sur lui plutôt que n’importe quoi d’autre - Rhett n’était pas son supérieur au sein des bataillons. « Pour maman et pour Ethel. » Il enfonça un peu mieux son chapeau, gonfla ses poumons à bloc. « Pour maman et pour Ethel oui. » C’était là les deux seules personnes pour lesquelles il avait envie de faire tous les efforts nécessaires - jusque perdre réellement sa vie apparemment, car le jeune Ruben de cette époque là manquait d’enraiement à la bataille et avait beau avoir réussi à mettre à terre une demi-douzaine de soldats, le septième fut de trop et enfonça sa baïonnette dans son flanc après l’avoir manqué de sa balle tirée. Les yeux écarquillés, Ruben chercha frénétiquement du regard son frère alors qu’il tombait à genoux sur le champ de bataille.

« Oui monsieur. » Ruben prend sur lui, il respire longuement et se met en place. Ils en ont bien besoin, et gagner un peu de courage avant une bataille qui s’annonce être particulièrement sanglante ne pourrait être de trop. Rhett l’observe longuement, bien plus préoccupé par son frère que par l’avenir de toute l’humanité. C’est à sa famille qu’il pensera toujours en premier, peu importe les circonstances et peu importe les personnes qui pourraient se trouver face à lui et à toute l’armée dont il fait partie. « Pour maman et pour Ethel oui. » Et il hoche à nouveau la tête. Pour leur famille, ils sont tous les deux prêts à tout. Les femmes de la famille méritent un avenir.

L’assaut imminent de l’ennemi ne leur laisse pas le temps de discuter davantage et pas même d’ériger la moindre stratégie. L’assaut est imminent. Ils mettent tous deux en place leur baïonnette et, l’instant suivant, Rhett perd son petit frère de vue dans la foule compacte et hargneuse. Après avoir combattu avec hargne et férocité un ennemi particulièrement robuste et usé de son poing pour le sonner et eux l’abattre ensuite, c’est à son frère qu’il pense presque aussitôt en se demandant si, à son tour, il a besoin d’un peu d’aide pour faire face à l’assaut. En réalité, le tableau qui se dessine aussitôt sous ses yeux le terrasse de peur. « Ben ? » Il le cherchait à travers la masse il y a de ça une seconde encore, et maintenant il omet la présence de tous les guerriers sur le champ de bataille pour se concentrer uniquement sur l’homme qui partage son sang. « Ben ! » Il hurle à nouveau, comme si son prénom allait aider son frère à se relever et à soigner par l’opération du Saint Esprit la balafre ensanglantée sur son torse. « Reste avec moi, reste avec moi. » Il répète, comme si son frère pouvait le décider et comme s’il lui restait encore la moindre force. Comme si, surtout, ses yeux ne s’étaient pas déjà fermés alors qu’il a retrouvé les bras de son frère, à même le sol.