I don't wanna meet your family

@CECILIA BARKER & KIERAN HALSTEAD ☆☆☆ You don’t know nothing Bout the things I need And you, You don’t own me. Babe in the end, Oh we’re just friends And friends don’t feel. Thought we had a deal, It’s just sex to me. ☆ leave & jifdirectory.

(FORTITUDE VALLEY, LOGEMENTS). Muet depuis quelques secondes – minutes ? – Kieran envisage de changer de choix de carrière. Cecilia a eu le mérite d’ébranler toutes ses certitudes en une seule et simple question : est-ce que tu peux me servir de modèle ? Celle-là même qu’il pose d’ordinaire aux autres, quand la passion l’emporte sur la timidité et que les traits d’un visage charismatique ou atypique méritent qu’il en oublie sa réserve. La possibilité que les rôles soient inversés ne lui a jamais effleuré l’esprit, pas même lors de ses cours particuliers où il s’est toujours assuré d’éviter une telle demande en s’assurant au préalable d’être toujours au bénéfice d’un large choix de modèles – certes, jamais en direct et c’est sans doute ce qui a amené Cecilia a posé sa question. De son point de vue d’artiste, le rôle de modèle n’est guère compliqué et nécessite seulement de parvenir à rester tranquille. Une qualité que Kieran peut se targuer de posséder, mais qui est désormais masquée par tous les défauts qui ressurgirent à l’idée d’être ainsi sur le devant de la scène là, où d’ordinaire, il se complaît dans l’ombre. Il n’a pas choisi cette voie-là pour rien, préférant de loin que ses dessins parlent pour lui plutôt que d’avoir à le faire par lui-même. C’est d’abord l’hésitation qui prime, alors qu’il a bégayé une tentative de refus à Cecilia, vraisemblablement pas assez convaincante puisque cela ne l’a pas amenée à retirer sa demande. C’est ensuite la nervosité qui est apparue, après qu’il a eu rapidement abdiqué, ayant désormais eu plus d’une fois l’exemple de la ténacité d’une Cecilia qui peut faire peur quand elle a une idée en tête et que quelqu’un a le malheur d’être perçu comme un obstacle. Ce qui est très exactement ce qu’il représente à cet instant, et il n’a pas fallu plus d’un regard pour qu’il ravale sa salive et ses oppositions avec elle. C’est finalement son agitation qui est le dernier élément contre lui, alors que l’immobilité est une tâche plus ardue qu’il n'y paraît. Son pied frappe au sol en un rythme régulier, son regard fuit Cecilia alors même qu’elle se doit de l’observer pour le reproduire au mieux et, durant tout le temps de la séance, il est terriblement désolé pour toutes les personnes qui ont un jour dû se retrouver à cette place. « J’avais oublié à quel point le dessin était une activité ô combien séduisante quand on passait des heures à fixer intensément sa feuille au point d’avoir l’impression de loucher quand on daigne enfin faire une pause et regarder autre chose. » - « Tu aurais pu dessiner Waterproof, au moins t’aurais dû toujours l’avoir à l’œil et t’aurais pas fixé constamment ta feuille, je t’assure. » Parole de connaisseur, qui doit toujours garder un œil sur le corgi qui a cette fâcheuse tendance à faire des bêtises. Jamais rien de grave, et pas le fruit d’un manque d’éducation, mais d’un simple plaisir à faire tourner en bourrique son maître. « Pas trop compliqué de rester assis sans rien faire si ce n’est te vautrer dans le désespoir dans lequel tu es depuis que je t’ai demandé si je pouvais te dessiner ? » - « Pour être honnête, je demanderai plus jamais à personne d’être mon modèle maintenant que je suis passé de l’autre côté. » Il n’est certes pas aidé par une anxiété toujours plus grandissante, qui l’empêche d’être serein dès qu’on pose ses yeux sur lui. Que ce soit le caissier de la supérette au  coin de la rue ou une Cecilia qui, pourtant, fait ce pour quoi il l’instruit, dès lorsqu’on s’attarde un peu trop longtemps sur lui, il panique. C’est d’ailleurs surprenant que la porte en bois de cet appartement ne soit pas encore marquée de sa silhouette. « J’ai l’impression que je suis condamnée à voir ton visage à chaque fois que je vais fermer les yeux maintenant. » - « Toutes mes excuses, il y a tellement plus appréciable comme image. » Il rétorque, sérieux, alors qu’il est effectivement désolé à l’idée que ses traits puissent l’avoir marquée, même le temps de quelques jours et qu’elle trouve une autre image à imprimer dans son esprit. Nul doute qu’elle aurait préféré une vision plus plaisante – il le sait, parce qu’il espère toujours qu’un autre reflet que le sien lui apparaisse dans le miroir quand il doit s’y confronter.

« Je suis pas certaine de l’avoir fini…j’ai l’impression qu’il manque quelque chose et j’arrive pas non plus à déterminer si j’en suis satisfaite ou non. » - « On le retravaillera si besoin. Enfin, tu le retravailleras. Je préférerais encore te filer une photo de moi que d’avoir à poser une minute de plus. » Car plus les secondes passent, plus il a l’impression qu’une goutte de sueur se forme à l’aube de son front pour mieux dévaler son visage jusqu’à son menton. Autant dire que plus vite ils auront terminé, mieux il se portera. Ce qui est quelque peu paradoxal puisque Cecilia a le mérite d’être une élève attentive et, surtout, qui progresse. Et lorsque la jeune femme relève enfin l’œuvre pour finalement lui la montrer, cachant son visage par la même occasion, il s’autorise à laisser échapper un soupir de soulagement, et surtout, à se recroqueviller sur lui-même comme il le fait d’ordinaire. Un sourire amusé s’affiche sur ses lèvres quand la petite tête de CeCe dépasse pour quémander son avis. « Tu vas l’encadrer et l’afficher dans ton salon j’espère ? Je t’en ferai un bon prix… » - « Bien sûr, il ira avec tous les autres dessins de mes élèves. Ceux du collège, que je garde dans ma salle de classe. » Il se moque doucement, se permettant une telle légèreté puisqu’il côtoie Cecilia depuis un certain temps maintenant et qu’elle l’impression bien moins qu’au début (c’est faux). « Bon, laisse-moi voir. » Il dit, attrapant le siège de sa chaise pour s’avancer un peu plus vers ce dessin, restant muet un instant alors qu’il le détaille, il finit toutefois par souligner un fait : « à ta décharge, t’étais pas aidée par ton modèle. » Tenter de reproduire ses traits est un beau geste, encore faudrait-il que ceux-ci puissent donner quelque chose ce qui, évidemment, n’est pas le cas. « Mais, sinon, je me reconnais, ce qui est un bon début. Et tu t’en sors nettement mieux au niveau des perspectives, de manière générale et surtout dans les détails, genre t’as pas ignoré l’épaisseur des paupières cette fois. Ça se voit que tu t’en sors mieux pour tracer les lignes et les formes qui te servent de bases. Et aussi que t’essaies de corriger ton petit problème d’oubli des ombres. Franchement, tu progresses bien et si c’était la version finale, ce serait loin d’être honteux, alors bravo. » Mais puisqu’il est payé pour l’aider à progresser, il ne peut évidemment pas rester sur ces paroles. « Mais, du coup t’as trop ombragé le nez. Faut que tu gardes en tête que c’est justement en jouant sur les ombres que tu vas créer la forme du nez, et non l’inverse, tu dois éviter de le dessiner, d’en faire une forme nette, ça casse l’harmonie du visage. » Il dit, désignant d’un signe de la tête le crayon posé sur la table. « Je peux ? » Question rhétorique alors qu’il se lève afin de ne pas avoir à tendre les bras pour corriger l’erreur de Cecilia, se saisissant de son dessin qu’il pose sur la table et qu’il reprend avec une certaine lenteur, pour qu’elle puisse comprendre où il veut en venir. « Genre, l’arête du nez, il faut être plus léger, mais par contre, faut pas que t’oublies la continuité avec les joues. » Il explique, gommant légèrement les contours du nez en question, puis ombrant un peu plus les joues. Abandonner le crayon, il reste debout aux côtés de la jeune femme vers laquelle il baisse la tête. « Mais, quelques corrections à faire et il est effectivement bon à encadrer. » Qu’il termine, ayant à cœur de finir sur une note positive – à se demander pourquoi il donne des cours s’il se sent aussi coupable dès qu’il formule un semblant de critique, aussi constructive soit-elle.

« C’est pas faux. Peut-être pour un prochain défi. » - « Il adorerait ça, en plus. » Plus que son maître, c’est certain. Kieran guette du coin de l’œil l’animal en question, toujours à l’affut dès qu’il sent que l’attention est posée sur lui. Si le narcissisme pouvait être personnifié, il l’illustrerait à merveille ; Waterproof n’est jamais contre quelques flatteries. « Mais réussir à dessiner le visage de quelqu’un qui arrive à illustrer son malaise par l’intermédiaire de dizaines de micro-expressions différentes, c’était un beau défi aussi. » À la liste s’ajoute à cet instant un froncement de sourcils ainsi que des yeux légèrement plissés pour marquer une contrariété feinte (presque). « Fais pas la maligne, sinon la prochaine fois je t’amène un gamin qui hurle constamment ou la personne la plus expressive de mon répertoire. » Le nom qui s’impose à son esprit est celui de Birdie, incapable de tenir en place plus de quelques secondes et autrement plus exubérante que lui. Pas sûre que Cecilia supporte l’exercice ; et peut-être qu’elle comprendra qu’ils sont plutôt bien, son malaise et lui. Dans un autre registre, il y a Dali qu’il pourra emprunter à sa mère sans sourciller et il connaît désormais bien assez l’enfant pour savoir ce qui serait susceptible de lui provoquer une crise qui ferait ravaler ses menaces à Cecilia. Car c’est bien de cela qu’il s’agit et il ne se serait probablement pas prêté au jeu si la jeune femme ne s’était pas montrée aussi insistante – et qu’il ne la craignait pas autant, surtout. Kieran a toujours su que sa timidité n’était pas qu’un trait de personnalité, mais une véritable maladie contre laquelle il a encore un long combat à mener ; et il croyait naïvement qu’il serait en mesure de supporter les longues minutes d’immobilité imposée par son nouveau statut. Mais son visage, rougi par la gêne, autant que son pied tapant au sol en rythme régulier démontre de la difficulté à s’adonner à l’exercice. « Tu veux dire que c’est un juste retour des choses finalement ? Le karma qui fait enfin son boulot ? » Il plisse à nouveau les yeux, se contentant de rétorquer : « J’y crois pas, t’y prends du plaisir en plus ?! » C’est une affirmation plus qu’une question, même s’il se plaît à croire qu’elle n’est pas aussi cruelle – pas qu’il s’en offusquerait, vous l’avez bien regardé ? « Waterproof, attaque ! » Il demande à l’animal, sachant pertinemment que celui-ci grognera un instant pour démontrer de l’ennui que cet ordre le procure, au mieux, ou se cajolera contre les jambes de Cecilia dans une autre forme d’attaque, au pire. C’est évidemment cette deuxième option que le chien choisit. « Oh non loin de là. Je suis certaine que ça pourra s’avérer utile pour me trouver une occupation lors de future nuit solitaire écoute. » S’il a volontairement ignoré le regard de Cecilia sur lui la seconde précédente, à cet instant il ne peut s’empêcher de croiser celui-ci afin de le sonder. Et le silence qui suit la réflexion de la jeune femme ne vise pas à laisser planer un quelconque mystère quant à sa réaction, mais est le fruit d’un malaise dont il peine à se sortir, n’ayant foutrement aucune idée des mots à mettre ensemble pour formuler un semblant de réponse. Alors il se contente d’ouvrir la bouche, tente de dire quelque chose, ne pas savoir exactement quoi, sceller ses lèvres, et recommencer le même schéma une seconde, puis une troisième fois. « L’heure, … l’heure, elle, elle tourne, donc euh faut qu’on… avance, vu que, bah, elle avance aussi, donc euh. » Bref.

Kieran se reconcentre sur la véritable raison de la présence de Cecilia ici, et ce dessin qu’il n’a pas encore pu apercevoir. « Hors de question. On est là-dedans tous les deux maintenant et je ne veux pas risquer de gâcher tout ce travail à cause d’une photo. » - « Même si je fais attention afin que ce soit mon meilleur profil ? » Il plaisante, Kieran, mais il est vrai que ça l’arrangerait qu’elle accepte la proposition. Bien qu’elle sache aussi bien que lui que si elle insiste pour qu’il pose une fois encore, il le fera plutôt que de prendre le risque de la décevoir. Pour éviter ça, il peut au moins lui promettre qu’il trouvera une place adaptée à l’œuvre de Cecilia, même si celle-ci ne semble pas aussi ravie que lui à en croire son majeur bien dressé, qui décroche un rire à Kieran avant qu’il n’ajoute : « oh, la prochaine fois tu veux qu’on fasse une étude de main ? Pas de souci. » Il souligne, très fier de sa boutade, bien qu’il s’attende à récolter – une fois encore – les foudres de Cecilia, avant de finalement se lever pour mener à bien sa mission première, non sans un dernier commentaire quant à l’ampleur de la tâche. « Tu sais ce qu’on peut faire ? Je peux te donner un coup de poing dans l’épaule à chaque fois que tu te dénigres comme ça. On en pense quoi de cette idée ? Moi je la trouve excellente. Adjugée. » - « Et je te prends 15 dollars de plus à chaque menace, 10 à chaque pique. On en pense quoi de cette idée ? Moi je la trouve excellente. Adjugée. » Faisant danser les phalanges de ses doigts pour l’inviter à payer ce qu’elle lui doit depuis son entrée dans cet appartement, il finit toutefois par reprendre son sérieux pour se concentrer sur sa création. « Hésite pas à être plus convaincant dans tes encouragements surtout. » Il doit admettre qu’il peut mieux faire, mais pour sa défense, c’est difficile de juger quand on n’apprécie pas le modèle. Notant finalement les points positifs autant que les améliorations qu’il a pu percevoir au fil des semaines, Kieran se veut plus sincère, même s’il sait aussi qu’il ne peut pas lui faire un retour seulement positif. Peu doué en termes d’explications – un comble pour un professeur – il finit par donner l’exemple. « C’est surprenant de voir que seulement quelques coups de crayon suffisent à changer l’aspect général du portrait. C’est fou…comme quoi, c’est un métier. Moi qui pensais que tu te contentais de gribouiller négligemment quelques trucs ici et là. » Soupirant sincèrement, las d’entendre cette réflexion, il précise : « 10 dollars, merci. » Car c’est bien d’une pique qu’elle vient de le gratifier. « Et oublie pas qu’on peut embellir, mais on peut aussi enlaidir. Alors me chauffe pas trop sinon je me mets en tête de faire aussi ton portrait. » Et il changera l’aspect du dessin, oui. Pas comme elle le voudrait, sans doute. Peut-être qu’il l’a déjà fait, ceci dit, puisque Kieran tend à dessiner tout ce qu’il voit ; y compris les personnes qu’il côtoie au quotidien. L’observant se lever, il la suit du regard avant qu’elle ne désigne un bout de mur. « Bon à encadrer et accrocher ici par exemple ? » Bien en évidence dans sa pièce à vivre, donc. « Tu prends la grosse tête, Cecilia. » Il dit, se dressant à son tour pour faire quelques pas jusqu’à l’entrée, désignant le mince espace laissé libre entre le porte-manteau et la porte en bois. « Là, c’est bien, tu trouves pas ? » À l’écart, pas franchement visible, mais la première – ou la dernière – chose que les gens verront. « Tu le penses vraiment ou tu dis juste ça parce que je te paye, que tu détestes faire des critiques aux gens, et/ou parce que tu as peur de moi ? » - « À ton avis ? » Il dit, désignant d’un signe de la tête la distance qui les sépare, chacun d’un bout à l’autre de cette pièce. Un sourire passe rapidement sur son visage, avant qu’il ne reprenne son sérieux. « C’est pas que j’aime pas faire des critiques aux gens, c’est juste que je vois pas exactement à quoi elles peuvent servir si elles sont pas contrebalancées. Jamais personne ne s’est amélioré juste parce qu’on pointait du doigt ce qu’il faisait de travers, bien au contraire. » D’expérience, c’est tout l’inverse qui s’est produit ; et même ses pires échecs ont pu être surmontés parce qu’on l’aidait (incapable de le faire seul) à y voir du positif malgré tout. Pour l’enseignement, c’est la même chose. Se concentrer sur le négatif ne permet pas de s’améliorer, mais seulement de douter de plus en plus de sa valeur jusqu’à ne plus la considérer. Il s’est toujours promis que ce ne serait pas sa façon de faire. « Alors même si ce n’est pas franchement dans mon intérêt financier de te dire ça au risque que tu finisses par ne plus avoir besoin de mes cours, mais oui, je le pense vraiment. Tu t’améliores et tes progrès se voient, t’as un truc, faut que tu continues à l’exploiter. » Il pourrait lui dire que les rares exercices libres n’ont pas été couronnés de succès car elle n’arrive pas vraiment à y mettre sa touche au travers d’émotions, mais pour ce qui est de la reproduction, elle est sur la bonne voie, il ne peut pas mentir. Au-delà de ça, elle a vraiment un bon coup de crayon ; qui pourrait se transformer en véritable talent si elle s’en donnait les moyens et prenait tout ça au sérieux – ce qui n’est pas encore le cas, à ses yeux. « Si tu veux me laisser un pourboire, n’hésite pas. » Il conclut, avec un rire gêné qui dure une seconde tout au plus, ayant besoin de casser cet instant bien trop solennel pour qu’il soit à l’aise.

@Cecilia Barker

« Je te rappelle que mon travail consiste à servir des verres à des ivrognes, je pense que mon seuil de résistance est assez élevé. » - « Ça se voit que t’es jamais restée dans la même pièce qu’un bébé qui fait ses dents. » Ivrogne chancelant, bébé agaçant, même combat. Même si Kieran accorde un avantage aux humains miniatures, il ne doute toutefois pas que Cecilia a, en effet, subi les fléaux de sa profession à plusieurs reprises. Sans parler du fait qu’elle reste une femme charmante (oui, ce n’est pas parce que Kieran porte des lunettes que sa vision est complètement obstruée) et que, malheureusement, son seuil de résistance est sans doute plus élevé que celui de ses collègues masculins. Pour autant, le regard que Kieran pose sur elle durant un instant atteste de son scepticisme ; après tout, ne lui prouve-t-elle pas, semaine après semaine, que la patience est loin d’être sa meilleure vertu ? Ce serait mentir de dire qu’il n’a jamais cru se prendre un carnet sur la tête. « Ecoute, chacun son fuel dans la vie. C’est pas de ma faute si le mien c’est la souffrance des autres. » Kieran plisse les yeux alors qu’il reporte son attention sur Cecilia, tentant – sans grand succès – d’afficher une mine outrée qui se permet de la juger. Bien sûr, il n’a aucune crédibilité et cela n’étonnera sans doute personne, la jeune femme en premier. « Et si tu continues ainsi, le mien ça va être la richesse et l’augmentation de mes tarifs. » Dire que Kieran est intéressé par l’argent est un mensonge, quand on connaît le nombre de factures impayées qu’il traîne, qui est loin d’être proportionnel avec son découvert à la banque. Car la vérité est qu’il a encore l’argent qu’Ichabod lui a légué, plusieurs milliers de dollars, qui attend sagement qu’il en fasse usage. Autant dire qu’une telle somme aurait pu changer son quotidien, mais l’artiste a eu l’habitude de faire de son mieux pour joindre les deux bouts, et comme trop souvent, s’éloigner de ce qu’il connaît le terrifie. Il craint de perdre le contrôle et, pour tout dire, on ne peut pas vraiment le blâmer quand on sait les extrêmes dont il est capable. De tels excès ne semblent pas pour autant inspirer Waterproof, bien incapable de se montrer un tant soit peu féroce. Au contraire, il se tortille au pied de Cecilia. « D’une férocité ce chien. Au moins autant que son maître j’ai l’impression. » - « Quand j’étais gosse, j’ai eu une période où j’aimais bien mordre les gens, et tu sais ce qu’on dit : on est toujours encore un peu un enfant, au fond. » Ce qui implique qu’il a sûrement encore cette envie bien cachée quelque part et qu’elle ne devrait pas s’étonner s’il en vient à lui croquer le mollet. Ou pas – comme s’il était capable de se ridiculiser à ce point. À vrai dire, le seul fait de s’entendre dire cela à voix haute suffit à l’embarrasser, mais certainement pas autant que Cecilia ne parvient à le faire avec ses réflexions qu’il ne sait comment interpréter. Il peut déjà sentir ses joues s’enflammer, quand bien même il n’est pas difficile pour lui de se raisonner ; elle se moque de lui, comme elle le fait toujours. Et quand bien même elle serait sérieuse… non, elle ne peut définitivement pas l’être. Une fille comme elle ne peut rien vouloir d’autre que de se moquer d’un gars comme lui. « Mh-mh. » Retenant son souffle alors qu’il s’attend déjà à une contre-attaque, il ne peut s’empêcher d’expulser un soupir de soulagement quand il constate qu’elle n’enchérit pas.

La conversation revient à la véritable raison de leurs rencontres régulières ; et ce dessin qui, même s’il le met mal à l’aise, n’est que l’évolution logique de ses cours. Il faut bien qu’elle s’entraîne aux portraits et surtout aux détails, même s’il aurait préféré qu’elle se choisisse un autre modèle. « Non. No deal. Le toi. Le vrai. Grandeur nature sinon rien. » - « Je rentre pas dans le cadre, tu vas foirer les proportions, dommage. » Il bafouille, excuse parfaitement bidon, mais qui est bien la seule qui lui vienne en tête à cet instant. Il est trop grand pour être un modèle, voilà, c’est ridicule, ça l’est d’autant plus que c’est un avantage qui, contrairement à beaucoup d’autres personnes, ne lui a jamais servi à intimider qui que ce soit pour se faire respecter. Preuve en est le magnifique doigt d’honneur que la naine Barker lui offre. Il rétorque sans aucune once d’hésitation – c’est assez rare pour mériter d’être souligné – bien qu’il s’appuie sur les propos de Cecilia pour tenter de reprendre l’avantage. Sans surprise, c’est totalement vain, alors qu’elle ne manque pas de l’intimider une fois encore. « Très bien mais j’ai pas énormément d’argent tu sais. T’accepterais un paiement en nature pour me rendre service ? » - « Je sais pas, t’accepterais un procès pour harcèlement sexuel ? » En contrepartie de son insistance, n’est-ce pas. Bien que Kieran n’ait pas un très bon rapport aux autres, il sait pertinemment qu’elle se joue de lui et il n’en est évidemment pas là, mais c’est un peu sa seule chance de reprendre contenance, alors qu’il peut, une fois encore, sentir la gêne qui s’empare de lui – ou plutôt, de son visage. L’air angélique qu’elle se donne en l’observant ainsi n’arrange rien. À défaut d’avoir la maîtrise de ses joues, il peut au moins se féliciter de ne pas avoir bégayé, cette fois-ci. « Alors pour commencer…je pense que si on t’appliquait ton propre deal des 10 dollars là, on pourrait presque être quittes. Et ensuite… » Ensuite ? Kieran tente difficilement de rester sérieux alors qu’elle encadre son propre visage telle une œuvre d’art, même si la commissure de ses lèvres s’étire légèrement et le trahit. « …impossible d’enlaidir un visage pareil, on le sait tous les deux. » Baissant la tête, passant deux doigts sur son front dans un geste qui démontre de sa nervosité, Kieran n’arrive pas, cette fois-ci, à être réactif. Ça l’épuise, ce genre de petit jeu, autant parce qu’il n’y est pas assez préparé que parce qu’il a l’impression d’être ridicule à chaque fois qu’il ouvre la bouche. La vérité, c’est qu’effectivement, ils le savent tous les deux : Cecilia est ravissante, et elle a ainsi définitivement assuré sa victoire : confus par cette situation, les pensées de Kieran n’arrivent pas à s’orienter uniquement sur ce dessin. « C’est un défi ? » Il demande, d’une voix bien peu assurée, mais qui a le mérite de s’y essayer. Se diriger vers ce mur lui offre quelques instants de répit durant lesquels il lui tourne le dos avant de lui présenter l’emplacement idéal pour son œuvre. « Décevant. Mais j’imagine que c’est mieux que rien ? » - « T’as tout compris. Faut que tu la mérites, ta place au Panthéon. » Il dit, désignant d’un bref signe de la tête l’emplacement qu’elle a essayé de lui vendre. Il est capable de réellement accrocher son travail à un endroit stratégique dans cet appartement, mais il aimerait autant que ce ne soit pas sa tête qui soit mise en avant. Il reprend son sérieux quand elle semble douter de ses compliments, son regard qui suit Cecilia alors qu’elle reprend sa place initiale. « Je te remercie pour ta sincérité. » Hochant la tête en guise de réponse, bien peu à l’aise dans cette configuration, il finit par quitter son bout de mur à son tour pour revenir s’asseoir près d’elle. « J’ai pas vraiment l’habitude qu’on me traite comme ça. Je dirais même plutôt qu’au contraire j’ai été élevée à coup de "tu peux mieux faire" et si ça nourrit très bien la rage, je suis pas sûre que ce soit la meilleure façon de grandir ? » Il ne s’attendait certainement pas à ce qu’elle se confesse de la sorte, preuve en est le regard qu’il porte sur elle, qui traduit de son étonnement. « Bref. » Il sent sa gêne et il enchérit ainsi sur une boutade, ne sachant pas que faire des quelques mots qu’elle vient de lui partager. Il peut difficilement les ignorer, mais il ne veut pas non plus insister sur un sujet aussi intime. « On en a déjà parlé Kieran. Pas d’argent. Payer en nature. Tout ça, tu sais bien. » Cette fois, le ton et les traits de Cecilia sont suffisamment détendus pour qu’il ne s’imagine pas mille scénarios et parvienne à garder contenance sans trop d’efforts. « Pour qui tu me prends, Cecilia ? Je suis loin d’être aussi facile à corrompre. » Il dit avec un rire toutefois nerveux. Facile à embarrasser, oui, certainement, mais elle se rendra vite compte qu’elle pourra y mettre tous les efforts, elle n’obtiendra que des bégaiements de la part du trentenaire. « C’est pas la meilleure façon de grandir, non. » Il finit toutefois par ajouter, du bout des lèvres, comme une confession honteuse qu’il peine à articuler – et à vrai dire, c’est exactement ça. Il a grandi, lui aussi, avec cette phrase et toutes ses variantes, souvent bien plus difficiles à encaisser que la version originale. Et si Cecilia a choisi la rage, il a choisi le désespoir de son côté ; et il semblerait que ni l’un ni l’autre ne soit vraiment efficace. « Oui, tu peux mieux faire, parce qu’on peut toujours faire mieux en réalité, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas suffisant ou pas assez bien, loin de là. » Il ajoute, relevant enfin la tête pour croiser son regard, ayant à cœur de ne pas rester indifférent à de tels propos, rajoutant avant qu’elle ne puisse le couper : « La prochaine fois que tu te dis ça, dis-toi plutôt que tu fais du mieux que tu peux. » Finalement, ce n’est qu’une simple inversion de l’ordre des mots, mais c’est surtout une culpabilité moins pesante. Elle pourra s’en moquer ouvertement si ça lui chante, mais il n’aurait pas été serein de l’ignorer et de la laisser repartir sans avoir rétabli la vérité à laquelle elle doit s’accrocher, plutôt que celle dont on l’a injustement bercée. « Hm, bref, j’imagine qu’on a terminé pour aujourd’hui. » Il conclut, lèvres pincées qui traduisent une fois encore de sa nervosité, son regard bleu qui a préféré la fuir pour se concentrer sur l’horloge et lui offrir un argument en cas de nécessité.

@Cecilia Barker

« Ça se voit que t’es jamais restée dans la même pièce qu’un bébé qui fait ses dents. » « Franchement, à choisir je… » Oui ok. J’avais peut-être parlé un peu trop vite. Je m’apprêtais évidemment à le contredire pour lui expliquer que j’étais prête à échanger n’importe quel ivrogne contre un innocent bébé…mais à bien y réfléchir et vu la patience dont je pouvais faire preuve, aucune de ces deux solutions ne me convenait. « Non rien. La peste ou le choléra quoi. » Dommage que la peste me permette de gagne ma vie actuellement. « Et si tu continues ainsi, le mien ça va être la richesse et l’augmentation de mes tarifs. » Vu les prix plus que raisonnables qu’il pratiquait, il aurait pu se le permettre. Mais plutôt que d’avouer ça, je préfère encore afficher une mine faussement triste et désespérée avant de lancer : « Et risquer de ne plus me voir parce que je ne serais plus en mesure de me payer tes cours ? Tu n’oserais pas. » A deux doigts d’ajouter que j’étais certainement son élève préférée mais l’argument me semblait trop simple à démonter pour oser l’avancer. « Quand j’étais gosse, j’ai eu une période où j’aimais bien mordre les gens, et tu sais ce qu’on dit : on est toujours encore un peu un enfant, au fond. » Je maintenais mes lèvres fermement pincées l’une contre l’autre pour tenter de garder mon sérieux et pouvoir surenchérir à cette perche parfaitement tendue malgré lui, mais mon self control finit par me lâcher au bout de quelques secondes : c’est très sincèrement que je me mis à rire avant d’ajouter, sans le quitter des yeux : « Pardon Halstead mais là tu cherches. C’est des foreplay que tu me proposes de façon déguisée là, c’est ça ? » C’était trop facile de le mettre en boîte. Je ne pouvais résolument pas passer à côté d’une occasion pareille.
« Je rentre pas dans le cadre, tu vas foirer les proportions, dommage. » Je balaye son argument d’un geste de la main. De toutes façons, on pouvait bien parlementer aussi longtemps qu’il le voulait, on savait tous les deux qui gagnerait le match au bout du compte. « Je sais pas, t’accepterais un procès pour harcèlement sexuel ? » Comment osait-il ? Moi qui lui faisais une proposition qui ne pouvait se refuser. Mais j’étais presque fière de lui de parvenir petit à petit à rentrer dans mon jeu pour me remballer tant bien que mal. Il m’en fallait plus que ça pour m’empêcher de réitérer l’expérience, mais il ne se défendait pas si mal. Est-ce que finalement je n’étais pas à mon tour en train de lui donner des cours pour gagner en assurance ? Et, le cas échéant, ne serait-ce pas la moindre des choses qu’il ne me fasse pas payer nos futurs cours en contrepartie ? Ca me semblait cohérent. Pour l’heure, je décidais d’afficher une mine faussement déconfite avant d’ajouter : « Dommage, je suis sûre qu’il y avait quelque chose à exploiter. » Et je ne mentais même pas. Il fallait être aveugle pour ne pas trouver Kieran attirant. Et prof de dessin ou non, timide ou pas, je ne me refusais que rarement ce genre de distractions. Je n’étais juste pas certaine de pouvoir pousser mes tentatives plus loin pour l’instant. Difficile de savoir quelle part de Kieran était gênée et mal à l’aise, ou gênée mais consentante. « C’est un défi ? » Je haussais les sourcils face à son aplomb. Etait-il vraiment en mesure de m’enlaidir ? Probablement. Mais de m’observer attentivement durant de longues minutes le temps de parvenir au résultat escompté sans se sentir mal ? Il n’y avait qu’une façon de le savoir. « Oui. » Purement. Simplement. Your move Halstead.
Le move que je n’avais pas vu venir en revanche était celui qui avait provoqué un élan de sincérité concernant mon passé l’espace de courtes mais honnêtes secondes. « Pour qui tu me prends, Cecilia ? Je suis loin d’être aussi facile à corrompre. » Il eut au moins le mérite de m’arracher un sourire alors que je m’apprêtais déjà à me flageller après avoir m’être livrée de la sorte quand j’étais pourtant connue pour garder mes barrières bien hautes pour ne jamais être blessée par quiconque. Mais ça c’était avant qu’il ne reprenne la parole pour répondre plus sérieusement à ce que je venais de confier presque malgré moi. Mon regard pour une fois fuyant finit par se poser à nouveau dans le sien face à sa sincérité et au réconfort qu’il cherchait à m’apporter. Je n’étais pas habituée à ce qu’on me traite comme ça et je devais admettre que ça faisait…du bien ? « La prochaine fois que tu te dis ça, dis-toi plutôt que tu fais du mieux que tu peux. » Je ne le quittais pas des yeux et il me fallut de longues secondes avant de réaliser que mon attitude devait paraître à la fois insistante et étrange. Tellement de choses me passaient par la tête que je n’étais pas en mesure de toutes les analyser. La seule que j’étais parvenue à saisir au vol était une question : pourquoi se montrait-il si gentil avec moi ? Rien ne l’y obligeait. Il aurait pu passer à autre chose et faire comme si je n’avais rien dit. Et une autre question suivait celle-ci : pourquoi n’étais-je pas foutue de m’entourer davantage de gens comme lui ? « Malheureusement je pense que le mieux que je peux ne sera jamais suffisant. » Pour qui exactement ? Pour moi ? Pour mes parents ? Pour les autres ? Je n’en avais strictement aucune idée et le problème venait probablement de là. « Hm, bref, j’imagine qu’on a terminé pour aujourd’hui. » Je jetais un œil en direction de l’horloge avant de laisser mon regard à nouveau glisser vers lui, les mots m’échappant avant-même d’avoir bien réalisé ce que j’étais en train de tenter : « Vraiment ? » Je n’avais pas bougé d’un centimètre, mais je l’observais avec un peu plus d’insistance qu’auparavant, dans une nouvelle tentative de déterminer si le consentement pouvait se cacher derrière sa gêne ou s’il souhaitait vraiment que je quitte son appartement à présent.

« Franchement, à choisir je… » C’est sans difficultés, pour une fois, que le regard de Kieran se lève pour rencontrer celui de Cecilia et l’encourager à poursuivre sa réflexion, tout en sachant pertinemment qu’il a gagné ce round-ci. C’est suffisamment rare pour être souligné et, surtout, apprécié de la part du trentenaire, qui ne peut pas souvent se targuer d’avoir pris l’avantage lors d’une joute verbale. Il aurait encore moins cru cela possible face à Cecilia Barker, mais eh, le monde est plein de surprises. « Non rien. La peste ou le choléra quoi. » À cette réflexion, Kieran penche doucement la tête, secouant celle-ci tandis qu’un fin sourire mesquin se dessine sur ses lèvres, ravi d’avoir marqué ce point ; nul doute qu’il va savourer cette victoire plus que de raison – alors qu’il n’y a pas grand-chose à fêter, à vrai dire. Ça pourrait l’être s’ils avaient vraiment débattu d’un sujet important ou s’il avait réussi à faire entendre une opinion qu’il garde constamment pour lui, et certainement pas pour une boutade visant à faire comprendre à Cecilia que son répertoire est assez varié pour qu’elle ne lui propose pas, une seconde fois, de tenter l’expérience d’être son modèle. Et dans l’hypothèse où cet argument ne serait pas suffisant, il n’a qu’à user de celui visant à augmenter ses tarifs en guise de punition, même s’ils savent tous les deux qu’il en est incapable. Pour une fois, il ne s’agit pas seulement de naïveté de sa part, mais seulement d’une passion un peu trop obsessive, l’amenant à croire que booster la créativité des uns et des autres est bien plus importante que ses propres factures à payer. « Et risquer de ne plus me voir parce que je ne serais plus en mesure de me payer tes cours ? Tu n’oserais pas. » - « C’est exactement pour ça que j’oserais. » Il rétorque sans la moindre hésitation, se surprenant lui-même de l’assurance dont il fait preuve face à Cecilia, alors même qu’elle avait su le déstabiliser en un instant, grâce au choix habile de ses mots. La vérité, c’est que Kieran s’attache bien trop facilement à ses élèves – et aux gens, de manière générale – et pour cette raison, ils possèdent tous une caractéristique (au moins) qui les sort du lot, qui les font briller à ses yeux, qui l’oblige à toujours apprécier leur compagnie et à anticiper le jour où il devra s’en passer. Cecilia en fait partie, sous couvert des provocations qu’elle lui dirige constamment et auxquelles il s’habitue à réagir. Cela n’implique pas qu’il soit toujours prêt à le faire, comme en démontre la réflexion de la jeune femme à la suite d’un commentaire qui l’a embarrassé aussitôt verbalisé – et à raison, visiblement. « Pardon Halstead mais là tu cherches. C’est des foreplay que tu me proposes de façon déguisée là, c’est ça ? » - « Il y a plus agréable, quand même. » Il rétorque sans réfléchir, réalisant trop tard qu’il a réellement pris la parole. Quand bien même il aurait eu l’idée – oh grand Dieu, non – que le rire de Cecilia est une réponse assez éloquente, et qui met un terme à toute forme de malentendu qu’il y a pu avoir : effectivement, une fille comme elle ne peut décemment pas s’intéresser à un gars comme lui. « Je-je veux dire, non, non, pour qui tu me prends ? Non… non ! » Il peut déjà sentir son visage se réchauffer, raison pour laquelle il détourne celui-ci, tandis qu’il est mal à l’aise quant à cette méprise, et, surtout, aux pensées qui tentent déjà de se frayer un chemin de son esprit et qu’il tente péniblement de repousser. Il ne peut nier que Cecilia est réellement une belle femme et qu’il serait fou de refuser… ; non. Non, non, non et non.

Si tout ceci était la mise en application d’une stratégie, le moins que l’on puisse dire est qu’elle est réussie : il accepterait désormais d’être le modèle, si cela peut permettre d’effacer le malaise dont il vient de se rendre coupable, bien qu’il tente quelques arguments finaux. Sans surprise, Cecilia arrive, une fois encore, à balayer ceux-ci avec une aisance qu’il lui jalouse. Kieran n’est pas très fier d’user d’un vrai problème de société pour cacher le fait qu’il est sérieusement décontenancé par ses paroles, mais il le serait encore plus si elle venait à comprendre que ses boutades ne sont pas prises avec la même légèreté du côté du jeune homme. « Dommage, je suis sûre qu’il y avait quelque chose à exploiter. » - « Ah, ah, bien sûr, t’en a jamais marre de te foutre de moi, hein ? » Il dit avec un léger rire, ne souhaitant pas paraître offensant – ne voulant pas l’être, surtout. Kieran n’a guère plus de défense à proposer ; incapable de lire entre les lignes, le second degré n’est maîtrisé que lorsqu’il est superficiel et ne demande pas plus de réflexion qu’il n’en est capable. Ce qui est plus clair, et par conséquent moins difficile à déchiffrer, c’est le défi que la jeune femme lui propose malgré elle, alors qu’il est désormais question de l’enlaidir. « Oui. » - « Très bien, la prochaine fois, on inverse les rôles, tu seras la prof, je serai l’élève, et je me ferai un plaisir de mener ma mission à bien. » Il rétorque, bien plus sûr de lui qu’au cours des dernières minutes.

Et si la fin de l’heure prenait une tournure qui semblait de plus en plus lui échapper, il peut se targuer de reprendre un peu de contenance face aux confessions de Cecilia, qui, sans surprise, le touche. Il sait que les jugements hâtifs sont dangereux, pour autant jamais il n’aurait cru que la jeune femme était de ceux ayant été éduqués avec la sensation d’être des moins que rien. Elle ne l’a pas dit explicitement et peut-être il extrapole par désir de trouver quelqu’un susceptible d’avoir les mêmes blessures que les siennes ; mais lui aussi a été élevé par ces coups-là – et ceux au sens premier du terme, aussi. Il a bien conscience que ses mots sont maladroits et ne lui apportent sans doute pas le réconfort dont elle a besoin, mais il est du même acabit ; à savoir celui qui veut qu’il soit plus facile de se flageller que de croire aux belles paroles qu’on nous sert. « Malheureusement je pense que le mieux que je peux ne sera jamais suffisant. » - « C’est ce que tu penses vraiment ou c’est ce que les autres t’ont fait croire ? » Il demande, sincèrement curieux, avant de baisser légèrement la tête et de sentir, à nouveau, la gêne l’envahir. Il va sans doute trop loin, trop obnubilé par son désir de chasser de telles pensées, bien conscient de l’effet dévastateur qu’elles amènent avec elles. « Je sais que c’est sans doute une maigre consolation, mais ici, ça l’est largement. » Il ajoute, relevant la tête tout en fuyant son regard alors qu’il précise : « Suffisant. » Oh, il se rend bien compte qu’elle lui rira probablement au nez, tant ses tentatives de réconfort sont maladroites ; elle n’en a probablement rien à faire qu’entre ces murs, il s’essaie à assurer une safe place pour les autres – à défaut que cet appartement en soit une pour lui. Son talent en art n’est pas ce qui améliorera son estime d’elle-même, il le sait, mais c’est tout ce qui peut lui offrir, des encouragements timides qui n’en sont pas moins sincères, quant à ses capacités et à sa personnalité qu’il se surprend à apprécier de semaine en semaine. « Vraiment ? » Contrairement à lui, Cecilia semble se surprendre du temps qui passe, marquant l’issue de cette séance et il se contente de secouer doucement la tête, son regard qui fuit sur l’horloge plutôt que d’avoir à soutenir celui qu’elle pose sur lui. « Vraiment. » Est-ce de la colère ? De la surprise ? De la pitié ? De la moquerie ? Il ne sait comment interpréter son insistance, et il tente (vainement) de ne pas se laisser envahir par des hypothèses toutes plus désagréables les unes que les autres. Elle se moque sûrement, au fond, se rendant bien compte qu’il n’a pas choisi l’art par hasard ; il peut jouer avec les crayons à défaut de jouer avec les mots, dépourvu de l’intelligence suffisante pour briller dans un quelconque autre domaine – à commencer par le soutien moral. « Enfin, à moins que tu veuilles une deuxième heure ? J’attends pas d’élèves pour le reste de la journée, alors si tu veux un autre cours, je suis totalement disposé à te le donner. » Kieran s’ose à la questionner, sincère dans sa proposition, guidé par une impression selon laquelle ils ne peuvent pas en rester là après tant de confidences.

@Cecilia Barker

« C’est exactement pour ça que j’oserais. » C’est qu’il devenait presque convaincant le Halstead. « C’est pas beau de se mentir à soi-même. Je sais que je finirais par te manquer très rapidement. » Facile d’avoir une telle assurance dans ce que je disais quand j’étais intimement convaincue de mes propos. Ou bien avais-je simplement envie qu’ils soient vrais ? Non pas que l’affection des gens à mon égard ait une quelconque sorte d’importance à mes yeux (ce qui était très différent de l’attention qu’ils me portaient en revanche. Car là, la règle restait bien évidemment all eyes on me.) « Il y a plus agréable, quand même. » Mes sourcils se haussèrent immédiatement de quelques millimètres face à cette réponse spontanée, avant qu’un sourire n’apparaisse sur mes lèvres en le voyant lui-même réaliser ce qu’il venait de dire et se raviser dans la foulée. « T’as une liste plus agréable à proposer ? Développe ta pensée par pitié Kieran, ça m’intéresse. » J’avançais mon buste de quelques centimètres vers la table pour me rapprocher de lui et tenter de créer une distance qui se prêterait davantage aux confidences. J’avais un doute sur le fait qu’il puisse partager ce qui lui était réellement passé par l’esprit mais si j’avais la plus infime chance de lui arracher une confession, alors je n’allais certainement pas passer à côté.
« Ah, ah, bien sûr, t’en a jamais marre de te foutre de moi, hein ? » Question rhétorique non ? « Non. » Réponse honnête. « C’est une nouvelle passion que je me suis découverte. Même si ça n’est pas tant me foutre de toi qui m’intéresse que voir ta progression en matière de répartie et ce même quand tu es mal à l’aise. » Et la progression était belle. Mais là où j’avais pu avoir un comportement pervers par le passé en faisant tout pour mettre les gens mal à l’aise de la pire des façons, ma manière de procéder et les résultats que j’espérais étaient tout autre avec Kieran. Il n’y avait rien de méchant ou de malveillant. Probablement un peu mesquin quelque part mais je n’avais pas pour intention de le voir se recroqueviller sur lui-même face à mes provocations. J’appréciais au contraire de plus en plus nos échanges et le fait qu’il parvienne à prendre suffisamment confiance en lui face à la grande gueule que je pouvais être au point de ne plus hésiter à me mettre à mon tour en boîte. Un adversaire enfin à la hauteur. « Très bien, la prochaine fois, on inverse les rôles, tu seras la prof, je serai l’élève, et je me ferai un plaisir de mener ma mission à bien. » Je hochais bien volontiers la tête avant de rétorquer sans la moindre hésitation : « It’s a date. » Et j’avais déjà hâte d’y être.
Ce que je n’avais pas vu venir en revanche c’était la tournure plus sérieuse qu’avait pris cette conversation. « C’est ce que tu penses vraiment ou c’est ce que les autres t’ont fait croire ? » A quel moment et pour quelle raison avais-je décidé de me confier et de dévoiler ce que je considérais comme une faiblesse ? Et pourquoi est-ce que sa question me faisait tant réfléchir ? « Honnêtement ? Les deux j’imagine. » Et surtout, pourquoi est-ce que je continuais de répondre aussi sincèrement à ladite question ? D’y répondre tout court d’ailleurs alors que j’aurais pu l’envoyer balader au lieu de me perdre dans des pensées que j’avais toujours parfaitement réussi à refouler jusqu’à présent. « Je sais que c’est sans doute une maigre consolation, mais ici, ça l’est largement. » Et ça n’était pas parce que lui n’osait pas me regarder dans les yeux en disant cela que j’allais m’empêcher de garder mon regard fixé à son visage. « Suffisant. » Cette sincérité qu’il me renvoyait me donner envie de le…prendre dans mes bras ? Qui étais-je devenue ? Je n’avais jamais ressenti ce besoin d’être appréciée et écoutée et maintenant que quelqu’un daignait me faire sentir ainsi, j’avais soudain un cruel manque d’affection qui décidait de s’installer ? Putain non. Ca n’était pas moi et je refusais de dépendre ou apprécier le regard de qui que ce soit. « Merci. » Mais à défaut de le serrer dans mes bras je pouvais a minima le remercier avec autant de sincérité qu’il semblait lui-même en avoir fait preuve. Et qu’il grave bien cet instant dans sa mémoire parce qu’il était précieux et n’allait clairement pas se reproduire. Jamais. S’il décidait d’en parler à qui que ce soit, je nierais tout en bloc. Impossible que quiconque le croit de toute manière (et qui pourrait bien être intéressé par une information comme celle-ci de toutes façons ?)
« Enfin, à moins que tu veuilles une deuxième heure ? J’attends pas d’élèves pour le reste de la journée, alors si tu veux un autre cours, je suis totalement disposé à te le donner. » Mes lèvres s’étirèrent presque imperceptiblement face à cette invitation à rester qui n’était qu’à moitié assumée mais que je considérais comme un début de consentement face à tout ce que je déciderai ou non d’entreprendre en fonction de la tournure que la situation prendrait. Je me sentais bien plus à l’aise sur ce terrain-là que sur l’introspection dans laquelle il m’avait plongée quelques minutes auparavant. « Tu sais quoi ? Volontiers. On a qu’à le faire ce fameux cours inversé où je deviens la modèle et la prof, pendant que tu t’essayes au rôle d’élève. » Toujours pas certaine de pouvoir lui apprendre autre chose qu’à faire des bonhommes bâtons si on restait sur la thématique de l’art, j’étais en revanche persuadée de pouvoir lui faire d’autres propositions annexes et sur des sujets que je maîtrisais davantage. « Est-ce que t’as l’intention de me dessiner dans un contexte particulier ? Avec une corbeille de fruits à côté de moi ou une connerie comme ça ? Dans un décor précis pour une vraie mise en situation ? » *tousse* ta chambre par exemple Kieran *tousse*. Commençons plus subtile. « Ou bien tu veux tenter un portrait ? Type close-up ? » Mais vraiment vraiment très close. Je me penchais un peu plus encore vers lui alors que la table nous séparait encore un peu trop pour une vraie tentative de rapprochement. Mon seul move dans cette position restait toutefois la furieusement efficace cheville venant se coller délicatement à son mollet appuyé par un regard mi-amusé, mi-provocateur pour ne pas laisser de place au doute. Faire du pied à son prof de dessin, c’était toujours mieux que de lui sauter dessus et de risquer de l’effrayer définitivement ; chacun son degré de subtilité.

« C’est pas beau de se mentir à soi-même. Je sais que je finirais par te manquer très rapidement. » - « Prends pas tes désirs pour une réalité. » Il rétorque aussitôt, un haussement d’épaules détaché qui accompagne des paroles qui le sont tout autant. La vérité, c’est que le répondant de Cecilia lui manquerait, oui. La jeune femme aussi, malgré son mauvais caractère pas toujours facile à interpréter et qui le laisse bien souvent craintif et intimidé. De là à l’admettre et à être la cible de nouvelles boutades de la part de la blonde, non ; Kieran apprend (peu à peu) la leçon. Dans certains domaines plus que d’autres, alors que son répondant se veut bien trop souvent irréfléchi et spontané, ce qui l’amène à regretter aussitôt ses paroles, comme lorsque Cecilia glisse sur un sujet plus personnel et qu’il se retrouve à perdre le peu de contenance qu’il parvient à conserver face à elle. Elle s’avance vers la table, il s’en éloigne, refusant la bulle de confidences qu’elle semble vouloir proposer, pour s’immiscer pleinement dans celle, de honte, qu’il ressent. « T’as une liste plus agréable à proposer ? Développe ta pensée par pitié Kieran, ça m’intéresse. » - « Oui… non, je veux dire-enfin, c’est pas le sujet ! » Il balbutie avec difficulté, baissant les yeux une nouvelle fois plutôt que d’avoir à affronter le regard d’une Cecilia victorieuse de cet échange, alors même qu’il croyait naïvement réussir à prendre l’avantage – pour une fois. Mais elle est redoutable, elle se joue de lui comme elle semble se jouer des gens, avec une facilité et une confiance qui ne peuvent que le rendre envieux ; même s’il a conscience de ne pas être un adversaire à la hauteur.

Elle n’en a jamais marre de se ficher de lui, la scène qui vient de se produire en étant un exemple supplémentaire. « Non. » Kieran pince les lèvres, hoche d’un mouvement à peine perceptible la tête, lève légèrement le menton vers le ciel dans un geste qui vise à admettre sa défaite. « C’est une nouvelle passion que je me suis découverte. Même si ça n’est pas tant me foutre de toi qui m’intéresse que voir ta progression en matière de répartie et ce même quand tu es mal à l’aise. » Pour une fois, les paroles de la jeune femme ont le mérite de ne pas totalement l’intimider ou le mettre mal à l’aise, au contraire, alors qu’il souligne ce qu’il a retenu de ces quelques mots : « ah, donc il y a quand même une avancée. » Il se satisfait de cette partie-là plutôt que de se concentrer sur le fait que son malaise semble faire partie de cette nouvelle passion qu’elle s’est découverte, bien qu’il ajoute rapidement : « mais tu sais ce qu’on dit des passions, vaut mieux se concentrer sur une seule bien précise plutôt que s’éparpiller. » Cherchant son regard un instant, il poursuit, avec un léger sourire au coin des lèvres : « permets-moi donc de te conseiller de rester sur le dessin, à tout hasard. » Un simple conseil d’ami, proposé sous couvert de son talent inné et non pas parce qu’il est le dommage collatéral de la seconde passion, voyons. « It’s a date. » Un peu plus et il est tenté de lui tendre la main pour conclure officiellement le deal, mais il se ravise, songeant déjà au rire que cela pourrait provoquer chez la jeune femme s’il se permet un réflexe aussi désuet.

Mais l’heure ne se prête plus franchement à la rigolade alors que la brèche a été ouverte et qu’il découvre une Cecilia dans toute sa sincérité, qui n’essaie même pas de détourner l’attention en créant un malaise qui pourrait empêcher Kieran de rebondir sur des paroles qui le touchent réellement. « Honnêtement ? Les deux j’imagine. » Bien conscient des dégâts qu’une mauvaise estime de soi peut faire, mais sachant aussi qu’il ne connaît pas assez la jeune femme pour se permettre un jugement quant à la personne qu’elle est en dehors de ces murs – même s’il n’a pas de difficulté à l’imaginer réussir à mener sa barque dans un monde pas toujours très conciliant – il peut au moins lui assurer d’une chose ; et le fait qu’ici, la personne qu’elle est, avec ses qualités et défauts, est bien suffisante. « Merci. » Quand il relève les yeux, c’est pour croiser brièvement ceux de Cecilia, pinçant les lèvres un instant, s’excusant presque à sa manière d’avoir rendu le moment aussi solennel, mais certainement pas désolé qu’elle ait pu entendre de telles paroles qui aurait dû, en principe, venir de son entourage proche et pas de son prof de dessin qu’elle croise ponctuellement. « Oh, répète ça, que je l’enregistre. » Il rétorque, l’allure encore sérieuse, lui donnant un air pince-sans-rire qui n’est pas habituel, dû à la maladresse de rendre l’instant moins gênant sans pour autant lui laisser croire qu’il n’a pas d’importance. Les lèvres de Kieran finissent toutefois par s’étirer en un vrai sourire, timide, alors qu’il se permet une proposition qui est un peu égoïste ; il n’est pas certain de vouloir la laisser retourner à son quotidien après de telles confessions. « Tu sais quoi ? Volontiers. On a qu’à le faire ce fameux cours inversé où je deviens la modèle et la prof, pendant que tu t’essayes au rôle d’élève. » - « Attends, je l’ai pas précisé, mais dans les petits caractères il y a le fait que je dois avoir le temps de m’y préparer psychologiquement. On y est pas, là. » Il précise avec un air faussement outré, même si en réalité, il est parfaitement sérieux. Il aurait apprécié de pouvoir s’y préparer, lui pour qui le jugement des autres a une importance capitale, mais il sait aussi qu’il ne peut refuser la demande de Cecilia sous peine de la voir franchir cette porte. « Est-ce que t’as l’intention de me dessiner dans un contexte particulier ? Avec une corbeille de fruits à côté de moi ou une connerie comme ça ? Dans un décor précis pour une vraie mise en situation ? » Se penchant légèrement sur la table pour attraper le bloc à feuilles et les quelques crayons éparpillés sur la table, il finit par se rasseoir, appuyant sa cheville droite contre son genou gauche afin de caler le bloc de feuilles contre sa jambe. « Ou bien tu veux tenter un portrait ? Type close-up ? » - « Peu importe le contexte, le but c’est de t’enlaidir, je te rappelle. » Il dit, presque fièrement, sans adresser un regard à la jeune femme alors qu’il est déjà en train de s’affairer à dessiner les contours de son visage à l’aide d’un crayon, particulièrement concentré sur sa mission – et mettant un point d’honneur à ne pas l’enlaidir, en réalité. Le verdict à l’issue de la tâche l’inquiète plus que de raison, mais le processus est sans doute l’un des seuls moments où l’on peut voir Kieran aussi confiant, maîtrisant parfaitement ses outils et ses idées, se plongeant dans ce qui semble être son état naturel – car c’est durant des instants comme celui-ci qu’il a l’impression d’être totalement lui-même. « Alors je te laisse choisir. Même si à vrai dire, t’as besoin de rien pour faire un bon modèle. » Il ne songe pas un seul instant au compliment qui se cache à travers sa réflexion, bien trop absorbé par son art pour songer au malaise qu’il devrait ressentir à ce constat. Il arrive même à relever les yeux vers Cecilia à plusieurs reprises, les baissant uniquement pour observer son papier cartonné. Coinçant le crayon entre ses lèvres pour estomper certains tracés à l’aide de son index, la présence de Cecilia ne se rappelle à lui que lorsqu’il sent une caresse contre son mollet et que, toujours aussi concentré, il marmonne un : « c’est ma jambe, ça » étouffé par son bout de bois entre les dents. C’est ma jambe, pas le pied de la table, quand bien même il ne comprendrait pas pourquoi elle s’attarderait autant sur le meuble. Poursuivant son travail en glissant à nouveau le crayon entre ses doigts, il lui faut quelques secondes – le temps de relever les yeux vers Cecilia pour mieux reproduire les siens – avant de comprendre qu’il y a une étincelle dans son regard loin d’être aussi innocente que la manière dont lui l’observe à présent, la stupéfaction se lisant sûrement dans ses prunelles claires. « Cecilia ? » Il l’affronte cette fois-ci alors qu’il a besoin de sonder ses intentions, et lorsqu’elles lui apparaissent enfin clairement, il se débarrasse rapidement du matériel en le déposant sur la table, avant de se lever de cette chaise dans la précipitation, s’écartant de la jeune femme qui prend désormais des allures de tentation inavouée. « Ah ah, c’était très drôle un moment, mais là, c’est... » C’est quoi, Kieran ? Trop gênant ? Trop perturbant ? Trop tentant ? « Le coup de me séduire pour ensuite se foutre de ma gueule, on me l’a déjà fait, je marche à chaque fois alors que je sais pourtant que je suis pas le genre de gars qui intéresse qui que ce soit. » Cecilia peut sans doute avoir qui elle désire, alors pourquoi jetterait-elle son dévolu sur un type aussi peu assuré que lui ? Pour la plaisanterie, cela lui semble de plus en plus évident. « Après je me monte la tête tout seul et je crois des choses, et ça me réussit pas. » Il précise, avec un rire nerveux, avant d’ajouter, sans réfléchir : « juste, j’ai pas besoin de ça, et encore moins avec toi. » Parce que je m’imagine déjà des choses, à vrai dire.

@Cecilia Barker

« Prends pas tes désirs pour une réalité. » Je me contentais de placer le dos de ma main sous mon menton tout en battant des cils de façons exagérée en guise de réponse. Un visage pareil et une personnalité aussi agréable : à qui je ne pourrais pas manquer franchement ? Probablement les 3/4 des gens que j’appelais autrefois amis qui avaient coupé tout contact avec moi après mon drames familiaux. Oh well. Un détail. Mais pourquoi est-ce que ces gens me manqueraient en retour quand j’avais un prof de dessin à disposition à gentiment malmener ? « Oui… non, je veux dire-enfin, c’est pas le sujet ! » Mes lèvres s’étirèrent en un fier et très (trop) large sourire face à sa réaction. « Ok ok…je te laisse y réfléchir et tu reviens vers moi quand t’y verras plus clair dans ta liste. » J’adorais le mettre dans l’embarras et observer ses réactions. Mais je pense que j’apprécierais encore davantage le fait qu’il se pointe véritablement un jour avec ladite liste. Je voulais un vrai plot twist à cette histoire. Et sous ses airs de grand maladroit gêné en permanence, j’étais persuadée (où bien avais-je simplement envie de m’en persuader moi-même ?) que Kieran pouvait être bien plus surprenant qu’il ne le laissait paraître (et qu’il ne pensait être). « ah, donc il y a quand même une avancée. » C’est un sourire sincèrement amusé et cette fois-ci loin d’être moqueur que j’affichais au coin de mes lèvres. « Des baby steps disons. Mais des baby steps notables oui. Félicitations Halstead. » A deux doigts de lancer une ola pour l’encourager dans cette direction. Mais à deux, l’exercice me semblait compliqué. « mais tu sais ce qu’on dit des passions, vaut mieux se concentrer sur une seule bien précise plutôt que s’éparpiller. Permets-moi donc de te conseiller de rester sur le dessin, à tout hasard. » Je soutins son regard tout en conservant mon sourire amusé et en secouant très légèrement la tête pour ne laisser planer aucun doute quant à mes intentions face à ce qu’il proposait. « Tu ne me vois donc pas comme une femme multifonctions ? C’est un peu vexant. Mais bon, je te promets d’y réfléchir. On en reparlera. » Ou pas. Comme s’il était envisageable que je cesse un jour de me foutre de lui. Soyons sérieux deux minutes.
« Oh, répète ça, que je l’enregistre. » Si la conversation avait pris une direction bien plus sérieuse que ce à quoi je ne m’attendais, me retrouvant plus touchée que je n’oserai l’admettre face à des questions que je ne voulais pas me poser, je remerciais silencieusement Kieran d’avoir usé de l’humour pour nous sortir de là. Si j’adorais le voir gêné, je n’aimais clairement pas me prêter à l’exercice de mon côté. « Hein quoi ? De quoi tu parles ? » ajoutais-je sérieusement à mon tour avant de laisser un nouveau sourire m’échapper. Evidemment qu’il y avait peu de chance qu’il entende à nouveau ce mot s’échapper de mes lèvres. J’espère qu’il en avait bien profité, c’était du one shot. « Attends, je l’ai pas précisé, mais dans les petits caractères il y a le fait que je dois avoir le temps de m’y préparer psychologiquement. On y est pas, là. » Je voyais bien l’idée et je comprenais parfaitement que ce soit vrai pour certaines personnes quand bien même la tête brûlée que j’étais ne se prêtait pas vraiment à ce genre de pratiques (pourquoi faire quand je pouvais plutôt foncer dans le tas sans réfléchir franchement ?) « Trop dommage ça. J’ai hâte de voir comment tu travailles sous pression et pas préparé donc. » Nul doute que le travail serait certainement aussi qualitatif que quand il se préparait psychologiquement. Qu’est-ce qu’ils étaient chiants ces gens talentueux. « Peu importe le contexte, le but c’est de t’enlaidir, je te rappelle. » M’enlaidir ? Impossible. J’avais simplement secoué la tête face à cette ineptie. Non pas parce que les réparties me manquaient (ça n’arrivait jamais) mais plutôt parce que je m’étais retrouvée captivée bien malgré moi par la concentration dont il avait immédiatement fait preuve à la seconde où son crayon avait touché ses doigts. Il y avait quelque chose de fascinant à l’observer se plonger corps et âme et sans même s’en rendre compte dans sa passion. Parce que là où je parlais plutôt d’un passe-temps en ce qui me concernait, on ne pouvait que voir une véritable passion dans ses yeux absorbés par sa feuille de papier. Il me regardait sans véritablement me regarder et j’étais presque persuadée que la pire des grimaces n’aurait pas suffi à le faire ciller. Et putain, il y avait quelque chose de profondément séduisant dans la confiance dont il faisait soudain preuve en étant ainsi dans son élément. « Alors je te laisse choisir. Même si à vrai dire, t’as besoin de rien pour faire un bon modèle. » J’avais fait spontanément écho à ses paroles quelques minutes auparavant : « Répète ça, que je l’enregistre. » non sans afficher un sourire satisfait qu’il admette cette vérité et rectifie sa volonté de m’enlaidir. Mais est-ce qu’il m’avait entendu ? Je n’en étais pas certaine tant il semblait avoir décroché de ce moment pour s’offrir sa propre parenthèse suspendue entre lui, sa feuille et son crayon. Bordel, j’en étais presque jalouse. Et j’étais prête à user de tous les stratagèmes pour récupérer un peu de son attention. « c’est ma jambe, ça »  Mh-mh. No shit Sherlock. Un bon point de départ pour tenter de le ramener à la réalité. « Cecilia ? » Mes lèvres s’étirent en un très léger sourire provocateur, attendant la suite pour confirmer que cette fois-ci il avait bien saisi mes intentions. Vu sa réaction et sa volonté de s’écarter précipitamment de moi, je prenais ça pour un oui. « Ah ah, c’était très drôle un moment, mais là, c’est... » Je le laissais parler, finalement presque déçue de voir réapparaître un Kieran gêné et perturbé face à moi. Man up Halstead, reprends tes baby steps et tiens-moi tête mieux que ça maintenant. Je restais calmement assise à ma place face à sa panique, attendant de voir où cela allait bien nous mener. « Le coup de me séduire pour ensuite se foutre de ma gueule, on me l’a déjà fait, je marche à chaque fois alors que je sais pourtant que je suis pas le genre de gars qui intéresse qui que ce soit. » Mes sourcils se froncèrent légèrement en l’entendant. Ca avait pris un tournant auquel je ne m’attendais pas. Si la gêne était perceptible et évidemment attendue, je ne pensais pas me retrouver face à une telle dépréciation de sa propre personne et ça n’était clairement pas le genre de réaction que j’avais envie de provoquer. « Après je me monte la tête tout seul et je crois des choses, et ça me réussit pas. » Cette fois-ci je me levais de ma chaise pour réduire la distance qui nous séparait. Lentement. Comme un animal en détresse qu’il ne fallait pas effrayer davantage. Putain ce que c’était dur de faire preuve de précaution, ça n’était pas vraiment un jeu auquel j’étais habituée. « J’ai un million de moyens de me foutre de ta gueule Kieran mais je peux te jurer que la séduction n’en fait pas partie. Je suis pas en train de te proposer une relation sérieuse ou de te faire une demande en mariage donc rassure-toi ni toi ni moi n’avons quelque chose à perdre dans cette histoire. » A mon tour de m’essayer aux baby steps dans sa direction. J’avais l’impression de jouer à une partie très tendue de Docteur Maboul ou chaque mot de travers risquait de le faire partir en courant de son propre appartement. « Y a pas à te monter la tête ni à croire des choses. T’es pas en train de t’imaginer un scénario fictif. Si on enlève la partie où tu penses que je me fous de toi, t’as même au contraire très bien saisi la situation. » J’étais cette fois-ci suffisamment proche de lui pour lever la main et laisser mes doigts glisser lentement le long de son bras. « juste, j’ai pas besoin de ça, et encore moins avec toi. » J’étais à deux doigts de lui demander à nouveau de développer sa pensée mais je n’étais pas certaine que c’était ce qu’il avait besoin d’entendre présentement. Au lieu de ça je décidais plutôt de rester sérieuse et, pour une fois, sans la moindre trace d’humour ou de moquerie dans mon expression : « Je suis plutôt habituée aux conquêtes qui ont tendance à se penser trop bien pour moi plutôt qu’à celles qui se dénigrent et manquent cruellement d’estime de soi. J’ai aucune idée de ce qui a bien pu se passer dans ta vie pour que t’aies si peu confiance en toi mais je te prie de croire que je n’ai rien à gagner en te disant que t’es bien plus séduisant et désirable que la moyenne Halstead. Et qu’il n’y a strictement aucune conséquence à craindre et présager dans la proposition que je suis en train de te faire. » Si tant est qu’il l’accepte. Je ne respectais pas beaucoup de choses dans ma vie mais le consentement j’y tenais. Dans le cas contraire, il allait toutefois devoir faire preuve d’un minimum de conviction pour me repousser face à l’obsession immédiate qu’il représentait à présent à mes yeux. Mon regard restait fiévreusement plongé dans le sien alors que ma main remontait délicatement jusqu’à son visage, m’offrant une opportunité de me rapprocher un peu plus de lui. « Il parait que j’ai besoin de rien pour faire un bon modèle. Je suis prête à vérifier ton hypothèse. » Draw me like one of your french girls Kieran. Je ne vois pas comment mon appel du pied pouvait être plus clair que ça. Je m’essayais à une dernière tentative pour voir si mes arguments avaient pu le convaincre, glissant ma main dans sa nuque avant de rapprocher nos visages pour venir délicatement et prudemment (mais qui étais-je donc devenue ?) poser mes lèvres sur les siennes.

Levant les yeux au ciel face à la théâtralité utilisée par Cecilia, il n’admettra pas que oui, elle lui manquerait sans doute si elle venait à interrompre ses cours, et pas uniquement parce qu’elle a du talent. La manière dont elle se joue souvent de ses méprises, par contre, il est persuadé qu’il arriverait à s’en remettre s’il n’y était plus confronté. « Ok ok…je te laisse y réfléchir et tu reviens vers moi quand t’y verras plus clair dans ta liste. » Un instant, il est tenté de répondre, par automatisme, « bien sûr », avant de réaliser qu’il s’agirait là d’une nouvelle perche qu’il lui offrirait sur un plateau d’argent. Il préfère alors rester silencieux, se contentant d’une petite moue qui peut dire tout et n’importe quoi, et qu’elle interprétera comme bon lui semble. De toute façon, il est bien trop gêné pour utiliser le moindre argument qui saurait faire oublier ses paroles à Cecilia. Il n’est pas encore parvenu à un état où il saurait faire preuve d’une confiance exacerbée, mais s’il en croit Cecilia, il y a en tout cas une progression quant à sa répartie. Ce n’est pas plus mal, à son âge, hm. « Des baby steps disons. Mais des baby steps notables oui. Félicitations Halstead. » Se permettant la même théâtralité que la jeune femme, il pose sa main droite sur son torse, au niveau du cœur, pour signifier à quel point il est – faussement – touché par de tels propos. C’est l’idée qu’il renvoie, mais en réalité Kieran ne peut pas nier qu’il y a une certaine satisfaction à s’entendre dire que son répondant s’améliore, compte tenu du chemin difficile que cela représente pour lui. « J’ai une bonne prof. » Il souligne toutefois, parce que c’est véridique : si Cecilia ne s’amusait pas autant à le confronter, il serait sans doute à un niveau inférieur que celui qu’elle félicite aujourd’hui. « Tu ne me vois donc pas comme une femme multifonctions ? C’est un peu vexant. Mais bon, je te promets d’y réfléchir. On en reparlera. » - « Bien sûr. » Cette fois-ci, il se permet d’utiliser ces deux mots qui n’ont pas la même connotation qu’ils auraient pu avoir quelques secondes plus tôt, alors que son expression parle pour lui : il se doute bien qu’ils n’en reparleront jamais, car Cecilia ne se lassera jamais de cet intérêt pour son malaise.

Elle semble toutefois s’en distancer le temps d’une conversation plus profonde qu’il n’aurait pu avoir avec la blonde, tandis qu’il découvre une facette d’elle qu’il ignorait jusqu’ici. C’en est presque rassurant, de voir qu’elle peut être dotée d’une humanité qu’il ne lui connaissait pas. Et touchant, aussi, alors qu’il peut désormais attester qu’elle a bien plus de failles qu’elle ne concède à en montrer. « Hein quoi ? De quoi tu parles ? » Un léger rire s’échappe des lèvres du jeune homme alors que l’ambiance se veut moins lourde, suffisamment pour qu’ils s’autorisent à nouveau à plaisanter. « Trop dommage ça. J’ai hâte de voir comment tu travailles sous pression et pas préparé donc. » Fronçant exagérément les sourcils, Kieran finit par hausser les épaules : « pas sûr que tu apprécierais ma version paniquée. Plus que celle que tu crois déjà connaître, s’entend. » Il précise, bien conscient qu’elle pourrait souligner qu’elle l’a déjà vu à de multiples reprises pris par l’angoisse, mais elle ignore à quel point cela peut le paralyser. Et il espère sincèrement qu’elle l’ignorera encore longtemps. Maintenant que les rôles sont inversés et qu’il est celui aux commandes de ce crayon, Kieran impose ses règles ; à commencer par le fait qu’elle n’a pas à se mettre en situation puisque celle-ci n’a guère d’importance. Ce qui compte, c’est le résultat, est la manière dont il s’apprête évidemment à l’enlaidir – si tant que cela soit possible, alors que Cecilia est une très belle femme, en plus d’être particulièrement expressive. De l’or pour chaque artiste, en d’autres termes, et Kieran ne fait pas exception à la règle alors qu’il se veut rapidement concentré pour croquer les traits de la blonde aussi fidèlement que possible, dans le contexte qu’elle désire, puisqu’il lui laisse cette liberté. « Répète ça, que je l’enregistre. » - « De quoi tu parles ? » Il l’interroge, relevant les yeux vers elle, un sourire mutin aux lèvres, ravi qu’elle lui ait donné cette opportunité de lui renvoyer la balle, avant de reporter son attention sur la feuille devant lui.

Particulièrement investi dans le seul domaine qu’il a l’impression de maîtriser, Kieran se contente d’un commentaire à l’égard de la méprise de Cecilia, sans s’interroger plus que de raison. Ce n’est que face à l’insistance de la jeune femme et à l’inconfort ressenti (lié au fait que cela le déconcentre), qu’il s’arrête un instant et songe à cette attitude ; réalisant enfin ce dont il s’agit. La panique gagne déjà Kieran alors qu’il ne lui faut pas plus d’une demi-seconde pour être désormais debout, affrontant Cecilia avec une confusion perceptible, tandis qu’elle semble particulièrement sereine compte tenu des circonstances. Parce qu’elle se moque ; et que son refus ne l’atteint pas, évidemment. Il aurait dû s’en douter, alors que ses expériences en matière de drague se sont pratiquement toujours soldées par des échecs. Cecilia ne le trouve pas intéressant, c’est l’idée de se jouer de lui qui l’est. Lorsqu’elle se lève de sa chaise, son premier réflexe est de reculer, comme si le magnétisme qui est le sien ne pouvait pas l’atteindre un mètre plus loin, alors qu’il est déjà sous son joug. « J’ai un million de moyens de me foutre de ta gueule Kieran mais je peux te jurer que la séduction n’en fait pas partie. Je suis pas en train de te proposer une relation sérieuse ou de te faire une demande en mariage donc rassure-toi ni toi ni moi n’avons quelque chose à perdre dans cette histoire. » Les paroles de Cecilia le déstabilisent de plus en plus, alors qu’il essaie de songer à l’issue de son discours. Besoin désespéré de libérer ses pulsions ou seulement ennui qui l’amène à s’intéresser à la première personne qu’elle croise ? « Y a pas à te monter la tête ni à croire des choses. T’es pas en train de t’imaginer un scénario fictif. Si on enlève la partie où tu penses que je me fous de toi, t’as même au contraire très bien saisi la situation. » Il ne s’attendait pas à ce qu’elle admette aussi explicitement qu’elle est effectivement en train de lui proposer une incartade à laquelle il a peut-être songé depuis ses commentaires à double sens, mais qu’il n’aurait jamais imaginée être sérieusement possible. Son regard fuit celui de la blonde uniquement pour suivre le tracé de ses doigts sur son bras, une façon d’illustrer ses propos qui ne laissent pas indifférent le dessinateur. « Je suis plutôt habituée aux conquêtes qui ont tendance à se penser trop bien pour moi plutôt qu’à celles qui se dénigrent et manquent cruellement d’estime de soi. J’ai aucune idée de ce qui a bien pu se passer dans ta vie pour que t’aies si peu confiance en toi mais je te prie de croire que je n’ai rien à gagner en te disant que t’es bien plus séduisant et désirable que la moyenne Halstead. Et qu’il n’y a strictement aucune conséquence à craindre et présager dans la proposition que je suis en train de te faire. » Et si certains diraient qu’il n’y a absolument rien de séduisant à l’idée d’avoir à expliquer son intérêt, qu’au contraire c’est le meilleur moyen pour le faire retomber, c’est ce qui permet à Kieran de flancher alors que la jeune femme n’a pas ri, bien au contraire. Elle soutient son regard, ses doigts qui courent désormais sur son visage, et le cœur de Kieran s’accélère, comme souvent. À la différence que cette fois-ci, il ne s’agit pas d’angoisse qui frôle la panique, mais d’une nervosité qui se mélange à une forme d’excitation. « Il parait que j’ai besoin de rien pour faire un bon modèle. Je suis prête à vérifier ton hypothèse. » La main qui se glisse dans sa nuque lui provoque un frisson agréable, et lorsqu’elle rapproche son visage du sien, il n’essaie même pas de lutter, Kieran, acceptant ce qu’il croyait être une fatalité, celle-ci devenue assurément une chance qu’il ne pensait pas se présenter à lui. La délicatesse de Cecilia le surprend un instant avant qu’il ne cesse d’y penser pour profiter de cet instant, devenu bien trop rare au fil des années, à tel point qu’il se veut maladroit dans sa manière de s’y prendre, jusqu’à ce qu’un semblant de panique se rappelle à nouveau à lui et l’amène à se reculer et à s’écarter, sans pour autant fuir la situation. Il se contente, durant quelques instants, de contempler la jeune femme et tout ce qu’elle représente, désorienté quant à la marche à suivre. Dans le fond, qu’est-ce qui l’empêche de franchir le pas ? Cecilia est attirante, il ne peut évidemment pas le nier, pas plus qu’il ne peut ignorer le désir qu’il ressent. Il n’a d’obligation envers personne, et à sa connaissance, ce n’est pas non plus le cas de la jeune femme – mais serait-ce réellement son problème si tel est le cas ? Il se surprend d’être capable d’une telle pensée, alors qu’il ne vit que pour l’interdit, Kieran, et pas dans le sens d’une volonté de défier son existence, non, seulement dans celui qui vise à restreindre celle-ci, justement. Cecilia représente, à cet instant, tout ce qu’il se proscrit à lui-même ; de la spontanéité d’actes irréfléchis à l’écoute de désirs parfaitement légitimes, jusqu’aux conséquences que peut avoir une attitude aussi irréfléchie à l’idée de se connecter aux autres d’une manière où il n’aura pas à tout interpréter, constamment. Toutes ces choses que d’ordinaire Kieran ignore ou sur lesquels il réfléchit à s’en épuiser, qui aujourd’hui semblent s’imposer naturellement à lui, sans doute poussé par la fatigue de se forcer à être indifférent à tout ce qu’il ressent pour mener une vie qui ne lui réussit même pas. Est-ce qu’une fois dans sa vie, il ne pourrait pas s’autoriser un écart, à percevoir comme un test visant à comprendre la direction qu’il veut désormais donner à son existence ? Une tentative de légèreté pour mieux s’opposer à toutes ces heures de réflexion habituelles ? Poursuivant sur cette nouvelle ligne directrice, il ne se questionne pas plus longtemps alors que ses mains glissent le long de la nuque de Cecilia pour l’inviter à réduire la distance entre eux, afin de mieux retrouver ses lèvres, avec plus de passion et plus aucun interdit. Il a envie, et pour une fois, c’est absolument tout ce qui compte à ses yeux. Si la jeune femme a su faire preuve de prudence quelques instants plus tôt, ce n’est pas son cas alors qu’il ne tente plus de masquer les pulsions qui sont les siennes, celles-ci ayant désormais toute la liberté de s’exprimer tandis qu’il rapproche un peu plus son corps contre celui de Cecilia pour entreprendre d’échanger les rôles et de mener cette fois-ci la danse, pour mieux la guider en direction de sa chambre. Et s’ils ne s’y réfugient pas encore, ce n’est pas parce qu’il a changé d’avis, mais parce qu’il ne peut s’empêcher de déjà s’impatienter d’explorer le régal que lui offre Cecilia, ses baisers délaissant finalement ses lèvres pour venir parsemer sa nuque.

@Cecilia Barker

Je n’avais pas imaginé une telle issue à ce cours de dessin et je n’étais pas certaine de la façon dont on en était arrivés là (ma faute à moi et mon charme ravageur comme toujours j’imagine), mais je n’allais certainement pas m’en plaindre. J’étais habituée depuis tellement d’années à des fréquentations macho, fières et exaspérément auto-centrées qu’à aucun moment je n’avais songé pouvoir m’intéresser un jour à une personnalité réservée et manquant cruellement de confiance en elle mais pourtant furieusement attirante par l’aura de douceur qu’elle dégageait (malgré les tentatives de piques auxquelles Kieran s’essayait. At least you tried). Alors sans trop réfléchir j’avais simplement laissé parler un désir naissant et curieux de découvrir ce qui allait se passer. Je mentirais si je disais que Kieran ne représentait pas aussi un challenge pour moi. Parce qu’on était si diamétralement opposés que j’avais du mal à croire que je puisse moi-même l’intéresser. Est-ce qu’il ne serait pas du genre à croire au grand amour et rien qu’à ça ? Peu intéressé par des conquêtes d’une nuit qui lui fileraient entre les doigts aux premières lueurs du jour. C’était cliché, mais ça suffisait à me faire vouloir tenter ma chance pour savoir ce qu’il en était réellement. Ca et le fait que, comme je le lui avais clairement dit, Kieran rentrait clairement dans les critères de ma définition des hommes séduisants et attirants. Le prochain cours de dessin risquait d’être awkward mais j’étais prête à prendre le risque. Déjà prête à crier victoire trop vite, l’expression de mon visage laissa place à la surprise en le sentant s’écarter de moi. Merde ?? Est-ce que j’étais en tain de me prendre le premier vent de ma vie ? Est-ce qu’il allait me parler de friendzone ou d’autres conneries ? Ce serait le comble. Hors de question que je remette les pieds ici si tel était le cas, la faute à un ego en passe d’être blessé et à une frustration grandissante. Mais il a l’air…d’hésiter ? D’être perdu ? Je n’avais aucun doute quant au fait qu’il connaissait la marche à suivre s’il voulait donner suite à mes avances, et je savais simplement que je ne pouvais plus rien faire à ce stade-là si ce n’était le laisser reprendre ses esprits pour y voir plus clair dans ce que lui voulait. Alors je restais silencieuse, l’observant avec curiosité mais également, aussi surprenant que cela puisse paraitre, bienveillance ? A défaut de pouvoir parler, mes yeux exprimaient pour moi le fond de ma pensée pour éteindre définitivement les doutes qui pouvaient encore subsister quant à mes intentions et à leur sincérité désintéressée.
C’est presque dans un soupir de soulagement que je sentis ses lèvres retrouver les miennes, la passion dont il faisait preuve ne me permettant cette fois-ci plus de douter d’un quelconque consentement volé. Je le laissais volontiers se montrer entreprenant à son tour, aussi conquise par ce côté que je ne lui soupçonnais pas et que j’étais ravie d’ajouter à la liste des qualités que je lui trouvais. Kieran parvenait l’exploit de me donner envie de prendre mon temps (autant que ma patience ne me le permettait) pour profiter du moment. Basculant ma tête sur le côté pour laisser le champ libre à ses lèvres qui s’attaquaient à présent à ma nuque, je fis glisser mes mains sous son t-shirt pour l’inviter à l’enlever et me laisser davantage de latitude pour être en contact avec sa peau. La danse jusqu’à sa chambre aurait pu s’avérer chancelante étant donné que ni moi ni lui ne semblions résolus à nous quitter l’espace de quelques secondes, le temps du trajet. C’était donc ça de penser davantage au sexe parce que notre partenaire nous attirait réellement, et pas juste parce qu’on s’ennuyait et qu’il était décent ? Ca ne m’arrivait résolument pas assez souvent.

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Si on me posait la question, jamais je n’admettrai être restée plus longtemps que nécessaire dans son lit. M’être assoupie quelques heures à ses côtés simplement parce que je me sentais bien et à la bonne place. Avoir fini par me réveiller blottie contre lui et avoir passé quelques trop longues secondes à l’observer, un léger sourire satisfait aux lèvres en découvrant qu’il était donc capable d’afficher une expression paisible quand il dormait. Non. Si on me demandait je m’étais tapé mon prof de dessin, c’était un bon coup, fin de l’histoire. Hors de question d’admettre quoi que ce soit de si cliché que je m’étonnais moi-même d’être capable d’avoir agi de la sorte et ressenti tout ça. Pour me ressaisir et retrouver une Cecilia qui m’était bien plus familière, je finis par m’écarter prudemment de lui pour ne pas le réveiller, pour partir à la recherche toute aussi prudente et silencieuse de mes vêtements qui avaient été semés en chemin. En attrapant mon soutien-gorge trônant sur sa table de chevet, mon regard fut attiré par une enveloppe que je fis tomber au sol dans un même geste. Peu désireuse de laisser des traces de mon passage, je ramassais l’enveloppe avec comme intention de la reposer à son emplacement initial, mais mon regard ne put s’empêcher de lire les premières lignes qui y figuraient. Mes sourcils se froncèrent alors que je recommençais ma lecture pour bien saisir de quoi il s’agissait. Est-ce que je rêvais ? Mon regard se tourna vers Kieran, encore endormi. Est-ce que le karma se foutait de ma gueule ? Je cherchais depuis des mois à retrouver mon ancien statut, j’étais prête à toutes les combines pour regagner de l’argent et de la dignité, à me lier à n’importe qui pouvant m’aider dans ce plan, et depuis des mois : RIEN. Il fallait que je couche avec mon prof de dessin et que je tombe sur son putain d’extrait de compte pour découvrir qu’il était riche ? Pas riche à millions, mais putain de décemment riche malgré tout ???? Sous le choc mais bien heureusement toujours silencieuse, je reposais l’enveloppe à sa place et récupérais le reste de mes vêtements pour m’éclipser. Et enfin pouvoir réfléchir à un plan digne de ce nom pour avoir accès d’une façon ou d’une autre à une partie de cet argent. Oui c’était nul. Oui j’étais une conne finie et je m’en voulais presque de songer à ça alors que quelque part j’arrivais à me persuader que j’appréciais sincèrement Kieran. Mais je ne pourrai jamais l’apprécier à hauteur de la haine que je ressentais pour mon quotidien.

Bien trop timide pour l’affirmer à voix haute, Kieran ne peut pourtant pas nier que Cecilia est attirante ; n’importe qui pourrait s’en rendre compte d’un simple coup d’œil. La première chose que l’on remarque en l’observant avec l’attention qu’elle mérite – cette même attention qu’elle capte si aisément – c’est la confiance qui se dégage d’elle, intimidante, certes, mais aussi particulièrement fascinante. Elle est l’incarnation parfaite du cliché selon lequel tous les regards peuvent se tourner vers une même personne quand celle-ci entre dans une pièce – celui de Kieran, en tout cas, retrouve souvent la jeune femme même quand il devrait se concentrer sur ces esquisses qui sont supposées être le centre de son intérêt. Et puis, il y a ses lèvres, parfaitement dessinées, suffisamment pulpeuses pour attirer l’attention sur elles et qui attirent d’autant plus le regard lorsqu’elle sourit ou fait la moue comme elle le fait si souvent dans une volonté de séduire son monde ; et y arrivant, il en est désormais la preuve vivante. Oh, et ses yeux, certains ont l’ignorance de décréter que les yeux bruns sont moins intéressants, moins ensorcelants, mais ceux de Cecilia s’opposent à de telles inepties, alors que leur couleur noisette et leur intensité ont su le faire chavirer. Sa peau, très légèrement dorée, accentue chacun de ses traits avec une justesse rendant d’autant plus justice à la jeune femme. Et sa silhouette, ses mouvements assurés et fluides, ses formes qu’il faudrait être aveugle pour ignorer ; ce sont autant d’aspects dont il arrive difficilement à détourner les yeux. Alors oui, elle est attirante, Cecilia, elle le sait et en joue ; et si Kieran voulait se persuader qu’il pouvait résister à la tentation qu’elle représente, le fait est qu’il s’est toujours intéressé à la beauté du monde autour de lui par son métier, alors comment résister à celle qui se présente juste devant lui ?

Mais il a essayé. Bien sûr que dans son habituelle réserve, de sa peur du contact, il a voulu se persuader qu’il ne flancherait pas, qu’il faudrait plus pour l’atteindre et lui faire baisser sa garde. Mais c’était avant qu’elle initie le contact, qu’elle pose délicatement ses lèvres sur les siennes, que ce contact, pourtant si subtil, le fasse frémir d’un désir qu’il ignorait jusqu’ici – ou voulait ignorer. Kieran a un mouvement de recul, rejetant ce contact, s’inquiétant quant au geste de Cecilia, regrettant rapidement le sien. Le doute qui l’envahit ne vise pas à faire monter un suspense qui n’a pas sa place dans cette interaction, mais à se convaincre silencieusement qu’il a le droit à celle-ci. Sa pudeur n’est pas uniquement liée à un trait de personnalité prédominant, mais aussi et surtout à de multiples expériences censées être agréables et se transformant en tout l’inverse ; rendant l’attachement qui est le sien d’autant plus douloureux. Et puis, il y a cette abstinence forcée au cours des derniers mois, pas déplaisante en vue de ses difficultés à laisser les autres l’approcher – dans tous les sens du terme – de ne pas avoir touché et été touché depuis si longtemps qu’il n’est pas certain de savoir encore s’y prendre. La peur que ses doigts puissent glisser sur ses cicatrices, qu’elle puisse s’enfuir avec le même regard de dégoût qu’il a déjà lu chez d’autres par le passé, qu’il retrouve parfois dans le miroir. La peur de la décevoir, d’avoir des gestes trop brusques ou, au contraire, pas assez affirmés, que ses caresses ne soient pas assez plaisantes, que ses baisers se veulent quelconques. La notion d’intimité, qui dans d’autres circonstances l’effraie autant qu’elle l’étouffe, s’avère à cet instant presque être un soulagement, alors qu’il ne perçoit pas de jugement, de pression, ni d’impatience, dans le regard de Cecilia malgré la panique qui se lit sans doute dans le sien. Si la main de Kieran tremble légèrement lorsqu’il pose celle-ci contre la nuque de la jeune femme pour la rapprocher de lui, ses lèvres qui retrouvent les siennes se veulent plus affirmées, et la résistance qui fut la sienne il y a encore un instant s’envole peu à peu face à cette chaleur qui se diffuse lentement en lui, accentuée par les mains de Cecilia qui se fraient un chemin sous son t-shirt, provoquant des frissons autant à cause de ce geste que par l’apaisement qu’il ressent maintenant qu’il s’est autorisé à lâcher prise.

Et maintenant qu’il s’y est autorisé, chaque baiser devient de plus en plus addictif et l’exploration de la peau de la jeune femme une mission qu’il se doit d’honorer. Le goût salé de la peau de Cecilia contre ses lèvres, le parfum de la jeune femme qu’il hume quand son visage se perd contre son cou, la chaleur de son souffle, toutes ces choses ne cessent de lui donner raison quant au fait d’avoir abandonné toute résistance pour plonger à cœur et corps perdus dans un piège qui pourra peut-être se refermer autour de lui, mais auquel il aurait regretté de ne pas goûter.  

Le bruit de la porte usée qui grince lorsqu’elle se ferme le sort de son sommeil avec une brutalité dont il ne s’offusque même pas. Allongé sur son lit, le regard fixé sur le plafond, Kieran s’autorise à reprendre ses esprits durant un instant, avant de tendre l’oreille. Le premier son qui lui parvient est celui d’un vent léger contre la fenêtre. Puis, cherchant à capter d’autres bruits familiers, le silence assourdissant de l’appartement lui confirme ce dont il doutait déjà alors qu’il tourne enfin la tête pour apercevoir l’autre côté du lit, vide de toute présence. Cecilia a disparu et loin d’en être déçu ou de le regretter, Kieran reste allongé, un léger sourire aux lèvres, en entendant sa propre respiration, bien moins sifflante que d’ordinaire, quand tout autour de lui l’angoisse et qu’il n’arrive pas à la maîtrise. Il sent étonnamment serein, comme s’il s’était libéré de chaînes qu’il traînait depuis longtemps ; et ce n’est pas si éloigné de la réalité alors qu’il a malmené les injonctions qui étaient les siennes depuis trop longtemps.

Le silence lui permet de se concentrer sur autre chose, sur ce léger parfum flottant encore dans la pièce, à peine perceptible, mais suffisamment pour que le souvenir de Cecilia soit encore présent. Inspirant un instant, comme dans une tentative de se persuader que ce qu’il a vécu est bien réel, son esprit se perd encore une seconde en réalisant que sa propre peau porte encore des traces de la chaleur de Cecilia, le parfum de sa peau se mélangeant au sien. La symbolique le fait sourire durant un instant en songeant à la marque laissée par la jeune femme, au sens propre comme au sens figuré. Ce n’était pas qu’une nuit sans conséquence, et s’il ne fera pas dans le sentimentalisme auprès d’elle, il ne niera pas qu’il se l’autorisera auprès de lui-même, se rappelant l’étrange harmonie retrouvée avec son propre corps et ses propres envies, l’un et l’autre pas aussi odieux qu’il s’en est trop longtemps persuadé.

@Cecilia Barker