@Zoya Lewis

(sirromet wines) La salle de concert était pleine. Le public était répondant. Il n’y a eu aucun problème technique, aucun oubli de paroles non plus. D’un point de vue extérieur, en réalité, tout s’est sans doute merveilleusement bien passé. A l’intérieur du corps d’Ambrose, pourtant, tout n’a été qu’une lente agonie et un tsunami de tourments. Il le ressent depuis la première date de leur minuscule tournée mais rien n’avait été aussi fort et paralysant que ce soir, dans sa ville natale, dans un environnement qu’il connaît pourtant parfaitement. Au contraire, la logique aurait voulu que tout se passe au mieux. La logique aurait voulu que cette soirée soit sa meilleure, sa plus plaisante, sa plus amusante. La logique, elle a chié sur toute la ligne alors qu’il a pensé s’évanouir à plusieurs reprises et que, avec le recul, il ne sait tout simplement pas comment il a réussi à aller au bout de la setlsit prévue par le groupe. Ambrose s’est purement et simplement dissocié du reste, absent de son propre corps qui s’est mis en pilote automatique pour le reste de la soirée. La magie a cessé de fonctionner au moment du rappel.
Il n’y en a pas eu.

Ce sont trois chansons de plus qui auraient été la goutte de trop. Dix minutes à peine, surtout beaucoup de blabla. Mais tout aurait été de trop alors qu’il a quitté la scène en usant de ses dernières forces pour esquisser un sourire sur son visage livide, sans que la couleur ne soit uniquement la faute des éclairages surpuissants. Et lorsqu’il quitte la scène, il doit lutter pour ne pas appeler Ruben. Il sait qu’il n’est personne pour lui, ou tout du moins qu’il n’est pas autant que ce que le Hartfield représente dans son coeur, et pourtant c’est son prénom qu’il garde toujours à l’esprit dans les bonnes et dans les mauvaises situations. Plus que tout, il ne supporte plus d’être l’oisillon à la patte éternellement brisée et incapable de guérir, raison pour laquelle il part seul en quête d’un brin d’air, d’un brin de répit aussi. La tournée a été courte mais elle a surtout été éprouvante ; notamment parce qu’il a promis à Camil de rester informé sur tous les dossiers et que cela a considérablement réduit le temps alloué à son sommeil. Il y a eu ça, il y a eu tout le reste, et il y en a eu bien trop pour que la coupe ne se retrouve pas à déborder. Son corps suivait à peine et depuis la mort de Norman et les révélations sur son père, son mental s’est prouvé être plus que jamais défaillant.

L’issue de secours la plus proche est salvatrice et l’air pollué de la grande ville l’est tout autant. Il ne lutte pas davantage avant de se laisser retomber au sol, ses jambes relevées contre son torse et ses mains posées autour de son visage. Il entend les battements de son cœur bien plus que l’agitation de la ville, et cela n’a rien d’une bonne chose. Ses poings se resserrent sans qu’il ne l’ait ordonné, pour qu’il n’arrive finalement plus à faire débander ses muscles. Maintenant, même s’il le voulait, il ne pourrait même plus sortir son téléphone pour appeler qui que ce soit. Ainsi, lorsque le visage de Zoya se détache à son tour de la porte par laquelle il est passé quelques secondes plus tôt, il y voit une certaine bénédiction. « T’es là. » Il souffle, plus soulagé que jamais. Malgré les silences, les reproches, les disputes, elle est toujours là. Pour ça, il ne saurait jamais la remercier assez.

Il la laisse s’approcher sans rien dire, et quand elle pose ses mains sur ses genoux, il s’en plaint tout aussi peu. C’est à peine s’il s’en rend compte, de toute façon, occupé à simplement sourire face à la silhouette d’une Zoya qu’il accueille avec plaisir dans sa bulle imparfaite qui accuse un manque d’oxygène. « Je suis là. » Pendant longtemps, elle ne l’était plus. A la propre demande d’Ambrose, qui avait décidé pour deux que les choses seraient bien plus faciles ainsi. « Respire. » Elle a beau le faire sous ses propres yeux, il a l’impression de ne plus savoir comment procéder. Son torse ne se soulève pas, l’air ne rentre pas dans ses poumons et il n’y a déjà plus rien qui puisse en sortir. « Dis-moi ce que je peux faire, Rose. » Il aimerait le savoir, lui aussi. Il aimerait savoir quoi faire pour lui-même, il aimerait aussi savoir ce qu’elle pourrait faire pour lui. Dans l’état actuel des choses, il ne sait faire autrement qu’être l’esclave d’un souffle qu’il n’arrive pas à reprendre, cette situation ne réussissant qu’à le faire davantage gagner en anxiété à chaque seconde écoulée. « Je sais pas, je sais pas. » Il le souffle péniblement, il l’articule avec bien plus de mal encore. L’arrière de son crâne collé au mur derrière lui, ses paupières fermées, il tente de se concentrer pour regagner un brin de calme, pour que ses pieds retrouvent terre.

« Tu peux rester ? » Il ne sait pas pourquoi il en ressent le besoin, mais il est certain que sa présence peut aider. Ce qu’il sait, du moins, c’est qu’il n’y a devant qu’elle qu’il peut accepter l’idée d’apparaître aussi démuni et faible, ce qui est loin de l’image avec laquelle il se bat au jour le jour pour renvoyer. « J’ai juste besoin de temps. » Il doit respirer artificiellement entre chaque mot pour en arriver au bout, lui qui nourrit l’impression que prononcer son mensonge à voix haute aidera ce dernier à se matérialiser. L’instant suivant, pourtant, il se rend enfin compte d’une autre vérité, omniprésente depuis pourtant un long moment. « Je peux pas… J’y arrive pas. » La scène, la tournée, la foule. Il en a l’habitude, pourtant, et c’est ce qui le ronge le plus dans toute cette histoire: il a l’habitude de tout ça, il sait qu’il peut gérer, et pourtant il n’y arrive pas le moins du monde. Ambrose est même habitué à avoir une certaine pression sur les épaules alors ce n’est pas ça non plus, le facteur déclencheur. Pourtant, tout ressemble à un trop et il ne sait plus où se situer pour arriver à exister. « C’est trop. » La tournée, son travail, la mort de Norman. La rupture-non-rupture avec Ruben, la fin imminente de ses fiançailles avec Cassie. Tout arrive en même temps, au point où cela devient bien trop à supporter pour un seul homme, surtout un qui apprend encore à avoir les épaules assez larges pour ce monde. Trop de personnes comptent sur lui alors qu’il n’arrive même pas à gérer sa propre vie et les soirs de la tournée deviennent chaque fois un peu plus la catharsis de toute cette situation.

Ne pas savoir quoi faire est une éventualité qu’il a du mal à accepter, notamment parce qu’il n’a jamais été habitué à ça. Il est toujours celui qui a des réponses à tout, toujours celui qui trouve des plans B et toutes les autres lettres de l’alphabet au besoin. Son métier tout entier est basé sur cette idée qu’il doit toujours être préparé à toutes les éventualités et toujours être capable de rebondir, peu importe ce qu’il se passe et peu importe à quel point il est pris de court. Ce soir, pourtant, il avait tous les indices à sa disposition pour voir ce qui arrivait ; mais cela ne l’a pas aidé le moins du monde à trouver une solution pour ne pas tomber. « Bien sûr que je le peux. » Elle reste, et c’est au moins un maigre lot de consolation. C’est mieux que rien, c’est déjà ça. Elle n’a pas le pouvoir de trouver des solutions à toutes choses, mais elle peut au moins l’aider à voir le bon côté des choses. L’idée même d’avoir une présence rassurante à ses côtés suffit à l’aider un minimum. En réalité, il n’y a que peu de personnes qu’il aurait accepté d’avoir à ses côtés dans un tel moment de faiblesse, et encore moins à qui il aurait demandé de rester. Être auprès de ses amis dans les bons moments est une chose mais l’être lors des mauvais est bien différent encore. « Prends le temps qu’il te faut. Je ne bouge pas. » La chair de ses pouces continue de tracer nerveusement des lignes invisibles contre son front, sans que cela ne l’aide réellement à aller mieux. Tout ce à quoi il arrive, c’est tracer des lignes rouges contre sa peau.

« Rose, regarde-moi. » Il s’exécute malgré lui, ses yeux rouges d’une émotion qu’il n’a jamais demandée. Il prend sur lui pour ne pas se laisser aller à d’autres larmes, sa mâchoire serrée faisant office de barrière entre ses désirs et ses pseudos-besoins. Et malgré tout, il la regarde, il observe des yeux dont il connaît toutes les nuances. « Tu t’en es très bien sorti ce soir. Comme à chaque fois. » Doucement, il dégage son visage de droite à gauche. Ce n’est pas la question, ce n’est pas le problème. Il sait qu’il n’est pas mauvais, évidemment - sinon il ne se serait jamais avancé dans un tel projet. Il n’en est pas là parce qu’il doute de ses capacités, il ne se mettrait pas dans de tels états pour une aussi simple question. « Qu’est-ce qui est trop ? C’est la disparition de Norman ? » Il s’en veut de penser que s’il n’y avait eu que ça, alors il ne serait pas dans un tel état parce que tout ce qu’a fait Norman pour lui au cours de son existence mérite une considération bien plus immense, de toute évidence. « Norman est plus là, c’est fini avec Cassie, ils sont tous des putains de drogués. » Il dit Cassie, il pense Ruben ; et peu importe. Le prénom utilisé n’est pas le plus important: elle comprend qu’il vit une rupture difficile, et c’est bel et bien la vérité. « L’état de mon père s’est dégradé. » Un peu trop pour qu’il puisse continuer à vivre grâce à ses machines. Le vase n’a pas débordé à cause d’une simple et unique goutte. « Tout va de travers, je sais pas quand ça va s’arrêter. » Et au point où il en est, Ambrose commence à avoir sincèrement peur de ce qui pourrait arriver au bout de la ligne. « Je t’ai repoussé et j’ai repoussé d’autres personnes qui le méritaient pas, juste parce que moi je pensais que ça en valait la peine. » Pour sa carrière, toujours pour sa carrière. Il l’a faite passer avant tout le reste, et il le regrette déjà. « Je voudrais juste effacer toute cette année, tu comprends ? » Ne jamais avoir retrouvé Ruben, ne jamais avoir repoussé Zoya et Millie. Ne jamais avoir eu cette putain d’idée avec Cassie, ne jamais avoir perdu Norman. Avoir toujours son père plus ou moins à ses côtés. Ne jamais s’être disputé avec James. Tout en une putain d’année.

Il écoute à peine lorsque Zoya lui conseille de respirer. Ses mâchoires serrées, il n’arrive ni à expirer, ni à inspirer. Tout son corps semble en pause alors que ses organes ont besoin d’air. Ils vont pourtant jusqu’à refuser de donner les signaux soulignant son besoin d’aide, trop occupé à retrouver la liste précise des énumérations qui ont fait sombrer sa vie au cours des maigres semaines écoulées. « Eh, ça va finir par bien aller, d’accord ? Ca ira mieux, Ambrose, je te le promets. » Elle fait des promesses sur lesquelles elle ne peut pas influer, Zoya, et il a beau comprendre sans mal qu’elle tente surtout de le rassurer par ce simple fait, il se dit surtout qu’elle est en train de jouer à un jeu dangereux bien malgré elle. Pour le moment, les seuls faits qui s’ajoutent à la liste la confirment et il est fatigué de ne pas être capable d’inverser les faits alors qu’il en crèverait d’envie. « Mais tu dois te décharger. Tu ne peux pas garder continuellement tout ça pour toi et prétendre… que tout va bien. C’est trop. Beaucoup trop. » Sur ce point, pourtant, elle a bien plus raison que tout ce qu’il aurait aimé entendre. Il brûle la corde par les deux bouts depuis longtemps, une éternité. Il le fait en toute connaissance de cause mais surtout en se pensant invincible et au-dessus de tout (tous). Aujourd’hui, la vie le rappelle enfin à l’ordre et, surtout, lui rappelle qu’il n’est personne. Il est sujet aux mêmes limites que le reste du monde, sans que cela n’ait rien de réjouissant. « Je peux pas juste abandonner au premier problème. » Quand bien même ce n’est pas le premier et ce n’est pas non plus un simple problème, mais il est encore un peu trop enfoui dans son propre déni pour accepter une telle idée. Il continuera sûrement de nier tant qu’il en a la force.

« Qu’est-ce que ça implique… pour ton papa ? » Pour peu, il pourrait être surpris, ayant déjà oublié que l’état de santé aggravé de son père faisait partie de la liste de tout ce qui ne va soudainement plus dans sa propre existence. Mais bien sûr qu’il en a parlé: c’est un sujet d’une importance capitale autant que ce n’est rien qu’il compte cacher à Zoya. « Est-ce que… » - « Non, non. » Il n’est pas déjà mort. Il sait évidemment que c’est ce qu’elle sous-entend et il coupe court à ses suppositions à ce sujet tant elles oscillent sûrement entre mal et pire. « Mais les médecins estiment qu’on en est au stade où ça devient de l’acharnement médical. Donc à terme… » Il faudrait abandonner ; le laisser mourir, donc. C’est sans doute du pareil au même, dans le fond, mais Ambrose insiste sur le fait que son père est encore de ce monde pour le moment et puisque les instants sont comptés, justement, il veut profiter de chaque seconde. « Je suis désolée… pour Cassie et toi. » Il mentirait s’il la pensait totalement sincère sur ce point mais elle répond sûrement sur le vif, face à un Ambrose dans un état pitoyable qu’elle n’aurait sûrement jamais pu associer à sa personne. Cette pseudo rupture n’est de toute façon pas la source de tous ses maux, alors il ne lui en tient pas rigueur. « Ça vient de moi, t’en fais pas. Elle mérite mieux. » Elle mérite quelqu’un qui l’aime, tout simplement, là où Ambrose chasse des impossibles de son côté - tout en le sachant pertinemment. Il a simplement abandonné une illusion pour une autre.

En réalité, l’instant présent lui donne aussi un regard neuf et différent sur les derniers mois et autres années écoulées. Il a toujours priorisé sa carrière et son avenir sur tout le reste et il se retrouve aujourd’hui à se demander si cela en valait bien la peine, au final. Il est nulle part, et il n’a pas grand monde à ses côtés non plus. « Tu pensais faire les bons choix, probablement mais je ne peux pas te dire que tu n’as pas été idiot dans l’histoire… » Il en rigole tristement, maintenant. Il y a des mots qu’il continue de penser, même si aujourd’hui il chercherait à y mettre davantage de forme, mais dans le fond il n’aurait jamais dû repousser à ce point des personnes qui lui sont chères, Zoya parmi eux. Après tout, elle est encore là pour lui ce soir alors qu’il n’a récemment rien fait pour mériter son empathie, son temps et son attention. « A défaut de pouvoir l’effacer, tu ne peux qu’essayer de rendre la nouvelle meilleure. Et s’il faut que je sois présente, je le serai. Si tu le souhaites. » De son point de vue, tout ne peut pas soudainement s’arranger uniquement parce qu’il fait des efforts pour penser à autre chose qu’à sa seule carrière, ou simplement à autre chose qu’à sa seule personne. « Je pense pas être la personne que tu crois, tu sais. » Elle place beaucoup d’espoirs en lui ; bien plus qu’il n’en place lui-même, en réalité. Il l’apprécie énormément et rien n’a changé à ce sujet, mais c’est justement parce qu’il l’a déjà trahie une première fois qu’il ne veut pas recommencer une seconde. Pourtant, sa présence lui serait indubitablement bénéfique. La seule question qu’il se pose reste celle du prix à payer. Pour elle bien plus que pour lui. « Mais c’était mon plan, un peu. D’arrêter de tout foutre en l’air. » Résumé synthétique mais non moins réaliste des choses. Il en rigole sourdement. « Je vais abandonner avec eux, je pense. » Les Sand witches. Il continuera une carrière solo, sans doute, et peu importe s’il part de loin: tout sera plus simple que d’avoir à gérer de telles personnes au quotidien. Il se moque des tournées, il se moque des albums déjà parus. Ces deux imbéciles pourraient compromettre à jamais ses chances en politique à cause de leurs agissements et jamais il ne pourrait le leur pardonner. « Je sais que tu les aimes pour des raisons différentes mais moi… j’arrive pas à voir jusque là. » Il n’aimera jamais Cameron comme un ami, comme il n’aimera jamais Edison comme un ami-amant-Dieu sait quoi. Aujourd’hui, il accepte enfin les choses telles qu’elles sont. « Ça va aller. » Il finit par souligner, hochant en même temps la tête pour donner de la vigueur à ses propres mots. Il est encore pâle comme un linge, mais tout ira mieux bientôt. Un jour. Comme pour tenter de sceller la promesse qu’il ne la repoussera pas une seconde fois, Ambrose lui tend sa main pour qu’elle l’aide à se relever. Il ne remontera pas sur scène, ça non, mais il peut au moins faire ça ; Zoya à ses côtés.

« Ce n’est pas abandonner, Ambrose » Il a beau le savoir au plus profond de lui, n’en reste pas moins que c’est le goût qui reste au fond de sa gorge, amer et immuable: un abandon, un échec. Chez les Weatherton, cela ne peut pas exister. Chez les Constantine oui, mais puisqu’il ne porte ce nom que par convention, Ambrose ne s’en formalise pas. Il n’a pas été élevé par des personnes qui acceptent l’échec comme une finalité et il ne peut pas devenir à son tour ce genre de personne. Il s’est engagé, il doit aller au bout. Il doit travailler, il doit prendre sur lui. Mais puisque parler à Zoya de l’état de santé de son père n’est pas interdit, il se permet de le faire. « Je suis désolée. C’est terrible, je ne peux même pas imaginer ce que ça doit être pour toi… entre Norman et maintenant… ton père » Il la sait sincère, raison pour laquelle il ne cherche pas plus loin. Il hoche doucement la tête, pour ne pas dire faiblement. Apprendre la situation médicale de son père avait déjà été difficile, mais jamais il n’aurait pu penser que cela se couplerait à la disparition soudaine de Norman. Il a l’impression de devenir orphelin, pour la deuxième fois de sa vie déjà. « C’est à vous que revient cette décision, j’imagine ? » Il hoche à nouveau la tête sans oser parler. Il n’a pas encore cherché à savoir comment l’affaire devrait se résoudre d’un point de vue légal et il n’a pas encore cherché à savoir s’ils avaient besoin de recueillir l’avis de tous les membres de la fratrie ou d’un seul ; ni même comment pourrait se résoudre un différend entre eux. Tôt ou tard, il sait qu’il devra le faire. Pour le moment, il est encore trop tôt et il préfère se noyer dans ses pensées plutôt que de le faire dans de telles recherches, qu’il serait le premier à détester. « Je pense surtout que tu ne veux pas voir que tu es cette personne pourtant. » A autant parler en langage codé, sans jamais oser dire les mots, il ne sait déjà plus où ils en sont. Il ment à tout le monde sur bien trop de sujets pour pouvoir accepter les mots de Zoya tels qu’ils sont, et puisqu’il n’a pas la force de mener un quelconque débat, il se contente de les accepter par défaut.

Ce qu’il finit par avouer est déjà bien difficile à accepter: le groupe lui fait plus de mal que de bien et, au-delà de ce simple fait, il n’a surtout rien à y gagner à rester à leurs côtés. Ils sont des drogués qui retourneront dans leurs addictions à la première incitation, et de son côté il ne peut pas se permettre de voir davantage son nom associé à leurs agissements. Il l’a sans doute déjà trop fait, et il a trop tiré sur la corde, comme le prouve son épuisement autant mental que physique. « Je peux comprendre. Si tu estimes qu’il est mieux que tu arrêtes, alors fais-le. » Bien qu’il n’attendait pas l’accord de Zoya pour agir, il est au moins soulagé de savoir qu’elle ne compte pas se mettre en travers de sa décision ni tenter de le raisonner d’une quelconque manière. Elle fait bien, sans doute, parce qu’il n’aurait pas su changer d’avis. En réalité, il y pense depuis trop longtemps sans jamais oser sauter le pas. Ce soir en a été l’occasion, le déclic ultime. Le besoin. « Ca ira. » Elle répète ses mots et il lui offre un sourire se voulant rassurant. Il faut qu’ils aient raison. Il faut que ça finisse par aller, le plus rapidement possible. Bien que surpris par l’étreinte qu’elle initie entre eux, il ne la repousse pas pour autant. Ses propres bras entourent la jeune femme avec une certaine retenue, encore peu certain de ce qu’ils ont le droit de s’accorder comme attention désormais. Pourtant, il a l’impression de reprendre des forces à chaque nouvelle seconde passée à l’étreindre. « Est-ce que tu veux que j’aille dire à ces deux idiots que je ne t’ai pas retrouvé ? » Ses yeux parcourent son profil un instant, à la lumière douteuse de la sortie de secours mal famée. « S’il te plaît. » Il accepte sans chercher à négocier, ni même à savoir ce qu’elle leur dira exactement. Il s’en moque et, surtout, il leur parlera de vive voix plus tard. Ce soir, ce n’est pas son problème. Ça ne l’est plus. « Je peux aider à t’échapper d’ici après ça si tu veux. » Il sourit à nouveau. Sans réellement savoir ce qu’elle sous-entend par là, il ne serait pas contre l’idée de profiter de cette soirée terminée plus tôt que prévu pour simplement laisser le temps s’écouler en restant sur la plage, à observer le flot de l’eau. Le plan n’est pas si terrible qu’il n’y paraît. « Reviens vite. » Ils se la joueront Bonnie and Clyde pour un bref instant pendant lequel rien d’autre n’aura d’importance.