On est le cinq février et je ne sais pas si c’est le genre d’information qui me rassure ou qui me fait complètement flipper. J’ai envoyé ma candidature pour le concours, il y a très exactement 12 jours et le temps est extrêmement long. Il est écrit sur leur site internet qu’ils appelleront les gagnants le 14 février et je suis plus qu’impatient. J’ai même mis un compte à rebours sur mon calendrier ce qui finalement ne m’aide pas à penser à autre chose. Je suis impatient de connaître les résultats mais j’ai quand même peur de ce que ça peut donner. Si je ne gagne pas je ne saurais pas quel classement j’ai eu, mais je ne pourrais pas m’empêcher de me dire que j’ai fini dernier et que je suis mauvais. J’ai toujours eu plutôt confiance en moi, mais un concours il ne suffit pas d’être juste pas mal, d’être passable : il faut être le meilleur. Est-ce que je suis bon dans ce que je fais -pas selon Grincheux- ? Oui j’en suis sûr. Est-ce que je suis le meilleur ? J’en sais rien. J’aimerais beaucoup l’être, mais je ne suis pas prétentieux au point de me dire que tout est joué d’avance et que je vais tout rafler. Pendant cette attente infernale j’essaie donc de faire autre chose pour me vider la tête. J’ai fait une petite pause sur la peinture, ma mère et les dizaines de toiles éparpillées dans la maison me remercient d’ailleurs, et j’ai beaucoup travaillé. Cette après-midi cependant je ne travaille pas. Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire jusqu’à ce que je tombe sur une publication instagram intéressante : un festival sur la culture arborigène. L’idée est plutôt cool et j’ai vu qu’il y avait des petits ateliers artistiques, alors pourquoi pas sortir et y faire un tour.

J’ai donc pris mon skate et j’ai filé vers le centre ville à l’adresse indiquée, déterminée à peindre un petit peu de manière différente aujourd’hui et sans prise de tête. Je m’arrête donc au stand de customisation de boomerang et après avoir longuement échangé avec les exposants je m’installe à un siège et je prends un peu de peinture sur mon index avant de commencer à l’appliquer sur l'objet en bois, un petit sourire aux lèvres : je sens que je vais vraiment m’amuser. J’aime l’art, sous toutes ses formes -sauf la sculpture c’est vraiment pas mon truc- alors essayer de nouvelles choses c’est toujours intéressant. Complètement dans ma bulle je n’entends pas un autre participant du workshop s’approcher de moi alors que ma customisation florale commence à prendre forme.

A l'annonce du festival de culture aborigène, Mateo avait su qu'il y ferait un tour. Et s'il avait déjà passé un moment à l'exposition qu'il avait beaucoup apprécié, il avait décidé de faire un autre tour, cette fois ci pour voir les divers ateliers pratiques et artistiques proposés et ouverts à tous. L'occasion de s'immerger un peu plus dans le temps des rêves et dans cette culture trop souvent oubliée. En parlant de cet évènement cette semaine au musée, il avait bien vu que le conservateur de la collection aborigène de la QAGOMA avait mal prit le fait de ne pas avoir été associé à l'organisation de cet évènement. Mais Mateo était plutôt ravi de ce fait, persuadé que ça donnerait une occasion au vieux grincheux de réaliser qu'être insupportable avec tout le monde ne ferait que lui fermer plus de portes au fur et à mesure du temps - alors qu'en réalité, ça ne faisait que grandir sa colère. Qu'importe, lui de son côté ne comptait certainement pas boycotter cet évènement, tout comme certains de ses collègues qu'il s'était promis de retrouver un peu plus tard dans la journée. Au contraire, il était bien décidé à en profiter autant que possible. Il avait le sourire aux lèvres depuis qu'il était entré. Chaque exposant devant son stand semblait fier d'être présent et donnait envie de s'en approcher pour tester les techniques de peinture, sculpture, découvrir les textiles et traditions culinaires de ce peuple. Il s'était approché curieusement du stand de peinture sur boomerang. D'abord persuadé qu'il s'agissait d'un atelier pour les plus jeunes, il fut agréablement surpris de voir que ce n'était pas le cas et s'empressait d'attraper un boomerang pour s'installer à côté d'un homme d'envron son âge. « Content de voir que je suis pas le seul en âge de voter qui ait jeté son dévolu sur cet atelier. » Qu'il lançait en riant au vu du public qui les entouraient. Quoi qu'à bien y regarder, il pouvait voir qu'une table un peu plus loin accueillait des adultes. « A moins qu'on se soit juste assis à la mauvaise table... au moins comme ça mes talents d'artistes paraîtront peut-être un peu moins ridicules. » Avec des 8-12 ans pour concurrence, forcément. « T'as l'air de te débrouiller. »

L’art a toujours eu une grande place dans ma vie. Dans toutes les formes et à tout âge. J’ai commencé comme tous les gamins par faire des dessins de ma famille, des choses qui inspiraient l’enfant que j’étais et le dessin ou encore la peinture n’ont jamais quitté ma vie. Les dessins plus ou moins bien faits, -très souvent moins- m’ont suivis longtemps. Je n’ai jamais arrêté, que ça ait été en cours sur le bord d’un cahier, dans un carnet dans le bus ou encore à la galerie avec Auden. Le workshop artistique c’est donc une occasion qui se présente de peindre et de m’éclater en étant créatif. Quelqu’un s’approche de moi et si je ne lui porte pas vraiment d’attention au début il brise la glace. « Content de voir que je suis pas le seul en âge de voter qui ait jeté son dévolu sur cet atelier. » Sa remarque me fait sourire et je relève la tête pour jeter un coup d’oeil aux autres personnes présentes sur l’atelier. Effectivement depuis que je me suis assis il n’y a que des enfants qui m’ont rejoint. “Je me suis demandé aussi si c’était pas réservé aux enfants c’est clair.” Je dois peut-être faire tache parmi ces gosses mais bon, visiblement je ne suis pas le seul adulte à m’intéresser à l’atelier, c’est plutôt rassurant. «  A moins qu'on se soit juste assis à la mauvaise table... au moins comme ça mes talents d'artistes paraîtront peut-être un peu moins ridicules. » J’ai un petit sourire amusé. Mais pas besoin d’être un grand expert ou un grand maître pour peindre un boomerang, le principal c’est de s’amuser. « T'as l'air de te débrouiller. » D’habitude je n’aime pas que des inconnus me parlent, j’ai jamais été du genre super social. Je n’aime pas qu’on soit intrusif ou insistant, mais quand il s’agit d’art je suis beaucoup plus ouvert à la discussion. “C’est gentil merci.” J’ai un petit sourire, le compliment flatte mon égo. Parler de dessin, de peinture ou d’art en général c’est le meilleur moyen de briser la glace pour moi et vu que c’est une passion pour moi je pourrais discuter des heures sans voir le temps passer. “Une idée du motif que tu veux faire ?”

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“Tu te débrouilles bien aussi.” Je lui dis en hochant la tête tout en observant l’ébauche de son boomerang. Au même moment, un petit de 6 ans à peine essaie de se grandir -plus ou moins discrètement- et de se pencher sur le côté pour observer nos productions. “Je crois même que le gamin de derrière est jaloux de toi.”

“Je me suis demandé aussi si c’était pas réservé aux enfants c’est clair.” Souvent, on aime rappeler à quel point il semblait facile de se faire des amis à l'école, quand on est enfant. Mateo pouvait presque s'imaginer de retour à cette époque alors qu'il venait de s'installer avec son futur chef d'œuvre. Il était plus du genre à savoir apprécier une œuvre d'art qu'à vouloir en créer, et c'est tout naturellement qu'il s'était tourné vers la création de son camarade de table pour venir féliciter son travail déjà bien avancé. “C’est gentil merci.” Il aurait presque pu prendre peur de ne pas être à la hauteur, mais c'était avant qu'il se rappelle qu'il était surtout là pour expérimenter et s'amuser que pour gagner le prix de la plus belle peinture sur boomerang. “Une idée du motif que tu veux faire ?” Mateo venait de tremper ses doigts dans la peinture mais paraissait hésitant sur la marche à suivre. Ou en tout cas, il ne savait pas trop par où commencer. « Je vais rester sur des formes géométriques. J'ai l'impression que c'était bien leur genre. » C'est ce qu'il avait pu observer et ce qui lui paraissait le plus simple à réaliser, car malgré son envie de participer à cet atelier, il ne pouvait cacher que la patience, pour ce genre de choses, n'était pas sa plus grande qualité. Quelques minutes passaient, Mateo avait commencé à poser la peinture sur un côté de son boomerang et il devait bien admettre que ça avait un côté satisfaisant à faire. “Tu te débrouilles bien aussi.” Il tournait les yeux vers le jeune homme, lui offrant un sourire hésitant. « Je suis pas aussi convaincu que toi, mais merci. » Il observait l'objet pour voir où il en était, et même s'il ne déciderait pas d'en faire une décoration dans son salon, il était plutôt content de son choix d'associations des couleurs. “Je crois même que le gamin de derrière est jaloux de toi.” Et à voir le gamin qui s'étirait de tout son long pour regarder ce qu'il était en train de faire, il se mit à pouffer de rire. « Il est juste jaloux parce que j'ai pris son tube de rouge, je parie. » Ou parce que lui avait compris comment faire pour ne pas mélanger toutes les couleurs pour finir avec un marron peu ragoûtant. « Je m'appelle Mateo au fait. » Qu'il lançait, estimant qu'après plus de deux banalités échangées il devenait nécessaire de se présenter un minimum. « Tu fais souvent ce genre de trucs ? »

« Je vais rester sur des formes géométriques. J'ai l'impression que c'était bien leur genre. » Je hoche la tête, il n’a pas tort : les points et les formes, c'est un grand classique de l’art aborigène de ce que l’animatrice du stand expliquait aux gamins tout à l’heure. “T’as raison, ça rend bien comme ça.” J’ai écouté d’une oreille très attentive les histoires qu’elle racontait et j’étais sûrement plus captivé que les enfants assis à côté de moi. Je suis sûr que certains passants ont dû me lancer des regards plein de jugement mais je m’en fiche : je veux peindre et apprendre des choses et il n’y a pas d’âge pour ça. Et si des vieux cons sont trop coincés pour faire quelque chose comme ça, alors tant pis pour eux. « Je suis pas aussi convaincu que toi, mais merci. » Il me complimente et je lui rends son compliment de manière sincère, il s’en sort bien. Et il est clair qu’à côté de ces enfants on doit être des grands maîtres de la peinture. Je ne suis pas seul à l’admirer puisqu’un des enfants juste derrière nous essaie de regarder au-dessus de notre épaule avec une discrétion discutable. « Il est juste jaloux parce que j'ai pris son tube de rouge, je parie. » Il me rappelle Alejandro, il me fait beaucoup rire, il est d’une grande curiosité mais la discrétion c’est pas encore son truc. Il faudra que je lui apprenne à être plus subtil. “Possible.” Je hausse les épaules avant de rire à mon tour. La situation est plutôt drôle : deux grands gaillards beaucoup trop appliqués dans un atelier pour enfants, on n'était définitivement pas la cible de l’atelier. « Je m'appelle Mateo au fait. » J’essaie de mémoriser son prénom, retenir les noms des personnes que je rencontre ce n’est pas mon fort, mais il est plutôt sympa donc je devrais m’en souvenir. “Cesar.” Je lui réponds avec un petit sourire. A son accent je devine qu’il doit parler espagnol et en entendant la façon dont j’ai prononcé mon prénom il doit se douter que je ne suis pas seulement australien. « Tu fais souvent ce genre de trucs ? » J’ai un petit pouffement quand il pose sa question avant de lui demander : “M’incruster à des ateliers pour enfants ? J’ai pas trop l’habitude non.” J’applique quelques coups de pinceaux supplémentaires au boomerang que je tiens entre mes mains avant d’ajouter. “Mais sinon plus sérieusement oui je peins tous les jours, ça fait partie de ma routine.” Je jette un regard à sa production, vu son coup de pinceau ce n’est pas la première fois qu’il a de la peinture entre les mains. “Et toi ? T’as pas l’air d’être novice dans le genre.”

Mateo s'était laissé prendre au jeu et s'appliquait à dessiner des formes géométriques sur son boomerang désormais transformé en véritable œuvre d'art - ou pas, mais il aimait s'en convaincre. “T’as raison, ça rend bien comme ça.” Son camarade de table semblait sincère et pas du genre à essayer de le conforter dans sa médiocrité, ce qui le faisait sourire. “Possible.” Et alors qu'ils plaisantaient sur l'un des enfants qui avait l'air de vouloir copier leurs créations, Mateo s'était rendu compte qu'il ne savait pas du tout à qui il s'adressait et avait décidé de se présenter.  “Cesar.” Il lui aurait bien serré la main histoire de faire les choses bien mais puisqu'ils avaient les doigts pleins de peinture, il s'abstiendrait. “M’incruster à des ateliers pour enfants ? J’ai pas trop l’habitude non.” « Le contraire aurait été inquiétant tu m'diras. » Il riait à nouveau, bien trop fier d'être capable de sortir des idioties à longueur de journées. “Mais sinon plus sérieusement oui je peins tous les jours, ça fait partie de ma routine.” Impressionné, Mateo avait hoché la tête doucement. « Ah ouais, je vois. » Quelqu'un qui avait tellement d'heures de pratiques devait certainement être capable de réaliser de merveilleuses choses, en tout cas bien plus impressionnantes que le genre de peinture qu'ils étaient en train de réaliser. “Et toi ? T’as pas l’air d’être novice dans le genre.” Il n'avait pas eu le temps de poser plus de questions avant que Cesar ne lui en retourne. « En fait je bosse en galerie d'art et j'ai été obligé de pratiquer un peu pendant mes études. » Il aurait adoré être assez créatif et talentueux de ses dix doigts pour pouvoir être nommé artiste plutôt que faire partie de ceux qui bossaient dans l'ombre, mais il avait très vite senti que ce n'était pas sa place. « La vérité c'est que j'ai juste un certain talent pour donner le change. » Ça par contre c'était on ne peut plus vrai. En toutes circonstances il avait un certain talent pour jouer au caméléon et faire comme s'il savait pertinemment ce qu'il faisait, même quand il était au fond totalement en train de se noyer. « En tout cas, pour peindre tous les jours tu dois être soit complètement dingue soit super passionné. » Il avait lancé sa remarque en riant, espérant secrètement que Cesar relève plus du passionné que du dingue, ou l'après midi risquait de prendre un tournant qu'il n'avait pas envisagé jusque là. « T'es du milieu ? » En réfléchissant quelques instants Mateo n'avait pas l'impression d'avoir déjà entendu parler d'un Cesar, mais son acolyte du jour avait l'air plutôt jeune alors peut-être qu'il finirait par se faire repérer ? A moins qu'il n'ait pas décidé de faire de sa passion son métier.

« Le contraire aurait été inquiétant tu m'diras. » La discussion avec Mateo est fluide et ça me fait plaisir de voir qu’il y a des gens intéressants à cet atelier, autres que des gamins qui n’ont même pas terminé l’école primaire. Il faut dire que c’est peut-être un atelier plutôt pour eux, comme si peindre et créer c’était un truc de gosse interdit aux adultes. Je le vois hocher la tête quand je lui dis que je peins tous les jours. « Ah ouais, je vois. » Je hausse les épaules, pour moi c’est normal il n’y a rien d’impressionnant. Si je veux vraiment progresser et devenir professionnel il faut bien que je passe par là. Et puis, pour satisfaire Grincheux pendant les cours à la galerie il faut bien que je m’entraîne avec ses conseils en tête. « En fait je bosse en galerie d'art et j'ai été obligé de pratiquer un peu pendant mes études. » Quand j’entends les mots “galerie d’art” je me retourne vers lui brusquement. Là il m’intéresse et pas qu’un peu. « La vérité c'est que j'ai juste un certain talent pour donner le change. » Il a confiance en lui, j’aime bien les personnes qui reconnaissent leur juste valeur. Et en regardant son boomerang il faut dire qu’il n’a pas tort, il s’en sort bien. « En tout cas, pour peindre tous les jours tu dois être soit complètement dingue soit super passionné. » J’ai un petit sourire amusé à la fin de sa phrase. “Sûrement un peu des deux je crois.” Je suis un grand passionné c’est certain, je n’ai toujours juré que par l’art et la créativité. Mais je suis aussi du genre obstiné, bourreau de travail pour les choses qui me passionnent vraiment et je ne compte pas mes efforts. Je me suis souvent retrouvé à refaire pour la dixième fois un croquis à quatre heures du matin parce que je ne suis pas satisfait de mon trait ou d’un détail. Pour refaire une mèche de cheveux pendant quatre heures de suite avec la même énergie et le plus grand perfectionnisme il faut sûrement être un peu dingue aussi. « T'es du milieu ? » Je secoue la tête de gauche à droite avant de hausser les épaules, je ne suis pas sûr de ce que je dois répondre. “Pas encore.” Ma réponse est mystérieuse mais difficile de savoir ce qu’il entend par “du milieu”. S’il demande si je suis professionnel ou très connu, la réponse pour le moment est non. Mais je n’en suis pas au stade du simple hobby. Je suis dans un entre-deux franchement pas confortable. “J’arrive pas encore à en vivre mais j’aimerais bien.” Ce qui est déjà un bon résumé de la situation. “Mais j’aimerais bien.” Et je me décarcasse au quotidien pour pouvoir dire fièrement que j’ai fait de ma passion mon métier. Mais pour l’instant les quelques commissions Patreon que j’ai ne suffisent pas à payer un loyer et les courses. “Pour l’instant je prends des cours dans une galerie, j’ai participé à une expo et je suis pas mal actif sur insta mais bon c’est pas ce qui me vivre tu vois ?” Malgré tout j’ai toujours un coup d’avance et je réfléchis à de futurs projets et des moyens de tirer mon épingle du jeu. “Mais je vais participer à un concours là, on verra bien ce que ça donne.” C’est assez drôle mais je suis en train de parler de mes projets à un mec que je connais depuis cinq minutes alors que ma mère n’est même pas au courant.

Cesar était soit dingue, soit passionné : c'était l'hypothèse que Mateo lui avait en tout cas présentée et à laquelle il semblait plutôt adhérer. “Sûrement un peu des deux je crois.” Il avait ri doucement à cet aveu qui avait piqué juste un peu plus sa curiosité ; suffisamment pour qu'il lui demande s'il était dans le domaine. “Pas encore.” La réponse qu'il avait choisi signifiait malgré tout que c'était, à terme, un objectif que Cesar s'était fixé. “J’arrive pas encore à en vivre mais j’aimerais bien.” Comme tous les passionnés de cette Terre, pouvoir vivre de son art était certainement le plus beau des buts à atteindre. “Pour l’instant je prends des cours dans une galerie, j’ai participé à une expo et je suis pas mal actif sur insta mais bon c’est pas ce qui me vivre tu vois ?” Il avait hoché la tête, acquiesçant. “Mais je vais participer à un concours là, on verra bien ce que ça donne.” Sans quitter des yeux la pièce qu'il était toujours en train de décorer, Mateo avait fait les gros yeux en entendant son acolyte du jour parler d'un concours. A tous les coups il s'agissait de celui de la galerie. Et bien qu'il n'avait absolument pas son avis à donner sur le choix du gagnant puisque tout ce qu'il avait le droit de faire était de participer à l'organisation de la soirée de remise des prix, il préféra se taire et ne pas demander de confirmation sur ce qu'il soupçonnait, surtout pour éviter que Cesar puisse se faire la moindre idée en sachant qu'il aurait sympathisé avec quelqu'un proche de l'organisation de cette compétition. Peut-être avait il réfléchi un peu trop loin sur ce coup ci, mais il préférait largement être trop prudent que pas assez, lorsqu'il s'agissait de son travail, surtout quand son patron ne le portait pas dans son coeur. « J'espère que ça marchera pour toi. C'est quoi ton insta ? » Il était sincère : que ce soit avec ce concours ou dans d'autres circonstances, il lui souhaitait de réussir. « Même si ton boomerang est sûrement le plus joli de tout ceux que j'ai vu, si j'peux te donner un conseil, mise pas là dessus pour ton concours. » Qu'il avait lancé en riant. Maintenant qu'il était clair qu'ils évoluaient tous les deux dans le domaine artistique, un domaine que beaucoup prenaient tellement au sérieux qu'ils en oubliaient le côté ludique de la chose, il trouvait ça encore plus drôle qu'ils se soient rencontrés au détour d'un tel stand de peinture rupestre. « On s'en est bien sortis, je crois ? » Leurs œuvres touchant à leur fin, Mateo s'en félicitait.

Mateo a vraiment l’air intéressé par ce que je lui raconte et ça me fait extrêmement plaisir de discuter avec quelqu’un qui partage ma passion, quelqu’un qui sait à quel point ce milieu est difficile. La concurrence est rude, la technique est difficile à apprendre et le succès relève un peu de la chance. Un bon mélange pour mettre des bâtons dans les roues. J’essaie quand même de tirer mon épingle du jeu en bossant dix fois plus dur que les gosses qui ont baigné dans ce milieu depuis toujours grâce à leurs parents ou qui ont intégré de prestigieuses écoles d’art. Je bosse dur et mon instagram est le reflet de mon travail quotidien. « J'espère que ça marchera pour toi. C'est quoi ton insta ? » J’attrape mon téléphone pour ouvrir Instagram et lui montrer mon profil. “Merci mec. C’est ça.” Ce sera plus simple pour lui montrer mon pseudo sans erreur d’orthographe et c’est aussi l’occasion de me la péter un peu avec mon nombre d’abonnés qui affiche 150 000 followers. Le nombre a augmenté progressivement et il est le fruit de plus de cinq ans de travail. Ce compte ne me rapporte pratiquement rien mais c’est une belle vitrine pour mon travail et pour mon patreon dont le lien est dans mon profil. Patreon qui me rapporte déjà un peu plus d’argent même si ce n’est pas suffisant pour en vivre. « Même si ton boomerang est sûrement le plus joli de tous ceux que j'ai vu, si j'peux te donner un conseil, mise pas là-dessus pour ton concours. » J’ai un petit rire. “ça surprendrait le jury au moins” Je pose enfin le pinceau pour contempler le boomerang peint avant de jeter un coup d’oeil à celui de Mateo.  « On s'en est bien sortis, je crois ? » Je hoche la tête, nos boomerangs sont plus que réussis et si l’on compare ça à ce qu’on fait les gosses d’à côté on vient de peindre la chapelle Sixtine. “On va faire des jaloux.” Je lui dis en désignant du menton le gamin d’à côté qui lorgne sur ce qu’on vient de faire. “On échange ?” Je lui demande en lui tendant mon boomerang avec précaution puisqu’il n’est pas sec. Y a bien des gens qui s’échangent des friendship bracelets alors pourquoi pas un friendship boomerang ? “En tout cas c’était cool, merci.”