logan city (logements) - février 2024
@olivia welch

Ça n’avait jamais vraiment dérangé de Louis de jouer au rugby sous des trombes d’eau et de patauger dans la boue à chaque action. Au contraire, il préférait sans doute jouer sous la pluie qu’en plein été, lorsque le sol australien brûlait sa peau claire. Le problème était juste qu’il devenait plus difficile de différencier les joueurs lorsqu’ils étaient couverts de boue. « En tant que spectatrice, je dois avouer que c'est encore plus plaisant dans la boue » Louis laissa échapper un rire, comprenant parfaitement que, d’un point de vue extérieur, il était particulièrement amusant de regarder des rugbymen se rouler dans la boue. « Si tu te moques trop, je me ferai un plaisir de te plaquer pour que tu sois dans le même état, » s’amusa-t-il en imaginant parfaitement la scène. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’il se permettait de faire participer un spectateur de la sorte. Il était persuadé que ça lui était déjà arrivé, mais était incapable de se souvenir de qui il s’agissait. Les détails étaient flous, seule restait dans sa mémoire l’excitation à l’idée d’être sur le point de faire quelque chose d’interdit.

« J'avais dix-huit ans quand je suis arrivée à Brisbane. Y a pas d'université vers chez mes parents, j'avais pas d'autres choix que de partir. » Louis hocha la tête, comprenant parfaitement la situation. « Et toi ? T'as toujours vécu ici ? » « Non, je suis arrivé quand j’avais dix ans à peu près. » S’il avait oublié une grande partie des souvenirs de sa vie d’adulte, cette période-là était, a contrario, particulièrement claire dans son esprit. Il se souvenait parfaitement de l’excitation à l’idée de commencer une nouvelle vie, mêlée à l’angoisse de ne pas retrouver de nouveaux copains. « Avant ça on vivait plutôt du côté de Gold Coast, dans les vignes. » Ce n’était pas très loin de Brisbane, mais suffisamment pour que ce déménagement ait changé leurs habitudes. N’ayant pas envie de s’attarder sur son père, Louis ne précisa pas son métier - qui expliquait pourtant leur emménagement dans cette région. « Je suis parti quelques années, et puis je suis finalement revenu il y a un an. » Il prenait le risque d’évoquer un autre sujet qu’il préférait ne pas creuser, signe qu’il était suffisamment à l’aise pour mettre quelques-unes de ses barrières de côté. Puis sans trop y réfléchir, il évoqua le programme initial de leur soirée. Parce qu’il avait la sensation qu’elle se passait bien, et qu’il laissait plus de place à sa spontanéité. Sa maladresse aussi, peut-être. Une spontanéité qu’il regretta lorsqu’il réalisa qu’Olivia l’avait interprété d’une toute autre manière. « Effectivement, on avait prévu une soirée pizza-true crime. Mais c'était plus sympa de parler, non ? A moins que tu ne préfères regarder la télé ? » Le silence s’étira pendant de secondes qui parurent durer des heures. Les pensées fusaient dans l’esprit de Louis sans qu’il parvienne à en saisir une au vol pour débuter ses explications. « Oh. Oui, non, c’est pas ça… » Au milieu de ses bégaiements, Louis se frotta l’arrière du cou, le visage déformé par une grimace de gêne. « Ça me va très bien de continuer à discuter, c’était pas pour ça que j’ai dit ça, pas du tout, j’ai pas réfléchi en fait. » C’était peut-être la source du problème, justement ne pas réfléchir. Avant de poursuivre, Louis passa une main sur son visage, tentant de mettre de l’ordre dans ses pensées. « Désolé, je sais pas trop faire tout ça. Les dates et tout. J’ai pas l’habitude. » Peut-être avait-il eu l’habitude, avant, mais même si ça avait été le cas, il n’en avait aucun souvenir. « On peut faire comme si j’avais rien dit ? » Il n’était pas certain que ça suffirait pour dissiper le malaise qu’il avait lui-même instauré entre eux, mais il pouvait au moins tenter.

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Louis n’avait jamais à se forcer pour parler rugby. Dès que le ballon ovale était mentionné, il oubliait sa gêne et se perdait dans des descriptions qui n’intéressaient pas toujours ses interlocuteurs. Olivia n’avait pas l’air de lui en tenir rigueur, ce qui lui faisait plaisir. « Je me moque pas, j'admire ! Mais si on partage la douche après, pourquoi pas. » Pendant quelques secondes de flottement, Louis se demanda s’il avait bien entendu la jeune femme ou si son cerveau lui jouait des tours. Il resta donc silencieux avant de laisser échapper un rire sincère. « Ça peut s’arranger, » glissa-t-il avec un sourire complice, sans savoir si ça pouvait vraiment s’arranger. Dans l’immédiat, ce n’était pas le plus important, et si cela venait à arriver, ils auraient certainement l’occasion de réfléchir aux détails avant. Pour le moment, Louis essayait de se concentrer sur l’instant présent, même s’il se révéla être plutôt maladroit comme partenaire de date, laissant Olivia penser qu’il préférait regarder une série plutôt que continuer à discuter avec elle. Ce n’était évidemment pas son intention, mais il ne pouvait nier que ses propos pouvaient porter à confusion. « J'ai pas eu de dates depuis un moment, c'est un peu flou et compliqué pour moi aussi » Ils étaient donc tous les deux dans une situation similaire, mais Louis ne savait pas si cela le rassurait ou l’inquiétait. « C'est pas évident de savoir de quels sujets parler, ou ce qu'on peut avoir en commun. » Il grimaça légèrement, conscient que leurs profils pouvaient paraître peu compatibles à première vue. Le fait qu’Olivia ait deux enfants alors que lui-même se sentait tout bonnement incapable de gérer de telles responsabilités, l’avait même fait hésiter à la contacter en premier lieu. Jusqu’ici, il avait toutefois passer un moment agréable avec la jeune femme, et il ne souhaitait pas que cela se termine sur un malentendu. « On est dans la même galère à ce que je vois. Enfin c’est pas que cette soirée est une galère, pas du tout ! » s’empressa-t-il d’ajouter, conscient que ses paroles pouvaient être mal interprétées. « Désolé, plus je parle plus je m’enfonce je crois. » Louis enfouit son visage dans ses mains, puis prit une profonde inspiration pour tenter de remettre de l’ordre dans ses pensées - et arrêter d’aggraver encore davantage son cas.

Heureusement pour lui, Olivia accepta de passer outre ses maladresses et changea rapidement de sujet. « Qu'est-ce que tu rêvais de faire quand tu étais petit ? » Louis lui adressa un sourire reconnaissant, espérant ne pas faire à nouveau preuve d’une telle maladresse. « Un truc forcément moins cool que livreur à vélo, parce qu'avoir accès à plein de restaurants, c'est un truc super aux yeux des enfants ! » Il ne retint pas son rire, espérant ainsi dissiper les derniers effluves de malaise qui pouvaient encore flotter entre eux. « C’est vrai que vu comme ça, le Louis enfant serait sûrement ravi d’avoir pu établir le top 5 des pizzerias de Brisbane. » Enfant, on se fichait bien du salaire ou des responsabilités, et Louis était parfois nostalgique de cette simplicité. « Mais son vrai rêve c’était de devenir rugbyman professionnel. » Il n’avait pas à réfléchir longtemps à cette question, la réponse était facile à donner. « Malheureusement je me suis blessé et ça a coupé court à toute ambition sportive. » Il ne précisa pas que si ses parents avaient accepté de l’envoyer dans le centre spécialisé recommandé par son entraîneur de l’époque, les choses auraient pu être différentes. « Bon après, même sans ça, rien ne dit que j’y serais arrivé. On est nombreux, je pense, à rêver de devenir sportif professionnel quand on est enfant. » Il tentait de faire preuve d’humilité et de réalisme, même si les regrets prenaient encore trop de place parfois. « Et toi ? Tu as toujours voulu devenir infirmière ? » Il se disait que c’était un métier pour lequel on pouvait facilement nourrir une vocation, même si elle n’était pas du tout la sienne.

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Si la soirée avait bien commencé, il n’avait fallu à Louis qu’une question maladroite pour faire naître le malaise entre Olivia et lui. Il essayait de se rattraper comme il le pouvait, et heureusement pour lui, la jeune femme semblait plus compréhensive qu’il n’était malin. « Non, je suis d'accord avec toi, rencontrer des gens c'est une galère ! C'était plus simple enfant, ou il suffit d'aimer la même couleur ou le même plat pour devenir amis. Adultes... C'est toujours un peu bizarre d'apprendre à connaître une personne, de chercher à savoir si on a assez de points communs pour avoir une relation sur le long terme, que ce soit en amour ou en amitié. » « C’est ça, » souffla Louis. Ce qu’Olivia ne savait pas, c’était qu’en plus de ça, Louis devait ajouter une amnésie de dix ans, qui l’empêchait parfois de saisir certaines références, et surtout de reconnaître des visages connus. Il était toutefois trop fier pour utiliser sa condition comme une excuse, alors il n’en dit rien. « Rien que pour réussir à se voir, faut jongler avec les emplois du temps de tout le monde. » Ses propres horaires de travail ne laissaient que peu de place à une soirée improvisée entre amis. Rien que pour ce rendez-vous avec Olivia, il avait dû s’arranger avec un collègue plusieurs jours à l’avance. « J’imagine qu’avec ton emploi du temps ça doit pas être simple non plus. » S’il se plaignait de ses horaires de travail, il ne pouvait que compatir avec ce qu’il imaginait être celles d’Olivia. Il préféra ne pas mentionner ses enfants - qui devaient pourtant avoir un impact non négligeable sur l’emploi du temps de la jeune femme - jugeant que s’attarder de nouveau sur leurs différences n’était pas forcément la meilleure des idées.

Grâce à Olivia, la conversation dévia vers des sujets plus légers, et Louis lui en était très reconnaissant. « Effectivement, c'est le rêve de beaucoup d'enfants ! Et c'est terrible que tout se soit fini sur une blessure. J'imagine que ça a dû être frustrant ? » « C’est le mot, oui. » Malheureusement, et contrairement à beaucoup de ses souvenirs, il se rappelait comme si c’était hier de la profonde désillusion ressentie lorsqu’il avait compris qu’il pouvait tirer un trait sur ses rêves de carrière professionnelle dans le rugby. « C’était y’a longtemps, j’me suis fait une raison depuis, » poursuivit-il en haussant les épaules d’un geste faussement nonchalant. Etant donné la fréquence à laquelle il y repensait un peu, il enjolivait un peu la réalité, mais il préférait garder ce détail pour lui et s’intéresser plutôt aux rêves de la petite Olivia. « Moi j'imaginais pas partir de ma petite ville de campagne, alors je pensais travailler à la ferme comme mes parents. Ou épouser un fermier et aller travailler dans sa ferme. Dans notre village, c'était ça ou devenir institutrice, et j'aimais déjà pas surveiller mes frères et sœurs à l'heure des devoirs ! » Après avoir hoché la tête au fil du récit de la jeune femme, Louis laissa échapper un petit rire en imaginant Olivia perdre patience au moment des devoirs. « J'ai découvert le métier d'infirmière dans les séries que je regardais ado, et c'est là que j'ai commencé à y réfléchir. Puis le fait de quitter ma toute petite ville pour Brisbane était aussi une bonne raison, même si j'avais peur. » « J’imagine, oui, » répondit Louis en hochant la tête une nouvelle fois. Si lui avait été plus qu’impatient de quitter le cocon familial dès la majorité atteinte, il savait que ce n’était pas forcément le cas pour tout le monde. « C’était courageux, de partir comme ça. Et est-ce que le métier d’infirmière ressemble vraiment à ce qu’on voit dans les séries ? » Louis avait l’impression que tout était exagéré dans ces séries, mais il se trompait peut-être. « Tu as beaucoup de frères et soeurs ? » Elle les avait mentionnés à deux reprises déjà, alors il supposait qu’ils avaient sans doute une place importante dans sa vie.

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« Pour ne rien te cacher, la plupart de mes amis faits pendant ma vie d'adulte sont mes collègues de travail, parce qu'ils sont ceux que je vois le plus. Et le reste c'est les parents des copains de classe de mes enfants. » Par réflexe, Louis hocha la tête, mais il réalisa vite qu’il n’avait pas vraiment de points de comparaison. Les amitiés construites pendant sa vie d’adulte avaient toutes été effacées de sa mémoire. Et celles qui lui restaient de son enfance pouvaient se compter sur les doigts d’une main. Depuis quelque temps, il faisait des efforts pour rencontrer davantage de personnes, mais c’était encore loin d’être suffisant pour occuper ses week-ends. Alors il préféra ne pas relancer le sujet, conscient que son silence pouvait prêter à confusion, mais incapable de trouver une réponse adéquate pour dissiper son trouble.

« On peut se faire une raison de ne pas avoir pu réaliser son rêve d'enfant ? » L’espace d’un instant, la douceur de la voix d’Olivia lui donna envie de s’enfoncer plus profondément dans le canapé et de lui raconter ses regrets et ses rêves d’enfant partis en fumée. Louis se retint, parce qu’il n’était pas chez sa psychiatre, et que la jeune femme face à lui devait avoir suffisamment à faire dans son travail pour ne pas lui rajouter une charge lors de ses soirées de repos. « Bonne question, » répondit-il en haussant les épaules, un sourire mélancolique aux lèvres. « Il y a sûrement une part de nous qui aura toujours un pincement au cœur en y repensant. » C’était en tout cas son cas à lui, mais il supposait ne pas être le seul. « On peut en avoir d’autres qui prennent le relais aussi, des rêves. » Dans l’immédiat, Louis avait du mal à voir ce qui avait bien pu remplacer sa passion pour le rugby et il en voyait la preuve dans son parcours décousu. Elle était peut-être là, la clé pour redonner une direction à son existence : trouver un rêve.

Préférant s’intéresser à la vie d’Olivia plutôt qu’au trou noir auquel ressemblait la sienne, Louis lui demanda si ce qu’on voyait dans les films et les séries qui prenaient l’hôpital comme trame de fond se rapprochait ou non de sa réalité. « On couche beaucoup moins avec les médecins, parce qu'on a des patients dont on doit s'occuper. Et les médecins en font beaucoup moins que ce qu'on voit dans les séries... » Louis ne put retenir le rire qui s’échappa d'entre ses lèvres en entendant le tableau dressé par la jeune femme. « Rien de très étonnant, en somme, » s’amusa-t-il. Ce n’était pas difficile de croire que les scénaristes en rajoutaient des tonnes sur la vie sentimentale du personnel soignant et montaient aux nues les médecins au détriment de toutes les autres personnes qui gravitaient autour d’eux.

« On est six, je suis la deuxième. Et disons que nos relations sont meilleures maintenant qu'on est adultes ! » Louis sourit, imaginant parfaitement à quoi pouvaient parfois ressembler les relations conflictuelles entre frères et sœurs. « Wow, six ! Ça en fait des enfants à courir partout, à vider le frigo et à s’agacer mutuellement. » Les parents de la jeune femme avaient sans doute été parfois très fatigués. « Tu les vois souvent ? » Certes, Olivia avait confié qu’elle était en meilleurs termes avec eux aujourd’hui, mais il n’était pas sûr que ça signifie forcément qu’ils se voyaient souvent. Surtout s’ils n’étaient pas originaires de Brisbane. « T'es fils unique toi ? » Louis expira un rire sans joie par le nez avant de répondre. « Ouh non, j’aimerais bien, » avant de se reprendre rapidement, les sourcils légèrement froncés. « Quoi que ça voudrait dire que j’aurais supporté mes parents tout seul, et je sais pas si c’est mieux en fait. » Il y avait match entre les deux situations, c’était certain. « On est trois, je suis celui du milieu. On ne s’est jamais très bien entendus, et contrairement à vous, nos relations ne se sont pas vraiment améliorées avec l’âge. » Certains diraient qu’il n’était pas trop tard, mais Louis avait de sérieux doutes à ce sujet.