the moment i knew
@Ambrose Constantine (crédit gif/clarawritess)

"Mon cousin fait de la musique." Mavis se laissa lourdement tomber sur le canapé défoncé à côté d’Ambrose. Tenant un verre dans chaque main, elle fit une grimace en sentant la goutte sucrée du jus de fruits qu’elle avait commandé lui couler sur sa cuisse dénudée par la jupe un peu trop courte qu’elle portait ce soir, et la frotta brièvement avec l’autre pour la chasser tout en tendant son verre à Ambrose en continuant ce qu’elle lui disait "Oui, j’ai un cousin maintenant." Inconnu au bataillon jusqu’à maintenant, Nicholas faisait désormais partie de son environnement sans que ça ne change quoi que ce soit à sa vie en vérité. Il était juste là, avec sa grand-mère et Vance, à sporadiquement faire une apparition pour lui rappeler que c’était bien de cultiver des liens avec sa famille. Elle ne comptait pas expliquer les tenants et les aboutissants de cette rencontre au jeune homme à ses côtés, elle voulait juste entamer le débat au sujet de la musique "Je te le présenterais si tu veux. Il commence à être connu. Pas ici, mais en Europe." Ça ne lui inspirait pas une fierté particulière, mais puisque ça semblait intéresser Ambrose tout ça, elle se disait que le lui proposer ne mangeait pas de pain et que ça pourrait même constituer une occasion supplémentaire de se voir tous les deux. Ils avaient pris ce café après les funérailles de Norman, ils avaient discuté. Longtemps. Assez pour que Mavis se rende compte qu’Ambrose avait définitivement pris de l’âge, et que ses aspirations avaient changé sans pour autant être totalement différentes. Elles s’étaient juste affinées, diversifiées aussi. Il faisait partie d’un groupe de musique dont elle n’avait jamais entendu parler, alors elle lui avait demandé ce qu’il préférait : la politique ou la musique, la réponse n’étant pas aussi évidente pour lui, lui avait-il semblé.

Elle attrapa sa paille avec ses lèvres pour tirer un peu de jus qu’elle trouva trop sucré, mais elle s’en moquait, s’enfonçant plus loin dans le canapé au point que ses pieds quittèrent le sol quand, la tête s’avançant pour regarder autour d’elle, curieuse de ce qui se passait aux alentours, la musique assourdissante la força à élever la voix pour lui demander "Tu me présenteras les membres de ton groupe ?" Elle devait admettre qu’elle n’avait pas bien compris si cette soirée était un concert de ce dernier, ou s’ils allaient juste flâner quelques heures pour se changer les idées et permettre à Ambrose de voir autre chose que ses pensées les plus mélancoliques. Elle n’avait pas trop cherché à comprendre en réalité, elle avait juste accepté de l’accompagner pour se changer les idées, elle aussi, indisposée par l’idée qu’elle aurait pu passer cette soirée autrement, avec quelqu’un d’autre, si seulement ce quelqu’un d’autre avait été assez honnête et qu’elle ne s’était pas fait une mission de surréagir à quelque chose qui était pourtant prévu depuis longtemps. Elle n’avait pas envie d’y penser, elle n’avait pas envie de se morfondre comme la dernière des pimbêches sur une rupture qui n’en était une uniquement parce qu’il n’existait pas d’autre mot pour définir la situation dans laquelle elle se trouvait et qui ne l’encourageait qu’à ressentir de l’amertume. Reprenant une gorgée de son verre, elle dodelina de la tête en rythme en s’intéressant brièvement à la musique qu’elle entendait, et puis elle la retourna vers le jeune homme à qui elle adressa un sourire en ajoutant au sujet de son groupe "Vous allez jouer ce soir ?" Son dos bien droit contre le dossier du canapé, elle frotta son épaule contre celle du jeune homme pour le faire légèrement basculer, mais surtout pour le faire sourire, son regard ne quittant pas le sien pendant qu’elle poursuivait "C’est juste pour savoir si je dois me comporter en groupie et retenir ma place au premier rang, ou si être ta vieille amie m’offre le privilège de pouvoir t’applaudir directement depuis les backstages." L’un comme l’autre, ça lui allait dans tous les cas.

"Mon cousin fait de la musique." Depuis quand elle a un cousin, même ? Il n’ose pas poser la question, soudainement incertain quant à l’idée qu’il ait toujours existé (ce qui est pourtant logique) et qu’Ambrose soit celui ayant oublié son existence. Ils n’en ont jamais parlé, après tout, Mavis se laissa lourdement tomber sur le canapé défoncé à côté d’Ambrose. Son regard se porte sur la goutte tombée de son verre qui semble attirer l’attention du duo, là où on pourrait sans doute reprocher à Ambrose de ne pas plutôt vouloir la regarder dans les yeux. Il se reprend rapidement. "Oui, j’ai un cousin maintenant." Alors l’erreur ne venait pas de lui, et pour une personne aussi perfectionniste qu’Ambrose, cela a tout de particulièrement rassurant. "Je te le présenterais si tu veux. Il commence à être connu. Pas ici, mais en Europe." - « T’as l’air de réciter un texte. » Le fameux qui pense que tous ceux qui travaillent dans le monde de la musique se connaissent, comme si Ambrose n’ouvrait pas son application de musique comme tout le monde et qu’il prenait plutôt des rendez-vous pour des cafés à tout va. Néanmoins, un sourire lui fait comprendre qu’il ne lui tient rigueur de rien. « Si tu m’abandonnes pas après deux minutes, ça me va. » Il serait heureux de le rencontrer si ça peut faire plaisir à Mavis à son tour et si ça lui confère l’idée d’avoir aidé à quelque chose. Après tout, il mentirait s’il disait ne pas être un brin curieux. « Et si tu m’expliques comment tu peux avoir un cousin maintenant. » Il reprend avec toute la curiosité qui est la sienne, parce qu’il ne pourrait pas passer outre cette question.

Les minutes s’égrènent et la pression monte doucement sans qu’elle n’ait rien de bénéfique. Ce n’est pas le genre de pression qui le pousse à donner de son mieux, c’est le genre qui va le miner bien plus qu’autre chose. Et si ce n’est qu’une question de miner, alors ce n’est pas si pire. "Tu me présenteras les membres de ton groupe ?" Il veut bien être présenté à son nouveau cousin, mais il peine à voir l’intérêt de la présenter à tout son groupe. « Tu pourrais t’en passer, je te le promets. » Drogué numéro un, drogué numéro deux. Une pseudo rehab pour les deux. Elle n’aurait rien à y gagner mais il pourrait tout de même les lui présenter si ça a de l’importance pour elle, parce qu’après tout ce n’est certainement pas Mavis qui pose problème dans cette équation. "Vous allez jouer ce soir ?" Elle joue avec son épaule et, comme un enfant, il lui renvoie le même geste avec lenteur - il est toujours un enfant, mais il est un enfant qui a appris à doser sa force. "C’est juste pour savoir si je dois me comporter en groupie et retenir ma place au premier rang, ou si être ta vieille amie m’offre le privilège de pouvoir t’applaudir directement depuis les backstages." - « Depuis les backstages tu vois un peu mieux mon tatouage préféré, c’est vrai, maintenant qu’on en parle. » Il n’y a rien d’aussi excitant que le nom pourrait le laisser penser, en réalité. La scène est minuscule, les moyens le sont aussi, et l’idée d’un “backstage” est simplement la traduction du nom: elle se trouvera sur le côté plutôt que devant. Le seul avantage pour elle, c’est qu’elle aura toute la place et le calme qu’elle désire. Et qu’elle aura aussi une place rien qu’à elle. « C’est juste moi. » Pas le groupe en entier. Il n’en a même pas parlé avec eux. Ils sortent d’une tournée, ils se sont déjà bien assez vus au quotidien durant cette dernière autant que pendant les répétitions. « J’espère que t’es pas déçue. » La blague n’en est qu’à moitié une. Ambrose lui-même ne sait pas ce qu’il pense de la question et s’il estime encore avoir un quelconque avenir dans le monde de la musique, ou s’il ne fait que tirer sur la corde en attendant qu’elle lâche. « On peut aller écouter ceux qui passent avant. » Plutôt que de jouer des épaules sur le fauteuil, ils peuvent jouer aux groupies face à des personnes qu’ils ne connaissent pas - mais il faut bien remplir les soirées avec le budget alloué, et c’est aussi pour ça qu’Ambrose a fait partie des choix. Pour acter un peu plus son idée, il se lève le premier et tend une main à Mavis, sans lâcher son verre pour autant tant il pourrait juger que sa gorge n’a de cesse de s’assécher au fur et à mesure que son heure sur scène approche.

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"Tu serais pas dépaysé de tes politiciens, il adore s’écouter parler." Elle pourrait laisser Nicholas seul avec Ambrose, elle était certaine qu’ils finiraient pas s’en lasser aussi vite qu’elle s’en lassait parfois, quand il partait dans des envolées lyriques qui n’en finissaient plus juste pour palabrer sur des choses banales, qui ne méritaient que quelques secondes tout au plus. C’était facile de tenir une conversation avec les gens qui parlaient trop, il suffisait de rebondir et de hocher la tête sans que ça n’engage autre chose qu’un peu de bonne volonté. Mavis était certaine qu’Ambrose en ferait son affaire de son cousin, il avait du bagout et l’avantage de l’habitude avec les hommes qui traitaient leur ressenti comme une valeur universelle sur laquelle baser projet et oeuvre. Mais en vérité, une partie d’elle n’aimerait pas qu’ils lient connaissance, craignant que leur passion en commun ne la rende soudainement indigne de l’attention d’Ambrose — elle l’avait pourtant été pendant de nombreuses années, elle s’en remettrait —, alors elle ne lui présenterait sans aucun doute jamais. Ça ne l’empêcherait pas de lui parler de lui s’il le désirait, et ça semblait être le cas d’ailleurs, faisant forcer un sourire à la blonde qui leva les yeux au ciel pour raccorder le fil de l’histoire entourant l’apparition fulgurante d’un cousin qu’elle apprenait tout juste à connaître. Un instant après, elle reposa ses yeux sur le profil tout en angle d’Ambrose "Le frère de mon père a eu un enfant avec une femme avec laquelle ça s’est terminé aussi vite que ça a commencé." Si ça avait déjà commencé d’ailleurs, elle ne connaissait pas les détails de cette histoire "Je crois qu’il essaye de rattraper ses erreurs en l’invitant de temps en temps à assister à des représentations, il est chef d’orchestre tu sais." Son oncle James apportait un surplus de paillettes au nom des Barnes dont le prestige n’avait pas besoin de ça en définitive, seulement ça faisait joli dans les soirées mondaines "On s’est rencontrés pendant une représentation unique de Casse-Noisette l’année dernière. Il est sympa." Mais il est pas comme nous, c’est ce qu’elle aurait ajouté si elle ne savait pas que ça amènerait plus de questions encore. Parler de Nicholas d’accord, mais pas jusqu’au bout de la nuit non plus.

Elle préférait s’intéresser à Ambrose, à ce groupe dont il faisait partie et dont elle n’aurait pas rechigné à rencontrer ses membres s’ils avaient été présents ce soir. Elle examina l’expression de son visage lorsqu’il parla de ceux qui pourraient être définis comme des coéquipiers, et remarqua la tension dans le son de sa voix. Son esprit d’analyse se mit en marche pour lui faire embrasser la subtilité d’un interrogatoire aussi doux que le miel de sa voix quand elle lui dit en retour, la tête penchée vers lui "Hm, me dis pas que ce que je ressens là, c’est à cause d’une histoire de fille, c’est trop cliché." Le coup de Yoko qui s’immisce entre John et Paul, c’était un peu comme la légende autour des médecins qui se tapent tout ce qui bouge : c’est une réalité à laquelle tout le monde essaye d’échapper tant ça paraissait stéréotypé. Mavis remonta ses yeux dans ceux d’Ambrose en même temps que leurs épaules s’effleuraient par jeu d’enfants, ceux qu’ils étaient quand ils s’étaient quittés à l’époque et qu’ils restaient aujourd’hui malgré les responsabilités qui incombaient à leurs choix de carrière "D’ailleurs, maintenant qu’on en parle —" commença-t-elle en opinant du chef face à sa rhétorique implacable, finissant par se tourner vers lui en restant assise sur le canapé pourtant, une jambe se repliant dans l’écart qui la séparait d’Ambrose simplement pour pouvoir y déposer son verre pour lui permettre de libérer ses mains dont l’une se tendit vers lui pour, du bout des doigts, frôler les esquisses d’encre qu’il avait sur les avants-bras "— pourquoi autant de tatouages ? Je savais pas que c’était ton truc." Elle, elle rêvait de s’en faire un caché, là où avec Marion, elles avaient gravé leurs initiales par ennui plus que pour sceller ce lien spécial qu’elles avaient ou pas plaisir, encore qu’elle se souvenait de la douleur que lui avait causé cette marque indélébile qu’elle avait à l’aine comme une vilaine cicatrice qu’elle aurait aimé recouvrir pour effacer pour de bon le souvenir de sa soeur "J’aime bien." commenta-t-elle sans partir du constat qu’Ambrose attendait une quelconque approbation de sa part, mais la caresse de son index contre sa peau lui donnait envie de le lui dire juste comme ça, et il en ferait ce qui lui fera du bien sur le moment. Un soupir lui échappa après un instant, et se redressant, elle abandonna son tracé pour mieux relever la tête vers la sienne, et lui dire avec un sourire aussi encourageant qu'il était sincère "Pas du tout, l’idée me plaît assez. Je vais mieux pouvoir te voir comme ça." Sans son groupe, il serait seul sur scène, c’était moins pire qu’il semblait le croire en lui demandant si elle était déçue que ce soit le cas. Elle reprit son verre pour le terminer, son regard ne quittant celui d’Ambrose que lorsqu’il se leva pour lui proposer d’aller écouter ceux qui passaient avant lui. Elle ne se fit pas prier pour lui attraper la main et nouer ses doigts aux siens "T’as un rituel avant de monter sur scène ?" lui demanda-t-elle en marchant à ses côtés et en élevant juste un peu la voix pour qu’il l’entende davantage, la foule et la musique commençant à emplir l’espace pendant qu’ils avançaient ensemble pour rejoindre ce qui faisait office de fosse.

"Tu serais pas dépaysé de tes politiciens, il adore s’écouter parler." Elle a une bien drôle de façon de vanter les mérites de ce cousin retrouvé par miracle, et cela a tout pour amuser Ambrose qui a du mal à se rendre compte de toute cette scène. Cela n’est pas pour le déranger pour autant: il n’est pas du genre à prendre la défense des veuves et des orphelins, surtout ceux qu’il ne connait pas et qu’il y a de fortes chances pour qu’il ne connaisse jamais - après tout, Mavis n’a pas l’air d’avoir à coeur de le lui présenter, et il n’insistera pas non plus de son côté. "Le frère de mon père a eu un enfant avec une femme avec laquelle ça s’est terminé aussi vite que ça a commencé." Et maintenant, il revient déjà sur son idée principale, ressentant une certaine forme d’empathie pour cet homme dont la famille n’a pas dû être la plus simple à vivre. Pour autant, cela n’excuse pas l’idée de vouloir lui faire une place dans sa vie, alors qu’il est lui-même en train d’essayer de savoir s’il a une place dans celle de Mavis - et ce alors qu’il n’a pas l’excuse de cousin retrouvé à utiliser à tout va. Il est un ex retrouvé, et ce n’est sans doute pas mieux. "Je crois qu’il essaye de rattraper ses erreurs en l’invitant de temps en temps à assister à des représentations, il est chef d’orchestre tu sais." Il ne savait pas, non, mais finalement il n’est pas étonné que la famille Barnes compte une telle personne en ses rangs. « Pas certain que ce soit le meilleur moyen pour créer du lien. » C’est comme si Norman l’invitait à l’atelier alors qu’il est occupé à courir partout pour préparer les moindres détails de chaque tenue. Cela intéresse un public niche et, surtout, cela ne peut pas mener à la moindre discussion qui, elle, aurait le mérite d’essayer de rattraper certaines erreurs. "On s’est rencontrés pendant une représentation unique de Casse-Noisette l’année dernière. Il est sympa." Mais si tout le vocabulaire qu’elle trouve à lui associer est “sympa”, alors Ambrose comprend sans mal qu’il n’y a rien qui l’intéresse véritablement dans ce lien perdu et retrouvé. Il est poli, il ne dirait pas du mal d’une personne qu’il ne connaît pas et surtout dont il ne sait rien, mais il n’en pense pas grand chose de plus non plus. Si présenter Ambrose à cet inconnu peut faire plaisir à Mavis alors il la laissera bien évidemment faire, mais sinon il ne quémandera pas cette rencontre.

En parlant du groupe de musique, il observe le regard de Mavis. Elle n’est pas de ceux qui feignent l’intérêt et elle n’est pas non plus de ceux qui s’y intéressent artificiellement de trop. "Hm, me dis pas que ce que je ressens là, c’est à cause d’une histoire de fille, c’est trop cliché." Il ne s’intéresse pas tellement à ses mots mais bien plus au processus de réflexion qu’ils cachent et à tout son esprit d’analyse parfaitement caché derrière des années d’études intensives. « Non, promis. » Il l’avance dans un sourire immense, lequel laisse évidemment pressentir que ce mensonge attend davantage d’explications. « Enfin, c’est juste le cadet des soucis, la fille. » Son sourire reste présent, un brin plus amusé. Il préfère observer le problème sous cet angle aujourd’hui, ce qui est bien plus facile maintenant qu’il n’en a plus rien à faire de savoir ce qui a pu se passer entre Zoya et Edison. Elle reste son amie, contrairement aux membres du groupe qui ne l’ont jamais été, et si elle avait consisté en leur seul problème alors tout aurait pu être très simple. "D’ailleurs, maintenant qu’on en parle — pourquoi autant de tatouages ? Je savais pas que c’était ton truc." L’avant-bras est effleuré du bout de son doigt sans qu’Ambrose ne la repousse, ou même n’y pense. Il suit du regard le mouvement de son doigt, comme s’il allait lui-même découvrir l’encre sur sa peau. « J’ai grandi entouré d’artistes. » Norman et James sont de véritables artistes, au sens propre du terme. Ils créent de leurs doigts, ils imaginent, ils anticipent. Ils innovent. Lui n’est pas mauvais avec les mots, mais ça n’a pas grand chose à voir. Il voulait leur ressembler, il voulait trouver une part artistique à son tour. « C’est un ami qui m’a convaincu de sauter le pas sans même le savoir. Il en avait beaucoup, j’aimais bien. » Il voulait ressembler à Ruben ; bien sûr qu’il voulait ressembler à Ruben. "J’aime bien." Il n’attendait aucun commentaire de sa part, et pourtant il est heureux d’entendre celui-ci. Malgré toutes les années écoulées en son absence, l’avis de Mavis compte désormais énormément. Comme si, finalement, ils ne s’étaient jamais quittés.

Il lui tend une main pour qu’ils se rapprochent de la scène. Là-bas, ils entendront un peu mieux les chansons des autres groupes. "T’as un rituel avant de monter sur scène ?" Ambrose serre sa main quand ils zigzaguent au milieu de la foule pour se frayer un chemin jusqu’à la scène. Son rituel consiste généralement à se disputer avec Cameron ou Edison, et les deux en même temps dans les meilleurs jours. « Je fume une cigarette. » Ce qui est toujours un peu moins pire que s’enfiler un cachet ou de l’alcool, non ? Ce n’est pas non plus son idée la plus aboutie, il le sait bien, mais le principe même d’un rituel est qu’il s’installe avant qu’on s’en rende compte. « Rien de palpitant. » Et si un jour il peut écrire une biographie qui intéressera qui que ce soit, il en fera soit une blague, soit ce fait deviendra un autre mensonge. « T’en as un avant d’opérer ? Pas que j’essaie de copier de bonnes idées ailleurs, mais peut-être. » Elle a toujours de bonnes idées, Mavis. Elle est toujours intéressante, Mavis. Avant que le groupe ne débute, il égare un instant ses yeux sur le profil de la jeune femme, bien incapable de comprendre comment elle est passée de quasi-fantôme à ça. Ils ne font que passer une soirée ensemble, mais quand bien même. Contrairement à tout son entourage, elle était présente le jour où ils ont dit adieu à Norman. « Un truc rapide, y’a juste deux personnes avant moi. » Le sourire qu’il étire avec insouciance a tout pour lui faire comprendre “sans pression, évidemment”. Il n’y a en réalité aucune: il sait que cette scène n’a rien d’importante et qu’elle ne le mènera pas où que ce soit. Il n’a de toute façon pas le temps d’aller où que ce soit. Pas à un seul moment il ne lâche ses doigts, le mensonge voulant qu’il ne veut simplement pas risquer qu’un mouvement de foule laisse une distance s’immiscer entre eux.

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"C’est pas notre point fort, dans la famille." Créer du lien, être proches avec les autres membres de son cercle, cultiver ses amitiés. Mavis avait plus avancé seule qu’elle n’avait avancé accompagnée, pourtant elle avait tout de même une famille à ses côtés. Chacun vivait sa vie dans la sienne, et personne n’en faisait un problème. Elle, peut-être qu’elle en faisait un problème parce qu’au fond, n’avait-elle pas choisi la voie royale pour attirer l’attention de son père, n’avait-elle pas enchaîné les actions douteuses pour qu’on qu’on la considère plus que comme une suppléante ? Elle pouvait vivre dans le déni autant qu’elle le voulait, mais si elle avait été élevée autrement, elle aurait bien aimé pouvoir compter sur sa famille. Si elle avait laissé l’opportunité à Marion de rester, qui sait quel genre de soutien elle aurait réussi à glaner auprès de sa jumelle. Sur ça, elle ne se faisait pas d’illusion néanmoins : elle savait qu’elle avait fait le bon choix, et ça ne prêtait pas à débat.

Ce soir ou un autre, elle n’en parlerait pas avec Ambrose, préférant d’autres sujets que celui de sa famille. Elle savait en l’écoutant parler qu’elle ne réussirait pas à en savoir davantage sur ce qui semblait le tarauder au sujet des membres de son groupe. Elle n’avait pas envie d’insister, elle ne l’avait jamais fait avec Ambrose dont elle prenait les confessions en allant, sans jamais lui donner le sentiment que c’était une obligation pour qu’elle le comprenne. Là, elle fit pareil, opinant simplement du chef en lui disant suite à sa réponse "Si t’as envie d’en parler un jour, paraît que je suis pas trop mauvaise pour écouter." Elle était mauvaise pour les conseils, mais il ne lui donnait pas le sentiment de vouloir en recevoir, c’était une chance pour lui. Ses doigts trouvant sa peau qu’elle frôla l’air de rien, fascinée par les dessins qui traçaient une carte que lui seul était capable de lire, elle le questionna à ce sujet "C’est vrai, vous avez cette fibre là chez toi." apposa-t-elle comme remarque, relevant la tête pour croiser son regard lorsqu’il explicita l’histoire derrière sa décision de devenir un carnet de dessins à échelle réelle. Elle pensa brièvement à Ruben à ce moment-là. Il était le premier de la longue liste des personnes qu’elle côtoyait qui passaient régulièrement sous l’aiguille d'un tatoueur, à croire qu’elle avait peut-être un type sans le savoir. Elle chassa cette pensée de sa tête, ajoutant sans véritablement s’attendre à une réponse en particulier "Il doit avoir une certaine influence sur toi pour te convaincre de prendre une décision pareille. C’est pas rien, c’est pour toujours." De décider de marquer sa peau de façon pérenne, ce n’était pas quelque chose à prendre à la légère, mais sans doute voyait-elle les choses avec beaucoup trop de sérieux, elle-même mitigée quant à cette question en particulier.

Elle ne prendrait pas la décision de se faire tatouer dans l’immédiat. Sa main dans celle d’Ambrose, son menton à bonne distance de son bras qu’elle ne lâche pas de son autre main pour ne pas le perdre en route, elle essayait de savoir comment se déroulait les coulisses d’une prestation sur scène en lui demandant ce qu’il faisait pour se porter chance. La réponse ne lui plut pas vraiment "Si tu continues comme ça, tu pourras plus monter sur scène très longtemps." Elle était étudiante en médecine, qu’attendait-il qu’elle lui réponde en apprenant qu’il fumait avant de monter sur scène ? Elle savait que c’était une de ses mauvaises habitudes, les fumeurs se reconnaissaient à l’odeur, mais il fallait bien qu’elle s’offusque pour quelque chose, et elle décida que ce serait de ça. Elle lui accorda le genre de regard mi-figue mi-raisin qu’une vieille amie qui feint d’être rabat-joie lance à un vieil ami et laissa un léger rire lui échapper à l’instant où il lui retourna la question "J’opère pas encore tu sais." Officiellement en tout cas, elle avait à peine le droit de mettre les pieds dans un bloc opératoire en dehors de l’observatoire installé dans certain d’entre eux. Sauf qu’officieusement, elle avait déjà fait beaucoup de passage là-bas sous la coupe d’un Ruben vigilant au point de lui rappeler constamment les mesures d’hygiène comme si elle ne les connaissait pas déjà du bout des doigts. Elle aimait ça cependant, c’était ça son rituel "Mais on a tous plus ou moins le même. On se prépare avant d’opérer, on s’habille, on se lave minutieusement les mains, on se concentre surtout." Elle eut un léger sourire, sa tête se levant vers Ambrose qui jouissait d’une taille plus haute que la sienne, lui offrant à elle le loisir de le voir selon un angle par désagréable. Elle fronça le nez, admettant dans la foulée "Je suis pas sûre de beaucoup t’aider en te disant ça, t’as clairement pas besoin de te laver minutieusement les mains avant de monter sur scène." Arrivant à proximité de la scène, Mavis ne lâcha toutefois pas la main d’Ambrose qu’elle finit par pointer du doigt, son regard s’illuminant en même temps "Mais hé, il est jamais trop tard pour se retrouver un rituel. Deux personnes tu dis ?" Elle balaya sa réponse d’un geste de la main un air de dire on est larges avant de reprendre, plus sérieusement "Pourquoi t’as besoin d’un rituel d’ailleurs ? À cause du trac ? Je te croirais pas si tu me disais que t’as le trac." Il avait une allure de rockstar et certes, l’un n’empêchait pas l’autre, mais il semblait dans son élément ici. Il n’avait pas grand-chose à craindre, elle en était certaine.

Il paraît qu’elle n’est pas trop mauvaise pour écouter et il paraît qu’elle arrive dans la vie des autres au moment où ils en ont le plus besoin ; elle est une véritable bénédiction, Mavis, et il pose longuement son regard posé sur elle sans jamais revoir à la baisse son sourire en coin. "Il doit avoir une certaine influence sur toi pour te convaincre de prendre une décision pareille. C’est pas rien, c’est pour toujours." C’est un fait, évidemment. Un fait qu’Ambrose réfute naturellement, parce qu’il n’existe pas un monde dans lequel il accepte l’idée qu’on ait de l’influence sur lui et surtout que ce quelqu’un soit Ruben ; l’idée aurait pu être acceptée s’il avait été question de Camil, Norman ou James. Mais pas Ruben. Il l’estime à bien des niveaux, il l’apprécie du plus profond de son cœur, mais il refuse d’entendre qu’il a décidé de s’encrer la peau uniquement parce que cela lui fait penser à lui. « Il l’a jamais su, c’est pas si important. » Ou tout du moins, il ne l’a pas su sur le moment. Aujourd’hui, il a sûrement fait les liens.

Fumer n’est pas une bonne habitude, ce que même les plus jeunes enfants pourraient avancer. Quand Mavis le souligne à son tour, il se contente d’observer les angles de son visage avec un regard différent, sans juger nécessaire de marquer son point: lui le premier sait qu’il est con à avoir cette habitude. "J’opère pas encore tu sais." - « Vraiment ? Quand est-ce que tu le feras ? » Il questionne avec sincérité, persuadé qu’elle aurait été autorisée à opérer sous surveillance après autant d’années d’études. Il ne remet pas en péril les mots de Mavis pour autant, évidemment, mais la surprise se lit aisément sur son visage éternellement imperméable. « Respecter le protocole, c’est pas vraiment un rituel. » Il la corrige avec amusement, sans pour autant répondre à la propre précision de Mavis. A ses yeux, effectivement, se laver précautionneusement les mains ne pourrait pas vraiment l’aider avant qu’il monte sur scène. Cela a sans doute quelque chose à voir avec le fait qu’ils travaillent dans des mondes diamétralement opposés. "Pourquoi t’as besoin d’un rituel d’ailleurs ? À cause du trac ? Je te croirais pas si tu me disais que t’as le trac." La scène est plus proche que jamais sans qu’aucun d’eux ne profite réellement de la musique tambourinant près d’eux. La question est intéressante et profonde ; autant de choses dont Ambrose n’a aucune envie de parler par les temps qui courent. « Tout le monde en a pour tout un tas de choses, je crois. C’est juste une habitude. » Tout le monde sauf Mavis, apparemment, mais personne n’est réellement étonné qu’elle sorte de la masse et qu’elle le fasse en se distinguant par son excellence. De son côté, il ne risque pas d’avouer qu’il a le trac ou qu’il a une quelconque peur qui nécessiterait l’existence d’habitudes pour être catalysée. Il tourne autour du pot, il parle d’autre chose, il commente la performance. Après un moment atrocement long, il se souvient enfin qu’il doit à son tour monter sur scène ; finalement, il se sentait tout autant à sa place au cœur de la foule, à refaire le monde auprès d’une Mavis qui, du jour au lendemain, en constitue la majeure partie.

* * *

Il rejoint les coulisses vitesse grand V, Mavis sur ses talons grâce à son invitation express pour le rejoindre et l’attendre, le temps des quelques maigres minutes que sont supposées durer sa prestation. Et s’il lui confie son téléphone pour ne pas être dérangé par les notifications durant un moment, il échange le geste pour rapidement mettre une première oreillette ensuite. Il n’a pas eu le temps de fumer (il n’y a tout simplement pas pensé), et il se surprend à se demander si cela ne risque pas de lui porter malheur. Ambrose n’est même pas croyant, et c’est une raison de plus pour laquelle il déteste le simple fait d’y avoir pensé. Dès cet instant, il sent sa respiration s'accélérer sans que cela puisse se résumer à l’excitation du moment. Il se pince les lèvres un instant, déglutit, se décale un instant pour observer la très maigre foule face à eux. « Décale moi. Je monterai plus tard. » Après être resté sur place quelques instants, à faire les cent pas et à faire craquer ses doigts jusqu’à ne plus avoir aucune bulle d’air à sa disposition, il finit par accepter l’idée que rien de bon ne pourrait sortir d’une performance dans son état actuel. « Faut voir avec Fred les passages. » Et Ambrose de soupirer aussitôt, sans que ce ne soit seulement de la colère. Pour la première fois, il est effrayé à l’idée de monter sur scène. « Tu peux envoyer un message à Ruben ? Demande lui s’il peut m’appeler. » Lui qui doit soudainement vagabonder à droite et à gauche pour trouver Fred, il charge Mavis d’une nouvelle tâche en prenant simplement le temps de déverrouiller le téléphone pour qu’elle puisse s’en charger. Elle est très douée pour écouter, elle est très douée pour lui remonter le moral, mais il ne s’agit plus d’un contexte où Ruben n’est pas le bienvenue et maintenant plus que jamais, Ambrose ressent le besoin grandissant de lui parler. « Je reviens vite mais... c'est important. » Elle peut rester là, il sera bien évidemment de retour pour prendre l’appel puisqu’il ne prendrait pas le risque de rater l’occasion de discuter avec lui, même dans un état aussi pathétique.

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@Ambrose Constantine (crédit gif/clarawritess)

Ce qu’on prétendait ne pas être important l’était souvent beaucoup trop. Mavis en était convaincue, étant elle-même partisante du fait coutumier d’amoindrir l’effet des évènements, des personnes sur elle, et ce pour garder l’entière satisfaction de tout se devoir, plutôt que le devoir aux autres. Elle ne releva pas, suivant Ambrose dans les dédales de corps se dressant dans leur passage, leurs mains nouées sans réelle utilité si ce n’était celle de raccommoder ce qui avait été abimé sans vraiment l’être dans le passé, leur chemin s’étant séparé pour bifurquer sans jamais plus se croiser jusqu’à maintenant. Le cosmos fonctionnait d’une façon étrange, pas désagréable pour autant, c’est ce qu’elle pensait en remarquant que c’était une tragédie qui les avait remis sur le même axe, presque comme la première fois "L’an prochain, j’aurai le droit d’être du bon côté du bloc." Hors de l’aquarium, petit poisson ayant soif d’apprendre à évoluer dans l’océan. Elle poursuivit en prenant garde de bien lever la voix pour qu’il l’entende "Pas pour des opérations complètes, mais pour des petits gestes." En ayant la supervision d’un titulaire plus expérimenté qu’elle, elle pourrait enfin faire ce pourquoi elle était prête à vendre son âme. Ce ne serait pas sa première en vérité, elle se garda de l’avouer à Ambrose dont l’intérêt pour ses études était poli, mais sans aucun doute difficile à suivre. C’était le cas à dire vrai, ce n’était pas pour rien qu’elles étaient les plus prestigieuses selon la croyance populaire.

Elle pinça les lèvres pour retenir son sourire, tacha de garder son sérieux, charmée par la finesse d’esprit d’un Ambrose qui n’avait pas beaucoup changé au fond, et ça la réconfortait dans une certaine mesure, même si pour la forme, elle feignit la vexation en redressant ses épaules et en bombant la poitrine, se retenant de dire que le protocole, c’était son rituel, et tant pis si ça ne lui plaisait pas — c’était moins pire que la cigarette dans tous les cas. Elle n’en penserait que la moitié de toute façon, de cette rebuffade, déjà occupée à glaner les raisons de la nervosité latente d’un habitué de la scène pourtant. Sa réponse ne la convainquit pas tout à fait, mais ils se retrouvaient à peine, et des secrets, ils en avaient cultivé chacun de leur côté au cours des dernières années. Alors, elle se contenta d’opiner du chef, ne tenant pas à discuter davantage des (mauvaises) habitudes qu’il avait pour faire passer son trac qui au fur et à mesure, prit de l’ampleur.

Elle l’avait senti dans sa façon de lui tenir la main, dans celle qu’il avait eu de l’emmener avec lui en backstage pour tenir sa promesse d’assister à sa prestation de façon plus ou moins privilégiée. Quand il libéra sa main, elle sentit une pellicule de moiteur suinter de sa paume en sachant que ça ne venait pas d’elle, mais bel et bien de lui qui lui fourra son téléphone portable dans ses mains sans qu’elle ne réussisse à dire rien d’autre qu’un "Quoi ?" lorsqu’il lui demanda d’envoyer un message pour lui à un certain Ruben. Si le prénom la fit tiquer nerveusement, c’était juste parce qu’il avait tendance à agir en déclencheur sur elle. Néanmoins, elle n’en fit pas plus cas que ça sur le moment, consciente que c’était un prénom aussi commun qu’un autre. Ambrose ne lui répéta pas sa requête, son cerveau dut raccorder les fils tout seul pour réussir à comprendre qu’en effet, ça paraissait important, prenant des allures de volonté solennelle qu’elle se devait de respecter par affection à l’égard de son vieil ami qui disparut de son champ de vision à l’instant où elle baissa ses yeux sur l’écran de son téléphone pour effectuer quelques manipulations simple. Un clic du bout du doigt sur l’icône des messages, un autre sur la ligne qui portait le nom de Ruben — et le visage rétrécit d’une pastille juste au-dessus fit manquer un battement à son coeur, sa tête refusant de comprendre. Pourtant, elle jugea nécessaire de s’ôter tout doute de son âme en cliquant sur cette fichue pastille pour mieux le voir : Ruben. Pas un nom aussi commun qu’un autre. Mais bel et bien Ruben. Son Ruben. La succession de pensées qu’elle eut à la minute, elle la poussa à remonter la conversation qu’elle avait ouverte pour lire à vitesse décuplée les échanges — nombreux — qu’il y avait eu entre lui et Ambrose. En s'intéressant aux dates qu’elle voyait à côté des messages, elle réalisa quelque chose qui lui fit marquer un temps d’arrêt dans sa lecture effrénée, mais surtout serrer les dents "Où est-ce qu’il est ? C’est bientôt son tour." Sa mâchoire aurait pu se disloquer qu’elle n’en aurait rien eu à battre, tout comme elle n’en avait rien à battre de l’énergumène qui s’était approché d’elle pour lui demander où se trouvait Ambrose — Rose, c’était comme ça que l’appelait Ruben, et l’idée qu’il puisse lui accorder à lui aussi un surnom affectueux, ça fit renâcler sa jalousie qu’elle sentit s’échapper d’elle comme une bouffée de chaleur ardente qui lui fit monter le rouge aux joues. C’est important, lui avait dit son vieil ami, et elle entendait à quel point ça devait l’être, oui, puisque ça l’était souvent quand Ruben était impliqué. Elle cliqua à nouveau sur la pastille qui encerclait le visage de Ruben, confronta son regard vert soutenu au travers de l’écran qu’elle fit basculer sans plus de cérémonie dans l’encart réservé à la rédaction des messages, et s’appliqua à faire ce qu’Ambrose — Rose — lui avait demandé : Appelle-moi. Vite. lui écrit-elle en sentant ses oreilles tinter quand elle verrouilla à nouveau le téléphone portable pour le lui rendre à la seconde où il revint dans son champ de vision, et que sans crier gare, elle lui dit, froide, en le fixant droit dans les yeux "Je comprends mieux ta fixette sur les tatouages maintenant."

"L’an prochain, j’aurai le droit d’être du bon côté du bloc." Il hoche la tête, certain qu’il n’aurait pas été capable d’autant de patience de son côté. Mavis apprend les rouages du métier depuis une éternité et elle n’a toujours pas pu opérer ? Une part de lui est soulagé de savoir que la formation est prise avec autant de sérieux et de l’autre côté, il est complètement fou face à une telle idée. "Pas pour des opérations complètes, mais pour des petits gestes." L’idée que cela augmente pas à pas, il la comprend bien plus simplement. « Je suis sûr que tu t’en sortiras à merveille. » Et il le pense sincèrement, au-delà de simplement penser à la rassurer. Mavis excelle dans tout ce qu’elle entreprend, non par chance mais bien parce qu’elle est une acharnée du travail qui ne laisse jamais rien de côté.

Malgré toute la douce simplicité de leur échange, et la présence réellement rafraîchissante de Mavis, Ambrose se retrouve submergé par des sentiments malvenus. A l’approche de l’heure à laquelle il est supposé monter sur scène à son tour, il se retrouve noyé dans ses propres craintes qu’il sait être inutiles. Face à ça, il ne sait pas comment trouver une solution et puisqu’il s’est déjà effondré une première fois après être monté sur scène alors qu’il ne le sentait pas (qu’il ne se sentait pas), il refuse de prendre le risque une seconde fois et en vient donc à prendre la seule solution qui lui semble être plausible: appeler Ruben. "Quoi ?" La demande d’envoyer un message à Ruben sort assez de nulle part pour qu’il ne soit pas le moins du monde étonné par la surprise de Mavis, et cela ne le pousse pas non plus à lui expliquer davantage la situation: il est déjà parti en quête de Fred pour tenter de changer son ordre de passage. En réalité, il tente surtout de négocier avec lui de laisser sa place pour ce soir tout en gardant la possibilité de revenir plus tard - alors qu’en réalité, il doute déjà qu’il reviendra un jour ou l’autre tant tout son corps semble le lâcher en cet instant. Il n’a pas le temps de négocier, il n’en a pas non plus l’envie, et lorsque Fred lui annonce qu’il peut se retirer mais qu’il prend le risque de ne plus jamais être à l’affiche de son club, Ambrose accepte sans rien ajouter de plus.

Une fois de retour sur le côté de la scène, il remercie Mavis d’un signe de la tête, ce qu’elle compromet lorsqu’elle lui répond avec un ton qu’il n’avait pas su anticiper - et des mots qu’il comprend tout aussi peu sur le moment. "Je comprends mieux ta fixette sur les tatouages maintenant." Evidemment qu’elle vient de là et évidemment que Ruben est la source de tous les maux, mais ce n’est pas écrit sur son front pour autant. La remarque le fait froncer les sourcils un instant mais la sonnerie de son téléphone l’intéresse davantage puisqu’il répond aussitôt, sans même y réfléchir à deux fois. De son index relevé, il murmure deux minutes à Mavis, pour ainsi lui promettre qu’ils discuteront ensuite. Ses pas, eux, cherchent la sortie la plus proche pour respirer un peu d’air frais. "Hey gamin c’est à ton tour là." - « Je passe pas. » Il le lui annonce sans retenue. Il ne passe pas ce soir, et il ne passera peut-être plus jamais.

Après avoir respiré, comme demandé par Ruben, et après avoir usé le bout de sa semelle contre le mur sur lequel il n’a eu de cesse de frapper, c’est sur un « Je t’aime. » qu’il conclut la discussion, sans chercher un seul instant à rendre ses mots inaudibles. Ruben connaît ses sentiments et il ne s’en cache plus, même s’il raccroche aussitôt le téléphone, anticipant de toute manière que l’australien ne lui répondrait pas avec les mêmes mots. Mais puisqu’une fois n’est pas coutume, et parce que cette discussion l’a aidée sans pour autant noyer toute sa panique, il prend longuement le temps de souffler tout en fermant les yeux. « Merci. Pour le message. » Il ne revient pas sur ses mots, il ne revient pas sur la mention des tatouages. Mavis a pu l’entendre sans qu’il n’en ait quoi que ce soit à faire: elle sait qu’il n’est plus fiancé, et il n’existe pas un monde dans lequel elle sait que, de son côté, l’homme au bout du téléphone est maintenant marié. Alors rien n’importe. « Je me rattraperai avec un concert privé, je crois. » Il tente de faire une blague, sans réellement y croire lui-même. Elle a bien vu qu’il n’était pas bien ; il n’y a sans doute rien de plus à expliquer sur ce point. Lui-même ne saurait comment l’expliquer, justement. « Tu veux rester écouter les autres groupes ? Je crois qu’on peut négocier pour rester en backstage. » S’ils se font discrets, tout le monde n’y verra que du feu, non ?

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@Ambrose Constantine (crédit gif/clarawritess)

Elle n’était pas en colère contre Ambrose. Elle n’était pas encore colère contre Ambrose, seulement elle se rendit compte en le regardant s’éloigner que sur l’instant, il la dégoûtait ; d’être aussi fragile face à quelque chose qu’il avait pourtant l’habitude de faire et pour lequel il ne devait pas être mauvais, d’être aussi à l’aise à l’idée de la reléguer à la dernière place de ses priorités pour aller se faire rassurer par quelqu’un d’autre alors qu’elle était là, capable et acquise à sa cause depuis toujours, et surtout que ce quelqu’un d’autre soit Ruben dont l’expression qu'il avait sur la photo qu’elle avait longuement regardé sur l’écran du téléphone d’Ambrose était toujours imprimée sur sa rétine. Elle se demanda, ne lâchant pas des yeux l’endroit vers lequel le jeune homme s’éclipsa pour tenir sa conversation avec Ruben, si Nina ressentirait la même chose quand elle se rendrait compte que son mari la trompait. Est-ce que Mavis pouvait considérer qu’elle avait été trompée d’ailleurs ? Est-ce que Mavis pouvait s’en offusquer après des mois et des mois à se dire que de toute façon, c’était une certitude que Ruben n’était capable que de ça ? Est-ce que Mavis pouvait prétendre n’avoir jamais songé qu’elle n’était surement pas la première ni qu’elle ne serait surement pas la dernière à froisser les draps avec lui alors qu’il se disait fou amoureux de sa fiancée ? Elle ne savait pas, et ne pas savoir, c’était pire que de se dire qu’elle avait été la moins maline de l’histoire.

Elle avait cru que la jalousie de Ruben était le gage d’une possessivité qu’il lui avait conseillé de ne pas ressentir à son égard, voulant la garder rien que pour lui. Quel hypocrite, quel sale minable petit hypocrite, qu’elle pensa en reprenant vie pour s’avancer vers l’endroit où Ambrose s’était éclipsé. Maso au point de se dire que ça ne lui suffisait pas d’avoir compris ce qui se passait dans son dos, elle colla le sien au mur qui la séparait d’Ambrose pour écouter sa conversation, et ferma fort les yeux en réalisant qu’ils avaient l’air tellement intimes que ça lui faisait du mal d’une façon curieuse, ravivant le sentiment qu’elle avait ressenti quand elle avait compris qu’elle était enceinte et qu’elle devrait prendre sa décision seule — la seule possible au fond, faisant de tout ça davantage une obligation pour préserver l’équilibre de l’univers qu’une vraie décision assumée et indolore. Que faisait Ruben et avec qui quand elle prenait rendez-vous pour se faire avorter ? Que faisait Ruben et avec qui quand elle se faisait avorter ? Elle sentit son menton trembler, sauf que ce n’était pas des larmes que toutes pimbêches dignes de ce nom auraient versé en comprenant qu’elles avaient été trahies, mais bel et bien de la rage d’entendre Ambrose prononcer un je t’aime au même homme qui s’appliquait à chaque fois qu’il était en elle à lui dire qu'il n’était pas amoureux.

Soudainement, elle ressentit le besoin de savoir ce qu’il avait répondu à Ambrose. Elle se décolla du mur pour accueillir son retour, et les dents serrées, elle remonta sa longue silhouette avec ses yeux pour mieux affronter les siens. Elle balaya d’un insistant "Il t’a dit quoi ? Il t’a répondu quoi ?" aussi critique que le regard fixe qu’elle lui réserva pour ne pas s’arrêter sur le dégoût que lui inspirait tout ça. Faisant claquer sa langue contre son palais avec une impatience rare venant d’elle, elle secoua la tête pour de nouveau balayer ce qui lui disait et lui répondit sans prendre de pincettes "C’est toi que je voulais voir. Je m’en fiche des autres." Elle voulait rentrer chez elle, elle ne voulait pas rester ici, c’est ce que ça voulait dire. Mais d’abord, elle voulait avoir la réponse à sa question, alors elle la lui reposa en deux temps, comme une minute plus tôt, ses yeux sombres trouvant à nouveau les siens quand, les ayant rouverts après les avoir brièvement fermés quand elle avait secoué la tête, elle lui répéta "Il t’a dit quoi ? Il t’a répondu quoi ?" Elle n’était pas en colère contre Ambrose. Pourtant, suspendue à ce qu'il avait à lui dire à ce sujet, une partie d’elle savait qu'elle avait envie de lui faire du mal, d’une façon ou d’une autre.

Elle n’en a rien à faire des autres groupes, de toute évidence. Elle n’en a rien à faire non plus qu’Ambrose ait décidé de ne pas monter sur scène ce soir, ni sûrement aucun autre non plus. "Il t’a dit quoi ? Il t’a répondu quoi ?" Il a beau connaître son caractère parfois de feu, Ambrose n’avait pas anticipé qu’il puisse s’adresser à lui, notamment parce qu’il n’y a pas de sujet qui fasse office de tension entre eux. Ils ont repris conscience il y a trop peu de temps pour ça, et il n’a de cesse de se dire que s’il lui pose cette question, c’est que ça importe pour elle. Le problème, c’est qu’elle ne le connaît pas et qu’elle ne connaît rien non plus à son sujet - et elle ne peut pas déjà rejoindre les rangs de tous ceux qui détestent Ruben par principe, rangs qui sont dirigés par James. "C’est toi que je voulais voir. Je m’en fiche des autres." Ils n’attendront pas la suite, donc. Ce n’est pas une perte pour qui que ce soit. Dans un autre contexte, il aurait répondu à ses mots, et il lui aurait proposé d’aller boire un verre ailleurs. "Il t’a dit quoi ? Il t’a répondu quoi ?" Elle le répète sans lui laisser une seule seconde de répit, ses yeux relevés dans les siens. Ambrose est aussi immobile qu’il est muet, trop occupé à tenter d’analyser une situation pour laquelle il lui manque trop de facteurs. « Rien. » Il annonce simplement, le ton blanc. Il ne prend pas le temps de lui demander à quoi, à peu près certain qu’ils parlent de ses derniers mots, sans doute parce qu’il n’y a que ceux-ci qui pourraient intéresser qui que ce soit. Le brun renonce à retourner à l’intérieur, autant pour respirer un peu d’air frais que pour garder cette discussion loin des oreilles indiscrètes.

Il ne prend qu’une seconde pour respirer, mais il le fait quand même, notamment parce qu’il en a cruellement besoin. « Je lui ai pas laissé le temps, j’ai raccroché avant. » Puisque la réponse semble lui être aussi importante, les précisions le sont sans doute tout autant. En réalité, il a raccroché avant l’heure justement pour ne pas avoir à supporter son silence, ou un quelconque bonne nuit qu’il aurait pourtant prononcé sur un ton plus doux que jamais. « Explique moi. » Son ton est à son tour plus doux, jurant un brin avec celui d’une Mavis qui donnait l’impression d’avoir le besoin vital d’obtenir des réponses - et c’est justement parce qu’il ne comprend rien à la situation qu’il préfère poser des questions. Mavis est revenue dans sa vie trop récemment pour qu’il accepte aussi simplement l’idée qu’elle en sorte pour une dispute qu’il est le seul à nommer ainsi, sans en comprendre les tenants et aboutissants. « S’il te plaît. » Il n’a tout simplement pas la force de se battre ce soir, et il ne se sent pas non plus capable de terminer la soirée de cette façon sans même comprendre comment il aurait pu merder. Mavis ne lui reproche pas de ne pas être allé sur scène, et pourtant c’est la seule chose qui semble faire du sens à son esprit.

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@Ambrose Constantine (crédit gif/clarawritess)

"Je te crois pas." Que Ruben réussisse à se taire face à l’expression de l’amour que quelqu’un ressentait à son égard, ça lui paraissait improbable. Il avait trop besoin d’être aimé pour laisser une occasion filer de demander au moins de le répéter, vampire assoiffé qui se nourrissait de l’admiration de ceux qui ne savaient pas bien s’ils voulaient être comme lui ou s’ils voulaient être avec lui. Là, elle l’imaginait en train de se repaître de l’effet qu’il avait sur les autres, et ça lui fit lâcher un rire qu’elle retint à la dernière seconde en posant une main tout contre sa bouche. Elle s’en mordit discrètement la paume Mavis, testant si tout ce qui se passait était bel et bien réel — vu la marque profonde qu’elle laissa dans sa propre chair, ça l’était, en effet. Peut-être n’avait-il rien répondu qui trahissait ses sentiments envers sa toute jeune épouse, mais elle avait du mal à entendre qu’il puisse s’être tut. Il l’avait fait pourtant, la parole coupée par Ambrose qu’elle ne cessait de regarder de là où elle se trouvait, sa main retombant contre sa hanche, aussi belliqueuse qu’elle savait être douce pour préserver les apparences et ne faire douter personne quant à ce qu’elle était capable de faire ou pas.

Là, elle aurait pu retourner tout sur son passage pour savoir ce qui se passait entre les deux hommes. Elle aurait voulu poser des questions plus pointues que ça, plus crues aussi, ne s’encombrant pas de la pudeur induite par l’affection qu’elle ressentait à l’égard de son ancien amoureux, et lui demander s'il avait tatoué sur lui quelque chose qui le ramenait à ce qui s’était dégagé de lui quand il avait parlé à Ruben à l’autre bout du fil et qu’elle l’avait senti apaisé. Mais elle ne réussit à rien faire d’autre que le regarder fixement et se dire que si c’était une blague de l’univers pour lui rappeler qu’elle avait une dette envers lui, ça ne la faisait pas rire. Explique-moi. Elle eut l’impression de recevoir un coup de poignard en plein ventre, le ton doux d’Ambrose la ramenant au fait qu’il n’y pouvait rien au fond, mais que malgré tout, c’était à lui qu’elle en voulait sur le moment. Elle ferma de nouveau les yeux, accusant le coup involontaire qu’elle venait de recevoir, détournant la tête en la secouant sans s’arrêter. Elle aurait pu faire tellement de dégâts maintenant, elle le savait : elle aurait pu jouer sur la tendance à crier au loup de ces filles indécises qui couchaient pour obtenir quelque chose et qui jouaient avec la limite du consentement pour se faire plaindre, mais la vérité, c’est qu’elle se retrouva tout bonnement paralysée par la certitude que toutes ces fois où Ruben avait démontré un tantinet de jalousie à l’égard de ceux qui lui tournaient autour, c’était pour asseoir une autorité qu’elle avait à peine discutée. Oh qu’elle s’en voulait, d’avoir été sotte au point de ne pas se rendre compte qu’à vouloir jouer, c’était elle qui avait perdue, et qu’elle avait été sous son emprise. Peut-être. Mais Mavis n’était pas femme à se laisser faire, et alors que l’air de dehors mordait sa peau beaucoup plus fort que ses dents n’avaient mordues sa paume, elle profita de ce rappel qu’elle était dans une réalité déplaisante pour rouvrir les yeux d’un coup, et ce à l’instant où Ambrose apposait un s’il te plaît à sa première requête "C’est à lui que tu devrais demander des explications." Très doucement, elle retourna la tête vers lui. Qu’il se débrouille, Ruben Hartfield. C’était à lui de raconter l’histoire, c’était lui qui l’écrivait à plusieurs mains en oeuvrant que pour une seule et unique cause : la sienne.

"Je te crois pas." Il ne sait pas comment interpréter son assurance et il sait encore moins comment interpréter le rire qu’elle a. Il est nerveux, assurément, mais cela n’explique pas le reste pour autant. « Je n’ai pas de raison de te mentir. » Ambrose prend tout de même le temps de rétorquer, sans avoir la vocation de s’engager dans une argumentation plus poussée. Mavis le connaît assez pour savoir qu’il est fier ; assez fier pour vouloir prendre le temps qu’on lui réponde à son tour qu’il est aimé. S’il n’a pas laissé ce temps en question à Ruben, il pense avoir été assez clair dans l’idée que le sentiment n’est pas partagé: et ça, il n’a aucune envie de le crier sur tous les toits. Et quand bien même il n’a pas besoin de l’approbation de Mavis, son avis compte pourtant.

Ses requêtes font face à un mur et la politesse qu’il y ajoute ne change pas grand chose. Mavis semble passer par tous les états et son cerveau être en ébullition et il déteste l’idée de ne savoir rien faire d’autre que la regarder avec les bras ballants. "C’est à lui que tu devrais demander des explications." Il pensait le temps où Ruben cause du trouble dans ses relations totalement terminé mais c’était loin d’être la réalité. Pour autant, le nouveau regard qu’il pose sur la jeune femme et le mouvement de ses cheveux allant avec lui ramène à l’esprit des souvenirs qu’il a tout fait pour oublier. « C’était toi. » Des blondes qui travaillent à l’hôpital, il y en a des centaines. Des blondes qui changent drastiquement d’attitude à la seconde où il est question de Ruben, et surtout des sentiments qu’il nourrit à son égard, il ne peut pas y en avoir tant que ça - ou disons simplement qu’il espère qu’il n’y en a pas tant que ça, même si avec Ruben rien n’est jamais certain, à commencer par son nombre d’amants. A son tour, il comprend le réflexe nerveux de vouloir rigoler. « Je sais que je suis pas sa priorité. Tu peux dormir sur tes deux oreilles. » Le sourire est faux mais les mots véritables. Il le lui a dit: il n’a aucune raison de lui mentir, et il ne le fait même pas pour préserver la paix dans le harem de Ruben. Ce n’est pas pour lui qu’il répond de cette manière. Simplement, il sait ce que c’est que d’être à la place de Mavis et de comprendre que le monde ne tourne finalement pas secrètement autour de sa propre personne. « Je lui demanderai rien de plus. » Il n’y a rien qu’il veuille savoir, de toute façon. Il n’a même pas la moindre envie de rigoler avec lui de l’idée qu’ils aient le même type, et qu’au-delà du hasard, ça pourrait être terriblement amusant si jamais Ambrose avait le cœur à en rire. Trop peu de temps s’est écoulé pour que ses plaies soient pansées à ce point, mais un jour il veut croire qu’il en sera capable. Le plus tôt sera le mieux, parce qu’il ne veut pas entacher ses retrouvailles avec la jeune femme.

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@Ambrose Constantine (crédit gif/clarawritess)

Ambrose n’avait pas de raison de lui mentir, c’était une vérité à laquelle elle ne voulait pas croire pourtant, habituée à devoir remettre en doute les intentions de celui qui était subitement devenue le sujet de leur discussion. Elle avait déjà des doutes concernant Ruben, mais rien ne viendrait arranger les choses maintenant qu’elle avait la certitude qu’elle avait été charmée par l’idée qu’il puisse faire d’elle son exception — à d’autres. Les traits transformés par le rage qu’elle tentait de contenir, Mavis regarda Ambrose en secouant la tête et en souriant de moitié, ne pouvant se résoudre à avaler qu’encore une fois, elle apprenait ce genre de choses de façon détournée parce que Ruben était d’une lâcheté risible à ce stade. Elle se mit à réfléchir à ce qu’il lui servirait comme prétextes cette fois, et décida d’emblée qu’elle ne les écouterait pas de toute façon. Ça faisait des mois et des mois que ça tournait en boucle entre eux, et ça faisait des mois et des mois que l’inéluctable était repoussé pour leur permettre de profiter l’un de l’autre encore et encore, seulement cette fois la coupe était pleine, et avec elle venait le besoin que Mavis ressentait d’étancher sa soudaine soif de vengeance.

Quelque chose sembla cliquer du côté d’Ambrose, et ça fit dire à la jeune femme "T’étais au courant ?" Qu’il y avait quelqu’un d’autre, et elle ne parlait pas de Nina. Elle comptait à peine de toute façon, elle n’était que le détail qui grippait le bon fonctionnement de quelque chose qui aurait dû être simple si seulement Ruben avait du cran. Elle fixa le jeune homme un long moment encore, et elle se trouva injuste de lui en vouloir, mais c’était tout ce dont elle était capable sur le moment : de ressentir de la haine au point d’en devenir sarcastique, au point d’en rire avec ironie, entendant ce qu’il lui dit dans la foulée et sur quoi elle rebondit en rentrant le menton et en haussant les sourcils, surprise qu’il puisse songer que le contraire était une possibilité "Oh pourquoi, tu crois que moi, je suis sa priorité ? Tu connais mal Ruben si tu penses qu’il est capable d’avoir des priorités autres que lui et sa petite personne, et ça me dit tout ce que je devrais à savoir à propos de ce qui se passe entre vous." Sentant une tension nerveuse dans le fond de sa gorge, elle s’en voulut d’utiliser cette formulation de phrase parce que ça mettait l’accent sur un fait concret : il se passait quelque chose entre eux, et ça la tuait. Encore un peu, elle secoua la tête, des frissons plein le corps, le coeur battant à tout rompre dans sa poitrine à une fréquence cliniquement inacceptable — autant que ce qu’Ambrose asséna ensuite et qui fit rétorquer à la jeune femme "Fais comme tu veux. Si tu te sens capable de supporter encore un peu qu’il se serve de toi, c’est ton problème." Et parce qu’elle n’avait plus envie d’être là, en présence d’un autre des autres de Ruben, elle remua pour contourner Ambrose, et termina en passant à ses côtés, résolue à ne plus jamais perdre la main "Mais moi j’arrête." Ça concernait moins Ambrose que ça ne concernait Ruben, aussi ce n’était qu’une question de temps avant que le principal concerné prenne la mesure de l’erreur qu’il avait sciemment commise, comme toutes les autres jusqu’ici.