@Alice Petrov

Selon l’horaire, Min-Kyung s’occupait des urgences aujourd’hui. Selon son expérience, ça signifiait qu’il devait s’attendre à tout et n’importe quoi, surtout n’importe quoi. Lorsqu’il croyait avoir tout vu, un cas se présentait à la clinique surpassant en bizarrerie tout le reste. Bien qu’elles puissent être stressantes et parfois dramatiques, ça le changeait de la routine et il adorait s’occuper des urgences. Jusqu’à présent il avait eu un serpent avec l’apparition d’une masse qui s’avéra être un cas de constipation. Il eu ensuite un chien mordu par une tique paralysante. C’était quelque chose de très sérieux et la hantise de bien des propriétaires. Heureusement, il était sous observation dans le chenil et montrait déjà des signes encourageant de rétablissement.

Son prochain patient était un chat, le fameux Patapouf. Fameux, car il avait mauvais caractère. Min se souvenait encore de leur première rencontre lors d’un banal examen de routine quelques mois plus tôt. Il venait d’arriver à la clinique lorsqu’on lui présenta Patapouf depuis sa cage, feulant et miaulant, le regard mauvais. L’aide de deux techniciennes avait été nécessaire afin qu’il puisse faire l’examen en plus de lui administrer ses rappels de vaccins. C’est pourquoi il grimaça lorsqu’on l’informa que le chat était en route pour une urgence.

Le chat était dans la salle d’attente en compagnie de sa famille. Min s’approcha, dossier à la main. Il voyait déjà la cage s’agiter, signe que le chat s’y débattait. À sa défense, il n’aimerait pas non plus être enfermé. Si seulement il pouvait comprendre que c’était pour son bien.

« Bonjour, Madame Petrov. Vous allez bien? » Il entendit le chat feuler depuis sa cage. « Patapouf, toujours aussi heureux de me voir à ce que je vois. Passons à la salle d’examen. »

D’un signe de la tête, il invita la petite famille à le suivre. Dans la salle, des gants épais et une couverture attendaient déjà d’être utilisé. Pour des cas aussi agressifs, de bons équipements de protection étaient nécessaire.

« Nous avons discuté lors de notre dernière rencontre les bienfaits d’administrer à Patapouf un calmant avant son prochain rendez-vous, que ça rendrait l’expérience beaucoup plus agréable pour tout le monde, y compris pour lui. Je suppose que vous ne lui avez rien donné? »

Il se doutait que non. Après tout, son prochain rendez-vous n’était pas avant plusieurs mois encore.

« Je sais que tu ne m’aimes pas beaucoup mon grand garçon, mais sache que je t’aime beaucoup. » Il sourit au chat qui miaulait comme s’il était possédé par un démon.

« Qu’est-ce qui vous amène ici aujourd’hui? Je sais que vous avez remarquer un changement dans son comportement. Est-ce qu’il allait bien ce matin? Est-ce qu’il est allé à l’extérieur? Nous avons des cas de tique paralysante en ce moment, les effets de leur morsure peuvent être foudroyant. »

Honnêtement, Min repoussait le moment d’ouvrir la cage, alors autant avoir le plus d’informations possible avant de le faire.

@Alice Petrov

Min ne détestait pas Patapouf, loin de là. Il adorait tous les animaux, y compris ceux déterminés à vouloir le tuer. Lui-même n’aimait pas aller chez le médecin, alors pourquoi un chat aimerait voir le vétérinaire, surtout si c’était pour se retrouver avec un thermomètre enfoncé dans le derrière quelque part durant la consultation? Non, Patapouf avait des raisons tout à fait légitimes de ne pas l’aimer. En revanche, contrairement avec un humain où il était possible de discuter et de le rassurer sur la suite des procédures, c’était impossible de le faire avec un chat, rendant la situation encore plus difficile pour tous les deux.

Il écouta attentivement la jeune femme qui manifestait des signes évidents de stress à mesure qu’elle expliquait les changements observés chez son chat. À ce stade, ça pouvait être plusieurs choses et, dans sa tête, Min dressait la liste des problèmes les plus fréquents chez les chats avec ces symptômes.

« S’il ne sort pas, il est peu un problème que ce soit la tique. Pour en avoir le cœur net, je vais devoir l’examiner. »

Min ne le détestait peut-être pas, mais ça ne voulait pas non plus dire non plus qu’il adorait devoir se battre avec lui. Ces griffes et ces dents peuvent être particulièrement dangereuses et faire beaucoup de dégâts.

« Je vais aller chercher quelqu’un pour m’assister. Vu le caractère de monsieur, je vais lui donner un léger sédatif. On va s’assurer que ce soit le plus sécuritaire possible pour lui ainsi que pour moi. »

Il sortit de la salle de consultation pour revenir quelques minutes plus tard avec l’une des techniciennes animalières de la clinique. Elle enfila les gants épais qui lui remontaient jusqu’aux coudes et prit la couverture dans ses mains. L’idée c’était d’y enrouler le chat façon burritos pour limiter ses mouvements et permettre à Min de lui injecter un calmant. Lorsqu’il fera effet, il pourra procéder à l’examen.

« Bon… On va ouvrir la cage sur le dessus. Faudra être vigilant pour ne pas qu’il s’enfuie, car je ne suis pas certain qu’on va pouvoir le rattraper. » Min s’adressait à la technicienne qui regardait le matou terré au fond de sa cage. Il miaulait toujours, de longs miaulements inquiétants qui donnaient la vague impression que ce chat était en fait possédé du démon. Ce n’était pas son premier cas difficile, mais les bruits que ces créatures faisaient l’impressionnaient toujours. Il prépara la seringue et quand tout fut prêt, il regarda la jeune femme. Le reste se passa très rapidement, montrant que ce n’était pas la première fois que ce genre de chose arrivait. Le chat fut sorti de sa cage et enroulé dans la couverture. Il était fort, mais la couverture et les gants protégèrent Min et la technicienne.

« Je sais que c’est impressionnant », dit Min à la propriétaire, « mais c’est pour son bien. » Il injecta le calmant. Il ne restait plus qu’à attendre qu’il fasse effet. Il espérait que le chat ne serait pas dans un état tel que le médicament ne ferait pas effet. Ça arrivait parfois dans les cas les plus extrêmes. Toutefois, au bout de quelques minutes, il sentait les défenses de Patapouf diminuer enfin.

« Ça fonctionne… Je vais lui laisser une petite minute supplémentaire. »

Une minute plus tard, Min et la technicienne relâchaient enfin le chat. Il caressa la tête de Patapouf qui gardait les yeux ouverts tout en étant totalement insensible à ce qui se passait autour de lui. Il commença son examen en palpant son abdomen. À première vue, il n’y avait rien d’anormal sauf le fait que ses intestins étaient complètement vides indiquant qu’il n’avait rien mangé depuis un moment. Le foie avait l’air beau aussi. Il prit ensuite sa température, mais Patapouf ne faisait pas de fièvre. Pour l’instant, rien n’indiquait une infection.

« On va profiter du fait qu’il est endormi pour lui passer une radiographie. Je n’ai rien senti à la palpation, mais ça se pourrait qu’il y ait quelque chose. Est-ce que Patapouf à l’habitude de vouloir manger des choses qu’il ne devrait pas? »

@Alice Petrov

Min-Kyung lui sourit d’un air rassurant. Il comprenait les craintes de la jeune femme. Chaque jour, il voyait des propriétaires défiler dans son bureau, inquiets pour la santé de leur petit compagnon. Pour ces gens, ils n’étaient pas que des chats ou des chiens, ils étaient des membres de leur famille et l’idée qu’il puisse tomber malade et mourir causait une détresse véritable. En tant que vétérinaire, il ne devait jamais oublier ça et maintenant qu’il avait lui-même un chat, il comprenait plus que jamais le sentiment. Autant Saja lui en faisait voir de toutes les couleurs au point de lui causer de la frustration parfois, autant il fait tout pour la rendre heureuse et assurer sa bonne santé.

« Je dois admettre que Patapouf a tendance à vouloir goûter à tout ce qui lui passe sous la patte […] » Min-Kyung acquiesça d’un signe de tête. Il avait maintenant une assez bonne idée du mal qui affligeait le pauvre monsieur Patapouf. « Je comprends. Ne vous inquiétez pas, c’est assez courant. Saja, ma chatte, me fait le même coup. À noël, je l’ai surprise en train de manger un ruban. Elle en avait déjà avalé une trentaine de centimètres quand j’ai commencé à tirer. Elle n’a pas apprécié, mais ça ne l’a pas empêché de recommencer. Des études comportementales avancent que ça serait une manifestation de stress et compte tenu du caractère de notre ami, ça serait une explication. Je vais lui faire passer une radiographie. Nous allons vérifier le contenu de son estomac, mais je suis assez sûr qu’on va y trouver quelque chose qui ne devrait pas y être. »

Ce n’était pas forcément une bonne nouvelle pour Alice. Tout dépendant de ce qu’il avait avalé et de l’endroit où ça se trouvait dans son tube digestif, une intervention chirurgicale sera peut-être nécessaire afin de retirer l’objet, donc des frais assez importants pour la famille ainsi qu’une période de convalescence qui demandera l’administration de médicaments ainsi qu’une surveillance étroite de l’animal. Ce sont des éventualités à prendre en compte lorsqu’on décide d’adopter un animal, mais très souvent, les gens n’y penseront pas jusqu’au moment où ils se retrouvent confrontés à une situation semblable.

Patapouf fut amené à l’arrière pour la suite de ses examens. Quant à Alice, on lui proposa quelque chose à boire en attendant. Min supervisa la radiographie et lorsqu’il examina les résultats en compagnie du radiologiste, il ne put s’empêcher de grimacer. L’estomac du chat était rempli par quelque chose qui ne semblait pas être de la nourriture.

« C’est évident, même pour moi. Je me trompe où tout est encore dans l’estomac? »

« Il n’y a rien dans l’intestin sauf des matières fécales », confirma son collègue en pointant du doigt l’écran.

« Monsieur Patapouf va peut-être échapper à la chirurgie. Excellent. »

« Patapouf? »

« Ne te moque pas, ce chat est un guerrier. Sans calmant, il t’arracherait un bras sans la moindre hésitation. »  Min lui donna une petite tape sur l’épaule avant de revenir dans la salle d’examen en portant le chat toujours endormi dans ses bras.

« Madame Petrov, je vais vous montrer quelque chose. »  Il posa Patapouf sur la table d’examen avant de se diriger vers l’écran accroché au mur. Après quelques manipulations, l’image d’une radiographie s’afficha.

« Voici Patapouf. On voit ici sa colonne vertébrale et sa cage thoracique. Là, cette grosse masse plus ou moins opaque, c’est son estomac. Il est rempli de quelque chose qui n’est pas de la nourriture. Patapouf a trouvé quelque chose et il a décidé d’en faire son repas. La bonne nouvelle, c’est que c’est toujours dans son estomac. Ça veut dire que la chirurgie ne sera peut-être pas nécessaire. Je vais commencer par lui administrer un vomitif et laisser la nature se charger du reste. Ce n’est pas très agréable, mais c’est nettement moins invasif qu’une chirurgie. Évidemment, il y a un risque que ça ne fonctionne pas, mais plutôt que de passer directement à la salle d’opération, je préfère tenter le coup. Qu’en pensez-vous? »

@Alice Petrov

C’était toujours un moment inquiétant pour le propriétaire et Min faisait son possible pour se montrer rassurant. Il n’était pas inquiet. Sa solution avait de bonnes chances de fonctionner. Certes, Patapouf ne passerait pas un très bon moment, mais peut-être que cela suffira pour le convaincre de ne plus avaler tout et n’importe quoi. Peut-être que sur ce point, il était un peu trop optimiste. Son propre chat n’avait pas appris la leçon et il devait redoubler d’efforts pour s’assurer que plus rien de dangereux ne traîne dans son appartement. Heureusement, Min-Kyung était d’un naturel soigneux et avait l’habitude de se ramasser à mesure. Ce n’était donc pas si difficile bien que l’intelligence et la ténacité de Saja à trouver la moindre chose tombée au sol ne manquait pas de l’impressionner.

« Je pense que vous avez raison, docteur… Je préférerais éviter la chirurgie si c’est possible. Espérons que ce vomitif suffise à guérir Patapouf… Merci pour tout ce que vous faites pour lui. Ce chat compte énormément pour moi, et je suis reconnaissante de votre attention et de votre expertise. »

Min lui sourit. « Ce n’est rien. Je ne fais que mon travail. D’ici quelques heures, il ira beaucoup mieux. On va l’amener à l’arrière pour le traitement. Ce n’est pas un spectacle particulièrement plaisant à regarder. Vous pouvez retourner dans la salle d’attente si vous préférez. »

Il laissa la jeune femme réconforter une dernière fois le chat avant de l’amener à l’arrière. Il lui injecta le vomitif et il ne restait plus qu’à attendre. Il suffit de quelques minutes pour que le produit commence à faire effet. Patapouf, déjà misérable, le devint plus encore. Il avait clairement perdu le désir de se battre. Il salivait à grosses gouttes, signe qu’il avait la nausée. L’instant d’après, il vomissait. Min ainsi que la technicienne qui l’accompagnait pincèrent les lèvres. Les trucs dégoûtants faisaient peut-être partie de leur quotidien, ça ne les rendait pas plus agréables. Heureusement, l’idée de Min fonctionna et le pauvre chat rendit l’intégralité du contenu de son estomac. Il se pencha afin d’examiner le tout.

« Il a mis la patte sur un emballage de barre de chocolat », déclara-t-il alors que le plastique coloré ainsi que la marque étaient facilement identifiables à travers les autres débris et la nourriture à moitié digérée. « Ce n’est pas très bon pour toi, mon ami. » Il lui gratta affectueusement la tête. « Bon, on va lui donner l’antidote, vérifier que tout est bien sorti et le ramener à sa propriétaire. »

En tout, le processus aura pris moins d’une heure. Min ramena Monsieur Patapouf dans sa cage. Il était clairement secoué, mais son œil mauvais promettait déjà une vengeance prochaine.

« Voilà! Monsieur avait décidé d’avaler un emballage de barre de chocolat. Attendez quelques heures avant de lui donner son repas. » Min leva la cage pour l’amener à la hauteur de son visage. « Toi, Monsieur Patapouf, la prochaine fois que je te revois, c’est pour ton examen annuel et ton rappel de vaccin, d’accord? » Le chat feula, menaçant, faisant sourire Min. « De nouveau lui-même! Ça fait toujours plaisir à voir. » Il donna la cage à Alice. « Venez, je vous accompagne à l’accueil. »