" C'est important. " Il a compris sans avoir besoin de poser la question. La réponse de Jackson au message de Malik fut expéditive : un jour - une heure.

Lynch, à peine remise de l'accouchement, est chez le coiffeur. C'est lui qui le lui a suggéré après avoir appelé pour réserver un rendez-vous. Mal' a besoin de prendre soin d'elle, de s'accorder un peu de répit. Un peu de calme aussi, entre les pleures du petit et les couches à changer. Un mois que leur fils a chamboulé leur vie. Mills est en congé paternité. Il a promis qu'il saurait prendre soin du bébé pour deux heures, le temps que la mère reprenne son souffle. Le temps également qu'ait lieu cette conversation qu'il ne s'imagine pas avoir avec Fleming tandis que la raison de leur dernière bagarre les écoute se parler assise dans le canapé du salon ...

Il déambule dans la maison. Calé dans le porte-bébé, la joue collé à son torse, Mzee dort à poings fermés. Pas étonnant : il a pleuré toute la nuit. Les cernes de l'agent n'ont jamais été aussi noires, mais son sourire n'a jamais été aussi grand. Jax marche plusieurs kilomètres par jour entre la cuisine et le garage depuis qu'il a compris que le mouvement endort son enfant. Le petit ne lui ressemble pas que physiquement. Lui non plus ne tenait pas en place quand il était gamin ...

On toque à la porte. Mills sort son portable. Les caméras de vidéo surveillance planquées aux quatre coins de sa propriété lui montrent Malik sous tous les angles. Une manière comme une autre pour l'agent de gérer sa paranoïa. Jax n'a pas le temps de s'inquiéter comme il le ferait si la paternité n'était pas là pour l'occuper. C'est une bonne chose, en tout cas pour l'instant. Tant qu'il veille sur son fils, il ne laisse pas les pensées parasites lui grignoter l'esprit. Sa crainte de se faire surprendre est un réflexe profondément ancré en lui, mais pas assez pour surpasser celle d'être un mauvais père. Jax s'applique à être le moins freaky possible. Quand Marley fait des gestes brusques, il essaye de ne pas sursauter, de ne pas montrer qu'il serait prêt à agresser la première personne un peu trop agitée dans son périmètre de survie. Les traumas de la dernière mission n'ont pas fini de décanter. Les suspicions de représailles non plus. La vase s'est à peine déposée au fond de la mare de sa santé mentale ... Marécageux, voilà ce qu'il est. Mzee est son soleil ; Marley est sa barque. Jackson navigue à vue dans la mangrove de ses symptômes post-traumatiques. C'est aussi pour cela qu'il n'a pas souhaité que l'allumette soit présente lors du passage de Malik ...

« Salut. » Dit-il après avoir ouvert la porte, une main sur la poignée, l'autre sous les fesses du bébé qui lui bave dessus du plus profond de ses rêves innocents.

Jax lit la surprise sur le visage de Malik. Ce n'est pas un soulagement, mais son absence aurait été une suspicion de plus au compteur du manque de confiance qu'il cultive à l'encontre du rapeur. Mills s'est efforcé de ne pas fliquer Marley, de ne pas fouiller son téléphone, de ne pas la suivre - ou la faire suivre - pour savoir si elle continuait à fréquenter son rival. Le voir sur le pas de sa porte le crispe autant que cela l'intrigue, car - qu'il le veuille ou non - Jax est lié à Fleming par des liens plus solides que ceux de leur amitié fracassée par une histoire de cul. « Félicitation. La paternité te va à merveille. » « Hum. » C'est la meilleure courtoisie dont l'agent est capable en l'état actuel des choses. Pas un " ta gueule ", pas un " balec ". Juste ce bruit de gorge aux allures de " continue ", puisqu'il sait bien que la motivation première de Malik n'était pas de venir le féliciter pour cette naissance dont on ne l'a pas informé.

« Elle m’a envoyé ça. Y a quelques jours à peine. » La main de l'agent quitte la poignée de la porte afin de s'emparer de l'enveloppe. « J’étais pas sûr que tu l’ai reçu. J’en savais rien. Alors dans le doute me voilà. » Avec des gestes précautionneux, soucieux de ne pas réveiller son fils, Mills extrait du contenant la photo d'un autre bébé. Après avoir longuement fixé le visage de sa fille, y avoir relevé les traits de son physique et ceux appartenant à Louisa, Jax retourne le cliché à la recherche de plus d'informations. Ni nom, ni date, ni lieu : le recto de la photo est vierge. Malik devine ses pensées : « Je n’ai eu que ça. Rien que ça. » Silencieux, Mills retourne à nouveau le cliché. Ce qu'il ressent face à l'image de ce poupon plus joufflu qu'Mzee se perd entre la joie et la tristesse, la paix et la guerre. Il aimerait ne plus en vouloir à Louisa de l'avoir abandonné et privé de cette paternité-là. Il comprend pourquoi la pilote a fait ce choix et ne peut s'empêcher de faire le parallèle entre sa relation avec Marley et celle de Lou et Erika. La blonde avait besoin que Jax ne soit plus une menace sur la solidité de leur couple, tout comme l'agent avait besoin que Lynch fasse ce test de paternité afin d'être certain que le bébé qu'il porte contre son torse était bien le sien, pas celui du type présent dans l'encadrement de sa porte. « Merci. » D'avoir respecté l'accord passé quelques mois plus tôt. « Je vais pas te déranger plus longtemps Jackson. »

Mills ne compte pas le retenir. Ses pensées bousculées par la vision de sa fille en bonne santé se perdent dans l'analyse pourtant faite et refaite de la situation. Il s'apprête à refermer la porte pour se perdre en ruminations quand la question tombe, impertinente et salvatrice : « Il s’appelle comment ? » Jackson hésite. Son regard balaye le visage de Malik puis s'arrête sur son t-shirt des Falcons qui, à une autre époque, lui aurait valu une pique amicale et provocatrice sur la nullité de cette équipe. Voilà plus d'une année qu'ils n'ont plus joué à Madden comme des frères. L'agent se revoit décompresser en compagnie du rappeur après ses longues journées d'intervention. Il se revoit également sur le terrain de basketball après l'annonce de la grossesse de Lou. Dans cette histoire, toute aussi grande que puisse être l'animosité entre eux, le point commun persiste, gros comme le nez au milieu de la figure : ils sont tous deux frustrés de ne pas pouvoir tenir le bébé de la pilote au creux de leurs bras. « Mzee. » La fierté paternelle l'emporte sur l'égo. Jax se place de profile afin que Malik puisse voir le visage du bébé écrasé contre ses pecs. « 6 semaines. » Ajoute-t-il, anticipant la prochaine question. Inconsciemment, l'agent dandine sur lui-même afin que ne cesse jamais vraiment le mouvement gardien du sommeil de son fils. C'est alors qu'une interrogation lui traverse l'esprit. « Tu crois qu'elle s'attend à c'que j'lui envoie une photo ? » Après tout, c'est à Malik que Louisa a envoyé celle de sa fille, pas à lui.

« Il vous laisse un peu de répit ? » Jax hausse les épaules, provoquant le couinement du petit contrarié par le mouvement de son oreiller. Il suffit d'observer les traits fatigués de l'agent pour comprendre que ce n'est pas le cas, mais Mills sera le dernier à s'en plaindre. Le manque de sommeil, il connait. Avant que son fils n'arrive, Jackson passait ses nuits à se réveiller en sursaut, hanté par les visages des gamins tombés sous ses balles pour la survie de son unité. Prendre soin de ce petit gars au point d'en arriver à piquer du nez dans sa tasse de café matinale est un moindre mal.

Et Louisa, que penserait-elle de tout cela ? L'agent s'efforce de ne pas y songer, de respecter le choix de la pilote et de la sortir du paysage mental qui est le sien. La sœur de Malik a choisi de déserter leur amitié ; de rompre sa promesse. Ça lui fait moins mal de l'imaginer morte que de se rappeler qu'elle existe toujours, loin de lui, avec sa fille et celle sur laquelle il pensait pouvoir compter en guise de co-parente. Aux heures les plus sombres de sa peine et de sa colère, alors que la voix lui manquait pour décrire son sentiment de trahison, Jax se faisait la réflexion que Malik n'était finalement que la partie immergée de l'iceberg ; qu'Aquilla s'était chargée de confirmer qu'on ne peut décidément pas faire confiance à un Fleming. Puis il a compris que ressasser sa haine ne le mènera nulle part et que l'énergie perdue à en vouloir à des gens qui ne pensent qu'à eux était un sacrifice idiot. Jax a fait le choix de ne penser qu'à sa gueule. C'est pourquoi il est capable de discuter avec le rappeur sans lui cracher au visage. « J’pense que ça lui fera plaisir quoi qu’il arrive de savoir que tout va bien. La vrai question est plutôt de savoir, si tu veut le lui envoyer. » Mills fixe Malik d'un drôle d'air. Sûrement qu'il réfléchit au futur, mais peut-être aussi qu'il se remémore le passé. Les souvenirs et les espoirs communs. Les perspectives fauchées en plein vol. « J'm'en penserai. » Conclue-t-il, finalement, rigide et fidèle à cette rancœur tenace que ses ennemis les plus proches ont vue dans le blanc des yeux avant de rendre l'âme.

Après une courte hésitation, il décide de verbaliser le fond de sa pensée : « Elle reviendra te voir. » Il ne parle pas de Louisa. « Et j'vais faire comme si j'savais pas. » Marley ment mal, en plus de se bercer d'illusions sur les amitiés hommes/femmes. Jax n'est pas dupe. Ce qu'il souhaite, c'est éviter qu'une nouvelle crise n'éclate entre eux alors qu'un bébé innocent espère grandir dans de bonnes conditions familiales. « Mais toi » - il souligne le pronom d'une inflexion menaçante - « tu sauras que j'sais. » Mzee dort sereinement, il ne peut sentir la pulsation cardiaque de son père qui pourtant s'accélère sous la masse musculaire de sa poitrine bodybuildée. Mills se contrôle. Sa reconnaissance se limite aux frontières de la froideur en laquelle s'est transformée sa colère, preuve que la maturité acquise au fil des trahisons l'a rendu sinistre. L'agent ne croit plus à la rédemption. La seule chose en laquelle Jax croit encore, c'est en la nécessité de se préparer au pire. Et le pire serait que le foutage de gueule se répète. « M'oblige pas à lui demander d'autres tests de paternité. » Connard.

PS : Jax ne sait plus saquer Malik, mais moi je t'aime fort derrière mon écran

« Aucun risque. » Jax ne répond pas. Il n'a pas besoin de dire au rappeur que sa parole ne vaut pas grand-chose. Pas rien du tout - car il est venu lui montrer la photo de sa fille et l'agent sait reconnaître l'effort - mais résolument pas ce qu'elle valait à l'époque où Mills le considérait encore comme un frère. La confiance est rompue, la rancœur gravée au fer rouge. Il faudra des années pour que la plaie se résorbe, probablement toute une vie pour que la cicatrice ne soit plus qu'une balafre parmi les autres sur son corps et son cœur mutilés. Mills est responsable de l'isolement dans lequel il se trouve. En n'acceptant pas de se soigner comme il faudrait, en refusant de pardonner, en s'enfermant dans ses convictions dangereusement criminelles concernant la Justice ... Il le sait et il l'assume. « Soyez heureux. Si j’ai d’autres nouvelles, je t’enverrai ça par courrier. » Jackson répond d'un hochement de tête. « Pareil. » Il serait surpris de recevoir des nouvelles de Louisa maintenant qu'il sait que la pilote a envoyé une photo à Malik et pas à lui, mais il transmettra toute information pertinente, sans rien garder secret.

Ainsi se termine la conversation qui n'en était pas vraiment une, finalement. La main à nouveau enroulée autour de la poignée de la porte d'entrée, Mills observe Fleming quitter sa propriété. Pas par politesse ; par méfiance. On ne tourne pas le dos à l'ennemi. Son regard accompagne la courbe des épaules du rappeur. Il détaille cette nuque qu'il s'était imaginé briser le soir de la sortie du clip puis il prend conscience de la vitesse à laquelle ses pensées dérapent sur des scenarios qui l'éloigneraient de son fils et de Marley s'il se faisait prendre" Il referme la porte. Ça n'arrivera pas. Le crime passionnel serait trop flagrant.