stuck in the spaces where the demons hide
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/alexadcmies

Un peu à l'extérieur de la ville, le Lone Pine est étrangement l’un des lieux où je me sens le plus apaisée. Jo se foutra de ma gueule sans nul doute, elle me traitera de sensible ou de sentimentalisme, mais le fait est que le parc animalier est le seul endroit où je nourris de véritables souvenirs heureux rattachés à mon enfance. Ma mère ne m’y a jamais emmenée et ce malgré ses nombreuses promesses mais, pour l’une de mes familles d’accueil - celle dans laquelle j’ai passé plusieurs années entrecoupées par des aller retours dans l’appartement miteux que je partageais avec Billie Monroe - l’après midi au Lone Pine était une tradition bimensuelle. J’adorais cet endroit, Moses adorait cet endroit également, avant de devenir un adolescent désabusé et de sombrer dans la délinquance. Et moi, secrètement, je n’ai jamais cessé de l’aimer et d’y revenir à chaque fois que j’avais besoin d’un moment seule pour une introspection, de pleurer à l’abri des regards de têtes connues ou, plus simplement, de calme et de sérénité.

Jo détonnera forcément dans cet endroit - la pop star donne à présent l’impression d’avoir plus sa place sur le rooftop des bars hupés de la ville ou dans ces soirées guindées de personnes importantes, mais je suis certaine qu’elle changera de discours une fois que, assises dans la zone réservée aux kangourous et dans laquelle les visiteurs peuvent s’installer et rester là au contact des bêtes, elle pourra passer sa main dans le pelage des moins sauvages d’entre eux.

J’aperçois sa frimousse à la descente d’une citadine dernier cri et, devançant sa verve habituelle, je l’attire contre moi pour l’étreindre brièvement avant de la relâcher et de la devancer. « Oui je sais, tu me déteste de te faire venir ici et tu me tueras quand tes fringues auront la même odeur que celles d’une fermière. » Mais elle est là alors, à présent, je suis consciente qu’elle ne râle et ne s’indigne que pour la forme. « Mais je suis sûre qu’au fond, ton petit cœur de pierre sera satisfait d’avoir sa photo avec un koala dans les bras. » Et puisqu’elle est célèbre, peut-être pourrons-nous passer devant tout le monde. Tais-toi et apprécie le voyage, semble dire mon sourire satisfait.

J’ai à peine vu la brune depuis la fin d’année dernière. Aussi occupée que je l’étais avec la promotion de Nine, ce n’est rien en comparaison de l’ouragan qu’est devenu la carrière de Joséphine Carter. Invitée sur toutes les chaines radio et plateaux télévision, madame assume son rôle de starlette sans rougir et pourquoi le ferait-elle ? Elle vient d’emporter un putain de Grammy, ce n’est pas grain. « Je t’ai pas félicité en vrai, pour le Grammy. » Des mots que je ne pensais jamais prononcer un jour. Lorsque nous sommes devenues amies et qu’elle a dans un premier temps douté de ma sincérité et eu peur que je me serve d’elle, j’ai affirmé qu’elle n’intéressait plus aucune feuille de choux, puisqu’elle n’était personne. Aujourd’hui, Jo est le sujet glamour du moment, et elle mérite chaque seconde de son heure de gloire. « C’est pour ça aussi que je me suis dit qu’on pouvait se voir en plein air. » Un sourire narquoi étire mes lèvres. « Au cas où ta tête passerait plus les portes, tu vois ? » Un peu plus immature, je lui tirerais la langue. Mais magnanime, je m’abstiens. « Ton garde du corps va rester avec nous ou c’est juste un chauffeur ? » Ce n’est pas que l’homme est désagréable à regarder, mais je n’aime pas l’idée qu’une oreille - même parfaitement professionnelle et inintéressée par ce que nous pouvons raconter - nous écoute.

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"J’en ai rien à foutre des koalas, Megan." Les koalas apprécieront. Seulement, ça relevait de l’évidence qu’elle allait se mettre à râler à peine ses talons compensés posés dans cet endroit qu’elle connaissait de nom bien sûr, dans lequel elle ne s’était jamais rendue en sept ans d’installation en ville. Et pour cause, elle ne mentait pas Jo : elle s’en cognait des koalas, des kangourous, et du reste de la faune locale, en ayant déjà bien assez à faire avec les chiens de la casse qui lui tournaient constamment autour pour vouloir perdre son temps dans un endroit pareil. Elle avait évidemment soupiré à s’en vider les poumons lorsqu’elle avait reçu la localisation envoyée par Megan quand elle avait naïvement accepté son offre de se voir, elle avait évidemment roulé des yeux si fort qu’elle était certaine d’avoir pu observer l’arrière de son cerveau dans la foulée, mais la vérité, c'était que les derniers mois à ne pas voir Barbie lui avaient paru bien longs. Elles ne menaient pas la même vie, ça la rendait néanmoins heureuse de garder la certitude que, malgré la distance imposée par la manière dont elles s’occupaient au quotidien, ce n’était pas une excuse suffisante ni pour elle ni pour Megan de ne pas garder contact. Jo était en ville cette semaine, devant enchaîner les médias locaux pour promouvoir son premier album sorti la semaine dernière. Elle avait du temps devant elle d’ici le lendemain matin, alors d’accord, déambuler au milieu de bestioles relativement apprivoisées du sanctuaire de la ville, ce n’était pas ce qu’elle appelait un plan idéal, mais c’était toujours ça de pris, et étonnamment, elle s’en contenta, se disant qu’elles auraient l’occasion de se rattraper plus tard en s’organisant une journée plus glamour que celle-là, même si la vie de la blonde n’en manquait pas non plus et qu’elle n’avait pas besoin de Jo pour ça. Elle se recula de l’étreinte qu’elle avait initiée, lui offrit sa mine boudeuse des grands jours en se confrontant à son expression de tais-toi et apprécie le voyage et froissa le haut du nez en percevant les effluves nauséabondes qui les suivraient tout au long de leur périple, acceptant peu ou prou son sort en glissant son bras dans le creux de celui de Megan qu’elle laissa en charge de la conduire là où elle l’entendait.

"Tu m’as préparé une fête-surprise dans la zone réserve aux kangourous, c’est ça ?" Ils auraient surement des conseils à lui donner pour boxer des armoires à glace sans se péter deux doigts. En parlant de boxer "J’espère au moins que t’as pas oublié la piñata." Finalement, basculant la tête en arrière pour adresser un regard à Megan par-dessus la monture transparente de ses lunettes de soleil, elle laissa un sourire effiler ses lèvres enduite de rose boisé, une sorte de merci presque humble d’une Jo qui l’était à peine d’ordinaire, à croire que la gloire, ça adoucissait le personnage qu’elle avait taché d’être ces dernières années. Elle, elle n’était pas assez mature pour ne pas laisser filer une grimace à l’égard de la blonde qu’elle finit par lâcher en lui répondant "J’ai jamais vraiment passé les portes, c’est pas aujourd’hui que ça va commencer." Elle fronça les sourcils sans délai "Mais je suis intriguée, pourquoi c’est ici que t’as voulu qu’on se voit ?" De nouveau, le haut de son nez se froissa, soumis à l’arôme des environs, sa tête se levant pour suivre du regard la hauteur des arbres dont l’ombre les protégeait du soleil timide d’automne ; ça ne l’empêchait pas de porter des lunettes de soleil, panoplie de la starlette qu’elle était indubitablement, le prouvait davantage la présence de Marcus dans son dos qu’elle n’avait pas congédié par habitude. Mais puisqu’il semblait gêner Megan, elle lui dit "Croise les doigts pour qu’on nous laisse tranquille." Je t’envoie un message quand je suis prête à rentrer, dit-elle au jeune homme en se tournant vers lui sans qu’il ne juge nécessaire d’insister pour rester quand même, Jo restant intransigeante face aux ordres qu’elle donnait, même quand ils étaient relativement raisonnables. Elle attendit qu’il disparaisse totalement de leur vue, et puis juste après, elle demanda à Megan "C’est bon, tu te sens moins oppressée ?"

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« J’en ai rien à foutre des koalas, Megan. » Je lève les yeux au ciel au son de la douce voix de Jo, battant de mes cils de biche comme si j’étais excédée. Je ne le suis pas : s’il m’en fallait si peu, nous ne serions pas restées amies plus de quelques semaines. Nous ne le serions vraisemblablement même pas devenues. « C’est fou quand même, on s’était pas vues depuis si longtemps que j’avais oublié à quel point t’étais agréable, mais tu me l’as rappelé en moins d’une minute. » Oh non, je n’avais pas oublié. Jo est le sarcasme faite femme et parfois il m’est même difficile de me souvenir pourquoi nous sommes devenues amies en premier lieu. Elle est fiable, loyale et attentionnée à sa façon mais, ce qui saute au yeux bien plus facilement, c’est surtout sa tendance à être une vraie emmerdeuse. Mais je le suis aussi, et peut-être est-ce bien ça qui est en train de me coûter mon amitié avec Charlie. Jo m’est précieuse, elle l’est en toute circonstances mais elle l’est d’autant plus maintenant.

« Tu m’as préparé une fête-surprise dans la zone réservée aux kangourous, c’est ça ? J’espère au moins que t’as pas oublié la piñata. » - « Au dernière nouvelles, t’as pas encore sorti ton album et j’ai un film en salles. » Un film qu’elle a trouvé mauvais, je n’ai pas oublié qu’elle l’a dit. Mais je ne me suis pas formalisée de sa critique, pas plus que je n’ai été vexée ou même que je l’ai trouvée injustifiée, à vrai dire. Je préfère ça que d’être caressée dans le sens du poulet qui plus est, je partage son opinion. « Et puis c’est presque mon anniversaire. Autant de raisons qui font que c’est plutôt toi qui aurait dû m’organiser une fête surprise. » Ce qu’elle n’a pas plus fait que je ne l’ai fait de mon côté. Elle a déplacé ses jolies fesses de diva dans une salle de cinéma pour voir Nine, et c’est déjà une grosse preuve d’affection, la connaissant. « J’ai jamais vraiment passé les portes, c’est pas aujourd’hui que ça va commencer. » Bah voyons. Je ne vais certainement pas la contredire, de toute évidence. Tout le monde sait que la brunette se prenait pour Beyonce avant même que quiconque s’intéresse à sa jolie voix. « Mais je suis intriguée, pourquoi c’est ici que t’as voulu qu’on se voit ? » - « Parce que comme quatre-vingt pour cent des habitants de Brisbane, je trouve l’endroit plutôt sympa. C’est si surprenant que ça ? » Et je ne m’étendrai pas sur l’histoire qui se cache derrière cette affirmation, de toute évidence. Elle m’arrachera cette confession uniquement sur mon lit de mort. De mon sac à main, je tire le pass annuel du parc animalier dont je suis la fière détentrice. Prise d’une bouffée de honte un peu traître, je me justifie toutefois. « Sloan adore cet endroit. Et le pass est rentable au bout de deux entrées, c’est bon, je te vois venir. » Ce qui est la stricte vérité, bien que le petit garçon ne soit pas réellement à l’origine de ma décision de m’en munir. « Puis grâce à ça t’auras une remise de dix pour cent sur les boissons et les souvenirs, alors essaie même pas de te foutre de ma gueule. » Je la vois déjà venir : j’invoque un petit garçon qui n’est pas le mien et qui, officiellement, n’est que le cousin de mon époux. Avec lui, j’adopte pourtant une attitude profondément maternelle qui laisse deviner mon envie de plus en plus présente d’avoir un gamin rien qu’à moi, et ce même si je suis encore bien jeune pour ça aux yeux de la plupart des gens.

« C’est bon, tu te sens moins oppressée ? » Elle congédie son chauffeur slash garde du corps d’un geste de la main, et j’esquisse un sourire, remontant la anse de mon sac à main sur mon épaule. « Si tu veux vraiment passer inaperçue et qu’on te laisse tranquille, faudrait déjà que t’arrête de te saper comme une danseuse dans un clip de Dua Lipa. » Ou plutôt, comme la diva qu’elle est bien partie pour devenir. Jo n’est jamais hors personnage. Elle incarne la star dans toute sa splendeur. « Heureusement que je t’ai pas invitée à me retrouver au club de golf, ils t’auraient même pas laissée entrer. » Elle aurait de toute façon détesté l’endroit. Je n’y ai ma carte de membre que pour appartenir à ce monde que j’ai toujours brûlé d’appeler le mien, et parce que ma belle mère nous y a parrainé, mon Italien et moi. « Je suis contente de te voir. Tu m’as manquée, même si t’es une garce. » Si Charlie lui a parlé de notre récente altercation et du froid polaire qui règne à présent entre nous, nul doute qu’elle doit avoir envie de me rétorquer que c’est l'hôpital qui se fout de la charité que de la qualifier de la sorte.

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Jo aussi battit des cils pour mieux mettre en avant ses yeux soulignés d’un trait de liner violet, loin de prendre mal les faux reproches de Megan qui ne lui avait certainement pas donné rendez-vous dans ce bourbier pour qu’elle se pointe avec les intentions d’une fermière. Encore que l’histoire avait prouvé à Jo que c’était un rôle qu’elle aimait plutôt bien jouer — si seulement elle avait le temps d’aller s’enfermer de nouveau à Adélaïde Hills, elle le ferait sans hésiter. Toujours est-il que si elle n’aimait pas ce qu’elle lui donnait, elle pouvait toujours aller voir ailleurs, voilà la version tout public qu’elle aurait asséné à Barbie si elle n’avait pas su qu’elle plaisantait. Elle s’en abstenait aujourd’hui, c’était encore tout ce que sa clémence légendaire lui permettait de temps à autre, quand les planètes étaient alignées, que son signe astrologique était calé sur la bonne lune, et qu’elle daignait faire preuve d’un peu de maturité. Une fois par mois en somme, autant dire que Megan était bien tombée "Aux dernières nouvelles, il est sorti cette semaine. Ça me touche que tu suives d’aussi près mon actualité, merci beaucoup." Son album était sorti vendredi, raison pour laquelle aujourd’hui précisément, elle avait un peu de temps-libre avant de repartir sur les chapeaux de roues : elle faisait la tournée des médias locaux avant de s’attaquer à ceux du pays, et puis elle filerait à nouveau aux États-Unis et en Europe. Elle n’en voulait pas à Megan, elle savait combien c’était difficile de s’occuper de son nombril et de celui des autres en même temps, aussi elle était prête à laisser passer cette erreur sans juger nécessaire de lui rappeler, qu’à son contraire, elle n’avait pas attendu une semaine avant de voir son film ; deux poids, deux mesures, dire que c’était à elle qu'on reprochait d’être une amie horrible "J’ai pas le temps d’organiser des fêtes-surprises à qui que ce soit, prends le pas personnellement." ajouta-t-elle, pince-sans-rire, les cils battant à nouveau sous la monture transparente de ses lunettes de soleil, persuadée que Damon ferait les choses à sa façon et qu’il demanderait à Shiloh de le superviser si jamais ça lui traversait l’esprit. Ils parlaient le même langage à Barbie Land, lequel elle n’était guère vexée de ne pas comprendre, plutôt du côté Bratz du spectre de toute façon.

"Disons juste que je t’imagines mal câliner des bestioles toute la journée durant, mais admettons." Peut-être qu’elle avait une passion secrète, qui était-elle pour juger. Ça devait être plutôt sérieux cependant, la pass annuel qu’elle dégaina pour lui prouver sa dévotion à cet endroit la faisant hausser les sourcils et accepter d’avaler sa justification avec un plissement d’yeux à peine perceptible, dissimulé sous ses lunettes de soleil "J’ai absolument rien dit. Par contre, maintenant que t’en parles, j’espère qu’il est pas planqué quelque part." Sloan. D’accord, elle apprenait à supporter les gamins, mais elle avait son seuil de tolérance particulièrement bien défini. Et celui-là, il était bien trop petit pour qu’elle le prenne pour autre chose qu’un singe savant à qui elle essaierait de faire dire des gros mots avec plaisir. Elle regarda autour d’elle, chassant ses cheveux de son front quand elle remonta ses lunettes au sommet de son crâne en regardant autour pour s’assurer qu’aucun ouistiti de l’âge du cousin par alliance de Megan ne déboule par surprise et à nouveau, elle lui accorda un regard de j’ai absolument rien dit quand elle anticipa sa moquerie. Visiblement, c’était un sujet sensible dont elle se foutait un peu au demeurant, alors elle passa vite au reste.

Soit le besoin d’intimité de Megan, Marcus la mettant manifestement mal à l’aise "Tu me donneras des leçons de style et de discrétion quand tu trouveras le rayon col roulé des grands magasins dans lesquels tu te sapes." Comme d’habitude, il y avait du monde au balcon du côté de Megan, donc peut-être qu’attaquer sur la tenue du jour de Jo — jamais très chargée en tissu, elle penserait à se couvrir quand elle sera morte. Quoique —, c’était un peu se foutre de la gueule du monde "J’ai l’air d’avoir envie de passer la journée à boucher des trous ?" Avec une balle ou autre chose, elle ne préféra même pas s’arrêter plus longtemps sur ce sujet, et roula des yeux en faisant pivoter sa tête vers Megan en même temps "Hm, pas la peine d’essayer de me flatter tu sais." Qui savait ce qu’elle prenait le plus comme un compliment, qu’elle lui dise qu’elle lui avait manqué, ou qu’elle était une garce "Tu vas tourner longtemps autour du pot avant de me raconter ce qui s’est passé ?" Entre elle et Charlie. Elle lui offrit un sourire de connivence, de ceux qui indiquaient que, si elle ne doutait pas que Megan avait envie de la voir, il y avait tout de même une raison bien spécifique à ça.

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« Aux dernières nouvelles, il est sorti cette semaine. Ça me touche que tu suives d’aussi près mon actualité, merci beaucoup. » Peu destabilisée par le fait d’être prise en flagrant délit de manque d’intérêt pour la carrière de mon amie, je ne me démonte pas pour autant. Dans les faits, cela n’en est pas. Simplement la preuve que, entre mes obligations liées au film, ma vie de famille et surtout les cours à l’université, le temps a filé sans que je ne le réalise tout à fait. Loin d’être décidée à me séparer de ma répartie, je hausse les épaules. « Je pensais que je recevrai au moins une copie dédicadée quand il sortirait. » Ce qui, comme le prouve mon sourire un tantinet suffisant, n’a pas été le cas. « Charlie a reçu la sienne je suppose ? » Charlie a été invitée par la chanteuse lors de son premier festival majeur l’an dernier, et si je ne suis pas réellement rancunière, il n’en reste pas moins vrai que je suis par contre une teigne vindicative et facilement jalouse. « J’ai pas le temps d’organiser des fêtes-surprises à qui que ce soit, prends le pas personnellement. » - « Tu me blesses. Je vais avoir vingt-cinq ans, c’est quand même un cap. » Une main posée sur le coeur, en toute théâtralité, je fais mine d’être profondément blessée sans que ce ne soit convaincant une seule seconde. « Mais tu dois plus te souvenir de ce que ça fait. » Le coup est bas, mais plutôt innocent dans les faits.

« Disons juste que je t’imagines mal câliner des bestioles toute la journée durant, mais admettons. » Je lève les yeux au ciel, prétendant être agacée par le raccourci de la brune sans qu’il n’ait pourtant rien de surprenant. Elle ne se doute évidemment pas que le sujet est réellement sensible, et je n’ai pas l’intention de m’étendre dessus. Certes, elle sait d’où je viens et a une vague idée de ce que j’ai vécu. Pour autant, je n’ai pas l’intention de verser dans le sentimentalisme et d’étaler mes failles et traumatismes gratuitement. « J’ai absolument rien dit. Par contre, maintenant que t’en parles, j’espère qu’il est pas planqué quelque part. » - « J’ai vraiment hâte de faire des gosses. Tu seras la marraine de chacun d’entre eux juste parce que l’idée est hilarante. » Et que je l’imagine raide et maladroite avec les bambins comme avec tout être incapable de s’occuper de lui même et de tenir une conversation d’adulte. Et non, évidemment que Sloan n’est planqué nulle part, cette journée n’est pas à propos de lui et, aux dernières nouvelles, même si j’apprécie le petit garçon, je ne suis pas sa mère.

« Tu me donneras des leçons de style et de discrétion quand tu trouveras le rayon col roulé des grands magasins dans lesquels tu te sapes. » - « Je pensais que le film t’aurais au moins débarassée de cette obsession pour ma poitrine. » Dans celui-ci, elle et des millions de personnes ont eu tout le loisir de l’observer sous tout ses angles : je ne me suis pas encombrée de pudeur. Et du reste, je ne juge pas nécessaire de remettre l’église au milieu du village et de lui préciser que si j’achetais effectivement des vêtements à prix modeste lorsque nous nous sommes rencontrées, la donne a changé depuis mon mariage et bien plus encore ces derniers mois. « J’ai l’air d’avoir envie de passer la journée à boucher des trous ? » - « Me force pas à faire preuve d’esprit mal tourné. » Je lui décoche un sourire provocateur, avant de présenter ma carte d’adhésion annuelle à l’entrée du parc pour passer les portes en la quittant des yeux à peine une seconde.  

« Hm, pas la peine d’essayer de me flatter tu sais. »
« Toi aussi Megan tu m’as manqué, on a vraiment pas eu l’occasion de se voir pendant trop longtemps. »

Mon imitation de sa personne est grossière, la voix que j’adopte pour lui répondre bien trop haut perché, mais ce n’est pas comme si ce n’était pas totalement fait exprès de ma part.
« Tu vas tourner longtemps autour du pot avant de me raconter ce qui s’est passé ? » Elle me jette un regard en coin, et je songe pendant un instant à prétendre que je ne sais ni ne comprends ce dont elle parle. Un autre part de moi envisage même de lui rétorquer que c’est plutôt moi qui devrait poser cette question, étant donné que son petit triangle amoureux a fait la une de la presse à scandale il y a quelques semaines, mais une petite voix me dit que ce serait la meilleure des façon pour la braquer alors je m’abstiens. Je commence un peu à connaître l’animal, et je maîtrise les sujets à éviter pour ne pas la mettre pour de bon en rogne. « Tu sais ce qu’il s’est passé. » Ou pas ? Charlie et la brune ne se traitent-elles pas comme des confidentes privilgiées et ce malgré le fait que j’ai été celle qui les a mises en contact ? « Elle s’est dit qu’être une flic qui consomme des drogues dures c’était pas trop cliché pour elle, et moi je lui ai dit tout ce que ça m’inspirait. » Et Jo est assez informée sur mon histoire pour le savoir, justement, tout ce que cela m’inspire. « Elle est vraiment trop conne, y’a pas grand-chose à dire de plus. » Je pourrais lui dire que cela me brise le coeur parce que je considérais la blonde comme l’une de mes bonnes amies, mais je ne le fais pas.

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"Oh, non. Elle, elle a reçu le pack promotionnel envoyé à la presse, celui avec des tas de goodies qui vaudront de l’or dans quelques années. Je sais comment bien traiter mes amies." C’était son plaisir coupable de prétendre face à Megan qu’elle avait peut-être une préférence pour Charlie quand dans les faits ce n’était absolument pas le cas. Elle appréciait l’une et l’autre pour des raisons différentes et si elle faisait plus de confidences à Charlie qu’elle n’en faisait à Megan, c’était parce qu’elle sentait que cette dernière s’en foutait pas mal premièrement, et deuxièmement qu’elle préférait peut-être bien garder l’image de Jo sans faiblesses, qui gérait tout sans que ça ne l’atteigne. Qui était-elle pour briser ses espoirs et lui avouer que si c’était le cas la plupart du temps, elle avait aussi des moments où elle avait besoin qu’on l’écoute, juste qu’on l’écoute, exactement comme Charlie l’avait fait au cours des douze derniers mois. De là à prétendre que ce n’était pas le cas de Megan, ce serait surement un peu dur, mais disons que ce n’était pas la même chose, et que Charlie ne profitait pas de ses coups de moins bien pour tacher de lui enfoncer dans le crâne que c’était elle le dénominateur commun à tous ses problèmes ; elle partait de l’idée qu’elle le savait déjà très bien, pas besoin d’en rajouter comme Megan le faisait plus souvent qu’à son tour "Tu vas seulement avoir 25 ans ? Putain, moi qui pensais que tu t’approchais des 35." Elle rentra le menton, détourna la tête le temps de quelques secondes pour regarder là où elle allait, ajoutant en même temps "Va falloir penser à utiliser un bon écran total ma chérie, ça devient critique." Jo ne laissait jamais personne jouer contre elle, elle était trop compétitrice pour ça, aussi elle lui tira la langue pour appuyer sur l’idée qu’elle plaisantait malgré tout, et retrouva son sérieux à la suite de ses paroles, s’étant inquiétée d’être contrainte et forcée de trimballer un gamin en bas-âge dans cet endroit. Elle refoula la seconde grimace qu’elle avait envie de faire et qui aurait été bien plus critique cette fois lorsque Megan mentionna l’idée d’avoir ses propres gamins, et répondit au reste de sa phrase en tournant la tête vers elle "Arrête, me la fais pas. Tout le monde sait que tu te précipiteras pour demander à Shiloh d’être la marraine de tes gamins." Si elle se permettait de jouer à la jalouse de bas-étage au sujet de Charlie, elle pouvait se permettre de faire la même chose au sujet de Shiloh après tout.

Elle attendit à peine qu’elle lui tourne le dos pour la singer elle aussi quand elle nota qu’elle ne faisait aucun effort pour se réjouir de la voir en la gratifiant de grands sentiments, lui faisant subtilement remarquer que de toute façon, elle était là pour une raison sous-jacente à sa simple envie de la voir. Ironiquement, cette raison concernait Charlie, comme quoi "Je sais que vous vous êtes disputées, mais je sais pas vraiment pourquoi, non." lui avoua-t-elle, ayant tout juste servit à Charlie à se décharger de ce qu’elle pensait de la jeune femme à ses côtés en l’écoutant déblatérer au téléphone sans émettre d’avis aux insultes qu’elle lui avait réservées. Elle s’était dit que ça arrivait parfois, entre amies, de ne pas se supporter ; ça avait été le cas à un moment entre elle et Charlie, et ce pour une raison aussi justifiée que Jo ne préférait même plus en parler au risque de remonter dans les tours. Faisant à nouveau glisser ses lunettes de soleil sur son nez en suivant Megan de près, elle se mordit l’intérieur des joues en comprenant qu’au fond, tout ça c’était bien plus grave que ce qu’elle pensait. Elle se permit juste de dire en relevant la tête "Quand je pense qu’elle m’a fait tout un cinéma parce que j’ai pris trois Xanax de trop l’année dernière." Mais n’éprouva pas le besoin d’en dire plus parce qu’au-delà du caractère débile des décisions récentes de Charlie, elle se sentait peut-être un peu coupable de ne pas être assez présente pour se rendre compte de ce genre de trucs. La dernière fois qu’elles s’étaient vues, c’était sur le lieu de travail de la jeune femme, et elle semblait plutôt bien selon ses observations — sans doute l’avait-elle mal observée, focalisée sur le service qu’elle lui avait demandé. Laissant vadrouiller ses yeux le long des corniches végétales occupées par des bestioles en tout genre, Jo fronça le haut de son nez à l’ajout fait par Megan, et plus magnanime qu’à l’accoutumée, elle lui fit remarquer "Dis pas ça. T’es en colère parce que ça te touche de près, je crois pas que tu penses vraiment ce que t’es en train de dire." Ou peut-être que si. Et la vérité, c’était que Jo ne pouvait pas totalement lui donner tort dans tous les cas. Elle glissa son bras dans le creux de celui de Megan, enroula doucement ses doigts à proximité de son poignet quand elle lui demanda "T’as su ça comment ?" Est-ce qu’elle était tombée sur les substances que Charlie prenait, est-ce qu’elle l’avait surprise en train d’en prendre ? Elle espérait tout simplement que ce n’était pas son instinct qui l’avait guidée jusqu’à cette conclusion, ça voudrait dire qu’elle avait été plus vigilante que Jo ne l’avait été ces derniers mois, et encore un peu, ça la rendrait coupable de quelque chose qu’elle n’avait pas cru possible étant donné le discours qu’elle avait reçu de Charlie à propos du Xanax.

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« Oh, non. Elle, elle a reçu le pack promotionnel envoyé à la presse, celui avec des tas de goodies qui vaudront de l’or dans quelques années. Je sais comment bien traiter mes amies. » - « Et moi, il est passé où mon rouge à lèvre personnalisé ? Et ma boule à facette miniature ? » Ou quoi qu’elle ait glissé comme cadeau idiot pour les représentants de presse. Si j’étais mesquine, je lui rappellerais qu’au moins moi j’ai appartenu à ladite presse, et j’ajouterais pour la piquer que j’ai des contacts auxquels vendre ses petits secrets, contrairement à celle qui a eu le droit à son pack promotionnel. Bien sûr, je n’en penserais rien et en temps normal, cette joute verbale m’amuserait même. Aujourd’hui, ce n’est en rien la faute de Jo si ce n’est pas le cas, uniquement celle de la blondasse qui nous sert de troisième larron.

« Tu vas seulement avoir 25 ans ? Putain, moi qui pensais que tu t’approchais des 35. Va falloir penser à utiliser un bon écran total ma chérie, ça devient critique. » Ma peau est parfaite, mon teint est parfait, mon joli visage est parfait et, plus globalement, mon corps est dénué du moindre défaut et je le sais. Pour me blesser ou me vexer, il faudrait que cela ne soit pas le cas. De toute façon, Jo ne fait qu’alimenter le feu de nos joutes verbales constantes. « T’en fais pas pour moi, je vais commencer les séances de microneedling dans des instituts fancy. T’avoir sous les yeux, c’est un rappel constant de l’importance de commencer à se préoccuper du vieillissement de la peau le plus tôt possible. » Jo a cinq ans de plus que moi après tout, et j’ai encore cinq ans avant de passer le terrifiant cap des trente ans qu’elle a de son côté déjà franchi. « Arrête, me la fais pas. Tout le monde sait que tu te précipiteras pour demander à Shiloh d’être la marraine de tes gamins. » - « Qui a dit que je pouvais pas avoir plusieurs marraines ? Damon a pas de potes fiables, et la plupart des mecs de mon entourage sont des trous du cul. » Ou en tout cas, ne sont pas le bon match pour élever un enfant en cas de problème. Mon amie d’enfance aura une place dans les vies des enfants que j’envisage d’avoir dans un futur plus si lointain que ça, mais Jo aussi, si elle le désire et, au-delà de la plaisanterie, je le pense sincèrement.

« Je sais que vous vous êtes disputées, mais je sais pas vraiment pourquoi, non. » Je me rembrunis dès que le sujet épineux Charlie est évoqué, fourrant mes mains dans mes poches et baissant mon regard sur le sol. Si elle n’est pas au courant de la raison de ma discorde avec notre amie commune, c’est au moins le signe que la grande perche a honte de ses actes. A raison, si on me demande mon avis. Ai-je le moindre scrupule à l’idée de partager son vilain secret avec Jo ? Pas le moins du monde. Autrefois, je gagnais ma croûte en exposant au monde des secrets et une part de moi a toujours estimé qu’ils étaient dangereux. Il n’y a que les miens qui trouvent grâce à mes yeux, les autres ne devraient même pas exister. « Quand je pense qu’elle m’a fait tout un cinéma parce que j’ai pris trois Xanax de trop l’année dernière. » Je relève mon minois dans sa direction et fronce les sourcils à l’annonce de cet écart. Si elle ne m’en a pas parlé, c’est qu’elle aussi en avait honte, ou bien parce qu’elle savait parfaitement que ma réaction serait virulente. Peut-être minimise-t-elle, mais après Charlie et Molly, je n’ai plus d’énergie à dépenser pour me battre contre une consommation qui n’est plus d’actualité. « Quelle hypocrite. » Je tranche, sans une once de pitié pour la blonde que j’aime pourtant de tout mon cœur, au fond, tout comme une part de moi ressent de la tendresse pour ma jumelle. « Dis pas ça. T’es en colère parce que ça te touche de près, je crois pas que tu penses vraiment ce que t’es en train de dire. » Je laisse un soupir amer et bref m’échappe, avant de hausser les épaules. « Qu’elle est conne ? Oh si, je peux te dire que ça je le pense. » Charlie n’est pas ma mère. Elle n’est pas tombée dans la drogue parce que sa vie n’avait rien d’enviable, mais certainement parce qu’elle est une fille à papa qui s’ennuyait, et c’est encore plus pathétique. « T’as su ça comment ? » J’hésite un instant, avant de répondre. « La réponse va pas te plaire. » Parce qu’elle prouve que je suis une incorrigible fouineuse, paparazzi ou plus paparazzi. « Elle était bizarre. Y’a quelque chose qui sonnait faux. Alors disons que je me suis arrangée pour sortir dans la même boîte qu’elle et tomber sur elle par hasard. » Autrement dit, je l’ai suivie pour prouver ce que je soupçonnais. A croire que je suis à ce point désœuvrée : pourtant c’est tout le contraire. « Elle était défoncée au point de m’avouer que c’était pas la première fois et que c’était régulier. Je sais pas ce qu’elle prend. » Parce que le détail ne m’intéresse pas et que toutes les drogues sont à diaboliser à mes yeux. Connaissant la brune, supposant qu’elle s’en voudra certainement d’être passée à côté de potentiels signaux d’alerte, je tourne la tête dans sa direction pour ajouter. « J’ai l’œil pour ces choses-là, je te rappelle. » J’ai côtoyé une championne en la matière pendant toute mon enfance et une partie de mon adolescence, avant que ma garde ne lui soit définitivement retirée.

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@Megan Williams ☆ crédit/idalis

A ça de lui répondre dans ton cul, Jo fit preuve d’une maturité remarquable en gardant sa joute pour elle, pressant ses lèvres l’une contre l’autre et battant des cils avec l’air de ne pas y toucher. Megan n’avait pas besoin de recevoir des présents gratuits, elle ne cessait de lui rappeler qu’elle avait la fortune adéquate pour obtenir tout ce dont elle rêvait la nuit, aussi ce n’était surement pas utile de la rincer aux frais de sa maison disques qui changerait quoi que ce soit à son existence faite d’hôtels de luxe et de voyages haut de gamme. Ses goodies finiraient dans un coin à moisir tristement, d’autres en feraient bien meilleur usage, et Charlie en faisait partie "Tout l’Internet se bat pour connaître mon année de naissance, qu’est-ce que tu racontes." Sa mère ne lui avait peut-être pas été d’une grande aide tout au long de sa vie, elle lui avait au moins donné l’opportunité de paraître bien plus jeune qu’elle ne l’était, et ce pas uniquement à cause de sa génétique, mais aussi de ses conseils en matière de skincare. Ça faisait qu’aujourd’hui, Jo pouvait jouer sur les apparences sans gêne, mentant sur son âge par pure coquetterie et ravissant les make-up artists sur lesquels elle tombait qui ne tarissaient pas d’éloges sur la netteté de sa peau, et la manière dont elle en prenait soin. En revanche, elle ne mentait pas sur le fait que, depuis des semaines maintenant, la toile s’amusait à deviner son âge exact qui, pour l’heure, n’avait pas encore été correctement estimé — les miracles de la crème solaire et d’une hygiène de vie impeccable, elle avait raison maman Carter. Jo s’arrêta très brièvement pour réagir à ce que Megan lui disait au sujet de la marraine et du parrain de ses futurs gamins, et comme ça avait l’air plutôt réfléchi son truc, elle se demanda s’il n’y avait pas un loup. Sans subtilité, elle lui fit en la toisant de haut en bas, comme si son regard observateur pouvait voir au travers de la barrière de sa silhouette engoncée dans sa tenue du jour "T’es enceinte ?" C’était la tendance actuelle, de faire des marmots à tour de bras, et Megan était du genre à la pointe, alors la question se valait plus ou moins.

Ce qui se valait aussi, c’était ses interrogations à propos de la brouille de Megan avec Charlie. Elle savait la blonde à ses côtés intransigeante lorsqu’elle était fâchée contre quelqu’un, mais la manière dont elle semblait en vouloir à Charlie cette fois lui paraissait alimentée par quelque chose de plus que sa déception d’avoir appris sa consommation de stupéfiants. C’est pourquoi, ne tenant tout de même pas à faire des suppositions, elle l’incita à admettre qu’elle ne pensait pas ce qu’elle disait sur l’instant, bien qu’elle-même était bien placée pour savoir que, quand on était en colère, c’était difficile de faire le point sur ce qu’on ressentait vraiment. Lui attribuant en regard par-dessous ses longs cils, ses lunettes descendues sur le bout de son nez pour mieux la voir, elle eut un léger sourire en biais lorsqu’elle lui confirma qu’elle pensait complètement les insultes adressées à la jeune femme. Elle ne la jugerait pas, elle avait dit et fait bien pire que ça pour faire passer sa rage à l’encontre de Charlie. Il fallait dire aussi que cette dernière, malgré toute l’affection qu’elle lui portait, avait le chic pour mettre les gens en boule, et là encore, elle en savait quelque chose.

"Dis toujours." l’encouragea-t-elle, lui ayant demandé comment elle avait appris ce que Charlie faisait sur son temps libre. Jo avait le coeur serré d’imaginer qu’elle en soit arrivée à ce point-là et envisagea un cours instant de prendre son téléphone pour l’incendier de son côté. Mais sur l’instant, elle avait besoin de comprendre ce qui s’était passé. Le récit de Megan ne serait peut-être pas tout à fait objectif, aussi de ce côté-là, Jo en faisait son affaire. Elle tacherait de rester neutre, même si en effet, Charlie avait le rôle de la connasse de service et qu’elle avait envie de lui faire passer l’envie de se shooter en la chopant par les cheveux et en la traînant sur une distance relativement longue pour que ça lui rentre bien dans le crâne. Haussant les sourcils en prenant toute la mesure du plan abouti de Megan, elle lui lâcha le bras pour la pointer avec un index surplombé d’une manucure parfaite "Fais jamais ce genre de choses avec moi si tu veux pas que je te poursuive en justice et que je plume toute la fortune de ton mari." C’était dit que le ton de la plaisanterie, restait qu’elle le ferait si Barbie se remettait à fouiner dans sa vie comme elle l’avait fait dans celle de Charlie. Elle ne pouvait pas la blâmer toutefois, puisque si elle avait jugé bon en arriver là de son côté, c’était qu’elle avait senti quelque chose que Jo, elle, n’avait pas senti. Son coeur se serra plus fort, sa culpabilité se pointant en même temps à la porte de l’impression grandissante qu’elle avait de se couper de tout ce qui avait été son univers pendant de longues années sous le prétexte qu’elle en avait rejoint un autre où elle avait davantage sa place. Bouche fermée, elle creusa l’une de ses dents du fond avec le bout de sa langue, opina juste à ce que Megan ajouta pour expliquer son pressentiment, et garda le silence en avançant le long des végétaux en réfléchissant à ce que ça lui faisait d’apprendre cette nouvelle qui, vraiment, lui faisait quelque chose. Après un instant, elle balaya sa frange avec ses lunettes de soleil, et fit à Megan "D’après toi, qu’est-ce qu’on doit faire ?" Qu’attendait Megan de Jo ? Qu’elle l’écoute seulement déverser sa colère à l’encontre de la blonde, ou qu’elle prenne des mesures parce qu’elle, elle ne s’en sentait pas capable à cause de son passif avec les addicts de sa famille ? Sérieuse, elle ajouta, montrant d’un léger coup de menton un banc en bambou non loin d’elles pour qu’elles s’y installent "C’en est à un point où on devrait intervenir et prendre des mesures ?" S’asseyant doucement, Jo n’osa pas préciser sa question en demandant à Megan comment elle avait procédé avec ses proches à l’époque.

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Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/alexadcmies

« Tout l’Internet se bat pour connaître mon année de naissance, qu’est-ce que tu racontes. » - « Et combien tu crois que je peux me faire du coup en le connaissant ? » Je n’ai pas de souci pécunier et tout laisse à penser que je n’en aurai pratiquement plus jamais mais, si cela devait être le cas, alors Jo aurait de la chance de pouvoir m’appeler amie. Elle aurait de la chance que je l’aime, pour de vrai, et pas uniquement pour les apparences ou pour tromper l’ennui et la solitude. Elle est donc relativement à l’abri, autant qu’on peut l’être avec quelqu’un comme moi aux priorités changeantes et à l’étique parfois douteuse.

« T’es enceinte ? » Je la dévisage avec des yeux ronds, avant de finir par éclater de rire. « Mais non ! » L’idée m’amuse, parce que cette éventualité n’a rien de tangible pour l’instant, puisque rien n’a été décidé. Toutefois, je me surprends à y rêver, à ne pas trouver l’idée si déplaisante que ça. Certes, je suis jeune, nous sommes jeunes, mais pas assez pour que devenir parents semble être une idée farfelue. Nous sommes ensemble depuis un an et demi, marié depuis un an de plus, alors personne ne serait réellement surpris, au fond. « Mais on y pense. On en parle, de temps en temps. » Sans jamais accoler une date ou un délai à l’époque, mais assez pour que l’envie commence à me titiller. Peut-être que la chose arrivera plus vite que prévue. « C’est plutôt moi qui devrais te poser cette question, il se passe pas une semaine sans que je lise ce genre de rumeur te concernant sur insta ou dans un tabloïd. » Mais si j’en crois ce que je sais à son sujet, cela ne risque pas d’arriver tout de suite. Les enfants l’effrayent plus qu’un trait de liner raté, et ce n’est pas peu dire.

Le sujet, autrefois susceptible de me faire lever les yeux au ciel et soupirer, reste bien plus doux et agréable que celui de Charlie, que Jo évoque comme elle le fait toujours : sans tourner autour du pot, pour arracher le pansement bien plus efficacement. Elle ne prend presque jamais de pincettes, la  « Fais jamais ce genre de choses avec moi si tu veux pas que je te poursuive en justice et que je plume toute la fortune de ton mari. » - « Je m’inquiétais pour elle. Et tu vas pas me dire que j’ai eu tort de le faire. » Je ne vois pas ce que j’ai fait de mal. Fouiner a toujours été une seconde nature pour moi et, si Charlie voulait faire de sa consommation un secret, elle aurait peut-être dû y réfléchir avant de se montrer en boîte de nuit plus allumée qu’un sapin de noël. Ce genre de secret n’a pas lieu d’être, de toute façon, il est plus destructeur qu’autre chose et, à mon sens, j’ai rendu service à la blonde en la sermonnant et en la secouant. Avec un peu de chance, cela suffira à tirer la sonnette d’alarme dans son esprit. Si pas, alors il s’agit de son problème ; peut-être que devenir un déchet sur patte l’excite, après tout. Quelle conne. Les mains dans les poches, je marche en vissant mes yeux à mes chaussures, peu à l’aise avec ce genre de sujet pour des raisons qui ne sont pas inconnues à mon amie. « D’après toi, qu’est-ce qu’on doit faire ? » Je redresse la tête, en regardant Jo dans les yeux. Moi, je ne peux rien faire et elle le sait. Le sujet me rend bien trop à fleur de peau, et j’ai trop souffert de la déchéance programmée de ma génitrice pour assister à celle de l’une de mes amies. « C’en est à un point où on devrait intervenir et prendre des mesures ? » - « Moi j’interviendrai plus. C’est terminé. Elle a pas voulu écouter, tant pis pour elle. » Elle était défoncée, mais je ne considère pas qu’il s’agisse d’une excuse ou une circonstance atténuante : personne ne l’a forcée à se poudrer le nez, que je sache. « Je me battrai pas avec elle. Et je peux pas être la pour elle dans ces conditions. » Je n’ai pas d’énergie à lui accorder et tant pis si cela fait de moi une égoïste. Toutefois, si j’en parle à Jo, c’est malgré tout parce que je m’inquiète un peu, que je sais qu’elle agira, et que bien que je n’ose pas la supplier de le faire c’est ce que mon cœur souhaite, au fond. « Mais elle s’en sortira pas toute seule. Personne s’en sort tout seul, surtout si elle est influencée par des mauvaises fréquentations. » Elle n’était pas seule, la blonde, lorsque je suis "tombée sur elle" en boîte de nuit. Aide-là, je t’en supplie, Jo.

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"Combien, j’en sais rien. Par contre ce que je sais, c’est que tu perdrais tout mon respect si tu caftes, ça c’est certain." Et qu’elle prouverait au demeurant qu’elle faisait bien de partager ses secrets les plus délicats avec Charlie et pas avec elle. C’était peut-être un peu dur à ajouter sur le ton de la plaisanterie, elle choisit donc de ne pas le faire, mais la pensée lui traversa l’esprit pendant qu’elle lui offrait un sourire de circonstance, se recentrant sur la manière dont elle se défendit de ne pas être enceinte et qui la fit grimacer par pure mauvaise foi — davantage encore lorsqu’elle confirma que c’était bel et bien un sujet soulevé entre elle et son blondinet de mari. A ça de se boucher les oreilles pour ne rien entendre, elle décida pourtant de ne pas se comporter comme une enfant de six ans, et la toisa d’un oeil supposé ne pas être amène quand au fond, elle savait que c’était juste dans l’ordre de choses, que ça lui ferait peut-être bien plaisir que la blonde dépasse sa peur de léguer ses tares à ses gamins en ayant un ou deux, et qu’il faudrait qu’elle se prépare à la voir déambuler avec un gros bidon dans les mois à venir. Quand est-ce que son entourage arrêterait de se reproduire, telle était la question, celle que Megan apporta au débat la faisant lâcher un soupir si inutilement long qu’il l’exemptait d’y apporter tout commentaire.

"Je t'ai pas dit que t’avais eu tort de le faire. Je te dis juste de pas le faire avec moi." insista-t-elle avant de l’inviter à s’asseoir un peu plus loin, ayant besoin de faire un petit point sur tout ça et de prendre la mesure de la gravité de la situation qui se présentait à elle. Elle ne savait pas dans quelle mesure Charlie s’était laissée posséder par ses démons, et l’idée qu’elle soit en fait totalement passé à côté de sa descente aux enfers la contrariait au point qu’elle se sentait incapable de penser correctement, comptant sur Megan pour au moins l’aiguiller sur la marche à suivre. Sauf que, têtue comme une mule, ou certainement encore plus que traumatisée par sa propre expérience, elle semblait fermée à l’idée-même de réessayer d’intervenir auprès de Charlie, laissant presque Jo face à sa conscience "Elle m’écoutera pas plus que toi." lui fit-elle remarquer, posément, les yeux fixés sur un point qu’elle ne voyait pas vraiment au travers des verres opaques de ses lunettes de soleil. Prenant une grande inspiration, se redressant en même temps, elle sentit une tension nerveuse peser sur ses cervicales qu’elle fit jouer en basculant sa tête d’un côté à un autre de ses épaules, entendant les petites bruits intérieurs de ses muscles noués et douloureux  résonner dans ses oreilles "J’ai pas peur de me battre avec elle —" Au contraire, ça n’étonnait personne "— mais je suis pas certaine que ce soit la technique adéquate pour lui faire entendre qu’elle a un problème." Seulement, Jo n’était pas douce. Elle ne réussirait donc pas à la dorloter pour lui faire ouvrir les yeux, c’était une certitude qui lui faisait profondément de la peine, et la fit empoigner son téléphone portable glissé dans la poche intérieure de sa veste oversize. Elle déverrouilla son écran, se rendit par réflexe sur la conversation SMS qu’elle entretenait en continu avec Charlie et fit dérouler les derniers pans de leurs échanges en essayant dénicher des signaux qu’elle aurait pu lui envoyer et qu’elle n’avait pas su lire.

Mais rien. Frustrée, elle éteignit son écran, relevant la tête pour regarder devant elle et assimiler ce que Megan était en train de lui dire et qui lui fit réaliser qu’elle n’avait peut-être pas tort au sujet de ses fréquentations "Elle revoit son ex, ils bossent ensemble." Elle peina à retrouver son nom, tabla d’abord sur Randall pour se rendre compte qu’elle se plantait, et finit par trouver le bon "Kendall. Yeux bleus, air de chien battu, pas dégueu dans le genre." Inutile de préciser qu’elle avait un truc pour les yeux bleus. Elle passa sur le sujet, demanda à Megan dans le même temps "Tu crois que c’est lié ? Que c’est lui sa mauvaise fréquentation ? Parce que si c’est le cas, ce serait pas difficile de le forcer à battre en retraite. Il suffirait de la balancer à sa hiérarchie et le tour sera joué." Pas de pitié pour les bâtards, c’était la politique de Jo, il suffisait de voir comment elle avait réglé le problème Tomlinson. Sauf que sur le fond, ça ne résoudrait pas celui de Charlie, et elle le savait. De nouveau, elle déverrouilla son téléphone portable, mordillant sa lèvre inférieure frénétiquement avant de se rendre sur son moteur de recherches en disant à Megan "Tu veux pas l’aider, d’accord, mais tu veux bien m’aider, moi ?" Heureusement qu’elle avait ses lunettes de soleil finalement, elle avait l’impression de quémander quelque chose, et ce qui passait dans ses yeux à ce moment-là ne l’aurait pas aidé à se sentir à l’aise de le faire si elle n’avait pas été protégé par l’opacité de ses verres dans lesquels Megan se reflétait. Elle ajouta "Je sais pas, à chercher des réunions de narcotiques anonymes, à chercher un centre de désintoxication qui accepterait de l’admettre le plus vite possible ?"

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« Je t'ai pas dit que t’avais eu tort de le faire. Je te dis juste de pas le faire avec moi. » - « Tu m’as jamais donné de raison de le faire avec toi. » Autrement dit, Charlie n’a que ce qu’elle mérite et je ne suis pas celle qu’il faut blâmer. Si notre amie n’avait pas déraillé, je n’aurais pas eu besoin de cracher sur son intimité de la sorte. Je n’aurais pas eu besoin d’outrepasser les droits que m’accorde mon statut d’amie et, à mon sens, les drogués perdent leur droit à l’intimité en même temps qu’ils perdent l’esprit au point de céder à l’appel des paradis artificiels. Je n’ai jamais donné à Jo la moindre raison de croire que je ne suis pas digne de sa confiance, non ? Alors pourquoi me traite-t-elle avec une telle méfiance, presque de l’hostilité. Piquée, je me renfrogne plus que je ne le faisais déjà à cause du sujet abordé.

« Elle m’écoutera pas plus que toi. » - « Bien sûr qu’elle t’écoutera plus que moi. » Peut-être que Jo n’obtiendra pas le résultat escompté, mais les deux jeunes femmes entretiennent un lien privilégié dont j’ai parfois l’impression d’être mise à l’écart sans trop mettre le doigt sur le pourquoi du comment. « Je suis pas conne au point de pas voir ce que j’ai sous le nez. Toutes les deux, vous êtes un petit duo où j’ai ma place qu’un jour sur deux. » La preuve en est : je n’avais pas la moindre idée que Jo avait été sous anxiolitiques l’an dernier. Les lèvres pincées en une moue réprobatrice, j’affirme ce que je pense sans verser dans la langue de bois ou tourner autour du pot pour épargner la brune ou, plutôt, ma propre fierté. C’est moi que cette vérité crue met dans les chaussures du vilain petit canard, après tout.

« J’ai pas peur de me battre avec elle. Mais je suis pas certaine que ce soit la technique adéquate pour lui faire entendre qu’elle a un problème. » J’ignore quelle est la dite technique de mon côté : ma mère a toujours su qu’elle avait un problème, elle n’en avait simplement rien à faire ou, en tout cas, je n’étais pas une motivation nécessaire à lui donner envie de l’adresser. Amère, je me déglutis et ravale ma bile, consciente que Jo ne mérite pas de la recevoir à la gueule. Ce n’est pas elle qui me met hors de moi, seulement le sujet de notre conversation et l’idiote impliquée. « Elle revoit son ex, ils bossent ensemble. » Si elle a fait les choix qu’elle a fait à cause d’un homme, alors elle est encore plus idiote que je l’imaginais. « Kendall. Yeux bleus, air de chien battu, pas dégueu dans le genre. » - « Un flic aussi du coup. » J’ai beau tenter entièrement imperméable à la discussion, j’écoute et j’analyse. Si Charlie bosse avec l’ex en question, j’a peu de chances de me tromper. Je racle ma gorge, amère. « C’est propre en tout cas la police. » Du reste, je me moque qu’elle se fasse sauter par un pauvre type. Charlie est une adulte responsable et, à ce titre, elle l’est aussi de ses nouvelles activités. « Tu crois que c’est lié ? Que c’est lui sa mauvaise fréquentation ? Parce que si c’est le cas, ce serait pas difficile de le forcer à battre en retraite. Il suffirait de la balancer à sa hiérarchie et le tour sera joué. » - « J’en sais rien. Elle était pas capable d’aligner deux mots cohérents. » Elle a bien essayé de tenter de me convaincre de les rejoindre, elle et les gens à sa table, avant que je ne la rejette comme elle le méritait. Par message, je lui ai déversé ses quatre vérités, pour être sûre qu’elle les entendrait une fois qu’elle serait redescendue. « Elle te détestera si elle se fait jeter des forces de l’ordre. » Et c’est ce qui arrivera si quelqu’un la dénonce. Jo est-elle prête à l’assumer ? Elle qui jouit d’une relation privilégiée avec la blonde ? Elle qui aime se sentir aimée et admirée au travers des yeux de ses proches ? « Tu veux pas l’aider, d’accord, mais tu veux bien m’aider, moi ? » Jo pianote son téléphone. Ses doigts se mouvent avec fébrilité sur l’écran de l’appareil et une pensée malsaine et dangereuse me traverse l’esprit. Je me demande si, pour moi, elle se mettrait dans ce genre d’état. Je me demande si elle serait aussi secouée et investie si je me trouvais à la place de Charlie. Je secoue la tête, comme pour chasser ces questions. Elles n’apporteront rien de bon. « Je sais pas, à chercher des réunions de narcotiques anonymes, à chercher un centre de désintoxication qui accepterait de l’admettre le plus vite possible ? » - « Tu vas t’épuiser pour rien si elle admet pas qu’elle a un problème. » Je le sais, je l’ai appris de la plus dure des façons. « Si elle veut pas qu’on l’aide, ça servira à rien. Il faut que ce soit elle qui te le demande. » Il faut qu’elle fasse en sorte qu’elle lui demande.

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Jo accorda un petit regard en coin à Megan qui voulait dire c’est vrai quand elle rebondit sur sa mise en garde. Sur l’instant, elle avait d’autres chats à fouetter que de préserver la sensibilité de la blonde à ses côtés, elle devait bien l’avouer. Elle s’en occuperait plus tard — ou plus tôt que prévu, puisque déjà elle réentendait des accents de jalousie mal placée dans son ton lorsqu’elles en vinrent à discuter plus sérieusement de ce qui se passait avec Charlie. Le temps n’était pas à l’appât du dernier mot, alors Jo lâcha étonnamment et rapidement l’affaire, redistribuant son attention et ses priorités, quand Megan la contredit à propos de sa parole qui avait de la valeur pour Charlie, façon bien polie d’admettre silencieusement qu’elle n’avait pas tort, et que malgré ce qui s’était passé entre elles à une époque, elles s’écoutaient davantage quand elles avaient des coups de moins bien pour des raisons que Jo ne comprenaient pas vraiment, mais qui existaient dans tous les cas. Elle n’estimait pas que Megan était exclue de tout ça, c’était simplement que c’était différent, sans l’être totalement non plus, Jo tenant très fort à elle autant qu’elle tenait à Charlie. Roulant des yeux en battant des paupières et en se disant que sa réaction était puérile, elle se contenta de secouer la tête en avançant, d’un ton bourru, mais pas agressif "Ça, c’est des conneries, mais t’es trop têtue pour l’entendre." Elle ne lui rappellerait pas toutes les fois où elle avait été là pour elle sans avoir besoin de demander l’autorisation à Charlie avant d’agir, ni les fois où elle avait gardé ses secrets sans se sentir forcée de les lui répéter, plus tombe que commère quand ça concernait ses proches ; une chose était certaine, si Megan et Jo s’entendaient aussi bien, c’était pour tout un tas de raisons, l’une d’elle étant qu’elles avaient oublié d’évoluer passée la petite école.

Elles reprirent leur conversation, se concentrant sur l’essentiel. Jo confirma d’un signe de tête qu’en effet, Kendall était bel et bien flic, tout comme Charlie "Je crois que ça commence à dater maintenant. On en a discuté en fin d’année, ça avait l’air de la miner." Jo avait taché de lui donner des conseils sans se moquer d’elle, mais elle n’avait pas réalisé que le retour de ce garçon dans sa vie pouvait avoir des effets de ce type. Elle l’avait écoutée bien sûr, mais Charlie parlait parfois en énigme, même avec elle. Elle laissa filer un putain entre ses dents, ses yeux se levant par-dessus la monture de ses lunettes de soleil quand elle avoua, coupable "Je comprends mieux maintenant pourquoi elle paraissait si tendue en en parlant. S'il a quelque chose à voir avec tout ça, elle devait déjà craindre de pas être assez forte pour rester dans les clous." Elle avait manqué de vigilance et de discernement en somme, et ce n’était pas agréable à constater pour quelqu’un comme elle, qui avait tant besoin de sentir qu’elle était la plus maline de la pièce histoire de faire un pied de nez à ceux qui la pensaient à moitié demeurée sous le prétexte qu'elle avait plus passé de temps à faire l’école buissonnière qu’à prendre soin de son bulletin de notes "Je m’en fous, ce sera pas la première fois." Que Charlie la détestera pour quelque chose "J’ai quoi comme option de toute façon ? T’as l’air décidé à pas t’en mêler, et je suis pas une putain d’experte, merde." lâcha-t-elle, la frustration se matérialisant enfin dans sa forme la plus brute, la colère la faisant brusquement se lever du banc en bambou pour marcher juste un peu.

Elle abandonna le tapotement intempestif de son écran de téléphone pour rester un moment à observer la végétation qu’elle voyait s’étendre par-delà les clôtures aménagées du sanctuaire, laissant un instant Megan à ses mots qu’elle entendait distinctement et qui n’apaisaient pas la sensation qu’elle avait soudain qu’elle lui refilait la patate chaude sans se soucier plus que ça que ça lui crame les doigts. Elle pressa ses lèvres l’un contre l’autre, attendant un court instant avant de reprendre une inspiration, retenant sa respiration quelques secondes encore, puis se retourna de nouveau pour regarder Megan au travers de ses lunettes de soleil "Et comment je lui fais admettre qu’elle a un problème ? En lui disant, hé, Meg m’a racontée ce que tu fais pendant ton temps-libre, tu pouvais pas plutôt choisir de faire du macramé au lieu de te défoncer ?" C’était ridicule. Elle en rit nerveusement d’ailleurs, sa tête dodelinant de nouveau, désemparée — mais obstinée de nature, elle ne pouvait pas s’avouer vaincue, plutôt crever. Elle s’arrêta de rire au fur et à mesure, son expression devenant plus grave au plus elle s’enfonçait dans sa tête. Et de nouveau, elle déverrouilla son téléphone portable pour revenir à sa conversation avec Charlie, en lisant des bribes rapidement en scrollant comme une folle "Elle me demandera jamais de l’aider." Et ça, elle le savait parce que sur ce point, elles se ressemblaient : elles préféraient encore souffrir seules que de se sentir obligées d’admettre qu’elles avaient besoin qu’on les aide à guérir. Jo avait évolué sur ce sujet, et encore, ça restait à sa version bêta, ne s’en remettant qu’à Midas, et personne d’autre "Je vais réfléchir." Tu fais chier Meg, se retint-elle de pester, sentant un frisson la parcourir en même temps qu’elle le pensait.

i'm not really sure how it goes
Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/alexadcmies

Je ne rebondis sur ce qui est pour Jo une connerie mais à mes yeux une réalité, quoi qu’elle en dise. Nous ne sommes pas là pour ça et, égoïstement, je me surprends même à penser que peut-être que les conneries de Charlie feront tourner le vent en ma faveur. Je sais que Jo ferait beaucoup de choses pour moi. Je sais qu’elle tient à moi. Mais ce n’est pas de ça qu’il est question. C’est de complicité. C’est de qui a un avis qui compte à ses yeux. C’est de vers qui elle se tourne quand il se sent mal ou qu’elle a besoin de se confier. De toute façon, ce n’est pas le sujet. J’aime Charlie. Autant que J’aime Jo. Et peut-être bien que je créé des problèmes toute seule comme une grande, et dans ma tête par-dessus le marché, parce que je me sens à part depuis que je suis mariée et en ménage. Mais ça, je ne suis pas prête à l’entendre.

« Je crois que ça commence à dater maintenant. On en a discuté en fin d’année, ça avait l’air de la miner. » - « Vraisemblablement elle a trouvé une façon de pas se laisser abattre. » Elle faisait la fête, Charlie, quand je l’ai croisée. Défoncée et bourrée en boîte de nuit, habillée comme une jeune fille de son âge avec le corps qu’elle a peut le faire, elle semblait s’éclater, même si je connais une partie des vérités qui se cachent derrière l’envers du décor, parfois vendeur, des drogues récréatives. « Je l’ai pas vu avec elle. Je crois pas en tout cas, y’avait personne qui matche ta description. » Mais peut-être était-il au bar, aux toilettes, ou en train de fumer une clope. Peut-être Charlie a-t-elle décliné toute seule sans avoir besoin qu’un vilain ex lui force la main, aussi. Maintenant que je l’ai diabolisée, je n’ai plus de mal à croire quoi que ce soit, contrairement à Jo qui cherche à excuser la blonde d’une façon ou d’une autre parce qu’elle espère que son amie n’a pas été aussi conne que ça. « Je comprends mieux maintenant pourquoi elle paraissait si tendue en en parlant. S'il a quelque chose à voir avec tout ça, elle devait déjà craindre de pas être assez forte pour rester dans les clous. » - « T’en parle comme si ça la dédouanait de quoi que ce soit. » Ce n’est pas le cas, pas à mes yeux en tout cas.

« Je m’en fous, ce sera pas la première fois. » Je hausse les épaules, faussement détachée. Ce n’est pas mon problème, la façon dont Jo décide de gérer les choses, je ne cherchais qu’à l’avertir. De toute façon, Charlie lui pardonnera, comme Jo a pardonné à notre amie commune d’avoir couché avec le mec sur lequel elle a bavé une bonne partie de son existence. « J’ai quoi comme option de toute façon ? T’as l’air décidé à pas t’en mêler, et je suis pas une putain d’experte, merde. » - « J’ai pas dit qu’il fallait pas que tu le fasses. » Je lui ai simplement exposé les conséquences potentielles – et presque certaines – qu’auraient ses actes. Je ne suis personne pour l’empêcher de gérer un problème que je n’ai pas envie de gérer autrement que comme elle l’entend. « Et comment je lui fais admettre qu’elle a un problème ? En lui disant, hé, Meg m’a racontée ce que tu fais pendant ton temps-libre, tu pouvais pas plutôt choisir de faire du macramé au lieu de te défoncer ? » - « J’ai cherché la réponse pendant presque vingt ans. T’auras qu’à me dire si tu la trouve. » J’ai envie que Jo aide Charlie à ma place, je n’ai pas dit que je savais comment elle devait s’y prendre ou même que je pensais que c’était possible. Je lui demande de réaliser quelque chose que je ne crois pas possible, en fait. « Elle me demandera jamais de l’aider. » Charlie n’est pas Jo, elle n’est pas moi non plus mais il y a fort à parier que Jo ait raison. Pas tant qu’elle n’aura pas touché le fond, en tout cas. « Je vais réfléchir. » Les mains dans mes poches, je hoche la tête, avant de pousser un soupir. « Si t’arrives à la convaincre de se faire aider, je t’aiderais à chercher une clinique ou un centre, okay ? » Je suis prise d’un mauvais pressentiment, comme si c’était une connerie, de faire ce genre de promesse. « Mais je veux pas la voir. Et je veux pas lui parler. » Pas pour l’instant, pas tant que j’aurais envie de lui arracher les yeux et que je penserai toutes les horreurs que je lui ai dites et écrites par message. La gorge nouée, je me décolle finalement de la clôture contre laquelle j’étais appuyée. « Maintenant, je suis certaine que t’as envie de prendre un koala dans tes bras. » Moi en tout cas, j’en ai envie, pour arrêter d’avoir envie de pleurer et d’insulter une absente.

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@Megan Williams ☆ crédit/idalis

Lorsqu’elle avait rompu avec son camé de mec l’année dernière, Charlie était déjà sur la tangente. Pour s’en remettre, elle avait cumulé les histoires d’un soir, elle avait écumé les bars, et profité, à raison, de son célibat recouvré après une histoire aussi courte que l’ourlet de la jupe de Josephine ; difficile donc de la défendre davantage à ce sujet, le terrain de Charlie était miné et Jo le savait. Pourtant, le sarcasme qu’elle entendait dans la voix de Megan, il aurait pu être un déclencheur de quelque chose de vilain chez la chanteuse, une rebuffade qui l’aurait poussée à approfondir sa défense de la jeune femme, mais surtout à secouer un peu plus la blondinette à qui elle s’adressait maintenant pour lui faire admettre que si elle réagissait comme ça, si elle était si dure, c’était uniquement parce qu’elle en avait vu des vertes et des pas mûres avec sa propre mère et que, marquée à vie, elle n’était plus capable d’assimiler l’idée qu’une addiction, ça commençait par être un vice, mais ça devenait peu à peu une maladie mortelle. Seulement, Jo n’avait pas envie de choisir de camp, et se fâcher avec Megan ne faisait pas partie de son agenda, alors elle la boucla en serrant les dents, elle-même prise dans une réflexion intense pour essayer de comprendre ce qui avait bien pu se passer pour qu’aussi rapidement, Charlie se retrouve dans cette situation. Elle répondit à Megan "J’en parle comme si j’essayais de comprendre, point final." Elle haussa les épaules, agacée, poursuivit en regardant à droite et à gauche, soudain consciente qu’elles n’étaient pas seules — rien à foutre, personne n’était obligé de les écouter après tout "Tu l’as dit toi-même, la majorité des mecs sont des trous du cul, et avant qu’elle me parle de lui, elle s’en sortait plutôt pas mal." Du coup, il ne fallait pas être sortie d’une grande école pour y trouver une corrélation, qu’importe ce que Megan était tentée d’en penser. Il ne s’agissait pas de dédouaner quoi que ce soit ni qui que ce soit, il s’agissait juste de comprendre et d’aider Charlie.

"Tu savais que je resterais pas les bras croisés, c’est exactement pour ça que tu m’en as parlé." lâcha-t-elle dans un petit rire sardonique à l’intention de Megan. Elle faisait offense à son intelligence, la blonde, si elle espérait qu’elle gobe tout rond qu’elle l’avait informée de tout ça en s’attendant à ce qu’elle ne moufte pas ; elle insultait son intelligence certes, elle insultait surtout sa loyauté envers ceux qu’elle estimait assez pour leur en faire cadeau, et une partie d’elle en était profondément blessée "Ouais, en gros, démerde-toi avec ça Jo, hm ?" interjeta-t-elle à la suite de la phrase de Megan. Quelque chose en elle la poussait à lui en vouloir un peu de la mettre dans cette position, mais comme prévu, elle était désormais trop impliquée pour se sentir d’humeur à faire comme si de rien n’était. Ainsi, Jo ne retournerait pas à ses paillettes, son maquillage et ses chansons sans y penser plus que de raison, elle ne retournerait pas à vie de popstar en ne faisant rien pour Charlie, elle ne retournerait pas dans sa bulle d’amour en n’en parlant pas à Midas non plus — elle le savait putain, qu’elle aurait dû passer son tour et faire autre chose de sa journée au lieu de venir ici, putain. Maintenant, elle savait ce qui l’obséderait, et ce serait d’essayer de parler avec Charlie. Bien qu’elle avait prétendu le contraire, elle espérait que ça n’entacherait pas leur réconciliation plutôt récente, si elle se mettait à faire les comptes. Mais elle tenait à elle, et malgré le fait qu’à une époque, elle avait espéré qu’elle crève la bouche ouverte, aujourd’hui les choses étaient différentes, et elle se sentait concernée. Restant un instant silencieuse, elle releva les yeux vers Megan pour lui donner un hochement de tête positif lorsqu’elle lui offrit de l’aider si Charlie se laissait convaincre de se faire aider, le merci qu’elle aurait dû lui offrir en retour restant coincé dans sa gorge un peu serrée. Elle trouva néanmoins le courage de lui dire, replaçant ses lunettes de soleil sur ses yeux "J’ai compris, je vais pas t’y obliger." Ni à voir ni à parler à Charlie. Se mettant en mouvement en même temps que la jeune femme, elle glissa à nouveau son téléphone portable dans la poche intérieure de sa veste, et l’attrapa par les épaules dans une étreinte un peu maladroite, mais qu’elle maintint le temps qu’elles marchèrent, répondant à ce qu’elle lui disait avec toute la mauvaise humeur qui la caractérisait, saupoudrée tout de même d’un peu d’humour pour dire de chasser le nuage sombre qui s’était brusquement levé au-dessus de leur tête "J’ai plutôt envie de provoquer un kangourou en duel, là. Mais vas-y, montre-les moi, tes putains de koalas."