you can't fool me
@Mabel Griffiths ☆ crédit/lunapacks

Être invitée à ce genre de soirée, ça relevait presque d’une routine réconfortante à laquelle Jo se pliait à des fins purement promotionnelles. Le milieu du cinéma et de la musique était à la limite de la consanguinité, les liaisons professionnelles entre les équipes de productions et autres n’étant pas rares, au contraire. Les maisons de disque devenaient alors une branche comme une autre de l’industrie du spectacle à grande échelle, elles sollicitaient à coup sûr leurs artistes pour vendre des films sur lesquels ils en tiraient un petit pourcentage sans qu’elle n’en comprenne véritablement tous les rouages, encore loin d’être parfaitement au fait de tout cet aspect de son métier, lequel elle apprendrait petit à petit pour devenir aussi bonne en négociations que pour tout le reste. En attendant, elle savait tout de même que ça flattait sa propre notoriété de participer à certaines de ces soirées, d’autant qu’avec la sortie très récente de son album, être vue constamment sur une très courte période pour ensuite se faire de plus en plus rare n’était pas une mauvaise idée, alimentant ainsi la critique autour d’elle et son trafic sur les réseaux sociaux. Ce soir, sa présence n’était pourtant pas uniquement poussée par son besoin évident de faire parler d’elle. Elle savait que la grosse machine qu’était Netflix avait mis les bouchées doubles pour vendre son dernier projet made in Australia, aussi tout le gratin du pays était présent ce soir pour féliciter l’équipe dont Mabel faisait partie ; c’était pour elle qu’elle s’était déplacée. Après l’échec critique de Nine, Jo imaginait que recevoir des éloges ne lui serait pas désagréable, et bien qu’elle ne comptait pas véritablement faire étalage de courbettes et autres félicitations, loin d’être du genre à caresser le reste du monde dans le sens du poil, partisane de la brusquerie pour exprimer ses sentiments en la matière, elle consentirait néanmoins à applaudir son choix plus judicieux de projet pour rebondir. Les planètes semblaient plus alignées pour elle sur ce film, et c’était tant mieux. Jo n’ignorait pas que Mabel tenait à sa carrière ; là où Megan n’en ferait jamais son métier sur le long terme, plus terre-à-terre et ancrée dans le monde réel, c’était le destin de sa co-star d’enchaîner les succès, aussi essuyer les retombées d’un navet comme leur film commun, ça ne devait pas être très agréable. L’échec forge, comme dirait l’autre, et Jo en savait quelque chose.

Elle passa par le photocall, par le parterre de journalistes et autres médias qui se précipitèrent pour lui poser des questions en rapport avec son album, Midas, ses projets, Midas, sa tournée, Midas, et puis pour la faire participer à des happenings autour du film mis à l’honneur ce soir sous formes de jeux aussi idiots qu’elle refusa tout net en prétextant au travers de Thomas, son attaché de presse, qu’elle n’avait pas le temps cette fois, et se retrouva quelques minutes après à caresser du regard le décor romantique de la soirée organisée pour le lancement du film. C’était sirupeux comme une comédie romantique. Un cocon d’amour rouge, rose et violet, et ce n’était pas un hasard puisque c’était le genre du film dans lequel jouait Mabel dont l’affiche tomba sous l’oeil d’une Jo qui se savait beaucoup trop cynique pour adhérer à ce genre de conneries, même en étant elle-même folle amoureuse — restait que les romances à la vanille, trop peu pour elle, elle avait dépassé le stade de la comédie romantique depuis un moment, si tant était qu’elle y avait ne serait-ce que trempé le petit orteil "Tiens, la star de la soirée." Alpaguée par la jeune femme, elle se retourna vers elle pour lui adresser une oeillade observatrice, passant en revue le moindre détail de la tenue qu’elle portait pendant qu’elle, elle complimentait la sienne ; une mini-robe bustier lilas Oscar de la Renta dont l’originalité se trouvait dans la longueur de traîne concentrée sur le côté gauche de sa hanche drapée dans le tissu. Elle brillait moins que d’habitude, mais elle était dans le thème au moins. Elle posa ses mains sur ses épaules dénudées, ses doigts ornés de bagues plus discrètes que d’ordinaire s’étirant sur sa peau bronzée, et fit jouer son profil pour que Mabel gagne le loisir de l’admirer. Elle lui dit en même temps "J’ai fait en sorte de pas être trop éblouissante pour pas te voler la vedette, mais tu sais ce qu’on dit : quand on est né pour briller…" Elle ne s’étoufferait jamais dans son humilité, c’était un fait. Elle cessa son petit manège pour enfin s’approcher de la jeune femme et l’étreindre brièvement en lui demandant dans la foulée "Ça se passe comment, l’accueil du film est bon ?" Cette fois, faillit-elle ajouter, mais elle s’abstint d’attaquer tout de suite avec ce genre de commentaires.

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Chercher le compliment devait paraître pathétique à quiconque ne connaissait pas Jo qui se foutait royalement qu’on approuve ses choix et qui venait habillée comme elle avait envie de le faire sans juger bon se soucier que ça plaise ou non. Mais jouer avec Mabel au jeu de l’approbation n’était pas désagréable sur le moment, même si bien sûr, elle lui disait quelque chose qu’elle savait déjà. En l’occurence, que cette robe lui allait comme un gant : c’était une évidence, sinon elle ne la porterait pas ce soir, au milieu du gratin du pays venu parader, ou plus probablement jouer les piques-assiettes pour certains d’entre eux "Trouve une couleur qui me va pas, et on en reparle." C’était naturel pour elle de dire ce genre de choses, et tant pis si on la jugeait prétentieuse. Connaître sa valeur, ça déplaisait à ceux qui ne s’aimaient pas eux-mêmes, c’était donc leur problème, pas le sien.

Du bout des doigts, elle replaça le collier qu’elle portait autour du cou avant de retirer ses mains de ses épaules dénudées, cessant d’exposer sa tenue complète à Mabel pour la saluer en bon et due forme, et enfin la questionner sur l’accueil de ce qui amenait tout ce beau monde ici : son nouveau film "C’est le moment où je t’avoue que je l’ai pas vu." Pour sa défense, elle avait eu d’autres chats à fouetter, aussi avant que Mabel ne pense à le lui reprocher, elle le lui dit en se redressant sur ses talons hauts "J’ai eu un tas de choses à faire, et j’ai pas envie de te mentir en l’encensant. Pour ce que j’en sais, c’est peut-être un navet, alors je réserve ma critique pour plus tard, tu m’en voudras pas." Elle ne regarderait pas ce film, en vérité. Elle appréciait Mabel, c’était une certitude, elle ne changerait pas ses habitudes pour ses beaux yeux pour autant en perdant une soirée et en devinant la fin d’un film dès les premières minutes — toutes les comédies romantiques terminaient de la même façon, non ? "Par contre, j’ai vu Nine." se vanta-t-elle comme pour se rattraper. Elle ne l’avait fait que pour Megan à qui elle réservait une véritable amitié au point de vouloir l’encourager quand elle entreprenait de nouveaux projets, mais aussi de lui dire de faire attention quand elle flairait le mauvais plan. Elle restait une grande fille dans tous les cas, et elle avait les reins solides, Barbie. Restait que pour ses beaux yeux, elle avait fait l’effort de tordre le cou à son emploi du temps et à ses problème d’attention en s’enfermant deux heures pour la voir se taper Micah pour de faux sur un écran géant. C’était encore ça le plus intéressant, mais juré, elle avait regardé ailleurs quand il était apparu sur l’écran — et ça ne lui avait pas demandé trop d’efforts, il lui sortait par les yeux depuis des semaines maintenant. Elle ajouta à l’adresse de Mabel "Ça va, c'est pas trop difficile à encaisser les retombées de tout ça ?" Le film était mauvais, ce n’était un secret pour personne.

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"L’une de mes nombreuses qualités. Mais on n’est pas là pour parler de moi, c’est toi la vedette, ce soir." rétorqua-t-elle à la jeune femme lorsqu’elle vanta son honnêteté. Elle battit des cils pour parfaire le tableau, encore une fois loin d’être gênée de s’ensevelir sous quelques compliments bien mérités, à son avis le moins humble de tous. Elle se tourna vers la jeune femme après avoir fait passer son regard de l’affiche du film à son visage, et lui demanda dans le même temps "Comment s’est passé le tournage ? T’as des trucs croustillants à raconter sur tes collègues, ou je vais devoir me faire un avis moi-même en laissant mes oreilles traîner à droite et à gauche ?" Ce qu’elle ferait dans tous les cas, les discussions arrivant toujours à elle pour qu’elle n’en retienne que ce qui l’arrangeait histoire de les faire tourner à son avantage et parfois de se moquer — très souvent, c’était son plaisir coupable, elle l’admettait. Le monde du cinéma, c’était comme celui de la musique ; il se passait tellement de scandales que ça éclaboussait tout le monde, aussi après avoir elle-même essuyé des rumeurs plus ou moins fondées, elle aspirait à s’en faire conter des autres qui la divertirait bien plus que le film dans lequel Mabel jouait.

"Megan s’en remettra, elle a de quoi pour." Elle ne parlait pas de son physique, même si évidemment c’était une donnée non-négligeable à prendre en compte, mais bien de sa force de caractère. Elle ne vantait pas les mérites de son amie parce qu’elle était complaisante à son sujet, Jo n’était déjà pas du genre à caresser qui que ce soit dans le sens du poil, elle l’était encore moins quand ça concernait ses amis qui l’étaient devenus parce qu’elle était une garantie d’avis tranchants qu’elle donnait sans craindre blesser. Quand on était ami avec Jo, on savait à quelle sauce on allait se faire manger "Le scénario est mauvais, je t’apprends rien. Elle a fait ce qu’elle a pu avec ce qu’on lui a donné, et d’accord, c’est peut-être pas la performance de l’année, mais elle a au moins le mérite de bien passer à l’écran. Elle le sait, c’est tout ce qui compte." Elle ne deviendrait pas actrice, elle avait d’autres projets. Son ego devait certainement souffrir du sort que les critiques avaient réservés à Nine, mais Megan était particulièrement bien entourée. Elle se ferait rappeler ce qu’elle valait, et c’était bien plus qu’un pauvre film sur un pauvre type que Jo méprisait par défaut "Cela dit, c’était à ton sujet que je m’inquiétais." Inquiéter était un bien grand mot. Elle n’était pas dupe pour autant, elle s’était aperçue que Mabel préférait parler de Megan que de répondre à la question qu’elle lui avait posée, et qu’elle lui posa à nouveau pour obtenir son ressenti au sujet de ce que ça impliquait pour sa carrière d’avoir été castée dans un film aussi médiocre "Pour toi, ça a pas été trop difficile à encaisser ?"

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"Dommage. J’adore les ragots sur les autres." admit-elle l’air de rien, donnant un très léger coup de menton en direction du bar illuminé histoire de ne pas camper devant l’affiche du film de la jeune femme et se rincer le gosier aux frais des grands patrons de Netflix. Elle trouvait toujours Mabel un peu trop coincée à son goût, ou alors c’était elle qui ne l’était pas assez, c’était une question qu’elle aurait dû se poser si elle n’en avait pas strictement rien à foutre. Toujours est-il que si Megan avait été à sa place ce soir, elles auraient passé la majeure partie de la soirée à dégueuler des saloperies sur les invités et ça aurait été aussi épique que ça n’aurait pas entaché leur beauté d’agir en mégères mal embouchées. Pas moyen d’accuser le même genre de loisir barbare avec Mabel qui était visiblement trop corporate pour se prêter au jeu. Mais ce n’était pas si grave ; Jo n’était là que pour un temps donné, elle saurait s’amuser autrement une fois qu’elle quitterait les lieux, c’était une certitude qui lui donna hâte de s’en aller avant le temps imparti par son attaché de presse qui ne devait pas être loin, à réseauter. Marchant aux côtés de Mabel, elle ne s’en souciait pas  sur l’instant. A la place, elle la pointa du doigt, relevant sa tournure de phrase, et lui disant dans la foulée "Ah, tu dis que vous êtes sages là, ça veut dire que vous l’êtes moins sur les plateaux de tournage. J’ai fait de la télé je te rappelle, je sais plus ou moins ce qui se passe en backstage." Un plateau de tournage restait un plateau de tournage, télé ou cinéma. Les assistants fréquentaient parfois les producteurs, les coiffeurs les perchistes, et inutile de parler des acteurs entre eux — ou des candidats de télé-crochets en l’occurence. Sur ça, Jo aurait bien eu quelque chose à dire, mais pas trop non plus.

Tout comme Mabel n’avait au fond pas grand-chose à dire au sujet de son ressenti post-Nine "Au moins ça a suscité de l’intérêt, c’est toujours ça de pris." Même si le score du film sur Rotten Tomatoes était à se cacher dans une grotte jusqu’à la fin des temps, les membres du casting jouissaient tout de même d’une publicité sur laquelle il ne fallait pas cracher. Jo avait toutefois un peu de mal à comprendre la politique de Mabel qui se disait éclairée à propos de la médiocrité du projet, mais qui s’était accrochée tout de même. Pourquoi ? Pour l’argent, pour la publicité, pour combler un trou dans son emploi du temps ? Jo avait un rapport particulier à l’échec, elle tachait de viser le plus haut sans se laisser le choix. À la place de la jeune femme, si elle avait eu conscience que l’échec était à l’angle du couloir, elle aurait soit fait en sorte de convaincre la production de revoir leur copie quitte à leur faire un peu de chantage, soit laissé sa place à quelqu’un d’autre pour ne pas entacher sa carrière et continuer sur sa lancée d’excellence. Chaque fois, elle était surprise de la manière dont la jeune femme gérait sa carrière, mais si elle en était arrivée là, c’était que sa méthode à la limite du je-m’en-foutisme devait fonctionner — grand bien lui faisait, la nonchalance appelait la chance, d’après ce qu’on racontait "Mais ça reste une tache bien graisseuse sur ton CV, non ?" lui demanda-t-elle, arrivant enfin au bar "Tu m’impressionnes, j’ai toujours cru que les acteurs et les actrices étaient trop passionnés pour ne pas défendre leur conviction quand la critique est virulente." Doucement, manipulant le drapé de sa robe lilas pour pouvoir correctement s'asseoir sur l’un des tabourets hauts, Jo lui demanda en même temps "Pourquoi tu l’as fait alors, si t’y as jamais cru ?" Elle savait pourquoi Megan l’avait fait, et si elle se référait au plan qu’elle lui avait exposé, elle devait admettre qu’au finalement, la blonde avait réussi son coup. Seulement elle devait admettre que, compte tenu du ressenti de celle qu’elle avait à ses côtés ce soir, elle ne comprenait pas tout à fait ce qui avait poussé Mabel à accepter.

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Est-ce qu’elle avait des anecdotes sur les coulisses importantes à partager avec Mabel ? "Importantes, surement pas." commença-t-elle, ne jugeant important que ce qui la concernait elle, les autres en ayant une toute relative selon la charte de son propre intérêt "Mais sinon, comme tout le monde, ouais." Jetant un bref regard autour d’elle, elle poursuivit sur sa lancée "C’est un univers où il se passe toujours quelque chose, que ce soit en bien ou en mal. En fait, je me méfie des gens qui prétendent n’être au courant de rien de se qui se passe en backstage, c’est souvent très mauvais signe." Le prouvait les derniers documentaires au sujet de grandes chaînes pour enfants, ou encore toute l’omertà entourant certains producteurs de médias, ciné ou télé — le prouvait sa propre expérience avec The X-Factor en vérité. Elle voyait bien quel genre de jeu la jeune femme était en train de jouer, et ça ne la dérangeait pas de répondre à la question qu’elle lui posait. Un petit sourire fit s’arrondir le haut de ses pommettes, ses yeux se plissant en même temps qu’elle les posait à nouveau sur le profil de Mabel qu’elle trouvait soudainement bien mystérieuse au sujet de ce tournage dont elle n’avait visiblement pas grand-chose à dire. Elle l’avait connue plus bavarde au cours des dernières fois qu’elles s’étaient vues, peut-être lui avait-elle insufflé l’envie de réserver ses confidences. Qu'importait au fond, elle ne l’obligerait à rien, même si son esprit de contradiction avait très envie d’appuyer là où elle sentait que ça faisait mal. Ainsi, elle opina du chef, laissant un léger hm lui échapper en même temps, la mention de Midas la faisant de nouveau s’ancrer à l’instant présent et se redresser sur son siège "Et alors ? C’est pas un secret ça." En plus, l’histoire était connue d’une majorité de personnes, alors qu’attendait-elle qu’elle lui raconte de plus ?

Au contraire de Mabel, elle ne commanda rien d’autre qu’une eau gazeuse citronnée, pas mal à l’aise quant à l’idée qu’on puisse la juger d’être raisonnable à ce sujet, pas coutumière des verres trop chargés en soirée, et continua de la questionner sur son expérience avec son dernier film. C’était certainement son côté trop pointilleuse qui s’exprimait, mais elle voulait saisir sa façon de procéder "Donc tu voulais y participer seulement pour avoir un droit de regard sur ce qu’ils allaient faire du personnage qui était censé te représenter ? C’est le rôle qui a été donné à Micah, c’est ça ?" Ce n’est que par habitude qu’elle la questionna à ce sujet "Il s’est bien débrouillé selon toi ?" Une partie d’elle avait envie de savoir, l’autre n’en avait strictement à rien à cogner. Seulement, c’était trop tard, sa question était posée, et elle laissait Mabel le soin de lui répondre ou pas, ne comptant de toute façon pas rebondir sur Micah ; plutôt sur le reste de la réponse qu’elle lui accorda et qui, là encore, fit hocher la tête à Jo qui n’était pas apte à vivre l’échec avec autant de philosophie que Mabel "Tu veux dire que tu préfères te casser la gueule sous le prétexte que ça fait partie de la vie, plutôt que d’éviter de le faire alors que c’est à ta portée ? Je crois qu’il y a un nom pour ça." Le masochisme, voilà comment on définissait précisément ce que Mabel lui décrivait. Mais après tout, qui Jo était-elle pour juger compte tenu que, par fierté, elle avait accepté l’offre de Midas de sortir de son trou histoire de prouver qu’elle était capable de gagner, elle aussi. Elle sourit doucement, se concentrant un court instant sur le verre qu’on lui avait apporté, et remua les bulles translucides à l’intérieur avec sa paille avant de relever le nez vers la jeune femme et d’être surprise par la question qu’elle lui renvoya. Le menton rentré, elle rétorqua "Quoi, j’ai pas le droit de m’intéresser ?" Elle haussa les épaules, ses yeux dérivant à nouveau sur le fond de son verre, ses genoux se serrant entre eux tandis que ses talons étaient posés sur le barreau au centre du tabouret sur lequel elle était assisse "Quand je m’intéresse pas, on me traite d’égocentrique de base, mais quand je le fais, on me soupçonne toujours d’avoir des intentions cachées. J’en ai pas, j’essaye juste de comprendre." Point final, il ne fallait pas chercher plus loin que ça "C’est quoi, ton prochain projet ?" lui demanda-t-elle finalement après avoir aspiré par la paille une longue gorgée de son eau gazeuse, son verre en suspension devant sa bouche brillante de gloss.

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Si elle avait été en bons termes avec Micah, Jo aurait pu lui demander elle-même comment il prenait l’échec de Nine — elle se serait désolée que ça intervienne juste au moment où il aurait bien eu besoin qu’on le tire vers le haut à cause de l’atroce saison des awards qu’il avait essuyé, lui aurait rappelé qu'il restait tout de même l’acteur le plus doué de sa génération à ses yeux, même s'il restait aussi le plus gros emmerdeur qu’elle n’avait jamais eu à côtoyer de toute sa vie, et oui, venant d'elle, c’était quand même quelque chose, sachant qu’elle tenait le titre dans la catégorie féminine de la discipline, comme quoi, qui se ressemble, etc —, au moins, ça l’aurait exemptée de devoir traiter avec l’éthique de travail somme toute bancale de Mabel. Mais puisqu’elle avait toujours envie de lui mordre le visage à cet abruti, elle se contenta de hocher la tête à l’avis de la jeune femme qui, finalement, n’avait pas tant été tatillonne que ça à propos de la manière dont été dépeint le personnage qui s’inspirait d’elle, de quoi creuser davantage l’incompréhension de Jo qui décidément, ne réussissait pas à saisir l’implication de l’actrice dans toute cette mascarade. Elle faisait peut-être partie de ces actrices qui avaient besoin de se remettre les pieds sur terre et de choisir de jouer dans un navet de temps en temps pour se rappeler qu’elle faisait elle aussi partie du commun des mortels, mettant son humilié à l’épreuve pour ne pas perdre de vue le sens des réalités. Des conneries, à son avis. Cependant, ça la regardait dans tous les cas, alors elle cessa d’alimenter la conversation à ce propos, sirotant son verre d’eau gazeuse en jetant des regards aux alentours pour mieux préparer son départ imminent.

Ça ne changerait pas grand-chose à sa vie de mieux saisir ce qui animait Mabel, aussi passa-t-elle à autre chose pour s’accorder à ses paroles, la pointant très brièvement d’un index à l’ongle strassé en même temps "Je suis d’accord avec toi sur ce point. Si on cherchait pas un peu notre malheur, y aurait pas tant d’histoire à raconter." Pas de chansons à écrire si ce n’était sur des choses bateau et sans points d’attaches pour le public qui puisait son intérêt dans des thématiques qui leur parlait, les touchait, les transportait là où ils réussissaient à exorciser pour mieux avancer. La catharsis au travers de l’art sous toutes ses formes, c’était un vrai truc que Jo elle-même avait expérimenté comme toutes les adolescentes malheureuses qui rêvent de se soustraire à l’autorité d’un environnement éducationnel toxique d’abord, comme une amoureuse dont le coeur a été brisé en mille morceaux plus tard, qui sait dans quoi elle trouverait sa libération demain "Tu te places dans le camp de ceux qui pensent que, puisqu’on choisi de s’exposer, on doit en subir les conséquences, ou je me trompe ?" lui demanda-t-elle finalement. Elle se le ferait peut-être reprocher, mais ce n’était un secret pour personne, ça non plus : Jo se fichait des reproches. Ou du moins, elle s’en fichait quand ils n’étaient pas fondés. Autrement, elle se braquait. Ce ne fût pas le cas là, même si ce que Mabel sous-entendait l’agaçait tout de même un peu "Preuve qu’on se connaît vraiment très peu au final : c'est faux, je pose des questions, juste uniquement quand ça m’intéresse. Je suis pas fan du concept de parler pour parler." Même si elle aimait le son de sa propre voix, elle avait ses limites. Elle haussa les sourcils à la suite des propos de Mabel "Je me souviens t’avoir posé des questions sur ta famille, ta fille, ta carrière… mais d’accord, si tu considères que c’est superficiel, tu dois avoir tes raisons." Si Mabel ne retenait de leur conversation que les instants où Jo se comportait, et bien, comme Jo, elle craignait que ce soir soit la dernière fois qu’elles échangeraient pour de bon. Tirant un peu d’eau gazeuse sur sa paille, elle réagit à ce qu’elle lui confiait à propos de ses futurs projets "T’es en train de me dire que tu comptes prendre ta retraite du côté du mannequinat, c’est bien ça ?" Pourquoi ? aurait-elle pu ajouter, sauf qu’après avoir entendu qu’elle ne posait que des questions superficielles, elle n’avait pas envie de donner une occasion supplémentaire à Mabel de la rabrouer en lui disant de se mêler de sa propre carrière qui, elle, était loin d’en être à un stade où la retraite était envisageable.

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Elles avaient déjà eu cette discussion plusieurs fois en effet, inutile donc de brasser du vent plus longtemps à ce sujet. Jo était tout de même surprise d’entendre Mabel changer quelque peu son fusil d’épaule. Il y avait quelques temps de ça seulement, elle lui disait que c’était Jo qui divaguait de ne pas vouloir exposer sa vie privée à l’oeil scrutateur du public et des médias, s’assurant de compartimenter les informations qu’elle partageait au compte-gouttes, restant rien d’autre que honnête dans la mesure de ce qu’elle était apte à fournir en accord avec sa propre ligne de conduite ; comme quoi, le monde, les gens, changeaient vite. Elle ne ressentait pas le besoin de le lui faire remarquer cependant et hocha tout simplement la tête pour se mettre à rire doucement à ce qu’elle ajouta ensuite "Je suis pas vexée." Elle s’en cognait à peu près tout ce qui était possible de s’en cogner à dire vrai. Ce n’était pas l’idée que Mabel juge les interrogations de Jo creuses qui la dérangeait, plutôt celle qu’elle remixait tout de même pas mal leurs précédentes discussions pour lui incomber des propos erronés. Elle haussa les épaules, posant son verre d’eau gazeuse bien entamé sur le bar devant lequel elles s’étaient posées toutes les deux, et lui répondit, tout simplement "Il paraît que je suis complexe." Encore un fait qui lui en touchait une sans faire bouger l’autre "Tu t’y feras." C’était encore tout ce qu’elle pouvait lui dire pour que ça ne la contrarie pas davantage — Mabel n’était pas logée à meilleure enseigne que qui que ce soit. Jo était difficile à cerner, il fallait apprendre à le respecter, et surtout, à faire avec.

"Et t’as décidé de te plier à cette règle à la con ?" Les sourcils haussés très loin sur son front, étonnée, elle se tourna vers Mabel avec une certaine dose de surprise dans le son mélodieux de sa voix "Tu vas même pas essayer de t’obstiner un peu ? Je sais pas, pour dire de faire changer les choses et de créer ta propre légende ?" Pfft laissa-t-elle échapper après l’avoir clairement jugée de baisser les bras aussi vite. Elle reprit son verre en même temps, toujours aussi déçue que Mabel fasse preuve d’autant de frilosité à l’idée de bousculer un peu les codes, donnant l’impression de s’y plier au point qu’elle était persuadée qu’elle devait être chiante à crever au quotidien. Alors parce que ça s’était passé comme ça pour ses collègues mannequins, elle préférait suivre ce chemin tout tracé ? Sirotant de nouveau une gorgée de son eau, Jo toisa la jeune femme à ses côtés pour se faire une idée bien arrêtée de ce qu’elle pensait d’elle, et lui dit dans la foulée "T’es super fraîche en plus, c’est des conneries tout ça." Délicatement, elle tapota ses lèvres l’une contre l’autre, estompant le gloss qu’elle avait dessus consciencieusement, et entendit ce qu’elle lui dit juste après, le prenant avec rien d’autre qu’un sourire inversé "Sauf que, ça aussi, ça fait partie du job, et pour ma part, je préfère le tourner à mon avantage pour surprendre ceux qui pensent que je suis bonne qu’à me pavaner avec des jupes ras la salle de jeux." Très classe, Josephine "On me juge sur mon physique depuis que je suis toute gamine, tu sais. A défaut d’y faire encore attention, c’est moi qui le contrôle, et ça dessert pas mon talent, bien au contraire." Elle lui expliqua "Les gens, ils sont interpellés par le physique, mais ils restent pour ce que je leur propose, c’est ma méthode. Elle est peut-être pas révolutionnaire, mais elle fonctionne." Et ça s’appelait du marketing, ni plus ni moins. Elle l’avait tout simplement amplifié à plusieurs aspects de sa vie histoire de ne laisser l’opportunité à personne de la sous-estimer, leur donnant une infinité de couches à peler pour mieux savoir qui elle était vraiment, et les surprendre.