Le voyage pour la Nouvelle-Zélande était prévu depuis longtemps, depuis plusieurs mois. Enfin il était prévu dans ma tête pour le week-end de la Saint Valentin, mais les résultats du concours ont bousculé tous mes plans et j’ai dû décaler le voyage pour assister à la remise des prix. J’ai fait la surprise à Emery le soir de la Saint Valentin, soit quelques heures après l’annonce des résultats. Elle était pire qu’une pile électrique quand je lui ai tout révélé et c’est précisément la réaction que j’attendais. Je voulais la rendre heureuse, voir son petit sourire et son air émerveillé mais surtout que je voulais que l’on puisse se créer des souvenirs ensemble en dehors de Brisbane. Juste elle et moi au milieu de nulle part, à des centaines de kilomètres de nos connaissances pour que l’on puisse se reconnecter. Avant la remise des prix je pensais réellement que ce serait un voyage formidable qui allait me détendre et me rapprocher d’elle. Mais ce n’est pas comme je l’imaginais. Le voyage est sublime ce n’est pas le problème, les paysages sont d’une beauté à couper le souffle et l’on fait des activités hors du commun que je n’aurais pas pu imaginer. Non le problème c’est cette remise des prix qui repasse en boucle dans ma tête. Je me refais le film, je me répète les paroles de Diego, celles d’Emery et je me pose de plus en plus de questions. Comment ça Mateo est à l’origine de sa rupture avec Diego ? Qu’est-ce qu’elle voulait dire par “ça ne signifie rien ?” J’ai beau essayer de penser à autre chose, de profiter de l'instant présent c’est inutile : mes pensées tournent en boucle sur cet incident. « Une vue pareille me donne envie de tout quitter pour partir élever des lamas au milieu de cette nature sauvage. » Je balaie le paysage du regard avant de lui répondre. “Oui la vue est sympa.” Sans trop me donner à des effusions de joie. A la place je me fais tout un tas de scénarios dans ma tête, tous plus tordus les uns que les autres et mon air pensif doit trahir le fait que je suis complètement perdu dans mes pensées. « Je rêve déjà des sources d’eau chaude demain. » Je la laisse parler, pas franchement concentré sur ce qu’elle me dit. « Même si l’odeur de soufre… » Je hoche la tête tout en laissant échapper un bref “Mmh.” Il faut que l’on en parle et je sens que je ne vais pas tenir très longtemps. Je me tais depuis bien trop longtemps déjà. Je sais qu’elle a dit qu’elle ne voulait pas en parler, et de mon côté je ne voulais pas faire un scandale pendant la remise des prix, mais j’ai besoin de savoir. De toute façon, tant que l’on n’en aura pas parlé je ne pourrais pas passer à autre chose et me détendre complètement. « Est-ce que tu détestes la Nouvelle-Zélande à ce point ? »  Sa question me tire de ma torpeur et me ramène brusquement à la réalité. Je lui jette un regard en coin avant de soupirer et de fixer le paysage en face de moi. “Ce que je déteste c’est que tu me caches des choses et que tu esquive le sujet quand j’en parle.” Je sais que je n’y vais pas avec le dos de la cuillère mais j’ai toujours été du genre direct. J’ai besoin de savoir et j’aurais des réponses, elle ne pourra pas esquiver mes questions indifféremment. Je tourne la tête pour la regarder avant d'ajouter. “Par rapport à mon frère.” Nul besoin de prononcer le nom de Diego, elle sait parfaitement à qui je fais référence.

« Cesar… » Je soupire en la voyant faire triste mine, mais il en faudra plus pour m’amadouer. Je suis déterminé à découvrir la vérité même si je dois me la mettre à dos. J’en ai plus qu’assez d’être pris pour un con, d’être le dernier au courant pour tout et d’être le dindon de la farce. « Je me suis déjà excusé un tas de fois. J’aurais pas dû réagir comme ça, pas alors que la soirée était si importante. » Elle esquive le sujet. Encore. Je ne lui reproche pas de ne pas s’être excusée, ce que je dis c’est que j’ai besoin de savoir ce qui se cachait derrière son agitation. “Je commence à avoir l’habitude qu’il y ait toujours un scandale de merde à mes soirées artistiques.” Je marmonne. Je ne cache pas mon agacement :d’abord mon premier vernissage gâché par des troubles fêtes et maintenant un scandale familial visiblement top secret, c’en est trop. Elle vient encore de prouver qu’elle fuit les discussions délicates. Je ne suis pas une référence dans le domaine des personnes qui affrontent des sujets difficiles, au contraire même mais avec le temps j’apprends à éviter ces solutions de facilité. « Et c’est pas que je veux te cacher quoique ce soit. J’aime pas avoir ce genre de secrets entre nous. C’est juste que… Ce serait balancer Diego sous les roues, et j’ai pas envie de faire ça. » Je la regarde avec les sourcils froncés, que veut-elle dire par là ? “Hein ? Comment ça ?” Elle en a trop dit et je ne compte pas la laisser s’en tirer avec ces miettes d’informations qui ne m’aident pas du tout, au contraire. « On s’est disputés après la soirée. Il m’a supplié de ne rien dire parce qu’il voulait pouvoir présenter sa version de l’histoire. Et moi, je veux juste pas qu’on se retrouve… dans ce genre de situation, toi et moi. » Je soupire à nouveau, elle tourne autour du pot et je suis fatigué d’attendre qu’elle crache le morceau. « Est-ce que tu peux pas juste… lui demander ? Et me laisser en dehors de tout ça ? C’est même pas comme si ça avait encore de l’importance pour moi. » Attendre que Diego me parle et fasse le premier pas, c'est comme espérer que les poules aient des dents un jour. “J’en ai MARRE de courir après tout le monde pour avoir des explications. Il avait l’occasion de me parler un milliard de fois depuis cette soirée, et il n’a rien fait. Donc si j’attends Diego je saurais jamais rien.” C’est à peine si on se parle pour parler de Tulum et s’organiser pour le garder. En fait c’est comme s’il m’évitait depuis la soirée de remise des prix. Je refuse de devoir supplier mon frère pour qu’il me parle de cette histoire : je n’ai ni le temps ni l’envie pour ces conneries. “Si c’est un problème de conscience t’en fais pas je ne lui dirais que je t’ai forcée à tout me balancer et que tu n’y es pour rien, vu que ça a l’air de t’inquiéter.” Parce qu’il est là le problème : elle n’a pas envie de se mouiller et d’être responsable de quoique ce soit. J’ai l’impression que c’est la seule chose qui l’empêche de me raconter la vérité sur Diego et ses secrets visiblement gênants. “Mais j’ai besoin de savoir,. C’est mon frère quand même.”

« Putain. » Je la fixe avec un regard noir. Elle a l’air d’être agacée par mes questions mais je m’en fiche : celui qui doit être énervé dans cette histoire c’est moi. Tout le monde me prend pour un con, me cache la vérité et j’en ai plus qu’assez. « Vous me… » Comment ça “vous” ? Je n’ai rien fait moi. « T’en fais pas pour ma conscience. J’ai prévenu Diego que je promettais pas de tenir ma langue si ça risquait de causer des problèmes entre nous. » J’espère bien qu’elle n’était pas prête à tout sacrifier entre nous pour mon frère, je l’aurais extrêmement mal pris. « Je lui ai aussi promis que tu réagirais pas aussi mal que ce qu’il a l’air de penser et qu’il était dramatique pour rien. » Je monte lentement mais sûrement en pression, elle tourne autour du pot et si elle ne crache pas le morceau très vite je risque de ne pas être patient longtemps. Si Diego a peur que je réagisse mal c’est que c’est quelque chose de grave, de très grave. « Et avant que je commence, garde juste en tête que ça partait d’une bonne intention, ok ? Et que de toute façon, c’était y a longtemps. » Je soupire bruyamment, ma patience atteint ses limites. D’ailleurs ça doit se voir sur mon visage : j’ai la tête des mauvais jours et je ne fais rien pour la cacher. « J’ai pas été honnête avec toi sur la raison de notre rupture avec Diego. Enfin, pas totalement. Oui, on était dans deux mondes totalement différents, nos modes de vie ne coïncidaient pas, on n’arrivait plus à trouver du temps pour notre couple… » Mon poing se crispe dans la poche de mon pantalon quand elle dit ne pas avoir été honnête. J’ai toujours été honnête avec elle de mon côté. Bien sûr il y a toute cette histoire du nouvel an mais j’ai toujours assumé mon erreur. Je ne lui ai jamais menti et j’ai fait de mon mieux depuis pour que tout aille bien entre nous. J’ai fait des efforts de communication, je me suis ouvert à elle et en retour qu’est-ce que j’ai ? Du mensonge. « Mais je l’ai surtout vu embrasser un type durant une soirée, peut-être une demi-heure après qu’on se soit disputé. » Mes yeux s’écarquillent et ma bouche s’ouvre sans qu’aucun mot n’en sorte. Est-ce que j’ai bien entendu ce qu’elle a dit ? Elle a bien dit “mec” ? « Le même gars avec qui il parlait à la galerie. » Je ne m’attendais pas à une annonce de ce genre et je suis totalement pris de court. Je me sens con, abasourdi par les révélations d’Em que je n’arrive pas encore à process. “Je euh. Quoi ?” Je n’arrive pas à aligner trois mots, j’ai l’impression d’avoir pris une grande baffe en pleine tête, c’est la douche froide. “Dis moi que tu déconnes et que tu me fais une blague s’il te plaît.” Je lui demande les mains jointes devant ma bouche avec un air très sérieux. “Non mais c’est pas possible, Diego c’est pas un..” Je n’arrive même pas à prononcer le mot. “Fin il est pas comme ça, c’est pas possible.” Je comprends mieux pourquoi il a complètement fui la discussion en tout cas. Mais pourquoi est-ce qu’il n’a rien dit avant ? Pourquoi Em m’avoue ça avec deux ans de retard ?

« Pas comme ça ? Tu veux dire, possiblement attiré par les hommes ? C’est ça qui te fait tiquer ? » La question me paraît presque bête. Bien sûr que c’est ce qui me fait tiquer dans l’histoire. “Bah oui ?!” Je fronce les sourcils pour souligner l’évidence de la réponse. Mon frère, celui avec qui j’ai partagé ma chambre depuis des années et que je pensais connaître est en fait gay, bien sûr que ça me fait réagir. « Une des raisons pour laquelle on s’est disputé et on ne se parle plus pour le moment, c’est que je t’ai défendu quand il a dit que tu réagirais mal. Il a pas mis le terme ‘’homophobe’’, mais l’idée était là. » Je soupire en pinçant l’arrête de mon nez, complètement excédé par cette situation. Comment est-ce que je pourrais bien réagir à une annonce dans ce genre qui n’est même pas faite par Diego lui-même ? Je calcule en même temps depuis combien de temps ils cachent ce petit secret : au moins quatre ans, bordel. « Ne me donne pas tort, s’il te plaît. J’ai pas envie de découvrir une facette de toi que je suis pas sûre de pouvoir accepter. » C’est là que l’évidence me frappe : Em n’est pas hétéro non plus. Merde. Je passe pour le dernier des enfoirés là c’est sûr et je ne veux pas qu’elle croit que je suis contre elle à ce niveau-là : je veux juste qu’elle comprenne mon point de vue. “Non mais je suis pas homophobe. Mais mets toi à ma place c’est mon frère, c’est pas rien ce que tu m’annonces là.” J’accentue le pas pour qu’elle ne se sente pas concernée. Le ton monte et j’espère que les murs de l’hôtel sont assez épais pour éviter aux voisins d’entendre toute notre discussion. « Et si tu tiens vraiment à lui… garde ça pour toi. C’est pas à nous d’en parler. » La première chose qui me vient en tête quand elle parle de garder le secret c’est putain, il faut pas que Rudy apprenne ça. Parce que si Diego appréhendait ma réaction je pense qu’il devrait surtout s’inquiéter de savoir comment Rudy réagirait en apprenant ça. Je ne préfère même pas imaginer ce qu’il lui ferait subir. “Y a que toi d’au courant ?” Traduction : qui d’autre dans ma famille est au courant de ça ? « Viens. » Elle me tend la main mais je secoue la tête de gauche à droite. “J’ai besoin d’aller prendre l’air cinq minutes.” Je soupire à nouveau. "Seul." Si on avait été à Brisbane je serais sûrement rentré chez moi pour m’enfermer dans ma chambre avant d’aller confronter Diego. Ici c’est impossible, je ne peux pas rentrer comme ça et planter Em mais je ne suis vraiment pas d’humeur pour quoique ce soit dans le genre. “Je peux pas faire comme si t’avais rien dit, j’ai besoin de …de… digérer ça.” J’ai besoin de réfléchir à ce qu’il vient de se passer, besoin de me calmer pour essayer que ces vacances ne tournent pas au vinaigre. Je n’ai pas envie que cette histoire avec Diego vienne créer des tensions entre nous après tous les efforts que l’on a pu faire pour apaiser les choses entre nous. Décider d’aller prendre l’air c’est le seul moyen que je trouve tout de suite pour désamorcer la situation, je sais que la solitude me fera du bien. “J’ai pas envie de dire des trucs que je pense pas et que je vais regretter. Je reviens ok?” J’attrape une paire d’écouteurs au vol et mon téléphone, avant de quitter la chambre d’hôtel pour marcher sans but, la musique à fond dans mes oreilles pour évacuer le trop plein d’émotions que je ressens en ce moment. Après plusieurs dizaines de minutes et après avoir retrouvé un semblant de calme je rebrousse chemin avant d’envoyer un message à Diego : “Il faut qu’on parle”.