(museum) L’endroit a quelque chose d’apaisant. Les visiteurs s’accumulent de l’autre côté des grandes baies vitrées, et eux restent à l’abri des brouhaha dans le petit café attenant. Ils y sont installés depuis plusieurs minutes déjà, Ambrose ayant mis son téléphone sous silence pour passer l’après-midi avec sa sœur et ainsi l’informer en bonne et due forme de la fin de ses fiançailles avec Cassie. Il a précisé qu’ils se sont quittés en bons termes, il a précisé qu’ils ont sans doute voulu aller plus vite que la musique et que bien d’autres choses les ont rattrapés. Il n’a rien précisé d’autre, parce que le reste ne peut pas être connu de sa grande sœur et parce qu’il estime de toute façon que ça n’a pas grande importance. Il a le même chagrin d’une personne qui vit une véritable peine de cœur, mais il n’a pas à préciser qu’elle n’est pas due à l’autre moitié à laquelle elle pense: Cassie n’est coupable de rien, et Ruben est toujours l’éternel cœur de tous ses problèmes. Ce sont des détails qui n’ont pas de véritable importance pour Flora. Elle aurait bien plus mal au cœur qu’autre chose à apprendre sur le tard que son frère lui a menti, ce qui vaut pour elle autant que pour le reste de toute leur fratrie. L’objectif est qu’elle ne sache jamais rien de la réalité des faits ; elle ni personne. Un secret n’est bien gardé que s’il n’est pas partagé, et le fait que Ruben soit au courant des faits est déjà un risque de trop pris par Ambrose. Face au chirurgien, il n’a pourtant rien su lui cacher, comme toujours.

Après avoir précisé qu’il allait dormir chez Malone quelques temps, il jauge la réaction de sa soeur sur ce point, bien conscient que lui et son aîné n’ont jamais su tenir plus de cinq minutes sans se jeter des reproches à la figure: si on lui demande, il dirait que lui non plus ne trouve pas que c’est une bonne idée. « J’ai vu Blake en décembre, après la tempête. » Ambrose finit par ajouter et préciser, tant parce qu’il s’agit aussi d’une des choses dont il voulait lui parler que parce qu’il a à cœur de passer à autre chose et ne plus jamais reparler de ses fausses fiançailles. « Il est toujours aussi con, si jamais tu te poses la question. » Est-ce qu’il ne le porte pas dans son cœur, peut-être ? Sans doute, oui. Justement, ses mots ne laissent aucune place au doute et s’il reconnaît la qualité professionnelle de Aldridge, il a du mal à lui donner la moindre qualité humaine, son esprit étant largement biaisé par les liens que ce dernier entretient avec les jumeaux. Liens qu’il a par ailleurs à coeur de gratter, incapable de se contenter d’une quelconque zone d’ombre en ce qui concerne sa famille. « Vous avez gardé contact, vous deux ? » Sa tête se penche légèrement, signe que la réponse que s’apprête à lui donner Flora recueille déjà toute son attention et bien plus encore. Il est l’ami d’August et le collègue de celui-ci, mais puisque les jumeaux ont parfois tendance à ne faire qu’un et à mélanger leurs contacts, on ne sait jamais. L’affaire du foulard viendra plus tard: depuis le temps, ils ont pu en parler et se créer une histoire de toute pièce, alors Ambrose ne lui donne plus tant d’importance. Avec tout ce qu’il s’est passé depuis le début de l’année, il ne place plus les histoires de coeur et les secrets de sa soeur en tête de liste de ses priorités, notamment parce qu’il en a sans doute autant qu’elle en retour et qu’il la détesterait si elle venait fouiller dans sa vie privée. Ainsi donc, il se contente de lui lancer une perche, sans être certain de vouloir qu’elle la saisisse en retour.

« Tu es un vrai mystère Rose, j'espère que tu vas bien. » Il sait bien que ces mots ne sont en rien un compliment mais son premier réflexe réside tout de même dans un sourire qu’il esquisse à l’égard de sa sœur. Il n’a pas l’intention première d’être un mystère pour elle, mais il n’a pas non plus l’intention de lui parler avec une transparence toute particulière. « T’en fais pas. » Il rétorque dans un sourire, ce qui est sans doute le meilleur moyen pour qu’elle s’en fasse justement pour lui. En réalité, il a simplement à cœur que le temps passe autant que possible en lui prouvant qu’il ne fait pas toujours les pires choix de vie qui existent en ce monde. « Quoi, c'est un genre de nom de code pour me dire que tu es danger ? Il faut que je fasse quelque chose pour te venir en aide ? » Cette fois-ci, il étouffe un véritable rire. Après tout, ce n’est pas un secret pour qui que ce soit que les liens avec son frère sont bien plus souvent difficiles qu’autre chose - et ça, c’est quand ils ne sont tout simplement pas rompus. « On se dispute toujours, si ça peut te rassurer. » Il rétorque dans un sourire, lui prouvant ainsi que c’est bel et bien la vérité: qu’il dorme sur son canapé n’est toujours pas suffisant pour qu’Ambrose apprenne à se la ferme, de toute évidence. Et en retour, Malone n’est toujours pas prêt à mettre de l’eau dans son vin, ce qui pousse la relation entre les deux frères à ne jamais changer, même alors qu’ils vivent désormais sous le même toit. Cela ne fait qu’aider à exacerber les tensions.

En réalité, il a bien plus à coeur de parler de sa première discussion avec Blake depuis des années plutôt que des relations éternellement tendues entretenues avec leur frère. « Ça a toujours été l'amour fou vous deux, je suis au moins rassurée qu’une chose n'ait pas changé. » Et de ça, il est presque assuré à son tour que cela ne changera jamais tant il ne porte pas cet homme dans son cœur, le fait que l’article contre Saül Williams étant paru dans son journal n’ayant rien changé à un problème bien plus présent. C’est viscéral, voilà ce qu’il en dit mais surtout ce qu’il en pense, tout en préférant préserver les détails pour sa sœur qui, de son côté, n’a rien demandé quant à cette guéguerre d’ego. « Tu vois que je t’apporte des bonnes nouvelles parfois. » Il répond avec un sourire, son ton empli d’humour. En réalité, il sait qu’il serait prêt à faire des efforts, mais dans les faits il n’a surtout aucune raison d’en faire et il n’a pas envie de risquer de se brûler les ailes si jamais face à lui Blake ne fait pas le moindre effort. Le statu quo n’est pas si pire, à bien y repenser. « Qu'est-ce que tu entends par garder contact ? » Son visage bascule volontairement sur le côté, à un angle trop peu naturel pour que son attitude crie autre chose que “vraiment, Flo ?”. Il n’en pense pas moins, n’ayant pas à coeur de jouer au jeu de l'indicible avec sa soeur, ce qui est un nom politiquement correct pour ne pas simplement le qualifier du jeu du plus stupide. Il sait très bien que Blake a dû lui parler de leur accrochage, il n’imagine pas un monde où il ne l’aurait pas fait, au moins pour se couvrir lui et ses secrets et petits mensonges. « Tu penses peut-être que Blake est un con, mais ça n'empêche pas qu'il ait du goût en matière de fringues. Tu es jaloux, toi aussi tu veux un de mes précieux foulards ? » Et déjà, il n’a plus réellement envie de rire aux blagues de sa soeur, ayant un peu trop l’impression d’être pris pour un con alors qu’il fait de son mieux pour se montrer présent pour elle. « Tu peux pas me reprocher de pas tout te dire si t’en fais pas autant, Flo. » Il rétorque donc sur un ton égal, prêt à faire des efforts uniquement si cela peut signifier qu’elle en ferait tout autant à son tour, sans doute trop impacté par sa relation avec Ruben et les efforts qui vont éternellement dans un seul et unique sens. Il ne veut pas avoir à en penser de même pour sa propre soeur et il ne veut pas croire qu’elle n’a pas simplement confiance en lui. « Je l’aime pas, mais j’en aurais moi aussi des choses à dire sur les décisions amoureuses foireuses. » Quand bien même tomber amoureux n’est pas une décision, évidemment. Elle comprendra sûrement ce qu’il veut dire par là, si seulement elle fait des efforts pour qu’ils arrivent à créer une véritable discussion au-delà des non dits. « Ou même juste relations tout court, tu sais. Je suis plus un gamin. » Si elle était juste venue chez lui pour une soirée sans que cela n’implique le moindre sentiment et simplement un aspect charnel, il pourrait l’entendre. Il ne voudrait certainement pas les détails, mais il chercher simplement à comprendre ce qu’il en est plutôt que d’être pris pour un imbécile par tous les parties impliqués.

Il n’aime pas voir Flora comme ça, mais il pense malgré tout que cela représente un passage obligé pour que leur discussion puisse évoluer. L’idée de faire un interrogatoire ne l’amuse pas le moins du monde non plus mais, là encore, il sait que s’il n’essaie pas de lui tirer les vers du nez alors sa soeur n’en dira rien, comme elle n’en a sûrement jamais rien dit au cours des nombreuses années écoulées.  « C’est de famille j’imagine. » Le constat est amer mais pas erroné pour autant. Personne dans la famille ne pourrait être un exemple à suivre en matière de choix amoureux, même un James qu’Ambrose encense à longueur de journée : son mariage n’est pas exemplaire, surtout alors qu’il n’en a que le nom. Sans doute que lui, au contraire d’August, a au moins le mérite d’avoir su aller jusqu’au mariage - et Ambrose, dans les faits, se retrouve rangé au même niveau que son frère pour ça.

Le brun relance une fois de plus la discussion pour obtenir des explications de sa soeur, ce qui semble être la fois de trop à en juger par l’ardeur avec laquelle elle lui répond finalement. « Blake n’a plus d’importance. » Un brin vexé par sa réaction, Ambrose se tait et relève le menton, comme pour lui signifier qu’il n’en reste pas moins fier malgré tout. Blake n’a plus d’importance mais il en a eu. Beaucoup. Longtemps aussi, peut-être. « Il en a eu puis en a fait mauvais usage. Deux fois. » La précision sur le deux fois brise quelque chose en un Ambrose qui se reconnaît un peu trop simplement et un peu trop facilement à travers les mots de sa sœur, et ce sans qu’ils aient eu besoin de se concerter pour ça. Il a été le premier, il a été le dernier, et à la place de l’empathie envers a soeur, c’est une véritable colère qui naît peu à peu à l’encontre du Aldridge - et maintenant, Ambrose comprend ce que James a pu ressentir lorsqu’il lui a parlé de Ruben avec un peu plus de détails sur leur relation-non-relation. « C’était quand ? La première fois ? » La dernière, il la date autour du foulard qu’il a retrouvé chez l’homme en question, raison pour laquelle il se garde de formuler la question alors qu’il a assez d'éléments pour obtenir sa propre réponse. « T’en as parlé volontairement à August ? » Ou est-ce qu’il nourrissait des doutes, lui aussi ? A quel point personne n’ose se confier à personne dans leur famille, en réalité ?

De son côté, il presse un instant ses lèvres l’une contre l’autre pour se donner le temps de réfléchir à ses propres mots. Il ne peut pas tout avouer à sa sœur et cela n’a jamais été son but, mais il souhaite malgré tout se décharger d’une partie du poids enfonçant son cœur. Ironiquement, il a le choix en termes de relations douteuses et il ne sait pas s’il veut parler de Ruben ou de Cassie en priorité. Sans doute que le second choix s’avère être le plus avisé des deux, même s’il est aussi celui qui lui pèse bien moins sur le cœur. Ils devront tous l’apprendre rapidement, de toute façon. « On va sûrement rompre, avec Cassie. » La temporalité de sa réponse n’est qu’une question de perspective. Tout comme le terme de “rompre” l’est tout autant : ils n’ont jamais été amoureux d’aucune façon, ils étaient simplement en couple pour le paraître. « C’est… C’est bizarre de se dire que j’étais prêt à faire ma vie avec quelqu’un et finalement on va sûrement plus jamais se parler de notre vie. » Sur ce point au moins, il ne ment pas. L’impression est étrange et rien ne l’a jamais préparé à une telle chose. « C’est moi qui l’ai convaincue qu’on se fiance. Ça me donnait l’être d’être plus adulte, ça signifiait qu’on allait plus me faire confiance et voter pour moi. Mais j’ai pas assez pensé à elle au milieu de tout ça. » Les mensonges prennent la forme de vérité, si bien qu’il voudrait lui-même y croire. La réalité n’est pas si terrible sous cet angle, mais elle n’en fait pas moins de lui une personne au cœur brisé. Il l’est. Pas pour ces exactes mêmes raisons, mais peu importe. « On fait tous des choix stupides, je crois. Mais sur le moment, on pense avoir raison. » Ce qui fonctionne pour leurs histoires à tous les deux, pas vrai ? « Qui a eu l’idée ? La seconde fois ? » Il demande finalement, son timbre de voix plus doux que jamais tant il comprend que l’exercice peut être difficile pour sa soeur.