C'est sûrement très ironique pour quelqu'un qui s’est évertué à se détruire de bien des façons par le passé, car Mickey aura attendu d'être encerclé par la mort pour décider qu'il ferait finalement tout pour ne pas y laisser sa peau, lui aussi. Et faire de Rhett son complice dans un tel monde lui semblait être initialement une bonne idée, avant que leurs intérêts respectifs ne viennent semer entre eux des divergences que le boxeur peut déjà voir venir. La question de ressusciter l'un de leurs proches se pose, et tous deux semblent avoir un avis aussi forgé qu'il peut être égoïste. « Tes parents seraient de toute façon morts avant toi. C’est juste la loi de la nature. » Il ronge son frein face aux mots de Rhett, en l'insultant peut-être bien de tous les noms dans sa tête car pendant que son ami débite des absurdités, Mickey pèse le pour et le contre d'une décision qui ne sera pas simple à prendre. Et à ce propos, justement : « Tu saurais même pas choisir entre les deux. » Vrillant un regard nettement plus sombre vers lui, le boxeur serre les poings tout en se retenant déjà de lui sauter à la gorge pour le principe. « Et qu’est-ce que t’en sais, hein ? » Rien, en l'occurrence. S'il ne nie pas que choisir entre les deux serait difficile, Mickey est pour autant bien décidé à tomber d'accord avec lui-même pour ne pas perdre la possibilité d'être un peu moins orphelin, demain. « T’es pas dans ma tête alors ferme-la, pitié. J’ai juste besoin de me concentrer. » Et de réfléchir à comment faire revenir sa mère sans culpabiliser pour son père, ou inversement. L'avantage d'être l'unique survivant de sa fratrie est au moins que ni son frère, ni sa sœur ne pourront après ça lui demander des comptes – comme si Mickey était du genre à en rendre, pour ce que cela vaut. « Il aide la population. » Un argument que le boxeur ne semble pas prêt à entendre, saisissant à la place la première occasion pour rappeler que lui aussi peut jouer à ce petit jeu du mérite si Rhett y tient vraiment. « Mon père était flic, pour ta gouverne. » Et là-dessus, il espère peut-être bien lui clouer le bec.

« Faites revenir mon frère. » Il n'a sans doute jamais tourné aussi vite sur lui-même pour fusiller quelqu'un du regard, incapable de croire que le Hartfield puisse être à ce point individualiste. « Quoi ? » Ils sont censés en discuter, quand bien même Mickey n’envisage pas un autre scénario que celui consistant à ramener à la vie l’un de ses parents car de quel droit Rhett se permet-il de prendre cette décision pour deux ? La vieille femme l'empêche alors de le gratifier de tous les noms d'oiseau qu'il connaisse, et cela pour souligner une règle essentielle. « Il me faut l’accord de vous deux. L’accord sincère. Ce sont les ondes qui le demandent. » Et qui sont-ils pour ne pas donner aux ondes ce qu'elles veulent ? « Sincère, hein. » raille-t-il, son regard glissant un instant vers Rhett tout en se jurant qu'il n'obtiendra pas le dernier mot aujourd'hui, à moins de le tuer d'abord. « C’est non. » Mickey annonce d’une voix ferme, sans laisser la moindre chance à une négociation sur ce point car pourquoi devrait-il se sacrifier, et accorder à Rhett un droit que lui n'aura pas ? « Ce sera l’un de mes parents ou rien. » il insiste même, enfonçant le clou d'un débat promettant d'être interminable car vues sous cet angle, les choses ne laissent pas franchement entrevoir l'ombre d'un terrain d'entente. « J’ai perdu les deux alors ça devrait compter, et garde tes histoires de foutue loi de la nature pour quelqu'un d'autre, j'en ai rien à secouer. » À l’âge où il les a perdus, non, leur disparition n'avait rien de logique ou de naturel, car ses parents avaient après tout à peine la quarantaine. Ce n'est pas un âge pour mourir et laisser derrière eux trois enfants, et ce n'est visiblement pas non plus un âge que Mickey devrait atteindre, s'il s'obstine dans cette direction. Peu importe. « Mon père. C'est lui qui mérite de revenir. » Il finit par trancher car le manque de son paternel est plus grand, en raison d’une mort violente survenue lorsque Clancy était en service. Franckie a quant à elle dépéri sous ses yeux et son fils se dit qu'elle est au moins en paix et ne souffre plus là où elle est. Son choix est donc fait et son regard, lui, retrouve celui de Rhett avec tout autant de dureté que celui que son ami fait reposer sur lui. Là-dessus, ils ne sont pas plus avancés.

Ignorant la question qui lui revient en pleine figure, Mickey préfère rappeler à son compagnon de galère que son père était au moins aussi utile que son frère, quand bien même il se refuse à mettre qui que ce soit au même niveau que lui. Clancy a été héroïque jusque dans ses tous derniers instants et c'est en cela qu'il est le candidat tout désigné pour revenir à la vie, selon le très humble avis de son fils. « Donc tu comptes pas ramener ta mère ? » S'il rechigne encore à prononcer la chose de cette manière, il semble en effet que ce débat intérieur soit plus vite réglé qu'il ne le pensait avec lui-même. Il aime sa mère tout comme il aime son père et il ne fait aucun doute que Franckie lui manque comme s'il était encore un enfant, mais Mickey est d'avis que certains morts méritent aussi d'être laissés là où ils sont quand ils en ont autant bavé de leur vivant. Car après tout, s'il la fait revenir alors ce sera cette foutue tumeur qui reviendra sans doute, elle aussi. « Elle a le droit de se reposer, je sais qu'elle m'en voudrait pas. » Elle le comprendrait tout comme son père à la seconde où il saura que sa femme a perdu un long et douloureux combat contre la maladie, en admettant que ces deux-là ne se soient pas déjà retrouvés là-haut pour veiller sur lui. C'est donc tout vu en ce qui le concerne mais Rhett a fait son propre choix, et celui-ci ne risque pas de convenir au boxeur dont l'accord ne sera certainement pas donné si cela le condamne à le laisser purement et simplement gagner.

Il ne lui fera pas ce plaisir, et tant pis s'ils ne tombent jamais d'accord car s'il osait, il n'hésiterait pas à souligner qu'on peut avoir plusieurs frères, mais qu'on n'aura jamais qu'un seul père. « Imbécile. » Peut-être, et cela lui passe pour ainsi dire au-dessus de la tête. Sa décision est prise tout comme celle du Hartfield, de quoi laisser présager qu'aucun commun accord ne saura être trouvé à moins que l'un d'eux n'accepte finalement de se sacrifier – plutôt mourir, pense aussitôt Mickey. « Prépare toi plutôt à lui faire des adieux dignes de ce nom. » Oh, parce qu'il s'imagine sans doute que le réduire brutalement au silence rendra son frère plus méritant pour revenir. Il se battra si cela s'avère nécessaire, Rhett n'a vraiment pas à s'en faire et c'est sans attendre qu'il vient même grogner un « Je t'emmerde » venu tout droit du cœur. « On va devoir jouer ça au hasard, t’en es conscient ? » N'est-ce pas finalement la façon la plus juste de trancher ? Si, mais Mickey n'a jamais été très copain avec le hasard et c'est d'autant plus vrai quand cela veut dire qu'il a une chance sur deux d'être le grand perdant de l'histoire. Il veut revoir son père, aucun autre scénario ne sera pour lui acceptable alors acceptera-t-il vraiment un résultat qui pourrait ne pas être à son avantage ? Il ne promet rien mais consent malgré tout à laisser n'importe quelle forme de destin en décider. « Tout ce qu'il faudra plutôt que te faire une fleur. » Le hasard sera toujours moins têtu que lui, et Mickey se connait assez pour savoir qu'en débattre un peu plus leur garantirait juste de se taper dessus. Cela a encore de grandes chances d'arriver, pour sûr, mais il parvient encore à formuler ce qui suit dans un calme tout relatif. « Et qu'est-ce que tu proposes, hein, qu'on joue ça à la courte paille ? » Il se moque volontiers de cette idée comme s'il avait franchement mieux à proposer, et cela alors qu'un pile ou face serait plus rapidement torché. Peu importe, Mickey désire à ce stade surtout en finir. « Je te préviens, je te crèverai les deux yeux ainsi qu'à ton frère si je te prends en train de tricher. » Le jeu n'a en lui-même aucune importance tant qu'il a une chance de le gagner, et cela à condition que Rhett ne soit pas assez fourbe pour en réécrire les règles de son côté. Il ne lui fait absolument pas confiance, et c'est ce que son regard se charge bien de sous-entendre. « C'est ton idée alors va jusqu'au bout. » En lui présentant un plan, un vrai, et de quoi les départager pour de bon car il ne rêve pas, ses mots ne sont pas loin de sonner comme une menace.

Qu’il rigole tant qu’il le peut encore pense secrètement Mickey, car la maladie de sa mère ne sera jamais un sujet de plaisanterie entre quiconque et lui. Ses arguments le regardent et il est en phase avec ce qui l’amène à trancher en faveur de son père, car ce dilemme qui aurait pu être le sien n’est tout simplement pas le problème de Rhett. Lui n’a qu’un frère à ramener, un seul nom à donner, et le boxeur se jure de ne pas lui faire le moindre cadeau dans ce sens depuis que le hasard est chargé de les départager. Le bon moment pour avoir un peu de chance, si quelqu’un là-haut devait l’entendre. « Un pile ou face fera l’affaire. » Ils n’en débattront pas cent ans, voilà ce que Mickey en pense alors même si l’idée vient de Rhett, ce n’est sans doute pas la pire façon de trancher entre eux. Il leur faut un gagnant, et personne ici ne serait assez objectif pour le choisir. « Tout ce qui pourra permettre de te faire taire. » glisse-t-il avec la voix de celui qui respire à présent difficilement le même air que le Hartfield. Ce pouvoir entre leurs mains fait ressortir le pire des deux hommes qu’ils sont, à commencer par des menaces que l’un et l’autre n’hésitent pas à proférer comme s’ils avaient enterré la moindre amitié censée les lier. Il n’y a plus vraiment d’alliés qui tiennent dans ce monde, et leur duo ne pourrait pas mieux le refléter. « Ca tombe bien, parce que le sentiment est partagé. » Mickey sert les poings en silence, regrettant peut-être bien à cet instant de ne pas connaître un moyen imparable pour tricher, oui. Ce n’est pas digne d’un compétiteur comme lui mais de quoi aurait-il l’air si ce petit jeu se soldait par le retour du frère de Rhett au détriment de son propre père ? Il préfère encore ne pas songer à la possibilité de cette issue, pourtant bien réelle.

Ils doivent en finir, le temps joue indéniablement contre eux car la vieille femme n’attendra pas éternellement que ces deux-là tombent d’accord. Le moment venu et une fois le résultat connu, l’un et l’autre s’engagent d’ailleurs à ne pas contester le choix du hasard même si c’est un peu facile à dire, sans doute. Un accord sincère donc, et pas autre chose. « Pile, ton père. Face, mon frère. » Simple et efficace, une telle façon de procéder leur garantit au moins des chances purement égales et c’est ce que Mickey lui concède dans un bref hochement de tête. « Vendu, on fera pas mieux que ça. » Et cela n’est bien sûr aucunement un compliment fait à Rhett, dont la voix revient un peu trop écorcher son oreille pour que le boxeur n’en vienne pas à froncer durement les sourcils. « Vérifie bien que le lancer est correct, parce que la première tentative sera la dernière. » Pour qui le prend-il, un novice ? S’il est en charge de superviser le lancer alors les choses seront faites dans les règles, si seulement ils étaient encore capables de se faire mutuellement confiance. « Me donne pas d’ordre, je sais très bien ce que je fais. » gronde-t-il, et son premier réflexe consiste à analyser la pièce sous toutes ses facettes pour s'assurer que Rhett ne cherche pas à la lui mettre à l'envers, car il ne faudrait pas que celle-ci possède par exemple deux côtés face comme toute pièce truquée qui se respecte. Fort heureusement, Mickey ne détecte rien qui puisse alimenter sa méfiance et c’est ainsi que le lancer peut avoir lieu dans un silence traduisant bien l’importance de l’instant. D’ici une à deux secondes, le hasard aura tranché à leur place. Et c'est avec effroi que son regard s'ouvre de nouveau sur une réalité bien trop dure à avaler : c'est face, autrement dit le frère de Rhett gagne le droit de revenir à la vie et devant cette idée, Mickey le maudit déjà de tout son être jusqu’à tourner sur lui-même pour ne pas reconnaître son insupportable défaite. « Non putain, c'est pas juste. » Au contraire, c'est très juste car la décision ne vient pas d'eux, encore faut-il seulement admettre que la chance a souri à son soi-disant ami plutôt qu'à lui. « Tu mérites rien, c'est qu'un foutu coup de chance. » Mais il est bien le grand gagnant désigné par le hasard, ce qui le force à abandonner pour de bon l'idée de retrouver son père dans cette vie. Lui, l'orphelin condamné à le rester pendant que Rhett pourra profiter de son frère, dans une configuration des choses que le boxeur trouve toujours aussi injuste. « Je sais pas ce qui me retient de t'arracher les yeux. » grogne-t-il, son regard noir se heurtant à tout ce qu'il peut trouver face à lui. Il le déteste de s'en sortir toujours mieux que lui, et il déteste tout autant son frère de voler une place qui aurait dû revenir à Clancy. Que les Hartfield aillent tous au diable, car l'enfer n'est ni plus ni moins que l'endroit où Mickey les enverrait s'il en détenait le pouvoir. « Vite, qu’on en finisse. » il reprend, donnant l’accord qui leur manquait encore quand bien même cela lui coûte plus que tout. Il préfèrerait avoir disparu lorsque son maudit frère apparaîtra, histoire de ne pas être tenté de le renvoyer d’où il vient alors fébrilement, ses pas s’activent en cercle en attendant que la vieille femme ne règle cette foutue histoire pour eux.