"A la fin du mois. Le 29." - « Je m’attendais pas à ça mais c’est intéressant. » Il pensait avoir du temps, beaucoup de temps. Tellement de temps qu’il aurait surtout noté la date quelque part dans son calendrier pour ne pas l’oublier. Elle lui apprend que c’est tout l’inverse et ça ne fait que l’intéresser davantage, parce qu’il y voit là un besoin de s’organiser en urgence pour arranger son emploi du temps autant que pour trouver le moment de parler à James - et d’ajuster ladite tenue au besoin. Il aurait sans doute décrété qu’elle ne lui laissait pas assez de temps si la personne face à lui avait été quelqu’un d’autre, mais pour Mavis il prévoit déjà de se plier en quatre, le sourire esquissé au coin de ses lèvres tentant de lui faire comprendre qu’elle n’a pas à s’en vouloir de quoi que ce soit. Ils étaient encore des quasi-inconnus il y a peu, après tout. "T’es pas obligé de me le dire parce que je te l’ai dit." - « Mais j’ai le droit de te le dire si je le pense ? » Parce que c’est le cas, lui qui s’est toujours promis de ne jamais mentir à ses proches comme il pourrait mentir face à une foule. Il est transparent, que cela plaise ou non, et bon nombre de ses frères diraient justement que cela ne plaît pas. Peu importe.

La soirée est déjà derrière eux, au sens propre comme littéral du terme. Aucun des deux ne semble la pleurer, et sans doute bien au contraire: Ambrose sait déjà qu’ils seront plus à l’aise chez Mavis, malgré tout. "Je trouvais ça un peu bizarre de simplement te demander si tu voulais passer du temps avec moi, chez moi." Peut-être qu’il aurait trouvé la proposition bizarre sur le moment aussi, mais il n’imagine pas un monde dans lequel il aurait pu y répondre par la négative. « Je crois juste qu’on y est pas habitués. » Ils se sont quittés à un âge où ils se retrouvaient parfois chez leurs parents et n’avaient au mieux que des cabanes dans les arbres (sauf qu’en centre ville, personne n’a de cabane dans les arbres), alors il n’a pas de mal à comprendre le sentiment qu’elle tente de lui partager. Ils se sont quittés enfants, ils se retrouvent à un âge d’adulte où les gens autour d’eux meurent déjà - même si sur ce point, encore, l’expérience de Mavis est différente. ]« On peut appeler ça des apéros dînatoires, ça sonne moins étrange. Juste adulte. » Et sans doute ennuyant à mort, certes, mais l’ennui n’est pas une chose qu’il redoute en compagnie de Mavis, comme tente de le prouver sa tentative d’humour qu’il partage en même temps qu’un regard en sa direction, avant de lui donner sa veste en constatant que la température extérieure n’est pas clémente avec elle. Il réalise que c’est un geste que Ruben aurait eu lui aussi, débordant d’attention qu’il peut parfois être. Sans doute qu’il l’a déjà eu à son égard, d’ailleurs, mais Ambrose refuse d’y penser: l’idée qu’il lui ressemble plus qu’il ne le voudrait a tout pour le terrifier.

"Si je comprends bien, tu veux me faire participer à des meetings politiques ?"
« Dit comme ça, l’apéro dînatoire donnait quand même plus envie. »

Il l’admet dans un rire, sa vocation étant loin d’être aussi attrayante que l’est par exemple tout le monde de Weatherton. "Tant que tu partages les ragots que t’as en stock sur tes adversaires, je vois pas de bonne raison de refuser de t’accompagner à tes soirées officielles sans boisson radioactive. Comment est la nourriture ?" Malgré le rire de Mavis, et tout en comprenant la blague lui-même, il répond pourtant avec un sérieux aussi parfait que théâtral. « Admirable. » Et il esquisse un sourire dans la seconde suivante, prouvant ainsi qu’il comprend où elle veut en venir mais qu’il ne lui ment pas pour autant: les meilleurs petits fours du pays se retrouvant dans des événements du genre. « Et les ragots sont aussi secrets défense que croustillants. » Peut-être qu’au fond de lui, il ressent malgré tout le besoin de lui donner toutes les raisons de venir à ses côtés, alors que si seule la partie raisonnable de son cerveau avait été activée, il aurait déjà compris que Mavis était acquise à la cause. "Tu t’y es déjà rendu avec —" Il déloge son regard du sien, le sujet n’étant soudainement plus si amusant. « Cassie est déjà venue quelques fois, oui. » Elle le devait. Ils sont restés fiancés assez longtemps pour en avoir eu le temps. Du reste, il ne précise rien, il ne commente rien, il ne saute à aucune conclusion, sans doute déjà bien conscient que le cerveau de Mavis mouline bien assez à lui seul. "Tu crains qu’on se fasse des idées sur nous ?" Ses dents raclent une seconde les unes contre les autres. « Les gens s’en feront forcément. » Il préfère être honnête avec elle sur ce point. Si ils retrouvent des personnes qui étaient déjà présentes à l’enterrement de Norman, ils seront même assurés de tenir toute l’histoire entre leurs mains et ne la qualifieront même plus comme une simple idée et possibilité. « C’est notamment pour ça que je te précise d’autant plus que c’est qu’une proposition. Et que tu peux y réfléchir. » Il sera celui qui collectionne les conquêtes, elle sera celle qui ne fait que remplacer la précédente. Voilà ce que tout le monde se dira sans la moindre nuance, et surtout sans connaître la vérité derrière tout ça. « J’ai juste envie de te proposer qu’on se voit dans d’autres circonstances. » Autrement qu’aux funérailles de Norman, mais aussi plus souvent, tout simplement. « Je crois que James le premier s’est fait des idées. Mais je crois aussi qu’il a pas osé creuser. » Il avait déjà précisé à Mavis que son frère avait noté sa présence, mais il ne l’avait pas précisé jusque-là. Maintenant, la vérité est rétablie dans son entièreté et sans doute qu’il en profite un temps pour jauger sa propre réaction, parce que de son côté il n’aurait pas peur des bruits de couloir à leur sujet - et de son côté, surtout, il ne prendrait pas le risque de les faire taire trop tôt.

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@Ambrose Constantine (crédit gif/jericho-gifs)

Elle, elle ne s’attendait pas à ce qu’Ambrose juge le timing de sa remise de diplôme intéressant. Elle en sourit juste, se contentant de lui dire, lui réservant son discours pour lui rappeler qu'il n’était obligé de rien pour beaucoup plus tard, donc "C’est qu’une cérémonie parmi tant d’autres tu sais." Elle disait vrai. Les études de médecine étaient tout un cérémonial répétitif et redondant, l’Institution se sentant obligée de récompenser chaque étape, chaque cycle, de ses nouvelles recrues avec un diplôme avant la consécration ultime qui venait après des années et des années de dur labeur. Elle précisa "La plus importante sera celle où je remporterai enfin le droit d’être appelée docteur pour de vrai. Mais pour celle-là, tu devras attendre un sacré bout de temps." termina-t-elle dans un chuchotis exagéré et un léger coup de coude dans les côtes du jeune homme. En somme, s’il n’était pas disponible pour ce gala, il le serait pour un autre, elle ne se faisait pas de souci pour ça. Elle s’immisçait presque dans sa mécanique, elle n’avait pas vocation à la faire dérailler. Cependant, l’idée qu’il juge utile de lui imposer un autre chemin, ça avait quelque chose de particulièrement satisfaisant qu’elle garde pour elle, trop consciente de l’image que ça donnerait d’elle et de ses intentions, lesquelles n’étaient pas de lui arracher quoi que ce soit, pas même une déclaration. Elle tourna la tête vers lui tandis qu’il revenait sur l’idée qu’il pensait vraiment qu’elle lui avait manqué et affronta ses yeux sans rien dire de plus, lui adressant seulement un petit sourire en coin qui pouvait tout et rien dire à la fois, en tirant là encore une certaine satisfaction à l’entendre lui dire ce genre de choses alors qu’ils avaient passé des années entières à ne se soucier ni de l’un de l’autre.

Elle n’avait pas la sensation d’être une opportuniste pour autant "Hm, t’as sans doute raison." Au sujet de ce qu’elle soulevait, du caractère bizarre de l’inviter à passer du temps avec elle sans motif particulier, juste parce qu’elle en avait envie. Elle eut un léger rire, fronçant le nez en se rappelant les moments qu’ils passaient ensemble avant, chaperonnés avec discrétion par un membre de leur famille respective resté au rez-de-chaussée ou bien dans une pièce non loin de celle où ils se trouvaient, véritable cliché de sitcoms datés, comme s’ils étaient du genre à se sauter dessus à la moindre opportunité "Je me souviens que je passais beaucoup trop de temps à espérer qu’on grandisse plus vite pour passer plus de temps seule avec toi." Elle roula des yeux, sachant très bien qu’il pourrait la corriger,  aussi elle le fit elle-même "Genre, vraiment seule avec toi." Un peu embarrassée par les songes de la jeune Mavis qu’elle était alors, celle qu’elle était devenue étant moins farouche pourtant, elle se rendait compte quelque part qu’elle était plus attachée à l’idée de garder un ami qu’elle considérait vraiment que de vérifier leur théorie d’antan qui disaient qu’ils étaient voués à évoluer ensemble en dépassant une limite qui était palpable entre eux malgré la manière qu'ils avaient d’empiéter timidement sur l’espace de l'autre — elle repenserait longtemps à la manière dont il avait joué avec sa mèche de cheveux tout à l’heure "On peut aussi appeler ça des brunchs si ça s’étend tard dans la matinée, ça sonne presque pareil." rétorqua-t-elle, le remerciant silencieusement de ne pas se moquer d’elle, et acceptant volontiers sa veste qu’elle enfila précautionneusement.

Ne se faisant pas prier, elle la referma sur elle et remonta le col sous la barrière blonde de ses cheveux coupés au carré. Elle s’autorisa à sentir l’odeur qui s’en dégageait, retrouva toutes les effluves qu’elle assimilait au jeune homme à ses côtés. La sécurité qui s’en réchappait la fit lâcher un soupir d’aise qu’elle accompagna d’un mouvement de bascule de sa tête pour regarder brièvement le ciel avant de reprendre là où ils en étaient "Je prends admirable. C’est plus engageant que radioactif." Il serait d'accord avec elle "Je vais rencontrer le fils du premier ministre ?" Rapport à ce qu’il lui avait dit tout à l’heure et qui la poussa à, malicieusement, faire danser ses sourcils épais le temps de quelques secondes à peine, se rapprochant de lui pour finalement passer son bras dans le creux de son coude. Elle aimait bien ça, pouvoir se montrer tactile avec quelqu’un sans craindre qu’on ne la surprenne, marchant au milieu de la nuit à ses côtés sans devoir regarder derrière elle pour vérifier si personne ne les voyait — ça la changeait clairement de Ruben. Elle était certaine de retenir le prénom de la fiancée d’Ambrose qu’il mentionna sous sa question, mais puisque ce n’était pas ce qui l’intéressait le plus au fond, elle ne rebondit pas sur ça. Sur le reste en revanche, elle n’hésita pas "Et ça te dérange ?" Qu’on se fasse des idées sur eux. La tête tournée vers lui, elle voulait qu’il voit dans ses yeux qu’elle ne lui posait pas une question piège, et prit de l’avance pour, subtilement, lui faire savoir qu’elle, elle s’en moquait "J’ai pas besoin d’y réfléchir. Pour être franche, j’ai connu pire comme genre de bruits de couloirs." Elle ne parlait même pas de Ruben. A ce sujet-là, curieusement, elle avait été plutôt épargnée. Elle pinça les lèvres, raffermissant l’accroche de ses doigts graciles dans le creux du coude d’Ambrose à ses côtés "Mais tu veux pas juste me proposer de m’emmener voir un film et de prendre une glace avant de me ramener parce qu’on a passé l’âge, c’est ça ?" Ça aurait pu être quelque chose de si simple, et ça l’avait été, à l’époque. Maintenant, elle s’apprêtait à devenir chirurgienne, il s’apprêtait à prendre le pouvoir — elle en était convaincue —, alors peut-être qu’il devaient cesser de se comporter comme les adolescents qu’ils étaient quand ils s’étaient connus ? Sans réfléchir, elle déposa un baiser contre son bras, la fraîcheur du dehors s’étant déposé sur sa bouche qu’elle pinça juste après quand, se fendant d’un sourire, elle baissa la tête pour regarder ses propres pas "Et tu lui aurais dit quoi à James, s'il avait osé creuser ?" Est-ce que c’était si important que ça de le savoir compte tenu qu’il ne se passait rien entre eux ?

"Je me souviens que je passais beaucoup trop de temps à espérer qu’on grandisse plus vite pour passer plus de temps seule avec toi." Il se souvient d’un temps où il était assez jeune et plein d’espoir pour simplement se dire que puisqu’ils étaient en couple et heureux aujourd’hui, alors ils seraient forcément parents à un moment donné de leur vie et habiteraient dans une belle et grande maison en bordure de ville - parce qu’il vaut mieux élever ses enfants un peu en bordure des villes, tout le monde le sait, même Ambrose qui était lui-même un enfant. Malgré tout, il peine à trouver quoi répondre à la remarque de Mavis, non parce qu’il n’a rien à dire mais justement parce qu’il peine à faire le tri dans ses pensées. "Genre, vraiment seule avec toi." Il l’avait sans doute compris avant qu’elle juge nécessaire de le préciser, et c’est ce point qui le pousse à rire doucement. « J’étais un peu plus triste que ce que j’ai accepté de montrer, quand ça s’est terminé. » Ils ont rompu d’un commun accord, assurés par l’idée que leurs vies allaient prendre des chemins différents et que leur histoire n’était qu’une amourette d’adolescents dont personne ne continuerait à parler une fois adulte. Et maintenant qu’ils le sont, adultes, ils remuent déjà le passé avec nostalgie. Avec remords aussi, sans doute. S’ils n’avaient jamais eu l’idée de rompre, peut-être qu’ils n’auraient jamais eu la moindre véritable raison de le faire ensuite. Peut-être qu’ils ne se raccrocheraient pas à des explications de leurs sentiments datant d’une décennie plus tôt.

C’est l’adulte qu’il est aujourd’hui qui lui propose de l’accompagner à certains événements, maintenant qu’il n’y a aucune personne en particulier qui est attendue à son bras - pour ne pas dire personne, justement. "Je vais rencontrer le fils du premier ministre ?" La remarque l’amuse et il échange un regard entendu avec la jeune femme, sans regretter un seul instant d’avoir partagé cette anecdote avec elle. « Y’a de grandes chances. » Il ne sait pas exactement à quels meeting il pourrait être ou non, mais il sait qu’il y sera forcément un jour ou l’autre - et ça amusera grandement Mavis, comme il semble déjà le comprendre. "Et ça te dérange ?" Elle insiste et, pendant un instant, il pose plus longuement son regard sur elle. Il resserre son bras contre lui et la main de Mavis avec, doucement impacté par la morsure du froid. « Non. » Ce n’est pas une bonne idée, ni même une bonne stratégie, mais il n’en pense pas moins. Mavis s’aligne sur la même idée et il ne le commente pas davantage, pas même lorsqu’elle embrasse son épaule et qu’il ne peut s’empêcher d’y réfléchir davantage et surtout de se dire que des amis n’agissent pas de cette manière. Même en partant du principe qu’ils savent pouvoir parler et agir sans filtre entre eux, ils n’agiraient pas de cette façon s’ils étaient simplement des amis. Et pourtant, au fond de lui il ne peut s’empêcher de trouver toute cette histoire dérangeante ; qu’ils aient eu une histoire avec le même homme, qu’ils aient eu une histoire entre eux aussi. "Et tu lui aurais dit quoi à James, s'il avait osé creuser ?" Le fait qu’elle lui repose la question continue de le faire réfléchir, à un point où il en vient même à ralentir le rythme de ses pas. « Que c’est sûrement pas la meilleure période pour envisager d’aller plus loin avec toi pour le moment. » Mais qu’il pourrait l’envisager. S’ils étaient deux à le vouloir, évidemment, et s’ils prenaient le temps d’en discuter ; il pourrait très facilement envisager d’aller plus loin avec Mavis, pour l’avoir déjà fait une première fois. « Et que j’avais assez foiré de trucs récemment pour pas vouloir en faire de même avec toi. » S’il avait été totalement franc avec son frère, c’est ce qu’il lui aurait dit. Maintenant qu’il l’est avec Mavis, il lui partage son ressenti, non sans une certaine appréhension qu’elle puisse lui avouer ne pas avoir du tout le même ressenti. Et quand bien même, il ne regrette pas de lui parler avec transparence ; tant que cela ne fait pas d’eux des inconnus à nouveau si jamais ils ne partagent pas le même point de vue. « Que y’a plein d’autres trucs dont on pourrait parler, et que ça peut être le cas si tu veux. » Ils peuvent passer à autre chose si c’est ce qu’elle préfère: il sait comment aimer une personne sans qu’il en soit de même en retour, après tout, alors il peut très bien continuer à reconstruire son amitié avec Mavis sans mal.

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@Ambrose Constantine (crédit gif/jericho-gifs)

Ils s’étaient quittés d’un commun accord, agissant déjà comme des adultes, de façon posée et rationnelle, pour expliquer que continuer à se voir était une idée qu’il fallait faire passer au second plan de leur ambition dévorante. Au début, Mavis s’était demandée si elle ne s’était pas tout simplement rangée à l’avis d’Ambrose, tachant de décortiquer son raisonnement, et s’indignant en silence qu’il puisse avoir été induit par la manière dont elle se comportait à l’époque. Difficile à cerner, elle se cherchait, défaite de l’ombre d’une soeur qui l’avait clairement empêchée de savoir qui elle était vraiment en dehors de l’entité qu’elles représentaient aux yeux des autres en tant que jumelles. Au fur et à mesure, elle avait un peu réécrit l’histoire en se disant qu’effectivement, ça avait été bel et bien décidé d’un commun accord, que le sien était aussi marqué que celui d’Ambrose, et que c’était la meilleure décision à prendre malgré les longues conversations, les plans définis et la certitude qu’ils auraient été parfaits ensemble. C’était un très beau souvenir, de ceux qu’on n’a pas envie de souiller en revenant dessus trop longtemps, en gardant une image un peu jaunie, un peu granuleuse, mais aussi plutôt jolie compte tenu de la manière dont ça s’était fini. Elle n’avait pas besoin d’ajouter quoi que ce soit à ses souvenirs, pourtant de savoir que ça avait plus peiné Ambrose qu’il l’avait montré à l’époque, ça lui faisait un léger pincement au coeur annonciateur de regret. Elle n’avait pas envie d’en avoir, elle adorait l’idée que ça avait été lui son premier amoureux, ayant depuis longtemps fait la paix avec l’éventualité qu’il aurait même pu être le dernier, du moins le dernier ; aujourd’hui, elle savait qu'il avait été le premier et le dernier pour qui elle avait vraiment ressenti quelque chose de pur et d’innocent. Elle ne voulait pas que ça change sur l’instant, pas même en pensant à ce qu’impliquait la relation que chacun avait avec Ruben. Alors elle ne lui dit rien, lui offrant seulement un tout petit sourire timide qui voulait dire qu’elle était désolée quelque part, si ce n’était de lui avoir brisé le coeur, de l’avoir au moins rendu triste.

Elle ne savait pas comment la suite se passerait, elle essayait de glaner des impressions auprès du jeune homme à ses côtés, ne le lâchant pas tandis qu’elle continuait de marcher à ses côtés "Pour le moment." releva-t-elle, détournant juste un peu le regard pour ne pas le laisser constater que ça la laissait perplexe. Pas parce que l’idée était déplaisante, elle ne l’était pas bien sûr. Mais parce qu’au travers de tout ce qu’elle était capable de faire, lui imposer à nouveau une tristesse inutile ne l’enthousiasmait pas autant que d’imposer à d’autre une vengeance justifiée  ; elle avait peur de ce qu’elle pourrait tirer d’Ambrose si elle se mettait à y réfléchir et à comprendre que, contre Ruben, il était son meilleur allié. Elle voulait passer du temps avec lui parce qu'il était lui, pas parce qu’il était un autre autre avec lequel elle ne se sentait pas à l’aise de rivaliser, mais avec qui elle ne refuserait pas de comploter. Elle chassa tout de suite ça de ses pensées en secouant la tête, sourit de nouveau en ne sachant pas quoi dire d’autre que "Et moi j’ai pas envie que tu sois de nouveau triste à cause de moi." Il le serait indubitablement. Elle ne savait pas pourquoi, mais c’était d’une évidence telle qu’elle n’avait pas besoin de savoir vraiment pourquoi elle avait ce pressentiment. Cependant, elle poursuivit "T’as été assez triste ces derniers temps, t’as le droit d’aspirer à autre chose." Une façon comme une autre de lui faire savoir que la liberté était à sa porte et qu’il pouvait en faire ce qu’il en voulait en ne s’accrochant pas à l’idée d’être avec quelqu’un qui ne le méritait pas — et elle en faisait partie, elle n’essayait même pas d’adoucir cette certitude qu’elle ressentait au plus profond d’elle. Elle posa sa joue contre son bras, marchant toujours à son rythme, et laissa un court silence filer en s’attardant mentalement sur sa dernière phrase "Je pensais à rien d’autre qu’à ça." À parler, si ce n’était pas assez clair. Une partie d’elle ajouta pourtant avec malice "Pour le moment." Et elle n’essaya pas de statuer sur la possibilité qu'il s’agissait là d’une plaisanterie ou non en dépit du rire qui s’échappa de ses lèvres en même temps.

"Pour le moment." Pour le moment. C’est ainsi qu’il voit et interprète les choses, c’est ainsi aussi qu’il les anticipe sans jamais avoir consulté Mavis un seul instant sur ce point: si elle pense autrement, il est assez muet pour qu’elle puisse avoir le temps de le statuer, après tout. "Et moi j’ai pas envie que tu sois de nouveau triste à cause de moi." Il sourit par habitude, Ambrose. Avec le temps, il connaît le discours de la personne désolée de le faire souffrir mais qui ne l’aime pas pour autant ; et tant mieux, dans un sens, parce qu’il n’a pas envie d’être pathétique au point de forcer la main à qui que ce soit sur ce point. Simplement, il aimerait qu’il existe un monde dans lequel il est aimé par la personne qu’il aime, et un monde dans lequel ceux qui démontrent de l’intérêt à son égard suscitent à leur tour son amour. Il a du mal à concilier les deux plans, et il est sans doute plus dépité que jamais par le simple constat qui se dresse: il n’a connu ce schéma qu’à deux reprises quand ils étaient encore des gamins innocents avec Mavis, et quand il a eu une première chance (et dernière véritable) avec Ruben. Depuis, les deux côtés n’ont jamais su s’entendre. "T’as été assez triste ces derniers temps, t’as le droit d’aspirer à autre chose." Et ça, il ne peut pas le nier et il ne le veut pas non plus, raison pour laquelle il continue d’avancer en silence, sans jamais contredire Mavis. Elle a raison et elle est sans doute la première à le savoir. "Je pensais à rien d’autre qu’à ça." Si sa main était libre et non enroulée autour du bras de Mavis, il l’aurait posée contre ses cheveux maintenant qu’elle a reposé sa tête contre son épaule. A défaut, il dégage tendrement son regard sur une scène qu’il n’arrive à observer que partiellement. "Pour le moment." Ambrose sourit simplement, sans prendre le moindre risque de sauter vers une quelconque conclusion. Le temps présent lui convient. Il est celui de la reconstruction et il sait qu’il en a besoin, tout comme il sait que Mavis sera encore là demain et les jours suivants encore. « Ça me va très. Que ça. » Pour le moment. « Tu risques juste que je compare ta chambre d’amis au canapé de Malone et t’es pas à l’abri que j’établisse plein de critères de notes, par contre. » Mais puisqu’il s’agit du pire qu’elle risque à ses côtés, alors ils en conviendront sans doute tous les deux sans mal que le moment présent n’est pas si pire que ça. « J’ai été triste par moments mais c’est pas le cas tout le temps. Je veux juste que tu le saches. » Il revient momentanément sur le sujet, lequel lui semble être important. Il veut qu’elle comprenne qu’elle qu’elle n’a pas à s’en faire pour lui d’aucune manière, parce qu’il refuse d’être un quelconque poids dans sa vie: le quotidien de Mavis lui a aussi donné de nombreuses raisons d’être triste, et il refuse de la traîner par le fond. S’il y a bien une raison pour laquelle il préférerait couper les ponts plutôt que de continuer à simplement lui parler comme il le fait depuis quelques semaines, c’est bien ça.