@Swann Craine

Après son voyage à Melbourne et son catastrophique coming out à ses parents, Min-Kyung était rentré à Brisbane avec la ferme intention de laisser tout ça derrière lui et continuer sa vie comme si rien ne s’était passé. Il demanda à Tessa quelques jours de congé supplémentaires afin de laisser le temps aux ecchymoses sur son visage de guérir. Il lui expliqua succinctement ce qui était arrivé, car elle finirait par l’apprendre de Lincoln de toute façon. Elle se montra compréhensive, évidemment, mais comme Min ne voulait pas non plus abuser, dès qu’il eut l’air à peu près présentable, il retourna travailler en inventant un accident stupide pour expliquer les marques sur son visage. Elles finirent par disparaître complètement, emportant avec elles les dernières questions gênantes sur son apparence.

Retourner aussi rapidement au travail après un événement traumatisant comme ce qu’il avait vécu n’était probablement pas une bonne idée. Min s’en moquait. À ses yeux, travailler était exactement ce qu’il lui fallait. En se concentrant sur ses patients et leurs besoins, il ne pensait pas à ses propres problèmes. Cela étant dit, il ne pouvait pas ignorer éternellement les maux qui commençaient à se manifester. Il a toujours été un bon dormeur malgré son habitude de se lever tôt pour aller courir. Depuis le voyage à Melbourne, il lui arrivait de faire de l’insomnie. Il pouvait aller se coucher le soir, épuisé par sa journée de travail et être incapable de fermer l’œil. Des heures passaient parfois avant qu’il s’endorme. Dans les cas les plus extrêmes, il ne dormait pas du tout. Heureusement, ça ne lui était pas arrivé souvent, mais qu’il ne trouve plus le sommeil aussi facilement faisait sonner quelques alarmes dans sa tête. Le plus sage serait d’aller voir un thérapeute. Il y pensait depuis un certain temps, mais l’idée d’aller s’assoir dans le bureau d’un inconnu afin de lui raconter sa vie ne l’enchantait pas vraiment. En plus, ses genoux faisaient encore des siennes… Au moins, sa relation avec Lincoln était toujours solide malgré l’inquiétude qu’il voyait parfois dans son regard…

Selon la montre intelligente de Min-Kyung, il avait dormi six heures la nuit précédente, ce qui, selon ses nouveaux standards, était tout à fait acceptable. Ça ne suffisait malheureusement pas pour effacer complètement les cernes sous ses yeux, mais il devra apprendre à vivre avec. C’était une chance, car la journée promettait d’être mouvementée. Il s’occupait des rendez-vous d’urgence, donc des surprises en perspective.

Après une rapide pause pour son troisième café de la journée, Min ouvrit le dossier de son prochain patient et, à son grand étonnement, y trouva un nom familier : Swann. Ils ne s’étaient pas parlé depuis quelque temps. Il faut dire que leurs dernières conversations n’avaient pas été très faciles et Min, en toute honnêteté, n’avait pas été un très bon ami. Il s’en voulait, évidemment. Toutefois, plus le temps passait, plus il trouvait difficile de reprendre contact. Tant de choses étaient arrivées depuis leur dernière conversation! En revanche, si Swann était ici, ce n’était pas forcément pour lui parler. Il était là pour une consultation d’urgence avec son chien et Min-Kyung devait se concentrer avant tout là-dessus. Affichant son air de ‘professionnel sympathique’, il passa à la salle d’attente où Swann se trouvait.

« Bonjour Monsieur Craine, suivez-moi, nous allons passer à la salle d’examen. »

Lui faisant signe de le suivre, il passa la porte de la salle qu’il referma derrière Swann.

« Désolé pour le ton très formel » , dit-il avec un petit sourire, « je dois être professionnel. Qu’est-ce qui vous amène tous les deux aujourd’hui? »

(mulligan veterinary) Si Swann peut aisément être considéré comme un papa poule envers sa fille, force est d’avouer qu’il n’en est pas moins gaga de leur chien adopté hier (selon sa propre vision du temps qui passe). Ainsi, lorsqu’une ballade s’est transformée de façon inattendue en boiterie de la part de son Border Collie - supposément croisé avec un Berger Australien, personne n’en sait trop rien et, surtout, personne n’a tenté d’avoir le fin mot de l’histoire -, il a aussitôt pris son téléphone pour contacter la clinique vétérinaire et obtenir un rendez-vous rapide. Habitué à sa propre profession, il connaît bien trop de patients qui tardent avant de prendre leur rendez-vous et voient ainsi un problème mineur et sans importance devenir toujours plus pesant et parfois même dangereux. Après s’être assuré que Rory pourrait garder leur fille cet après-midi même, le rendez-vous a été noté dans son agenda en même temps que celui de la clinique vétérinaire.

« Bonjour Monsieur Craine, suivez-moi, nous allons passer à la salle d’examen. » Le regard de l’anglais se bloque dans celui de Min-Kyung, lui qui ne s’attendait de toute évidence pas à être pris en charge par un homme qu’il considère être son ami autant qu’il craint de reprendre contact avec, ne sachant par où commencer. Leur dernier échange n’a pas été simple, ni même apaisé, et il ne saurait pas même dire si son ami lui en tient rigueur, ou même s’il devrait tout simplement commencer par des excuses. « Désolé pour le ton très formel, je dois être professionnel. Qu’est-ce qui vous amène tous les deux aujourd’hui? » Et puisqu’il n’aborde aucun sujet personnel, Swann décide de ne pas le faire à son tour, se contentant d’un simple sourire poli pour lui faire comprendre qu’il ne lui en veut pas d’avoir joué la carte du professionnalisme - et qu’il lui est au moins reconnaissant de ne pas agir comme s’ils étaient deux parfaits inconnus. « Il s’est mis à boiter à la fin de la ballade. Je le soupçonne d’avoir eu un faux mouvement, quelque chose du genre, mais je voulais pas prendre de risque. » Il confie simplement tout en aidant le chien à monter sur la table métallique. Il redouble de caresses contre son encolure pour que ce dernier n’associe pas la salle d’examen à quelque chose de négatif. « C’est la première fois qu’il fait ça. » Et cela explique par extension le souci qui reste encore celui de Swann, lui qui sait bien qu’une boiterie est bien souvent parfaitement anodine mais qui ne voudrait jamais risquer de manquer d’attention envers son animal. Après tout, il est uniquement là pour aider à son bonheur et à sa santé. « Je suis désolé de te déranger pour si peu. » qu’il finit par souffle, appuyant à son tour sur le tutoiement parce qu’il ne saurait recommencer à zéro avec Min et lui laisser ainsi croire que ces heures entières passées à discuter ne comptent plus pour quoi que ce soit. Ce n’est pas le cas ; simplement, la vie est parfois plus difficile qu’il ne le voudrait et les amitiés se défont bien plus vite qu’elles n’arrivent à se tisser.

@Swann Craine

Min-Kyung observa rapidement le chien qui ne semblait pas particulièrement souffrant. Si sa visite chez le vétérinaire ne lui faisait pas plaisir, il ne montrait aucun signe indiquant qu’il puisse être en douleur. « Il s’est mis à boiter à la fin de la ballade. Je le soupçonne d’avoir eu un faux mouvement, quelque chose du genre, mais je voulais pas prendre de risque. C’est la première fois qu’il fait ça. » « Tu as bien fait, ne t’inquiète pas. Mieux vaut consulter et se faire dire que ce n’est pas grand-chose plutôt que d’attendre en se disant que ce n’est rien alors que ce n’est peut-être pas le cas. » Dans la salle d’examen, il y avait un gros pot en verre rempli de friandises pour chien. Min l’ouvrit et y plongea la main, piquant la curiosité du chien. « Oh, tu sais très bien ce qu’il y a dans ce pot, n’est-ce pas. » La queue s’agita prudemment. Min lui donna une première friandise qui a disparu instantanément. « Je vois qu’on a un bon appétit. C’est toujours bon signe. » Il sourit, gratifiant le chien d’une caresse. « Je suis désolé de te déranger pour si peu. » Min détourna son attention du chien pour regarder Swann en haussant un sourcil, étonné. « Mais tu ne me déranges pas, c’est mon travail. Tu es inquiet pour ton chien et c’est normal. Maintenant, je vais trouver ce qui ne va pas et faire en sorte que ça s’arrange. Cela étant dit, je suis désolé, mais on va commencer par le faire descendre de la table. J’aimerais le voir marcher. On va aller dans le couloir pour avoir plus d’espace. »

Dans le couloir, Min observa le border collie marcher aux côtés de son propriétaire. Effectivement, il présentait une bonne boiterie. De retour dans la salle, Min commença son examen physique. « Les hanches semblent être belles. Est-ce qu’il a été testé pour des problèmes de dysplasie de la hanche et du coude? Je ne vois pas de problème, mais les border collie y sont susceptibles. Ça pourrait être à vérifier plus tard. »  Min força la patte blessée à faire un mouvement qui fit glapir le chien de douleur. « Je sais, je sais, ça fait mal. C’est presque terminé. »  Min lui donna une autre friandise pour détourner son attention avant de poursuivre. Le chien n’appréciait pas, mais Min devait être certain de son diagnostic. « C’est bien ce que je pensais… »  Min-kyung adressa un sourire à Swann. « Muscle étiré. En jouant, il aura fait un faux mouvement. Ce n’est rien de grave. Quelques jours de repos et il pourra reprendre ses activités. »  Min était heureux que ce ne soit pas grand-chose finalement. Il aurait détesté devoir annoncer une mauvaise nouvelle à Swann alors qu’ils ne s’étaient pas vus depuis un moment. « Sinon, comme j’ai dit, tout le reste semble parfaitement normal. Ses hanches sont belles, ses genoux aussi. J’aimerais en dire autant des miens! »

Swann ne peut que tomber d’accord avec son ami lorsqu’il le rassure et lui affirme qu’il vaut toujours mieux consulter dès le départ et ainsi ne pas prendre le risque de voir la situation s’envenimer. Il prend les mêmes précautions avec son chien qu’il le ferait pour un membre de sa famille ou un de ses proches, faisant partie de ceux qui adoptent des animaux pour ensuite les traiter comme des humains à part entière. Ce chien revient de loin, dans tous les sens, et il ne voudrait pas que le moindre mal puisse lui arriver avant l’heure. « Je vois qu’on a un bon appétit. C’est toujours bon signe. » Brownie n’a pas refusé la friandise proposée par Min-Kyung, ce qui rassure un brin les deux humains à ses côtés: il n’y a sans doute rien dont ils devraient réellement s’inquiéter et la visite ne sera là que pour le confirmer. Cela n’empêche pourtant pas Swann de trouver le temps de s’excuser au milieu de tout ça, à peu près certain qu’il y a sûrement d’autres consultations qui pourraient être infiniment plus urgentes à réaliser que celle-ci. Mais puisqu’ils sont là, ils mèneront les choses jusqu’au bout.

« Il est clean de dysplasie. » Il rétorque donc simplement, après que le problème ait été soulevé une première fois par le vétérinaire, ce qui ne l’aide pas complètement à être rassuré lorsque le chien gémit de douleur à la simple palpation de sa patte. Fort heureusement, la conclusion semble arriver rapidement et la gêne du chien est coupée court. « Muscle étiré. En jouant, il aura fait un faux mouvement. Ce n’est rien de grave. Quelques jours de repos et il pourra reprendre ses activités. » Accroupi près du chien, il observe Min lui énoncer les faits tout en hochant la tête avec sérieux. Ses caressent redoublent contre l’encolure du chien pour le rassurer alors que ce dernier peine à comprendre ce qu’ils font dans un tel endroit, lequel n’a rien de semblable à ses lieux habituels de balade. « Tu as eu de nouveaux problèmes, depuis ? » Il rebondit sur le parallèle fait entre la santé du chien et celle de Min-Kyung lui-même, s’en faisant pour l’un autant que pour l’autre. « Il n’y a rien à faire si ce n’est essayer qu’il reste calme, j’imagine ? » Et il imagine surtout que le problème est presque identique pour Min qui, aux dernières nouvelles, ne savait pas se tenir tranquille même pour éviter d’aller faire un footing. « Je crois que pour ça, c’est malheureusement comme pour les humains. » Et il dédie à son ami un regard un brin plus insistant, pour lui faire comprendre que les cinq minutes allouées à la consultation peuvent laisser le temps à un brin de discussion.

@Swann Craine

Brownie n’avait rien de grave même si la boiterie était impressionnante. L’expérience lui avait appris que certains chiens étaient plus dramatiques que d’autres, voire carrément manipulateurs. Quelques jours de repos et il pourra recommencer à courir et à jouer normalement. Min aurait détesté donner un mauvais diagnostic à Swann alors qu’ils ne s’étaient pas vus depuis un moment. Déjà que le fait de le revoir dans ce contexte, même si la situation ne se révélait finalement pas trop sérieuse, n’était pas ce qu’il aurait voulu. Min s’en voulait de ne pas avoir fait l’effort de prendre le téléphone avant et de l’inviter à prendre un café. « Tu as eu de nouveaux problèmes, depuis? » Naturellement, Swann savait pour ses problèmes de genoux. Il en avait parlé très tôt dans leur relation, alors qu’ils s’étaient connus en faisant de la course à pied. Min-Kyung sourit, embarrassé. « Je dois admettre que je suis un très mauvais patient. On m’a conseillé de diminuer la course, alors je me suis inscrit pour le marathon de Melbourne qui aura lieu en octobre prochain. » Au moins il reconnaissait être difficile tout en sachant très bien que son obstination finirait par lui coûter cher. « C’est difficile d’arrêter », dit-il avec un sourire, lui qui courait depuis aussi longtemps qu’il se souvenait.

« Il n’y a rien à faire si ce n’est essayer qu’il reste calme, j’imagine? » Min acquiesça. Dans le cas de Brownie, ce serait plus facile à dire qu’à faire, cette race étant une bombe d’énergie, préférant les grands espaces et une vie active plutôt qu’être confinée à l’intérieur. « Quelques jours de repos à la maison devraient suffire. » « Je crois que pour ça, c’est malheureusement comme pour les humains. » De toute évidence, cette remarque lui était destinée, et ce regard… Swann avait le don de passer des messages avec un minimum de mot. Tout se passait dans ses yeux. Min-Kyung soupira et en profita pour flatter Brownie. « Le problème avec les humains, c’est qu’ils réfléchissent beaucoup et pas forcément de la bonne façon. Là-dessus, je ne me considère pas comme une exception. J’ai contacté mon médecin à Melbourne pour qu’il me dirige vers un spécialiste ici à Brisbane, mais je n’ai toujours pas de nouvelles. Je sais bien que c’est mon dernier marathon. » Nostalgie et résignation teintaient ces derniers mots. Il n’était pas loin des limites de ses capacités, un constat extrêmement frustrant pour un homme dans la force de l’âge comme lui. Il connaissait des coureurs bien plus actifs que lui avec bien plus de courses et qui n’avaient pas de problème. Min avait perdu à la loterie de la génétique et il n’y pouvait rien. « Il y a beaucoup de choses qui sont arrivées ces derniers mois, des très bonnes et aussi des très mauvaises. Ce n’est pas vraiment le bon moment pour en parler, je peux être appelé sur une urgence à tout moment, mais il y a bien un truc que je peux te partager. » De sa poche, il sortit son téléphone. L’instant d’après, il le présentait à Swann. On y voyait Min et Lincoln en train de manger une glace. « C’est mon copain, Lincoln », dit-il simplement.

« Je dois admettre que je suis un très mauvais patient. On m’a conseillé de diminuer la course, alors je me suis inscrit pour le marathon de Melbourne qui aura lieu en octobre prochain. » Les épaules de Swann s’affaissent et il lui lance un regard dépité qui hurle un “sérieusement ?” que l’anglais tente au moins de lui épargner verbalement. Il savait déjà qu’il n’était pas un patient très assidu, il l’avoue sans mal, mais il ne pensait pas que sa désobéissance irait jusqu’à s’inscrire à un marathon. « Dis moi au moins que c’est pour le semi. » Il demande simplement, cherchant à trouver un maigre espoir là où il peut encore le chercher. « C’est difficile d’arrêter » Le sourire de Min trouve à peine son équivalent chez Swann. « C’était pas ma question. » Il répond simplement, sans se montrer trop abrupte dans ses mots alors qu’il est bien conscient qu’ils ne se sont pas parlé depuis longtemps et que ça pourrait être aisément mal interprété. A raison.

Sans chercher à le cacher, il est parfois désolé que régler un problème chez un animal ne soit pas aussi simple chez un humain : Brownie sera au repos forcé quelques jours et ira bien mieux ensuite. C’est une idée qui semble impossible à être suivie par Min, même alors que ce dernier pourrait comprendre pourquoi il doit se reposer, contrairement au chien qui ne peut pas avoir de telles pensées et perceptions. « Tu l’as contacté quand, ton médecin ? » Il tente de déceler si l’absence de réponse de son médecin est une chose normale ou si Min manque simplement un brin de patience. Sur un tel sujet, la limite est fine. Quand il en va de la santé de chacun, les limites sont toujours délicates à définir. Malgré tout, quand Min lui tend son téléphone pour en sortir la photo d’un homme parfaitement inconnu à l’anglais, ce dernier comprend à quel point le temps s’est écoulé depuis leur dernier échange. « C’est mon copain, Lincoln » Son regard quitte le téléphone pour retrouver les yeux du vétérinaire. Jamais il ne se serait attendu à entendre de tels mots de sa part, encore moins aussi peu de temps après leur discussion particulièrement animée sur le sujet de son orientation sexuelle et de son manque d’envie d’en parler à son entourage. « Tu te fous de moi ? » Et même si ses mots pourraient paraître particulièrement durs, le sourire qu’il lui tend lui démontre qu’il n’y a rien dont Swann est en train de lui tenir rigueur. Bien au contraire. « Depuis quand ? » Il ne serait pas vexé que leur histoire date de quelques temps mais qu’il ne lui en parle qu’aujourd’hui : ils ne se parlaient plus vraiment, il n’y a rien de plus logique à cela. Il serait simplement déstabilisé, toujours en comparaison de leur dernier véritable échange. « Je suis si heureux pour toi. » Il statue sincèrement. « C’est… officiel ? Je veux dire, ton entourage le sait ? » Et par là, il veut surtout savoir si ses parents l’ont appris, parce que le sujet avait l’air d’être particulièrement difficile à aborder pour lui et ce n’est pas une chose qui pourrait changer du jour au lendemain, en un claquement de doigts.

@Swann Craine

Une fois encore, le regard de Swann fut plus éloquent que les mots qui franchirent ses lèvres lorsque Min lui avoua candidement s’être inscrit à un dernier marathon malgré les recommandations de son médecin de ne pas le faire. Swann comprenait le sérieux de la situation et Min-Kyung aussi. Il connaissait les risques, mais il avait choisi de les ignorer. Son agacement était donc légitime et lorsqu’il lui demanda si c’était pour le demi, Min tenta d’éluder la question, sans succès. « C’était pas ma question. » Min fronça les sourcils, mais la culpabilité prit le dessus et il baissa les yeux. « Tu sais très bien que si je le fais, c’est pour le 42 km. » Il ne voulait pas se prendre la tête avec Swann. Honnêtement, il comprenait sa frustration, mais Min ne changera pas d’idée. Il courrait pour une bonne cause en plus. « Après, c’est promis, je me mets à la natation. »  Malgré ses efforts pour s’exprimer sur un ton léger, il y avait une pointe d’amertume dans ses paroles. Visiblement, la natation ne lui apportait pas la même joie que la course à pied. Il devra pourtant lever le pied s’il ne voulait pas se faire opérer. Son médecin ne lui avait pas dit de complètement cesser ses activités, mais d’en diminuer l’intensité. Le problème en choisissant de courir un marathon malgré les recommandations de son médecin, c’est qu’il devra s’entraîner énormément afin de préparer son corps à l’effort colossal que ça demandait. Évidemment, Min espérait qu’un deuxième avis apporterait un diagnostic différent, mais c’était un vœu pieux.

« Tu l’as contacté quand, ton médecin? » Min réfléchit un instant. « Ça fait un mois, peut-être plus. Il m’a sans doute oublié. Je vais recontacter le cabinet. » Il jeta un coup d’œil à l’horloge sur le mur. Il devra bientôt mettre un terme à cette conversation, d’autres patients attendaient pour une consultation. Min aurait aimé lui parler plus longtemps, il avait tant de choses à lui raconter. Au moins, il avait le temps pour Lincoln. Lorsqu’il lui montra sa photo, la réaction de Swann aurait été vexante si ça n’avait pas été de son sourire. « Tu te fous de moi? » Min lui fit signe que non, il ne se moquait pas de lui. « Depuis quand? » « Depuis le 4 novembre 2023, mais je l’ai rencontré peu de temps après mon arrivé à Brisbane. Il a fallu un peu de temps pour qu’on s’apprivoise. »  Il sourit tendrement en repensant à tout ce qui était arrivé avant qu’ils avouent enfin ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre. « Et après, je voulais juste en profiter un peu. Je savais qu’après, les choses risquaient de se compliquer. » Et il avait eu raison, malheureusement. « C’est… officiel? Je veux dire, ton entourage le sait? » Il regarda Swann dans les yeux et il finit par acquiescer d’un petit signe de la tête. « Je l’ai dit à ma sœur en premier. Elle a très bien réagi. Elle a dit qu’elle le savait depuis longtemps, mais qu’elle attendait que j’aie enfin le courage de le dire. Elle adore Lincoln. Je sais qu’ils s’échangent des bêtises par texto et que grâce à elle, il a pu mettre la main sur des photos de moi quand j’étais petit. Quant à mes parents… » Son expression s’assombrit. « Disons simplement que je n’ai plus que ma sœur et Lincoln. » Cette conversation avec ses parents le gardait éveillé la nuit. Il repensait aux paroles prononcées, au téléphone lancé contre le mur, au vase qu’il a reçu au visage. L’espace d’un instant, son regard se perdit dans le vide et il ne portait plus du tout attention à Swann comme si son esprit se trouvait ailleurs. C’est un mouvement du chien qui le ramena à la réalité. À la fois confus et gêné par son comportement, Min s’efforça de sourire, encore une fois sans trop de conviction. « Ce sont des choses qui arrivent. Hum… je crains bien de devoir mettre fin à notre rendez-vous, j’ai d’autres patients qui m’attendent. Ça m’a fait plaisir de te revoir… Je regrette de ne pas t’avoir contacté et j’en suis désolé, sincèrement. »

« Tu sais très bien que si je le fais, c’est pour le 42 km. » Et si Swann se retient de faire un commentaire supplémentaire sur ce sujet, le regard qu’il partage avec Min-Kyung lui fait bien comprendre qu’il n’est pas ravi d’entendre de tels mots. Quarante deux kilomètres représente une véritable folie pour n’importe qui, mais plus encore pour une personne dont la condition de santé est celle de son ami. Il a une très mauvaise idée et Swann lui en veut d’autant plus parce qu’il est le premier à le savoir. « Après, c’est promis, je me mets à la natation. » - « Honnêtement ? T’as intérêt. » Il répond sans y réfléchir davantage, sans chercher non plus à nuancer particulièrement ses mots : Min connaît son point de vue et cela ne sert à rien d’en discuter davantage tant les deux mots apparaissent comme irréconciliables sur ce point.

Un sujet sur lequel il se montre bien plus conciliant est celui de son petit-ami, dont il apprend justement l’existence entre deux mots, deux annonces. « Depuis le 4 novembre 2023, mais je l’ai rencontré peu de temps après mon arrivée à Brisbane. Il a fallu un peu de temps pour qu’on s’apprivoise. » - « Vous êtes du genre à avoir une date précise, alors ? » Il souligne avec humour, sans pour autant que ses mots existent pour lui demander davantage de détails : il n’en veut sincèrement pas. Au fond de lui, il est surtout touché de ne l’apprendre que maintenant, même s’il est du genre à respecter la vie privée et ses secrets. Simplement, il se pensait assez proche de lui pour apprendre ce genre de nouvelle sans trop de décalage, ce qui n’est de toute évidence pas le cas. « Je l’ai dit à ma sœur en premier. Elle a très bien réagi. (...) » Le mais arrive, il le sait bien. « Disons simplement que je n’ai plus que ma sœur et Lincoln. » Et Swann hoche la tête, n’ayant aucun mal à comprendre ce que cela signifie pour ses parents et surtout poru la façon dont ils ont pu accueillir son homosexualité et son couple. Il déglutit tristement, toujours aussi mal à l’aise face à des difficultés qui, à son sens, n’auraient jamais dû exister, et pas simplement à leur siècle. C’est sans doute son côté un brin utopiste qui parle de cette manière. « Ta soeur a l’air d’être vraiment une chouette personne. » Ce qui la différencie d’autant plus de leurs parents, pas vrai ?

Il a l’impression que l’excuse de Min-Kyung au sujet de ses patients tombe à point nommé mais, d’un autre côté, il sait aussi qu’il est en train de lui parler sur son lieu de travail, et qui plus est sur ses horaires de travail. En somme, il n’y a rien qu’il puisse dire contre son excuse, même si cela ne le rend pas moins triste pour autant. « On se perd pas de vue de toute façon. Je compte aller à la piscine avec toi, sache-le. » Non par véritable passion pour la piscine, mais parce qu’il sait bien qu’il s’agit d’un sport sain et si c’est la seule excuse dont Min et lui ont besoin tant pour garder contact que pour qu’il arrête la foutue course à pied, alors il s’y inscrira sans y penser à deux fois. Pour le moment encore, il le libère, rassuré quant à la santé de Brownie.