(suncorp stadium) « T’as pas intérêt à te moquer. » Je préviens dans un sourire qui prouve pourtant que je ne suis pas aussi sérieux qu’il n’y paraît - mais quand même, il a vraiment intérêt à ne pas se moquer de mes baskets et de mon accoutrement sportif. C’était une bonne excuse pour lui proposer de simplement passer un peu de temps ensemble, et c’était sans doute aussi une bonne excuse pour que, de mon côté, j’occupe ma tête à autre chose qu’à des peintures qui commencent peu à peu à avancer mais certainement pas au rythme auquel je le voudrais. J’épargne Damon de tels détails, lui qui n’a rien à voir dans cette histoire et surtout lui qui a d’autres chats à fouetter que de s’en faire pour un père qu’il n’a jamais connu comme tel. Je ne le sais que trop bien. « Quelques tours, pas plus. » Je l’avance comme si c’était une condition sine qua non à ma participation alors qu’il s’agit sans doute du maximum dont je sois capable tout en gardant une certaine estime de moi. Je n’ai jamais eu de vocation sportive et ne l’ai jamais caché non plus, il faut bien l’avouer. Puisque l’art ne le requiert pas, cela ne m’intéressait pas non plus.

« Tu saurais le faire en me racontant comment ça se passe, ton boulot ? » J’ajoute un sourire amusé qui tend à faire de cette simple phrase un défi, sans doute parce que j’ai du mal à assimiler que tout le monde ne fonctionne pas autant que moi à la carotte. Même mon propre fils ne fonctionne pas comme ça, et il est même sûrement l’exemple le plus hurlant d’une telle idée. Si j’avais voulu de ses nouvelles, j’aurais très bien pu lui donner rendez-vous dans un restaurant ; mais c’est sans doute parce que je reste encore un peu trop marqué de la façon dont s’est terminé notre dernier repas que je tente aujourd’hui une méthode d’approche différente, avec l’espoir un peu fou que changer la méthode puisse par extension changer la finalité de la discussion. J’ai deux décennies de retard, mais j’ai envie de croire qu’il m’en reste au moins deux autres pour me rattraper, voire trois, voire quatre. Cinq, même, peut-être. « J’ai jamais vraiment travaillé normalement donc si tu me mens sur toute la ligne, j’en saurai rien. » Même si je sais, je sais que mentir serait au-delà de ses capacités. Je ne fais que jouer avec lui, j’essaie de créer du lien. Je tâtonne, surtout. J’avance sans foutu mode d’emploi, et c’est encore plus difficile qu’il n’y paraît, même avec une personne d’aussi bonne volonté que l’est Damon: cela n’empêche que j’ai bien du mal à comprendre ses choix de vie autant qu’à les suivre, et qu’au contraire de lui, je ne sais pas mentir et mimer d’être heureux pour lui quand ce n’est pas le cas. Mais sur ça aussi, j’essaye de faire des efforts. Pas à pas.

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***
Il avait hésité longtemps - comprendre ici: très longtemps, plusieurs jours au moins - avant de répondre positivement à la proposition d’Auden. Ce n’était pas qu’il n’avait pas envie de passer un peu de temps avec lui, c’était davantage que la dernière fois qu’ils s’étaient vus, la conversation ne s’était pas terminée exactement comme il l’aurait anticipé. Pas qu’il n’était pas habitué de ce type de situation, tant les deux hommes Williams n’avaient que trop peu l’habitude de fonctionner l’un avec l’autre; mais cette fois-ci cela l’avait blessé plus que d’autres. Il était question de quelque-chose d’important pour lui, et celui qui était malgré tout son père ne semblait pas y porter lui le moindre intérêt. Il ne demandait pas qu’il soit d’accord avec tous les choix qu’il faisait, mais au moins de montrer un minimum d’efforts. S’il avait fini par accepter l’invitation, cette fois-ci, c’était surtout parce-qu’il avait lui-même prévu de demander à Auden s’il était possible qu’ils se voient: il avait quelques questions à lui poser, et ce n’était pas là celles auxquelles sa mère pouvait répondre pour une fois.

« T’as pas intérêt à te moquer. » Arrivant à sa hauteur, il esquissa un petit sourire amusé, mais en rien moqueur comme demandé. « Promis, je le ferai pas. » Ce n’était de toute façon pas son genre de le faire, ou pas alors qu’il marchait autant sur des oeufs: il ne saurait se concentrer sur plusieurs ressentis à la fois et assurer sur tous les fronts. De son côté, sans grand étonnement, la tenue de sport qu’il avait enfilé lui allait comme un gant; il n’était pas un grand sportif, mais avait toujours été contraint de pratiquer au moins un sport à la fois depuis son plus jeune âge et avait donc acquis avec le temps l’allure qui allait avec la pratique. La course n’était pas son terrain de prédilection, lui étant bien plus à l’aise sur un terrain de golf par exemple, mais il saurait s’en contenter. « Quelques tours, pas plus. » - « Ca me va. » - « Tu saurais le faire en me racontant comment ça se passe, ton boulot ? J’ai jamais vraiment travaillé normalement donc si tu me mens sur toute la ligne, j’en saurai rien. » A cette idée là, il pinça quelque peu ses lèvres, se mettant à marcher à reculons pour lancer la course; c’était exactement pour éviter ce type de moment à qu’il cherchait à la base à connecter davantage avec lui, et que les choses s’étaient dégradées puisqu’à force d’essayer, il avait bien vu que les effets n’étaient pas les mêmes des deux côtés. « T’es au courant que je bosse plus, hein ? » Il haussa un sourcil, les épaules dans la foulée avant de se mettre à courir à petites foulées, reprenant le sens normal de la route. Auden suivrait, c’était lui qui avait lancé l’idée de toute façon. « Je t’ai dit: j’ai quitté la MHI. » Ce n’était pas une surprise cette partie là: ils en avaient discuté, cela n’avait de toute façon jamais été le job de rêve de Damon. « Et j’ai pas pris d’autre poste ailleurs entre temps. » Parce-que même s’il savait que ce n’était pas réellement vrai, une partie du jeune italien restait persuadé qu’un boulot comme l’entendait la plupart des personnes était un poste désigné; parce-que c’était de cette façon là qu’il avait été formaté. Il savait qu’il existait bien d’autres méthodes pour dire qu’il était actif, Auden en était la preuve. « Et pour l’instant je fais pas grand chose à côté. » Parce-que tout avait été choisi pour lui pendant si longtemps que de se retrouver aux commandes n’était pas encore quelque-chose à quoi il s’habituait; il y arriverait, il fallait juste un peu plus de temps.

« T’es au courant que je bosse plus, hein ? » Je pensais bien faire, je jure que je pensais bien faire. Je jure aussi avoir tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de poser une question qui ne me semblait comporter aucune épine, aucune difficulté, aucune zone d’ombre. Il semble pourtant que je n’aurais pas pu me tromper davantage sur la situation actuelle, comme le prouve la réplique cinglante de Damon et les yeux que je ferme un instant pour ravaler mon ego un instant. Il y a aussi des insultes, destinées à moi-même, que je retiens dans le fond de ma gorge. Je sais qu’il a quitté son travail dans l’entreprise de Saül, mais je pensais surtout qu’il avait opté pour quelque chose d’autre depuis le temps. C’est ce que font les personnes qui travaillent: quand un métier s’arrête, ils se mettent aussitôt en quête d’un nouveau. Avec une seconde de retard, je m’élance à mon tour sur le terrain d’athlétisme, accélérant le pas de ma course pour revenir à la hauteur du jeune garçon. « Je t’ai dit: j’ai quitté la MHI. Et j’ai pas pris d’autre poste ailleurs entre-temps. » - « Tu comptes faire quoi ? » Je demande simplement, sans que mes mots ne cachent le moindre sous-entendu. Venant de moi, au moins, il sait que je n’espère pas pour lui qu’il travaille dans une quelconque société ou franchise les étapes de la hiérarchie. Cela ne changera jamais la vision que j’ai de lui. Ni aujourd’hui ni demain. « Rentier ? » Je demande avec un sourire amusé. Après tout, il aurait sans doute de quoi vivre sur son argent sans trop de mal. Peut-être pas jusqu’au restant de ses jours, mais au moins pour un sacré bout de temps.

« Et pour l’instant je fais pas grand chose à côté. » Sa réponse ne m’évoque pas grand chose de positif, je dois bien l’avouer, et cela pousse mon regard à se poser sur Damon pendant quelques secondes. Ces mêmes secondes durant lesquelles je garde le silence, soucieux de ne pas ajouter une énorme connerie juste après une première. « Et ça te convient ? » Plutôt que de chercher quelle variante de la vie professionnelle semble lui convenir au mieux, je décide de prendre le problème par un autre bout et lui demander directement ce qu’il en est plutôt que de tenter de de le deviner par moi-même. De toute évidence, mes guess sont un brin foireux et je n’ai pas envie de me mettre Damon à dos dans les trois secondes après son arrivée et les deux secondes d’un début de discussion. « Je veux dire si ça te convient, tu t’en fous un peu du reste. » Tant qu’il ne vit pas à la solde de sa femme, surtout. Non pas que cela soit directement visé contre sa femme, mais ça pourrait l’être pour quiconque lui donnerait l’argent nécessaire pour qu’il vive son quotidien de pacha sans même avoir à lever le petit doigt de son côté - parce qu’avouons-le, il s’agit bien malgré moi de l’image que j’ai de Damon. Il n’en reste pas moins mon fils pour autant, mais il existe à mes yeux des façons un peu plus pertinentes de subsister. Pourtant, si j’en suis au point où j’ignore même s’il travaille ou non, j’imagine que je ne suis pas à jour sur bien d’autres sujets encore, raison pour laquelle je me contente de partager de vagues questions sans plus trop me mouiller. C’est plus sûr.

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Il ne pouvait pas retirer le fait qu’il tentait, au moins - sauf qu’il n’aurait pas besoin d’y mettre autant d’efforts si lors de leur dernière véritable discussion, il n’en avait pas mis autant à ruiner ce qu’ils tentaient d’établir depuis des années. Ils n’avaient surement pas les mêmes priorités dans la vie et ne voyaient surement pas les choses de la même façon, mais ce n’était pas pour autant que l’avis de son fils ne devait pas être important pour lui - ni la vie, d’ailleurs, de façon plus générale. Auden prouvait encore simplement aujourd’hui qu’il préférait rester dans le dernier wagon plutôt que de rattraper de façon plus normale ceux qui lui manquaient. « Tu comptes faire quoi ? » C’était une bonne question - de celles auxquelles Damon n’avait pas de réponse à apporter en réalité. « Rentier ? » Il tourna son regard vers lui et vit le petit sourire qu’il ajoutait à ses mots, ce qui lui en tira un similaire. « Pourquoi pas ? » L’amusement était de mise dans le ton qu’il employait. Il finit par secouer sa tête quelque-peu de gauche à droite. « Je saurais pas me contenter de ça, si ça t’inquiète. Même si c’est… confortable. » Il n’allait pas le nier: d’avoir ce qu’il voulait à portée de porte feuille sans avoir à se fouler quoi que ce soit, c’était un luxe qu’il ne niait pas; mais ce n’était pas là quelque-chose qu’il souhaitait voir comme une finalité.

Même si pour le moment, il avouait sans mal, son quotidien n’était pas agité. « Et ça te convient ? » Etant donné que la réponse à cette question n’était pas des plus glorieuses, il garda le silence un instant, se concentrant sur sa respiration et la cadence qu’il donnait à ses pas. « Je veux dire si ça te convient, tu t’en fous un peu du reste. » - « Comme si c’était une méthode qu’avait fonctionné pour moi jusque maintenant. » Qu’il souffla entre deux expirations dues à la course, secouant quelque peu sa tête. Lui qui avait toujours vécu pour plaire au reste du monde et de façon à entrer dans le moule qui lui avait été destiné, qui avait été dessiné depuis sa naissance pour lui n’était pas de ceux les plus à même de savoir paver leur propre chemin. « C’est pas ce dont j’ai envie, non. » Ca, il pouvait l’avouer sans mal, c’était la partie facile. « C’est juste que pour une fois justement, y’a personne pour me… dicter - » Forcer plutôt. « - la démarche à suivre, alors je tâtonne un peu. Et j’ai pas envie de me précipiter dans quoi que ce soit. » Il ne lui parlerait pas de ses envies d’écrire un livre, il ne lui parlerait pas de la collaboration, mince et rapide mais tout de même significative qu’il avait eu avec Wyatt et qui lui permettait aujourd’hui d’envisager les choses différemment. Il ne lui parlait pas de tout ça parce-que même si Auden disait qu’il pouvait agir sans se soucier de ce que le reste du monde pouvait en penser, Damon ne savait pas encore parfaitement faire ça - et si son père comprendrait la partie où il souhaitait s’exprimer à travers un art, il aurait surement des commentaires à faire sur ce dernier et il n’était pas prêt à les encaisser.

A la place, et après quelques foulées supplémentaires, il reprit la parole - et s’il n’avait déjà pas un ton assuré de manière générale, c’était encore moins le cas présentement. « Je peux… te poser une question ? » Il fit rouler ses lèvres l’une sur l’autre. « Personnelle. Une question personnelle. » Et parce-que cela lui semblait être nécessaire d’être ajouté avant qu’il ne le fasse: « Et qui risque d’être dérangeante. Parce-que c’est moi qui vais te la poser. » Mais il n’avait personne d’autre vers qui se tourner pour partager sur ce point là, et même s’il n’était là que trop peu et pas forcément pour les bonnes raisons une partie du temps, Auden restait son père et celui ces derniers temps qui s’appliquait le plus à l’être des deux hommes qui portaient initialement cette casquette.

« Pourquoi pas ? » Parce qu’il vaut assez pour faire quelque chose de ses jours, voilà pourquoi. Malgré tout, je ne deviendrai pas pour lui un conseiller d’orientation, raison pour laquelle je ne me donne pas le droit de juger sa réponse. « Je saurais pas me contenter de ça, si ça t’inquiète. Même si c’est… confortable. » Et ça, je ne peux pas le nier. Il mène un train de vie sans pareil et n’a jamais eu à lever le petit doigt pour l’obtenir ; c’est au moins ce que lui a apporté de grandir auprès de Saül et non du mien, et je ne peux pas retirer chaque once de cette éducation. Qu’il en profite autant qu’il le peut, il avisera ensuite. « C’est juste que pour une fois justement, y’a personne pour me… dicter - la démarche à suivre, alors je tâtonne un peu. Et j’ai pas envie de me précipiter dans quoi que ce soit. » Je comprends qu’il doute de lui et de ses idées, mais je comprends surtout qu’il a justement des idées et c’est tout ce dont j’ai besoin pour être un minimum rassuré par la situation. Je sais au moins que Damon n’est pas sans rien, à tourner en rond dans un immense loft impersonnel ; ça m’aurait trop rappelé Saül pour que je ne m’en inquiète pas un minimum. « Tu prendras une décision le moment venu. » On finit tous par en prendre, même si Damon est particulièrement doué pour repousser le moment, encore et encore. Il n’aime pas se mouiller, il n’aime pas prendre de risque, il n’aime pas mettre quoi que ce soit en jeu et pourtant il devra bien le faire un jour : viendra le moment où Elise ne sera plus là pour répondre aux besoins financiers de son train de vie et à ce moment-là, il sera sans doute bien embêté s’il ne sait toujours rien faire de ses deux mains. Pour le moment encore rien ne presse et je peux toujours tendre dans son sens.

« Je peux… te poser une question ? » Je fais quelques foulées supplémentaires sans rien lui répondre, mon regard devient vers le sien par à-coups, avant de le reposer devant moi et éviter tout possible obstacle sur le chemin. « Personnelle. Une question personnelle. Et qui risque d’être dérangeante. Parce-que c’est moi qui vais te la poser. » Je ne comprends pas pourquoi une question pourrait être particulièrement dérangeante s’il est celui qui la pose et cela soulève autant d’interrogations que d’inquiétude chez moi, raison pour laquelle je ne tarde pas davantage avant de lui répondre. « Oui vas-y, bien sûr. » Je préfère qu’il me parle plutôt qu’il le garde pour lui, peu importe ce dont il est question : ça semble plus que jamais le travailler. A défaut de l’avoir élevé, je peux au moins tenter d’être un père pour lui dans un tel instant, même si je ne sais pas encore ce que cela peut impliquer. « C’est pas grave si c’est dérangeant. Ça change rien. » Je ne le disputerai pas, je ne le regarderai pas autrement. Peu importe ce dont il est question, je ne réagirai pas comme Saül l’a toujours fait et comme j’ai moi-même eu tendance à le faire aussi. « Tu peux me parler de ce que tu veux, tu sais ? » Je ne l’ai jamais énoncé clairement, mais je n’en pense pas moins.

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S'il y avait bien des conséquences suite à la façon dont Damon avait été éduqué et élevé par ses parents au fil des années, il y en avait une qui n’était pas d’actualité: il n’était pas fainéant. Il n’était pas fait pour travailler réellement avec ses mains - il ne mettait pas l’art dans cette catégorie -, mais pour tout le reste il n’était pas en reste; il avait toujours été jusqu’au bout des taches qui avaient pu lui être accordées, il avait toujours fait en sorte d’être le meilleur quand cela était possible. Ce n’était là qu’une conséquence de l’énorme pression qui avait été apposée sur ses épaules dès petit, bien sur, mais au moins cela avait fait de lui un jeune homme qui savait travailler. Pour le moment, il choisissait de ne pas travailler pour avoir l’opportunité de se laisser du temps. C’était là une option qui n’avait jamais été sienne jusque maintenant, alors là que l’occasion se présentait, il la saisissait. « Tu prendras une décision le moment venu. » Il opina doucement du chef: il avait le temps, il le prenait mais il savait d’avance qu’il ne saurait rester sans rien faire à se tourner les pouces indéfiniment de toute façon.

Le sujet de son futur professionnel fut assez rapidement évincé cependant, parce-que ce n’était pas spécialement sur ce dernier que Damon avait envie d’épiloguer; il y avait un autre sujet qu’il avait envie d’aborder avec quelqu’un et même si ce n’était pas avec Auden qu’il aurait préféré le faire, ce n’était pour une fois pas la pire idée du monde que de le faire. Il avait besoin de l’avis et de la vision sur le sujet de quelqu’un de plus âgé que lui, et même s’il connaissait le point de vue de son père sur son couple, il ne connaissait pas beaucoup d’autres personnes en qui il avait confiance pour aborder ce type de conversations là. « Oui vas-y, bien sûr. » La réponse était venue avec un temps de latence, mais il ne pouvait lui en vouloir: il avait commencé sur le mauvais pied. « C’est pas grave si c’est dérangeant. Ça change rien. » Déjà, les joues de Damon prenaient une couleur très proche du rouge, et ce n’était pas à cause de l’effort physique que c’était le cas. « Tu peux me parler de ce que tu veux, tu sais ? » - « Je sais. Mais c’est surement moi qui suis plus dérangé qu’autre chose. » Dire qu’il le savait était un peu présomptueux, mais il s’en était douté; il n’était pas sur de toujours recevoir la réponse qu’il souhaitait entendre mais au moins il savait qu’Auden serait ouvert à entendre la question au moins. Prenant quelques inspirations pour lui, ses pas finissant par ralentir, il termina par s’arrêter complètement; posant ses mains sur ses hanches, remettant ses cheveux en place - gagnant du temps, concrètement -, il finit par plisser le bout du nez. « Comment t’as su que t’étais prêt à devenir père ? » Bien sur qu’il évitait soigneusement le regard de son père à ce moment là, préférant poser le sien partout ailleurs plutôt que dans ceux qui ressemblaient aux siens. « Pas pour moi, hein. » Ce n’était pas un reproche, ils n’avaient pas besoin de revenir sur ce sujet là. « Mais pour Sloan, comment t’as su que c’était le bon moment ? » Comment avait-il pu être sur qu’avoir un enfant était une chose qui tombait au bon moment, que c’était réalisable, qu’il avait les épaules pour assumer ? Parce-que c’était enfin le tour de son fils de se poser ce genre de questions, et il se trouvait confronté à une réalité qu’il n’avait pas envisagé voir de si tôt. Pas que ça le rebutait, loin de là au contraire; Damon désirait simplement être à la hauteur et ne pas faire les mêmes erreurs que ses deux figures paternelles avaient pu faire avec les années.

Lorsque je lui précise qu’il a le droit de me parler de tout ce dont il a envie malgré mon caractère changeant et très peu arrangeant, je n’en pense pas moins. Il peut me parler de tout, mais en retour je ne peux pas me permettre de lui assurer que ma réponse sera toujours compréhensive et à l’écoute de ses besoins. Je l’aurais sans doute bien plus été si j’avais été capable de l’élever, parce que personne ne réagit de la même manière face aux adultes que face aux enfants, mais force est de constater que cela n’a jamais été le cas d’aucune manière. « Je sais. Mais c’est sûrement moi qui suis plus dérangé qu’autre chose. » Cette réponse ne fait que soulever bien plus de questions encore chez moi, lesquelles je l’en préserve simplement parce qu’il s’apprête à tout me dire dans les minutes à venir. Mon rythme de course se calque sur le sien et ralentit pour simplement s’arrêter : personne n’a une discussion sérieuse entre deux bouffées d’air seulement.

« Comment t’as su que t’étais prêt à devenir père ? » J’ouvre la bouche uniquement pour mieux la refermer dans la foulée, mon regard interrogeant celui de Damon pour lui demander ce qu’il veut réellement savoir. Il sait déjà que je n’étais pas prêt à devenir père quand il est né, tout comme il sait que je n’avais justement aucune intention de l’être. « Pas pour moi, hein. » Et au fond, je suis rassuré de cette précision, parce que je n’avais aucune envie d’avoir une telle discussion avec lui en cet instant. « Mais pour Sloan, comment t’as su que c’était le bon moment ? » Je prends une plus large inspiration pour reprendre mon souffle et pose désormais pleinement mon regard sur Damon. Je lui accorde aussi toute mon attention, surtout alors que je comprends maintenant que le sujet dont il souhaite me parler est plus sérieux que jamais. « On avait fini par se poser, avec Ginny. » Je n’ai jamais posé de mots sur le désir d’avoir un enfant, j’improvise donc l’exercice face à Damon, toujours aussi peu enclin à partager mes sentiments pour autant. « C’est juste… un jour, on pensait qu’elle était tombée enceinte. On l’avait pas prévu, mais on était heureux. » Je me passe de précisions, il savait de toute façon que je ne verserais pas dans le pathos, peu importe la question m’étant posée. « Vraiment. » Vraiment heureux. Je le répète avec une pointe de nostalgie dans la voix, cette période de ma vie se voulant définitivement derrière moi. « Elle l’était finalement pas. » Je hausse les épaules, mimant ainsi un brin d’indifférence qui jure avec mon discours. Je n’y étais pas indifférent et il le sait.

Je passe mon pouce contre mes lèvres pour me donner une seconde supplémentaire de réflexion, mon regard se posant sur la terre rouge avant de reprendre la direction de ses yeux. « Après ça, on a su qu’on voulait vraiment un enfant. » Cette épreuve nous a changés et elle nous a sans doute fait grandir par la même occasion. On parle d’un temps où le monde tournait vite, bien plus vite. « Je crois que si t’hésites, c’est que t’as juste peur de mal faire les choses. » Mais que sa décision n’en est pas moins prise pour autant. Il a juste besoin de confirmation, comme toujours et ce peu importe les sujets abordés. Celui-ci revêt une importance bien plus capitale que les autres, tant parce qu’il est le premier à avoir souffert de mauvaises décisions parentales que parce qu’il veut simplement faire au mieux pour les autres, comme toujours - et encore plus au sujet de sa propre progéniture. « C’est pas vraiment toi qu’il faut interroger, mais la personne avec qui tu veux faire ça. » Ca étant sans doute encore le meilleur moyen de parler d’un enfant hypothétique ; quoique j’aurais pu utiliser le même terme pour sa femme, j’en conviens. Tout ce que je veux, c’est qu’il ne regrette rien.

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Même si les circonstances de sa conception et de son arrivée dans ce monde serait un sujet sans fond à discuter entre Auden et lui, ce n’était pas de ça dont il était question aujourd’hui - et il y avait de fortes chances pour que ce ne soit pas de si tôt le cas. Damon avait compris avec le temps que ce n’était pas de ces sujets qui s’amélioraient avec le temps. Il pourrait l’aborder, et peut-être que désormais son père serait apte à en dire davantage que ça avait pu être le cas jusqu’alors - mais de toute manière ce n’était pas ce dont il était question aujourd’hui. S’il lui demandait comment s’était-il rendu compte qu’il était prêt à devenir père, bien sur que cela reflétait sur la façon dont ça avait été le cas pour Sloan. Il ne cherchait pas à le prendre en traitre, promis.

« On avait fini par se poser, avec Ginny. » Sa voix se fit entendre après un instant de silence pendant lequel le jeune italien n’avait pas été apte à relever son regard vers son père, et pendant lequel également ses joues avaient encore pris une teinte davantage colorée. « C’est juste… un jour, on pensait qu’elle était tombée enceinte. On l’avait pas prévu, mais on était heureux. Vraiment. » Ce n’était pas tant qu’il n’avait jamais pensé que ça avait été le cas, parce-qu’il fait été témoin de tout ça, mais de l’entendre dire qu’ils avaient été un jour vraiment heureux lui soufflait du baume au coeur. « Elle l’était finalement pas. » Différentes circonstances, mais réponses et résultats qui étaient les mêmes, finalement - bien sur qu’il faisait déjà des parallèles alors qu’il n’avait qu’une bride d’histoire et qu’Auden ne savait même pas la raison du pourquoi il avançait ce sujet là sur le tapis. « Après ça, on a su qu’on voulait vraiment un enfant. »

« Je crois que si t’hésites, c’est que t’as juste peur de mal faire les choses. » Un petit soupire sarcastique s’échappa de son nez, alors qu’il dodelinait quelque-peu de sa tête de droite à gauche. C’était si simplement dit, et pourtant c’était la phrase qui était la plus vraie dans tout ça. Ce ne serait pas une grande surprise pour Auden, il avait été témoin de l’évolution de son fils même lorsqu’il n’était pas au courant du lien de parenté qu’il avait avec ce dernier. Il avait bien vu la façon dont les choses n’avaient en rien été idéales pour lui, en grandissant, et la façon dont les figures parentales n’avaient été que bien pales pour être des exemples à suivre pour la suite de sa vie. Lui y compris - il ne serait pas véritablement vexé si c’était là une évidence que Damon venait à souligner à haute voix, parce-que c’était malheureusement la vérité. Bien sur qu’une grande partie du jeune homme était en train de se déchirer avec une autre part, seul en son fort intérieur, parce-qu’entre ce qu’il désirait et ressentait et ce que l’histoire lui dictait, les chances n’étaient pas réparties équitablement. « C’est pas vraiment toi qu’il faut interroger, mais la personne avec qui tu veux faire ça. » - « Megan a fait une fausse couche. » C’était la première fois qu’il le disait à haute voix, à quelqu’un d’autre qu’à sa femme - et encore, il n’était même pas sur d’avoir déjà mis des mots sur les maux jusqu’alors, parce-que c’était elle qui lui avait dit les choses avec leurs adjectifs nécessaires à l’hôpital. De nouveau, il eut un soupire - bien plus peiné que sarcastique désormais. « Et ça m’a touché. Ca m’a rendu triste même. » Ils avaient abandonné la course, cette dernière relayée au dernier plan de leur discussion. « On savait même pas qu’elle était enceinte, on essayait même pas. » C’était ça le pire dans cette histoire: il n’y avait eu aucun moment où ça avait été prévu au programme, de procréer un petit humain tous les deux. Et pourtant, dès que la nouvelle était tombée, Damon avait ressenti comme un vide en lui.

Il inspira longuement, laissa son regard reparti d’un autre côté sans le poser sur le visage de son père, ce dernier surement embué de cette tristesse. « Et depuis j’arrête pas d’y penser. C’est bête, hein. » Son petit rire ne convainquit personne, même pas lui. « Je veux dire, on avait même pas dit si on voulait tenté d’avoir un enfant, et là je me retrouve misérable à l’idée que… que ça ait pas fonctionné. » Oh, ce n’était en rien surprenant que ce soit là la réaction primaire de Damon, tant la moindre chose le touchait d’ordinaire - ce n’était même pas là une situation ordinaire, ou plutôt qui entrait dans ses habitudes de vie. « Je sais que ça arrive souvent, qu’on est pas les premiers et tout ça, je me suis renseigné un peu sur le sujet. » Que finalement, les femmes faisaient souvent plus de fausses couches que de grossesses réussies; mais jusqu’alors, ça ne le touchait pas personnellement alors il n’y avait pas porté attention plus que cela. « Je m’attendais pas à ce que ça puisse me toucher autant. » Il haussa les épaules - il ne dupait personne. « Je sais que c’est la peur qui parle, mais je pensais l’avoir surpassée. Je suis déçu qu’elle soit toujours tapie quelque-part, je crois. » Le bout de sa chaussure buta dans un caillou qui était surement imaginaire en réalité, mais ce n’était pas la portion la plus importante de cette conversation.

« Megan a fait une fausse couche. » - « Oh. » Je les déteste tous les deux de me mettre dans une position où je dois obligatoirement me sentir désolé pour elle alors que cela reste très loin de mes priorités en cet instant. Je ne leur souhaite pas de malheur, surtout pas à Damon et pas même à Megan, mais ressentir de l’empathie pour des gamins qui jouent aux apprentis adultes n’est pas pour susciter beaucoup de raisonnements de mon côté. Aucun qui ne puisse me venir naturellement, du moins, mais pour le sang de mon sang je reviens un instant sur mon caractère particulièrement égoïste et monocentré. « Je suis désolé pour vous. » Et si je n’irai pas pleurer dans les chaumières pour autant, je n’en pense pas moins. Ils méritent d’être heureux, même s’il y a à ça de nombreux choix bien plus avisés pour parvenir à l’être. « Et ça m’a touché. Ca m’a rendu triste même. » Je souffle un bref instant. « C’est normal. » Il n’y a même rien de plus normal que ça, justement. Il peut être triste, il est dans son droit le plus entier et il n’y a sûrement que le contraire que j’aurais pu trouver étonnant, effrayant. « On savait même pas qu’elle était enceinte, on essayait même pas. » - « Mais tu le voudrais ? T’aurais envie d’être père ? » Je lui pose la question alors que la réponse semble plutôt évidente. Evidemment qu’il aurait voulu être père, cela se lit bien assez facilement sur son visage autant que cela s’entend à travers sa tristesse infinie.

« Et depuis j’arrête pas d’y penser. C’est bête, hein. » - « C’est normal. » Je le répète pour la seconde fois déjà, non parce que mon esprit manque de diversité de réponse mais bien parce que je le pense. « Personne te prévient de ce genre de chose. » De ce qu’on ressent à l’idée de devenir parent, de l’euphorie, des craintes, du poids immense que cela impose aussitôt sur les épaules d’autrui. Personne n’en parle mais tous ceux qui ont expérimenté cette idée de près ou de loin savent parfaitement ce dont il est question. « Mais ça arrive à plus de personnes qu’on le pense. » Même à ceux comme James, qui n’ont pas la vie qui semble être faite pour ajouter un mini-eux dans leur quotidien ; même lui a ressenti ce même genre de tristesse qui accable sans doute Damon en cet instant. « Je sais que ça arrive souvent, qu’on est pas les premiers et tout ça, je me suis renseigné un peu sur le sujet. » - « Parce que t’as pas envie de t’arrêter à ça ? » Et une fois de plus, je pose la question tout en ayant une idée de la réponse, et sans doute même plus qu’une idée. Je ne lui demande pas explicitement s’ils vont essayer d’avoir un enfant à nouveau mais je n’en pense pas moins, et je suis loin de le penser stupide. « Je suis pas sorti pendant un moment quand on a aussi appris que y’aurait pas d’enfant, la première fois. » Ce n’était peut-être pas une fausse couche comme on l’entend, mais le ressenti n’en restait pas moins proche, pour moi au moins. « Tout comme j’ai jamais été aussi en colère que le jour où j’ai appris qui tu étais vraiment. Et ce que j’avais raté. » Parce qu’il sait sûrement que je n’aurais pas été un bon père à l’époque, mais j’ose surtout espérer qu’il sait à quel point je regrette toute l’absence qu’a été la mienne au cours des deux décennies écoulées. J’ai échoué auprès de lui sans même essayer et il n’y a rien qui me rende plus coupable de ça. « Je veux dire, t’es pas tout seul. » Et je suis là pour lui, pour ce que ça vaut. « Plus ou moins tout le monde pourrait te comprendre. » Plutôt que de lui assurer mon soutien, je prends la tangente de la généralité, ce qui ne rend pourtant pas caduque mon empathie à son sujet. Elle reste simplement bien plus muette que le reste.

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@auden williams

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***
« Oh. » Oh, comme il disait, effectivement. Ce n’était pas de cette façon là que Damon aurait voulu voir les choses se passer, et bien sur que cela avait été une surprise pour tout le monde - comme c’était le cas pour Auden en cet instant, qui ne s’attendait surement pas à engager une telle discussion avec son fils lorsqu’il avait dit à ce dernier qu’il pouvait lui adresser tout ce qui lui pesait sur le coeur et l’esprit. « Je suis désolé pour vous. » Il haussa vaguement les épaules: les excuses valaient-elles le coup, alors qu’aucun d’eux n’aurait pu y faire quelque-chose et surtout que personne n’était responsable de ce qui était arrivé ? « C’est normal. » D’être triste d’un quelque-chose dont il n’était même pas au courant ? D’une possibilité à laquelle il n’avait pas réfléchi jusqu’à quelques jours plus tôt ? « Mais tu le voudrais ? T’aurais envie d’être père ? » Alors que la question était posée franchement pour la première fois, Damon se contenta de baisser le regard et de laisser le rouge envahir ses joues pour de bon. C’était déjà étrange d’en discuter avec Megan parce-que ce n’était pas là des sujets qu’ils avaient l’habitude de mettre en avant - les circonstances le faisaient pour eux, peut-être pour le mieux après tout. En discuter avec son père était une toute autre paire de manches, et cela le gênait sans qu’il ne sache trop pourquoi; il lui avait dit: c’était un sujet dérangeant à aborder, et pas que parce-que c’était lui qui posait les questions. C’était dérangeant aussi parce-que c’était Auden qui y répondait, et qui relançait la conversation face à lui.

« C’est normal. Personne te prévient de ce genre de chose. Mais ça arrive à plus de personnes qu’on le pense. » Il soupira quelque peu par le nez. « J’ai appris, ouais. » Que les fausses couches étaient davantage monnaie courante que cela pouvait être mis en avant. Que cela pouvait autant toucher alors que ce n’était pas quelque-chose de prévu ? Même lui ne l’avait pas vu venir, alors que pourtant il se connaissait assez pour savoir que c’était justement le genre de chose apte à le toucher.

« Parce que t’as pas envie de t’arrêter à ça ? » Damon releva timidement son regard vers Auden, haussant quelque peu les épaules - rien que cette façon là de répondre soulignait ce qu’il en pensait réellement, et ce ne serait une fois de plus en rien une surprise pour personne. « C’est grave si c’est le cas ? » Comme s’il n’était pas un adulte apte à prendre ses propres décisions et à savoir ce qui était bon ou non pour lui; pourtant, c’était le cas. Mais lorsqu’il se retrouvait devant une figure paternelle, il n’arrivait plus à être aussi sur de lui et à exprimer cette indépendance qui pourtant lui était due. Alors sa question était, certes, une réponse évidente mais également d’une sincérité qui transparaissait dans son regard péniblement relevé vers son père: serait-ce si grave que cela si, effectivement, il avait envie d’être père et que l’idée ne s’en allait pas après avoir appris que ça aurait pu être le cas d’ici à quelques mois ?

« Je suis pas sorti pendant un moment quand on a aussi appris que y’aurait pas d’enfant, la première fois. » Quand le résultat s’était finalement avéré être négatif. « Tout comme j’ai jamais été aussi en colère que le jour où j’ai appris qui tu étais vraiment. Et ce que j’avais raté. » A ces mots là, bien sur qu’il baissa le regard; c’était la première fois qu’il l’entendait s’exprimer avec autant de clarté et de franchise sur ce sujet là - en dehors du fait qu’il avait cru dès le premier instant qu’il n’avait vraiment jamais été au courant de toute cette mascarade. Lui avait été affecté par la tournure des événements, bien sur, mais il n’avait jamais vraiment su à quel point cela avait pu toucher Auden de son côté. Au moins aujourd’hui il savait avec certitude que cela l’avait à minima secoué. « Je veux dire, t’es pas tout seul. Plus ou moins tout le monde pourrait te comprendre. » De nouveau, Damon haussa quelque peu les épaules, déglutissant un peu avec peine. « C’est affreux, que ce soit le cas. » Qu’il souffla, soupirant; il savait que la vie n’était pas assez belle pour que ce ne soit pas le cas, mais cela faisait mal de le constater tout de même. « Je sais que c’est plus facile à dire, et tout ça, je suis le premier à bien l’avoir compris en grandissant - mais ça devrait pas faire du mal comme ça, de vouloir un enfant. » N’était-ce pas, selon ceux qui étaient déjà parent, l’une des plus grandes joies connues par l’être humain ? Ce n’était pas supposé faire souffrir que d’agrandir son amour de la sorte. « Je m’en remettrai moi, j’ai l’habitude de m’en remettre. » Il ne disait pas ça parce-que les drames étaient monnaie courante dans son quotidien - quoi que ce soit quand même le cas -, simplement qu’à être sensible comme il l’était, c’était plus simple d’être blessé comparé à d’autres personnes. « J’ai pas envie que ça fasse souffrir Megan. » Parce-que c’était toujours son objectif désormais: faire en sorte qu’elle soit elle en sécurité et qu’il ne lui arrive rien de mal. Il inspira longuement à la suite de cette phrase là, avant de relever timidement son regard vers son père. « Mais j’ai envie d’être père, oui. Ca me fait peur - » Auden comprendrait pourquoi. « -, mais je suis sur de moi sur ce coup là. » Et c’était assez rare pour que ce soit souligné ici.

A l’absence de réponse de Damon suite à ma question sur la paternité, j’en viens donc à la conclusion simple et facile que sa réponse est positive. Je n’en fais aucun commentaire supplémentaire, surtout pas alors qu’il a déjà entendu ce que je pensais de leur mariage - ce qui ne fait qu’aller dans la continuité ou plutôt dans les prémices d’une vie de famille. Je les pense trop jeune, tous les deux, mais je pense surtout que mes mots n’auront aucune conséquence dans leur décision finale, ce qui me pousse à ne pas les lui imposer à nouveau. Damon compte assez pour que je préfère me taire, une chose particulièrement rare. « C’est grave si c’est le cas ? » Grave, sûrement pas non. Une bonne idée, une fois de plus, cela appartient à un autre débat. « Non. » Face à l’insistance de son regard planté dans le mien, je lui offre une réponse que j’aurais pourtant préféré qu’il sache évidente. Cela m’aurait au moins un brin rassuré quant à l’idée qu’il puisse être un bon père. Non pas qu’il ne sera pas aimant, et bien loin de là, mais je doute justement qu’il puisse être le roc qui est aussi attendu de la part d’une telle figure. « Doute pas de tes choix. » Même si je sais qu’il le fera quand même, parce qu’il ne serait pas lui-même sinon.

« C’est affreux, que ce soit le cas. » Et je m’en moque bien, que tous les autres couples du monde ou presque aient connu la perte d’un enfant. Ils ne sont pas ceux qui m’importent le moins du monde et Damon le sait très bien. Il a sûrement pensé que son propre sort ne m’importait pas, ce qui est sa seule erreur : le sort du reste du monde m’est indifférent mais pas le sien. Pas depuis qu’il est venu au monde en tant que mon neveu, encore moins depuis qu’il est devenu mon fils. Il a toujours été précieux, sans que je ne le lui montre d’aucune manière. Réparer mes agissements semble bien difficile aujourd’hui. « Je sais que c’est plus facile à dire, et tout ça, je suis le premier à bien l’avoir compris en grandissant - mais ça devrait pas faire du mal comme ça, de vouloir un enfant. » - « Si on l’expliquait, personne voudrait d’enfant. » Je l’explique aussi simplement que cela, sans éprouver le besoin d’aller plus loin dans mon analyse, surtout pas alors qu’il en est simplement au stade d’arriver à ce que sa femme tombe enceinte et aille jusqu’à l’accouchement. Il y aura encore bien d’autres épreuves. « Je m’en remettrai moi, j’ai l’habitude de m’en remettre. » Je serre les dents, comprenant sans doute un peu trop bien ce qu’il exprime par ces mots. « J’ai pas envie que ça fasse souffrir Megan. » - « Elle a aussi fait son choix. » Et je doute que Damon lui ait imposé la maternité à son tour, donc elle sait ce dans quoi elle s’embarque et il n’a de fait pas à s’en faire à outrance pour elle. Elle saura gérer. Je ne la porte pas dans mon coeur, mais je vois en elle une femme forte, sans doute même plus que ne l’est Damon, bien qu’il ait fait de nombreux efforts sur ce point. « Mais j’ai envie d’être père, oui. Ca me fait peur, mais je suis sur de moi sur ce coup là. » - « Alors fais tout ce que tu peux pour aller au bout de tes objectifs. » J’hoche la tête pour appuyer mes propos, sans nuancer un seul instant sa peur. Elle est raisonnée, elle a raison d’exister, et il vaut sans doute même mieux qu’elle existe, justement. « Même si je vais pas te mentir, j’avais pas prévu de devenir grand-père de sitôt. » J’esquisse un sourire, enclin à dédramatiser notre discussion. Qu’il soit heureux, c’est tout ce que je demande, et j’apprendrai à m’accommoder du reste et des personnes que cela semble désormais impliqué de fait à ses côtés. Il est ma priorité, il continuera de l’être tant j’ai des années de vie à rattraper.

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Ce n’était pas le genre de discussion pour laquelle il avait des réponses toutes faites à portée de main, tant il ne s’attendait pas à avoir ce genre de questionnements aussi tôt. C’était presque idiot de sa part de ne pas s’être posé la question plus tôt, mais cela reflétait bien l’innocence qui était encore sienne de temps à autres. « Non. » Alors peut-être effectivement qu’il avait simplement besoin d’être rassuré, qu’un adulte - à ses yeux en tous cas - lui confirme que ce n’était pas un mauvais chemin qu’il empruntait; que son père lui dise que ce n’était pas une bêtise que de penser de cette sorte. « Doute pas de tes choix. » Faisant rouler ses lèvres l’une sur l’autre, il haussa vaguement les épaules: il était heureux d’entendre qu’un moins quelqu’un d’autre que lui était bien plus assuré que cela soit une bonne idée, ou en tous cas une pas si mauvaise, mais il ne serait pas totalement sur de l’aventure dans laquelle il s’embarquait tant qu’elle ne serait pas concrète surement.

« Si on l’expliquait, personne voudrait d’enfant. » Peut-être, oui; mais serait-ce là nécessairement une mauvaise chose ? Si les gens avaient un peu plus d’informations à leur disposition et qu’ils faisaient donc des choix réellement en connaissance de cause. Accueillir un enfant devrait en toute logique être la chose qui apportait le plus de joie, dans une vie, pas de la tristesse comme cela avait déjà été le cas pour Megan et lui alors qu’ils n’avaient pas encore cherché à volontairement avoir un enfant. « Elle a aussi fait son choix. » - « Je sais. » Il fit une petite moue. « Ca m’empêche pas de vouloir la protéger quand même. » Parce-que c’était là toujours ce qu’il souhaiterait faire avec la jeune femme: la protéger, même si c’était de lui-même qu’il se retrouvait à devoir le faire. Ce qui était à retenir dans cette situation surtout, c’était qu’effectumvent les deux jeunes gens cherchaient désormais à devenir parents: c’était là un souhait partagé par le couple, sans que cela ne soit une réelle surprise du côté de Damon. « Alors fais tout ce que tu peux pour aller au bout de tes objectifs. » Le visage et le regard qu’il tourna vers son père à cet instant là fut quelque peu plus détendu, à entendre de tels mots. Bien sur que cela le rassurait de savoir qu’il ne s’érigeait pas contre lui dans cette aventure - là où un autre l’aurait sans doute fait sans hésiter un seul instant. C’était pour ce genre de chose là aussi que Damon était reconnaissant d’avoir une autre figure paternelle à laquelle s’adresser; la seconde n’était pas parfaite, comme ne l’était pas la première non plus mais cela donnait au moins l’occasion d’essayer de nouveau de faire les choses correctement.

« Même si je vais pas te mentir, j’avais pas prévu de devenir grand-père de sitôt. » Et peut-être parce-que c’était l’occasion aussi de réagir différemment de son côté, il laissa un petit rire s’échapper aux paroles  prononcées par Auden. « T’as le temps de t’habituer à l’idée va. Megan est pas enceinte là, en ce moment. » Elle l'avait été quelques semaines plus tôt alors qu’ils n’en avaient aucune idée; désormais qu’ils étaient conscients de la chose, il pouvait affirmer que ce n’était pas le cas: il aurait été au courant si ça avait été le cas. « Et t’en fais pas non plus, c’est presque… cool, d’être grand-père aussi jeune, finalement. » Damon esquissa un petit sourire qui se voulait rassuré, rassurant, il ne saurait définir. Il ne lui rappellerait pas qu’il avait l’occasion d’être grand-père de si tôt parce-qu’il avait aussi été père jeune - il n’avait pas été mis au courant de cette situation sur l’instant, mais pourtant la situation souhaitait devenir père à son tour désormais, alors ceci expliquait cela. « Et puis Sloan aura quelqu’un de presque son âge dans la famille. C’est important, non ? » Lui qui avait grandi avec un écart d’âge important avec toutes les autres personnes de leur famille savait à quel point cela pouvait faire une différence en grandissant. Alors bien sur qu’il mettait ce point là en avant et qu’il tiendrait à ce dernier.

« Ca m’empêche pas de vouloir la protéger quand même. » Elle et le reste du monde avec. Je connais la chanson et, surtout, je connais Damon. Il a un cœur bien trop grand pour son coeur. Cela n’a rien de viable, rien de synonyme de santé non plus. Lorsque le jour viendra où son aventure avec Megan sera terminée - parce que ce jour viendra, de toute évidence - j’ai peur de me demander ce qu’il pourrait advenir de lui. A trop faire tourner son monde autour d’une seule personne, il s’y perdra, et aujourd’hui je peux dire que je sais très bien ce que c’est. Je me retrouve à me battre avec Ginny simplement pour signer de foutus papiers officiels. Je ne m’avance pas davantage sur le sujet, parce qu’une part de moi espère pour lui qu’il sera l’exception à la règle - bien que je ne le pense pas pour autant.

Au contraire, je lui fais plutôt part de mon étonnement au sujet de son envie de devenir père aussi tôt et, par extension, du fait qu’il fasse de moi un grand-père par la même occasion. Ou qu’il fera de moi un grand-père, du moins. Je comprends maintenant qu’il ne s’agit plus qu’une question de temps. « T’as le temps de t’habituer à l’idée va. Megan est pas enceinte là, en ce moment. » Il me faudrait une vie pour m’habituer à l’idée, et elle sera sûrement enceinte avant la fin de cette dernière. « Préviens moi quand j’aurai plus que quelques mois pour me faire à l’idée. » J’esquisse un sourire en demie-teinte mais non moins heureux pour eux. Aussi heureux que je peux l’être pour quelqu’un d’autre, du moins, et pour une décision avec laquelle je ne suis pas en totale adéquation. « Et t’en fais pas non plus, c’est presque… cool, d’être grand-père aussi jeune, finalement. » Des mots avec lesquels je ne suis pas d’accord, mais je n’ai pas la moindre envie de partir dans un débat supplémentaire alors que le gamin fait de son mieux pour garder la discussion aussi calme que possible. « Et puis Sloan aura quelqu’un de presque son âge dans la famille. C’est important, non ? » Mais sans doute que je me serais volontiers passé de ce dernier commentaire, rappelant malgré lui à quel point Damon et Sloan ont une immense différence d’âge qui n’est en rien un choix de ma part. « Oui, lui sera extatique quand il saura qu’il aura un cousin. » Damon sait pourquoi je ne qualifie pas cet enfant de neveu pour mon fils, chose qu’il serait pourtant selon les règles des liens du sang. Ce serait inutilement remuer le couteau dans la plaie, et cela n’en veut pas la peine. Damon va avoir sa propre famille, il n’a plus de temps à perdre à s’en faire de l’ancienne, celle qu’il n’a jamais choisie. « Allez, on y retourne. » D’un geste de la tête, je désigne la piste de course. La discussion est terminé, on y reviendra s’il devient bel et bien père un jour. En attendant, je préfère encore ne pas y penser de trop.