« Quoi, tu pensais pas être tranquille ici, quand même ? » A ses côtés, bras croisés sur sa poitrine, la grande brune teinte en blanc-blond lui décoche un regard amusé qui vire sur le désabusement. Ca lui tire une grimace quasi-immédiate, et Sloane ne répond à son ex-femme qu’avec une sorte de grognement peu inspiré. « Sloane, le dernier endroit où tu veux être pour éviter le drama, c’est une soirée remplie de lesbiennes. Depuis le temps, je pensais que t’aurais retenu la leçon. » Là encore, elle aurait certainement quelque chose de plus puissant et significatif qu’un ronchonnement sous sa barbe pour transmettre tout son désarroi, si elle n’avait pas été prise de court à ce point. Bien sûr, Natalia a raison : c’était le genre d’endroits où il fallait s’attendre à tout, et ç’avait été franchement naïf de s’attendre à tout sauf au pire. Le pire, en l’occurrence, mesurait un demi-centimètre de plus qu’elle, avait un regard au moins aussi noir que le sien et avait manqué de l’étrangler, la dernière fois qu’elles s’étaient vues - réciproquement, devait-elle dire. Fût une époque où ça l’aurait beaucoup moins dérangée.

Elle ne s’était pas attendue à recroiser Scarlett en-dehors du travail - naïvement, sûrement ; après tout, leur première rencontre avait été à une soirée, fréquentée vraisemblablement par une poignée d’autres personnes présentes ce soir. Sa présence avait suffi à la refoutre en rogne de manière quasi-immédiate : ça faisait un peu plus d’une semaine depuis l’incident, les émotions étaient encore à vif, et Sloane avait eu besoin de temps pour les reconnaître et les digérer. Elle avait parlé à Ivy dès qu’elle avait pu la revoir, s’était confiée suffisamment pour recréer une espèce de connivence perdue lors de son propre manquement, elle avait dû parler avec ses employeurs pour restaurer le capital confiance ; surtout, elle avait pris le temps de se recentrer et d’analyser ses propres réactions, sans toutefois aller plus loin. Elle s’était noyée dans le boulot, puis son rôle de mère, le tout depuis le confort de son ancienne chambre chez Natalia, qui n’avait posé aucune question jusqu’à ce qu’elle s’ouvre d’elle-même. En contrepartie, elle lui avait demandé d’officier comme wingwoman à une soirée pas loin de chez elle. Sloane avait accepté davantage par dépit et devoir que par réelle envie de retrouver une vie sociale. Voilà comment ses bonnes actions se retrouvaient récompensées : par une colère mal gérée et une puissance envie d’envoyer le tout se faire foutre pour rentrer seule en voiture (même si les martinis étaient très bons).

Elle avait longtemps hésité à aller crever l’abcès, ou simplement reconnaître sa présence pour signer un pacte de non-agression tacite au moins pour ce soir : après tout, elles avaient jusque-là plutôt bien dissocié les deux mondes dans lesquels elles s’étaient retrouvées à plusieurs reprises. Leur dernière rencontre avait cependant rendu clair qu’une telle dissociation était devenue impossible : il y avait à tout ça une dimension hautement personnelle qui venait ajouter du relief à une situation complexe. Peut-être qu’elle aurait tenu, si elle avait eu plus de patience, de sommeil ; et surtout, si Scarlett n’avait pas profité de leur dernière altercation pour diffuser à toute l’équipe le fait que Sloane était responsable de la panique d’Ivy. Curieusement, la rumeur s’était assez amplifiée pour que la psy passe davantage de temps à faire du damage control et démentir celle-ci plutôt que de s’expliquer pour les vrais événements, et elle en tenait totalement Scarlett pour responsable.
Et peut-être que c’était le troisième martini, ou le déplaisir flagrant de voir Natalia rester avec elle plutôt que d’aller s’amuser, mais ça commençait sacrément à démanger Sloane - suffisamment pour qu’elle se dirige d’un pas assuré et tendu vers le buffet mis à disposition alors que Scarlett s’y rendait. « C’est dingue, on trouve toujours les personnes qu’on a le moins envie de voir aux endroits où on a le plus envie d’aller. » Les salutations sont probablement les moins cordiales qu’elle ait pu lui offrir jusque-là. « Je te propose pas de verre cette fois, j’aurais peur que tu demandes à parler à mon manager. »

@Scarlett Bridgers

Scarlett évite généralement de se rendre à ces fêtes-là. Principalement parce qu’elle n’a jamais aimé être mise dans une case et ne considère pas qu’aimer les femmes lui donne de points communs avec toutes celles présentes ici qui portent leur orientation sexuelle comme un badge d’honneur. Mais aussi - surtout - parce qu’elle finit toujours par recroiser des exs, et que si parfois cela mène à une fin de soirée où l’on remet le couvert, cela mène surtout à des prises de tête et autres joyeusetés. Scarlett a beau être claire sur ce qu’elle recherche, il ne faut jamais douter de la capacité des lesbiennes à faire des histoires - parce qu’elle n’a pas rappelé, alors que pourtant elle ne l’avait jamais promis, parce qu’elle a couché avec l’ex de, alors que pourtant elle ne devait rien à l’autre. Mais ce soir, ce n’est pas une ex qu’elle aperçoit au loin, c’est les longs cheveux de Sloane, son air agacé alors qu’elle parle à voix basse avec une femme aux yeux décolorés que Scarlett essayerait de ramener chez elle si elle n’était pas un maillon commun avec Sloane. Scarlett hausse les épaules, détourne le regard, désintéressée par une nouvelle confrontation. Elle doit déjà se tenir sur le set, les quelques échanges qu’elles ont dû avoir en public ont été plus que glaciaux. Mais Scarlett se tient, parce qu’elle sait rester professionnelle à défaut d’être agréable. Elle a remonté l’affaire aux execs, a fait valoir ses arguments, mais on a donné à Sloane le bénéfice du doute. Pire encore, Ivy a accepté ses excuses, malgré toutes les mises en garde de Scarlett. Alors l’anglaise reste cordiale, infuse sa voix d’une agressivité à peine passive, et continue son boulot.

Ce soir, elle se tient à distance. Elle a mieux à faire, de toute façon : elle est venue parce que Lola l’a invitée, une petite blonde aux yeux sombres dont l’attitude joueuse plaît à Scarlett. Elle lui plaît tellement qu’elles se sont fréquentées on and off il y a des mois de ça, mais sont restées en bon terme. A présent, chaque soirée qu’elles passent ensemble est un jeu de chat et de souris, elles se tournent autour, se demandent qui sera la première à craquer. Pour l’occasion, Scarlett porte un pantalon taille haute et une brassière noire, et une veste en cuir ouverte qui laisse entrevoir la peau de son décolleté et de son ventre, que Lola n’a pas manqué d’effleurer du bout des doigts pour lui demander si elle n’avait pas froid. Exactement le genre de petit jeu auquel Scarlett a décidé d’adhérer ce soir. La soirée est bien entamée, elles ont prétendu être intéressées par d’autres personnes, se sont jointes à d’autres discussions, et voilà qu’elles se retrouvent, plaisantent, et que Scarlett propose d’aller lui chercher un verre. Tout suit son cours comme prévu.

Enfin, jusqu’à que Scarlett s’approche du buffet et soit interceptée par Sloane. « C’est dingue, on trouve toujours les personnes qu’on a le moins envie de voir aux endroits où on a le plus envie d’aller. » Scarlett lui adresse un grand sourire hypocrite. « Et c’est dingue comme les personnes auxquelles on a le moins envie de parler viennent généralement nous parler », elle réplique, piquant. Se détournant de la grande brune, elle se tourne vers le buffet, plus intéressée par trouver un verre de rosé pour Lola. « Je te propose pas de verre cette fois, j’aurais peur que tu demandes à parler à mon manager. » Scarlett a un rire dédaigneux, comme si elle chassait le commentaire de Sloane. « Je te le déconseille, en effet, mais je te dis ça par égard pour toi : je ne voudrais pas que tu paniques et prennes la fuite si je disais une phrase de trop. Ça serait dommage que tu ne puisses pas conclure avec ta grande blonde », elle rajoute, piquante.

@Sloane Jarecki

C’est peut-être plus fort qu’elle, cette espèce d’envie d’en découdre à retardement, un besoin de se faire valoir en retard alors qu’elle avait été impuissante et acculée la dernière fois qu’elles s’étaient vues plus de quelques secondes : il n’y avait rien de glorieux à ressentir cette colère froide qui s’apparentait à une vengeance, mais ce serait hypocrite de dire qu’elle était assez adulte pour passer au-dessus. La réaction de Scarlett l’avait heurtée, avait rajouté un coup alors qu’elle était déjà à terre et elle n’avait pu que se protéger de ses mains de la façon la plus superficielle qui soit. En un sens, une scène comme elle en avait vécu des centaines, à ceci près que le bourreau variait et qu’elle était de taille à se défendre - en retard, mais elle ne comptait pas en rester là. Pas après les rumeurs qu’elle avait entendu à son compte, et qu’Ivy avait gentiment voulu démentir, ce qui avait à peu près autant changé la perception d’autrui qu’une goutte dans l’océan. Scarlett avait détruit ce qu’elle avait construit en plusieurs semaines d’un revers de bras délibéré : une soirée organisée par une adjacente-amie n’était pas l’endroit le plus propice à remettre les scores à égalité, mais Sloane prendrait ce qu’elle pouvait.

Forcément, l’accueil que lui réserve Scarlett est aussi chaleureux que celui qu’elle a pu lui offrir ces derniers temps sur leur lieu de travail - la brune ne se formalise ni de ça, ni du regard pointé de la jeune femme sur le buffet signifiant un très clair maintenant, fous-moi la paix. A l’insinuation sur la grande blonde, Sloane se retourne confusément jusqu’à ce que son regard ne se pose sur Natalia, qui lui fait un vague salut militaire moqueur. « Déjà fait », marmonne-t-elle dans sa barbe avec lassitude, comme si ça lui coûtait de l’avouer - à moins que ce ne soit les yeux de Natalia qui l’épie et ne se détournent pas, parce qu’elle prenait toujours un malin plaisir à voir son ex se démerder dans les pires situations sociales dont elle-même s’accommodait parfaitement. « Te donne pas tant d’importance. Je tiens pas particulièrement à t’adresser la parole outre le minimum nécessaire, et je ne suis pas sûre que quiconque ici soit très intéressée par ton verbiage non plus : t’as bien deux minutes pour moi, je pense. » Elle ne lui laissait pas le choix : autant que ce soit clair. L’utilisation de la diplomatie, en revanche, serait bien plus dissolue qu’à son habitude. « Ca se serait arrêté là si t’avais pas balancé la rumeur selon laquelle c’est moi qui aurais fait paniquer Ivy sur le set. » Tant qu’à faire, elle passe devant Scarlett et chope un verre de rosé, rien que par volonté de s’imposer. Son regard capte vaguement un signe de main d’un visage familier en sa direction, et elle répond d’un bref sourire distrait, pas franchement enclin à la reconnexion. A la place, elle s’impose un peu plus dans l’espace de Scarlett, reprend ses droits, mâchoire crispée et regard planté dans le sien : « Rien que ça ? » Elle n’en dit pas davantage, parce qu’elle estime son regard suffisamment révélateur : pour tous les défauts qu’elle pouvait lui trouver, tous les griefs qu’elle pouvait lui reprocher, elle ne l’aurait pas prise pour celle qui se prêtait à ce genre de jeux mesquins. « Le premier refus des exécs te suffisait pas, fallait que tu tentes de me coller une réputation d’agresseur au cul ? Tu voulais pas dire que je lui ai mis une main au cul, aussi ? »

@Scarlett Bridgers

La jolie blonde platine au regard de métal fondu est donc la copine ou l’ex de Sloane, ce “déjà fait” murmuré ne donne qu’un bout de l’information, et dans un contexte différent, Scarlett aurait été curieuse. Plus maintenant. Elle se contente de lever un sourcil impatient, parce que les détails de la vie de Sloane ne l’intéressent pas, au contraire, elle préférerait retourner aux côtés de Lola, à prétendre qu’aucune d’elles ne va craquer la première. Mais Sloane semble prête à en découdre, peut-être parce qu’elle a enfin retrouvé de sa superbe après son malaise de la dernière fois, où elle a eu bien du mal à faire le change. Dommage pour elle, elle s’est montrée trop vulnérable et Scarlett ne la voit plus que comme une professionnelle pathétique qui ne sait pas faire son propre métier ni se défendre de ses erreurs.

Elle refuse toujours de voir que derrière la panique de Sloane, il y avait quelque chose d’un peu trop sensible, un miroir tourné vers Scarlett que cette dernière préfère frapper et briser que s’y contempler.

« Te donne pas tant d’importance. Je tiens pas particulièrement à t’adresser la parole outre le minimum nécessaire, et je ne suis pas sûre que quiconque ici soit très intéressée par ton verbiage non plus : t’as bien deux minutes pour moi, je pense. » Scarlett croise les bras contre sa poitrine et dévisage Sloane. « Tu sous-estimes le charme de mon verbiage », elle pique en retour, avant de rajouter : « Mais j’imagine que tu te tournes vers moi car personne ici ne s’intéresse au tien. » Le professionnalisme et le passif-agressif ont été jetés au loin, les armes sont sorties et les couteaux aiguisés.

Sloane veut quelque chose, apparemment, et Scarlett serait presque intriguée de ce qu’elle cherche à prouver à Scarlett avec cette confrontation tardive. « Ca se serait arrêté là si t’avais pas balancé la rumeur selon laquelle c’est moi qui aurais fait paniquer Ivy sur le set. » … Hein ? L’accusation est si stupide que Scarlett a un espèce rire. « Pardon ? » Elle demande d’un ton sec, l’air de dire : répète un peu ta connerie, pour voir. « Rien que ça ? » Scarlett pince les lèvres et a un mouvement impatient de la tête, parce qu’elle voudrait que Sloane aille droit au but. « Je ne sais sérieusement pas de quoi tu parles, et je n’aime pas qu’on me fasse perdre mon temps, alors abrège », elle répond avec un signe du menton pour que Sloane continue et s’explique. « Le premier refus des exécs te suffisait pas, fallait que tu tentes de me coller une réputation d’agresseur au cul ? Tu voulais pas dire que je lui ai mis une main au cul, aussi ? » La réaction de Scarlett est si instantanée qu’elle la prend elle-même par surprise : bras décroisé, elle fait un pas vers Sloane, et sa main trouve l’épaule de la jeune femme, un mouvement d’humeur qui la pousserait presque, un geste qui trahirait un tremblement s’il n’était pas aussi vif. « Est-ce que t’es en train d’insinuer que je mens sur un sujet pareil ?! » Sa voix claque, elle murmure d’une voix basse qui porte une colère viscérale. « Je n’ai jamais dit que tu étais responsable de la panique d’Ivy, j’ai dit que la vérité : que tu avais été incapable de la contenir et la calmer. » Scarlett ne sait même pas pourquoi elle doit s’expliquer sur ce qui est la pure vérité. « Et je ne m’en suis jamais cachée dès le début que oui, je pense que des gens comme toi sur les plateaux embrouillent les acteurs et facilient les débordements plus qu’ils ne les empêchent. J’aurais tendance à dire qu’au vu des dernières mésaventures sur le tournage, ce n’est pas tant une rumeur qu’une constatation. » Elle tranche froidement. « T'es pas une agresseuse, juste une incompétente pathétique. »

@Sloane Jarecki

Le moral en dents de scie, les nerfs à vif : dur de dire qu’elle a ressenti une palette d’émotions plus large depuis l’incident, et dur aussi de ne pas en attribuer une grande partie à Scarlett : c’est injuste, parce que sa colère devrait se retourner contre elle-même, contre sa propre incapacité à laisser son historique de côté pour protéger quelqu’un d’autre, mais c’est la seule issue qu’elle ait. Elle s’en veut déjà trop, et la colère supplémentaire ne peut se diriger qu’envers celle qui lui en veut encore plus ; celle, surtout, à qui elle attribue les rumeurs lancées à son sujet, les mêmes qui ont fait du véritable incident une anecdote face à ce qui a été proféré. Elle a tôt fait d’aborder la chose : elle n’est pas du genre à se perdre en ambages, d’autant moins quand sa carrière peut si sévèrement en être affectée.

La réaction épidermique de Scarlett, qui la prend à l’épaule, ne fait que nourrir sa propre rage, et quand Scarlett a l’audace de s’indigner d’être accusée de mensonge, Sloane rit sans retenue. « De qui d'autre ça vient, alors ? J'ai remonté le fil plusieurs fois de plusieurs personnes, et c'est systématiquement revenu vers toi. » Du regard, elle la met au défi de s’expliquer, ou de trouver une bonne justification. Et aussi sèchement, sa main saisit sa manche pour la dégager de son espace personnel. Les mots de sa vis-à-vis s’empirent à mesure que les secondes passent et forcément, la psy voit rouge, sent sa colère s’augmenter à niveau de celle de la jeune femme face à elle : elle qui a toujours été mesurée et diplomate n’a pas de raisons de se retenir, ici, sinon pour le regard des autres qui lui est franchement annexe. « La contenir ? Peut-être qu’à tes yeux la différence est mince, mais traiter tes protégés comme du bétail incapable de réflexion propre, ça va vite se fatiguer. » Elle sait qu’elle exagère mais n’en fait pas montre, pour autant, et persiste et signe. Elle n’a pas besoin que Scarlett démente quand son avis est déjà fait et qu’au fond, la vérité lui importe moins que le fait que son nom soit lavé : comment Scarlett peut-elle se défendre avec une telle véhémence, quand elle est accusée de bien pire et que la jeune femme ne lèverait pas le petit doigt ? « Tu sais quoi, je me fous de qui a lancé la rumeur, au fond : si tout le monde te l’attribue, c’est que tu estimes plus important de passer du temps à jaser qu’à faire ton boulot. Et ça, c’est un problème. » A son tour d’être sterne et pleine de reproches : elle n’a plus envie d’encaisser, ni les insultes sur ses compétences, ni les généralités foireuses.

« Si tu te concentrais sur ce que tu sais faire, Scarlett, au lieu de t’immiscer partout ? Parce que t’as été amplement volubile sur mes manquements, mais je t'ai beaucoup moins vue à ton poste. »

Elle est presque à ça de brandir un index accusateur mais se retient (ce serait trop cliché, surtout ici et maintenant) ; sa colère est assez forte pour suinter par tous ses pores sans qu’elle n’ait à l’extérioriser par des gestes, et c’est presque pire comme ça. Avoir repoussé son adversaire ne l’a pas éloignée non plus : son regard ne dévie pas du sien une seule seconde, la veine sous sa paupière inférieure pas loin d’exploser. Elle force sa voix à revenir à une hauteur convenable, bien qu’elle soit loin de se soucier des possibles oreilles qui traînaient autour. « À force de dépenser tes mots sur ce que tu maîtrises le moins, on commence à sentir que tu caches un beau tas de conneries. Tu sais, je pense que ça te plaît, d'avoir l'ascendant, d'être dans une position où tu peux critiquer les autres à loisir. Ca empêche les gens de regarder tes propres failles de trop près et de voir qu'à tout moment tu te prendras les pieds dedans. »

@Scarlett Bridgers

« De qui d'autre ça vient, alors ? J'ai remonté le fil plusieurs fois de plusieurs personnes, et c'est systématiquement revenu vers toi. » Scarlett a un rire dédaigneux : Sloane a mal compris à qui elle avait à faire. Scarlett n’a aucun mal à dire du mal des gens devant eux, à être honnête, et elle n’a pas besoin de faire courir des rumeurs pour assumer ses opinions. L’accuser de mensonges est une idée plus que stupide. « Si les gens ne sont pas capable d’assumer le mal qu’ils pensent de toi, qu’ils mettent les rumeurs sur mon dos, ça m’est égal. Mais je ne mens pas sur un tel sujet. » Elle affirme d’un ton sec qui ne laisse pas d’occasion d’argumenter. Pas sur un sujet pareil.

« La contenir ? Peut-être qu’à tes yeux la différence est mince, mais traiter tes protégés comme du bétail incapable de réflexion propre, ça va vite se fatiguer. » Scarlett agite sa main, agacée par le fait que Sloane relève et épluche chaque mot qu’elle choisit, même si elle est pourtant en train de faire de même. « Ne te ridiculise pas en prétendant connaître les tenants et les aboutissants de ma relation avec Ivy », elle assène froidement, agacée que Sloane revienne se mêler de ce qui ne la regarde pas alors qu’elle devrait pourtant se faire minuscule au vue des derniers déboires. « Tu sais quoi, je me fous de qui a lancé la rumeur, au fond : si tout le monde te l’attribue, c’est que tu estimes plus important de passer du temps à jaser qu’à faire ton boulot. Et ça, c’est un problème. » Scarlett penche la tête, et observe Sloane avec une condescendance franchement insultante. « Tu n’as pas compris, Sloane : m’assurer que les gens qui travaillent avec Ivy soient compétents fait parti de mon boulot, et je ne me cache donc pas quand je pense qu’ils ne le sont pas. » Quoi, Sloane n’a jamais été face à quelqu’un qui lui tient tête ? Elle a un sourire mesquin.

« Si tu te concentrais sur ce que tu sais faire, Scarlett, au lieu de t’immiscer partout ? Parce que t’as été amplement volubile sur mes manquements, mais je t'ai beaucoup moins vue à ton poste. » Oh la classique technique d’attaquer pour se défendre. Scarlett pourrait l’applaudir, parce qu’elle la pratique aussi. Seulement, il faudrait que Sloane ait de quoi assurer ses arrières pour faire de telles affirmations. A commencer par ne pas avoir de manquement, pour commencer. « Sois sûre que je veille à toutes mes obligations professionnelles envers Ivy. Du reste, ne prétend pas savoir ce que je fais à mon poste. » Sauf que Sloane ne semble pas prête à lâcher, loin de là, et les accusations continuent de fuser. « À force de dépenser tes mots sur ce que tu maîtrises le moins, on commence à sentir que tu caches un beau tas de conneries. Tu sais, je pense que ça te plaît, d'avoir l'ascendant, d'être dans une position où tu peux critiquer les autres à loisir. Ca empêche les gens de regarder tes propres failles de trop près et de voir qu'à tout moment tu te prendras les pieds dedans. » Scarlett a un rire, parce que la colère de Sloane ne l’intimide pas - encore - et qu’elle sait garder le contrôle. Elle sait que le dédain fera sortir Sloane de ses gonds, et elle ne cherche même pas à s’en excuser. « Mes failles ? Arrête de projeter. Je fais ce métier depuis des années sans me prendre le pied dans le tapis, mais ça, ce n’est pas quelque chose que tu peux comprendre, n’est-ce pas, Miss Probation ? » Elle siffle avec méchanceté. « Je n’ai pas à aimer avoir l’ascendant, je l’ai, tout simplement. C’est plutôt facile quand je bosse avec des gens comme toi. »

@Sloane Jarecki

« C’est tes propres mots qui te ridiculisent. Du reste, je te laisserai en parler avec elle : elle le fait suffisamment avec moi. » Et ça lui ferait mal d’admettre que c’est largement positif : Ivy ne comprend pas Scarlett, elle la craint, mais elle la voit malgré tout comme une bonne pro. Le genre discrète et efficace comme un hitman, et le genre qui inquiète quand elle s’énerve tant elle semble de glace d’habitude. C’est ça, qui est ressorti, quand elles en ont parlé : Ivy admire Scarlett autant qu’elle la craint, et toute action de sa part entraîne une peur de générer de la déception. C’est une divinité davantage qu’une agente en relations publiques, l’archétype que Sloane n’a aucun scrupule à rapprocher des bullies au collège. Elle le prouve encore ce soir : elle a cette façon bien particulière d’argumenter qui reprend chaque parole pour la retourner contre soi et qui s’appuie sur un set de valeurs présupposé pour être au-dessus de toute remise en question. Scarlett se le justifie nécessairement d’une manière ou d’une autre pour slalomer entre les dissonances cognitives : ça l’épaterait presque si ça ne l’excédait pas.

Alors elle attaque : elle déteste en venir à l’ad hominem, mais poussée à bout, incapable de raisonner avec le prix Tête de Mule 2024 qui est déjà bien parti pour conserver la couronne l’an prochain, il ne lui semble pas exister d’autres choix. « J’assume d’avoir des failles quand tu te contentes de t’engouffrer dans les brèches pour piétiner celles des autres. Je ne sais pas ce que je qualifierais de compétent dans ce cas-là. » Elle ne prétendra pas savoir ce que Scarlett fait de ses journées, mais elle défendra parfaitement l’impression que sa charge sur le set consiste en large partie à la discréditer, et elle n’a plus de patience pour ce genre de comportements. « Tu sais pourquoi tu te prends pas les pieds dans le tapis ? T’exclus l’humain de toute notion de labeur et tu fais tes tâches comme un robot : sans émotions ni empathie. Tu hiérarchises et tu condamnes. » Pas besoin d’être une psy, non plus, pour le comprendre et le sentir à des lieues : si Elon Musk avait une fille de la trentaine, il n’y aurait aucun doute sur ce qu’elle faisait aujourd’hui. « T’as prouvé à maintes reprises que t’étais au-dessus de tout raisonnement, de toute façon. Je sais pas pourquoi je prends la peine d’essayer de trouver un quelconque terrain d’entente quand tu passes ton temps à le brûler. » Et c’est peut-être ça le plus agaçant, au fond : c’est qu’elle a pris de son temps pour essayer de la comprendre, de lui céder un peu de terrain pour qu’elles arrivent à s’entendre, ou du moins à se tolérer. Le pire, c’est qu’elle a presque réussi, et qu’elle a cru arriver à quelque chose.

« J’ai réparé les torts que j’ai causés à Ivy. On en a parlé, plusieurs fois : trois par semaine, exactement. » Et elles avaient fait du progrès, parce qu’Ivy avait mal vécu l’incident et que trouver quelqu’un qui était passée par-là lui avait permis de s’ouvrir davantage. Lors des quelques scènes difficiles à tourner ensuite, elles avaient pris soin d’en parler en amont et de débriefer ensuite, avec des clés pour mieux gérer et pour mieux se comprendre. C’était là, que Sloane voyait du vrai progrès, et s’il avait fallu passer par un échec pour y parvenir, elle le défendrait sans problème : elle aurait préféré ne pas passer par-là, mais ça avait eu le mérite d’accoucher du bon. « T’es infoutue de tourner la page ? Soit. T’as monté ton dossier. Maintenant, sors mon nom de ta bouche et trouve mieux à faire avec celle-là. T'auras plein d'occasions ce soir pour faire ça au lieu d'utiliser ton cerveau. »

@Scarlett Bridgers

« J’assume d’avoir des failles quand tu te contentes de t’engouffrer dans les brèches pour piétiner celles des autres. Je ne sais pas ce que je qualifierais de compétent dans ce cas-là. » Scarlett écoute Sloane se chercher des justifications et commence presque à perdre patience, elle qui pourtant est incapable de supporter beaucoup. Ce que Sloane ne semble pas comprendre, c’est que Scarlett n’a pas à assumer ses failles, puisqu’elle n’en a pas. Oh bien sûr, elle a des défauts, comme tout le monde, elle sait qu’on la trouve froide, tranchante, trop ambitieuse. Mais au travail, on ne peut rien lui reprocher, elle a toujours trois coups d’avance, sait se montrer bonne joueuse quand elle perd, rebondit facilement et rapidement. Scarlett est infaillible : elle a construit toute sa vie autour de cette notion-là. « Tu sais pourquoi tu te prends pas les pieds dans le tapis ? T’exclus l’humain de toute notion de labeur et tu fais tes tâches comme un robot : sans émotions ni empathie. Tu hiérarchises et tu condamnes. » Scarlett lui adresse un sourire condescendant. « C’est bien une remarque de psy, ça, penser qu’il faut absolument de l’empathie, de la sensibilité, god, it’s so boring », elle lâche dans un rire. « J’ai l’une des meilleures agences de pr d’Australie à 31 ans, pourquoi changer mes méthodes ? » Elle réplique, sans aucune humilité. Elle ne se cache pas de sa réussite, bien qu’elle puisse être pudique et discrète quand il le faut. Là, en l’occurence, Sloane la cherche : elle la trouve.

« T’as prouvé à maintes reprises que t’étais au-dessus de tout raisonnement, de toute façon. Je sais pas pourquoi je prends la peine d’essayer de trouver un quelconque terrain d’entente quand tu passes ton temps à le brûler. » Scarlett secoue la tête et lui offre un rire dédaigneux comme réponse ; elle considère avoir gagné la bataille, être au dessus. C’est trop facile, se dit-elle. « Je ne sais pas non plus pourquoi tu perds ton temps. » Et pourquoi elle lui fait perdre le sien, au passage. « J’ai réparé les torts que j’ai causés à Ivy. On en a parlé, plusieurs fois : trois par semaine, exactement. » Scarlett lève les yeux au ciel. Elle est malheureusement bien au courant de cette information, gardant toujours un oeil sur la relation d’Ivy avec Sloane - et avec le reste du plateau. Elle regarde de près toutes les rumeurs qui trainent sur twitter et dans la presse, alerte à l’idée que quelque chose que confierait Ivy fuite, c’est dire à quel point elle n’a aucune confiance en Sloane. « T’es infoutue de tourner la page ? Soit. T’as monté ton dossier. Maintenant, sors mon nom de ta bouche et trouve mieux à faire avec celle-là. T'auras plein d'occasions ce soir pour faire ça au lieu d'utiliser ton cerveau. » Scarlett lève un sourcil, presque amusée si elle n’était pas aussi excédée. « A vrai dire, c’était mon plan avant que tu ne viennes me tenir la jambe, Sloane », elle siffle d’un ton cassant. « Et à l’avenir, donne moi des bonnes raisons de ne plus avoir à parler de toi, en faisant par exemple, hm, je ne sais pas, correctement ton boulot ? » Elle ironise, faussement innocente, avant d’hausser les épaules et tourner les talons, parce qu’elle compte bien être celle qui a le dernier mot.


@Sloane Jarecki