i can fix her (no really i can)
@Ambrose Constantine ☆ crédit/ssoveia

Deux solutions s’offraient à Josephine. Soit elle débarquait chez Charlie à l’improviste en prétextant rien d’autre qu’avoir envie de la voir ; soit elle prenait le temps de faire les choses convenablement en lui filant un rendez-vous de dernière minute quelque part, là où elles ne seraient probablement pas seules, et où la menace de voir apparaître la lentille d’un téléphone poussé sur la fonction appareil-photo, ou de voir apparaître un appareil-photo tout court, planerait au-dessus de leurs têtes. Son choix fût rapidement fait lorsqu’elle quitta le Lone Pine Sanctuary, et sur l’instant, elle ne s’inquiéta pas de savoir si oui ou non, elle trouverait vraiment Charlie chez elle. Elle improviserait, elle avait le talent pour ça, elle en était capable. Durant le trajet jusqu’à chez sa grand-mère, elle jeta un oeil curieux sur Internet à propos de comment s’y prendre pour appréhender le dialogue avec quelqu’un qui, comme Charlie, était sur la tangente et semblait faire des choix aussi douteux que s’enfoncer dans une consommation excessive de drogues dures. Elle trouva des témoignages qui lui firent grincer des dents, elle lut des conseils qui lui donnèrent envie de hurler, et finalement, plus frustrée qu’autre chose par sa lecture, elle éteignit l’écran de son téléphone portable pour se concentrer sur le paysage qui défilait sous ses yeux, recluse à l’arrière de la berline conduite par Marcus dont elle sentait les yeux posés sur elle au travers du rétroviseur intérieur. Ses plans ne furent pas autant bousculés que ça sur la présente, elle prit cependant le temps de passer chez elle pour se changer et repartit aussitôt en prenant le soin de dire à Ava qu’elle revenait bientôt, qu’elles se verraient avant qu’elle ne quitte la ville le lendemain matin. Tout s’enchaîna très rapidement, puisque prise au dépourvu par les propos de Megan, elle se sentait obligée d’agir vite, sentant un certain poids peser sur ses épaules. C’était un peu comme si, à ce sujet-là, elle n’avait pas vraiment le choix, et que la patate chaude que la blonde lui avait refilé, elle devait s’en débarrasser au plus vite sans pour autant négliger la qualité de l’intervention qu’elle comptait faire auprès de celle qu’elle avait besoin de voir pour s’assurer que ce n’était pas si pire que ça, que leur amie commune avait un peu exagéré à cause de sa propre expérience avec les toxicos de sa famille. Putain, quelle ironie de se dire que la plus susceptible de se défoncer à cause du monde dans lequel elle évoluait, c’était elle.

Elle se retrouvait brusquement titulaire d’une grosse responsabilité, et dans une certaine mesure, elle en voulait à Megan de la lui avoir léguée sans se soucier un instant de ce que ça pouvait lui inspirer. Le temps n’était pas à la rancune cependant, et quand Marcus ralentit doucement avant de s’arrêter pour de bon devant chez Charlie, Jo ne descendit pas tout de suite de la voiture. Elle prit le temps d’inspirer très profondément, de faire le point sur son propre état d’esprit pour se rendre compte qu’elle était loin d’être en rogne contre Charlie, mais qu’elle était atrocement inquiète à son sujet et que ça avait fait naître un énorme noeud au creux de son ventre sur lequel elle posa brièvement la paume en laissant basculer sa tête en arrière ; avant de se secouer les puces, de faire savoir à son chauffeur qu’elle n’était pas sûre du temps qu’elle passerait ici, alors qu’il pouvait vaquer à ses occupations le temps qu’elle lui donne le signal, et puis enfin, elle s’extirpa enfin de là, ne regardant pas derrière elle même si une force intangible tachait de lui faire entendre que c’était une mauvaise idée, qu’il fallait qu’elle considère une autre option, et que surtout, elle s’occupe de ce qui la regardait. Sauf que ça la regardait, quiconque prétendrait le contraire en lui rappelant qu’à une époque, elle se foutait bien de ce qui aurait pu arriver à Charlie, n’avait jamais eu des amis dignes de ce nom. Ainsi, elle ne se laissa pas le temps de faire demi tour. Elle alluma brièvement l’écran de son téléphone qu’elle tenait fermement dans sa main, jetant un regard presque superstitieux à son fond d’écran qui n'était autre qu’une photo d’elle et de Midas, et plus ou moins déterminée, elle sonna à la porte "Chérie, je suis rentrée." entama-t-elle en entendant du bruit de l’autre côté de la porte, signe qu’elle n’allait pas tarder à s’ouvrir. Si elle battit exagérément des cils, elle ne sourit pas à la jeune femme qui lui ouvrit une seconde après, gardant la neutralité de son expression pour pouvoir lui dire, comme si tout était normal, comme si elle n’était pas en train de la fixer pour prendre la mesure de l’étendue des dégâts — invisibles, ce qui ne l’empêcha pourtant pas de lui dire, comme elle l’aurait fait en temps normal, et ce en se faufilant insidieusement par l’interstice laissé par Charlie à qui elle donna un baiser sur la joue en passant tout près d’elle "T’es hideuse." Et puis rapidement après, jetant un très bref regard à son environnement avant de se retourner gracieusement vers elle et la toisant dans la foulée, elle lui demanda sur l’air de ne pas y toucher "Je te dérange ?"

Le problème quand on est Charlie Fawcett, c’est qu’entendre "Chérie, je suis rentrée." ne signifie pas automatiquement que c’est une amie qui a un bon sens de l’humour. Elle réfléchit à ce qu’elle a fait de sa nuit dernière et de celle d’avant encore, elle se remémore avec précision ses diverses gueules de bois et des moments où elle aurait pu merder et déclarer sa femme au premier venu, qu’il soit une elle n’y changeant absolument rien. Fort heureusement, son marathon mental prend fin à la seconde où un coup d'œil dans le judas lui fait simplement comprendre qu’il s’agit de Jo et de personne d’autre. "T’es hideuse." - « Ton maquilleur est en grève ? » Elle est toujours belle, Jo, même quand elle n’est pas un pot de peinture qui s’apprête à passer à la télévision ou faire un shooting pour Dieu sait quel magazine côté et que Charlie ne connaît de toute façon que de nom. Elles se sont détestées brièvement, elles ont aussi échangé un baiser, et voilà que Jo prend déjà toute la place dans son espace personnel alors que les yeux de Charlie parcourent la pièce vitesse grand V pour retrouver des preuves compromettantes.

"Je te dérange ?"
« Si tu veux juste me gratter à manger, sache que ce soir c’est restes. »

Est-ce que tu peux repartir d’où tu viens, s’il te plaît ? La nonchalance est habituelle dans les réactions de Charlie et fort heureusement, mais en temps normal elle ne le fait pas avec des pupilles autant dilatées malgré la lumière maximale de son salon. « Tu m’invites à un club privé au moins, j’espère ? » Elle déborde d’énergie, bien sûr qu’elle déborde d’énergie et qu’elle est déjà en train de se demander ce qu’elle pourrait porter, l’idée que le plus court et le mieux ce sera. Ses pas la mènent jusque dans son dressing, où un boxer oublié de Ken est naturellement jeté dans le panier à linge comme s’il n’y avait rien de plus normal à ça. « Un thème ? » Le club privé, leur soirée qui existe déjà à part entière dans l’esprit de Charlie : est-ce que tout ça a un thème ? Elle doit le savoir pour anticiper ses vêtements, c’est évident. Elle ne peut pas croire que Jo lui rend visite simplement pour lui parler de la pluie et du beau temps et puisqu’elle n’est pas en droit d’entendre ses histoires de coeur avec M. depuis qu’elle a mis sa langue dans sa bouche et d’autres trucs du genre, elle se doute que ce n’est pas non plus la raison derrière ses mots doux.

i can fix her (no really i can)
@Ambrose Constantine ☆ crédit/ssoveia

Se faire traiter de vulgaire pique-assiette ne suscite aucune réaction chez Jo. Juchée sur ses talons compensés, elle continue d’arpenter du regard le lieu de vie de Charlie comme si elle allait y débusquer quelque chose d’un seul coup d’oeil et se faire mâcher le travail d’interrogatoire qu’elle n’avait clairement pas envie de mener. Elle pourrait se débarrasser de la corvée en rentrant directement dans le vif et en faisant comme à son habitude, sans prendre de gants, mais le sujet est délicat et elle sait ce qui l’attend. Considérant comment les choses se sont déroulées avec Megan, elle n’attend pas de Charlie qu’elle soit plus tendre avec elle quand elle lui mettra le nez sur ses conneries : elle n’a pas envie de ça, d’être traitée comme une fouineuse ou d’être rappelée à son statut de simple coup de vent dans la vie de quelqu’un qu’elle aime beaucoup pourtant. Alors elle est précautionneuse en plus d’être silencieuse et pose son sac sur l’îlot central de la cuisine avant de suivre Charlie vers l’endroit qu’elle a choisi d’investir pour nourrir ses lubies. Elle a l’air bien, c’est ce qu’elle se dit Jo en la regardant s’agiter ; elle se dit aussi qu’elle n’est pas aussi survoltée d’habitude, que ses gestes sont un peu plus posés et que, surtout, à cette heure de la journée, ce qui l’obsède généralement, ce n’est pas d’aller s’enfermer dans un putain de club privé pour s’en mettre plein le nez. C’est con comme réflexion, ça la rend aussi bien naïve compte tenu du fait qu’elle soit énormément de choses, sauf naïve justement, mais elle pense aux frites et aux milkshakes qui étaient leur petit rituel et elle songe que cette époque est révolue, que Charlie a besoin d’autre chose que de sel et de sucre pour trouver goût à la vie. Ça lui brise le coeur.

La hanche calée contre le renfoncement du dressing de la jeune femme, elle replace les bracelets qu’elle porte aux poignets, sécurise les bagues qu’elle a aux phalanges, expression de toute la nervosité rentrée qu’elle ressent, et croise les bras sur sa poitrine "Pourquoi tu veux absolument sortir ? Tu te sens pas bien chez toi ?" Elle creuse sans savoir où elle va. Elle est nulle pour ça et ce sans que ça relève d’un manque d’intérêt ou de compassion de sa part, mais elle fait partie de ceux qui ne parlent pas de leurs problèmes. Elle a généralement envie de gifler ceux qui la forcent à le faire, de fait tenir ce rôle aujourd’hui, ça la place dans une position qu’elle déteste — elle déteste Megan de lui avoir imposé d’en avoir quelque chose à foutre de toute cette putain d’histoire, elle déteste Megan de s’être déchargée de la responsabilité de faire quelque chose juste parce qu’elle a des traumas à gérer. Elle suit les mouvements de Charlie, essaye de capter son regard ; et elle le fait, le temps d’une seconde à peine. C’est suffisant pour voir la dilatation de ses pupilles, et quand bien même elle serait en droit de penser que c’est juste parce qu’elle est heureuse de la voir, elle sait que la vérité est différente et qu’elle n’attend qu’une seule chose : qu’elle se tire. Ça lui fait loger le bout de sa langue dans une dent du fond et puis détourner la tête en réfléchissant à toute vitesse. Et puis merde à la fin "T’es à combien de grammes par jour ?" Elle ruine ses efforts de délicatesse toute seule, mais ce n’est pas sa zone de confort. Elle sait faire semblant quand ça la concerne elle, quand elle doit préserver son état d’esprit et ses secrets, mais elle a du mal à ne pas rentrer dans le tas quand elle sent que quelque chose ne tourne pas rond, encore plus quand elle sent que quelque chose ne tourne pas à son avantage. Il ne s’agit pas vraiment d’elle ici, c’est vrai, mais elle a un mauvais pressentiment et c’est assez prégnant pour qu’elle ne veuille s’imposer aucune comédie "Je veux juste savoir." ajouta-elle, s’efforçant à affronter ses yeux qu’elle ne reconnait pas.

"Pourquoi tu veux absolument sortir ? Tu te sens pas bien chez toi ?"
« Depuis quand tu me poses des questions à la con du genre ? »

Elle n’est pas bien entre quatre murs et ne l’a jamais été. Elle n’est pas bien quand elle a trop d’espace, quand elle a trop de place. Elle n’est pas bien quand personne n’hurle dans ses oreilles, ni personne physique, ni musique. Elle n’est pas bien quand elle ne se sent pas aimée, chérie, utile ; mais ça, ça n’a rien de nouveau. Il n’y a pas besoin d’être medium pour le comprendre, surtout alors que Charlie elle-même se montre plutôt transparente sur ce point et n’hésite pas à l’avouer d’elle-même. Jo le sait ; tout le monde le sait. "T’es à combien de grammes par jour ?" Mais ça, elle espère que tout le monde ne le sait pas. Elle redresse le menton tout en accordant un regard assassin à Jo. « Sois pas si dramatique. » Et si on pourrait croire qu’elle est en train de nier les accusations, il n’en est rien. Elle se contente de changer de sujet, ce qui est loin d’être la même chose. Tout ce qu’elle dit, c’est que Jo n’a pas à s’en faire. Elle est une adulte majeure et vaccinée et quand bien même elle n’est pas raisonnable, elle sait au moins comment se débrouiller pour ne pas claquer entre les doigts de qui que ce soit.

"Je veux juste savoir." Le regard qu’elle insiste pour poser sur Charlie ne trouve personne. La blonde, elle, semble avoir une infinité d’autres objets à observer. « Pour la science ? Une star de la chanson qui se drogue c’est trop vu et revu, me fais pas ça. » Elle ricane avec un sourire en coin, elle-même très loin d’être convaincue par ses mots. Peut-être que Jo aurait au moins eu une véritable excuse pour y toucher, là où Charlie n’en a pas vraiment si ce n’est qu’elle est faible et qu’elle n’a jamais su dire non face à des jolis yeux pour lesquels elle a toujours été prête à tout. Et là encore, elle est au moins capable de se rendre compte que Kendall n’est pas le coupable, quand bien même il s’est immiscé dans une faille qu’elle a laissé paraître à ses côtés. « T’as mieux à faire de tes soirées, Jo, laisse les interrogatoires à mes journées de boulot. » Elle souffle doucement, bien consciente que son amie n’aimerait aucune des questions qu’elle pourrait lui apporter, raison pour laquelle elle juge encore préférable de tout simplement éluder le sujet. « Tu peux rester si tu veux parler d’autre chose, mais sinon c’est peine perdue. » Et s’il faut être honnête sur un point, alors il en sera ainsi: Charlie n’a jamais cultivé la langue de bois et elle fait face à une des rares personnes en ce monde qu’elle estime être sur la même longueur d’onde qu’elle sur ce point.