how did it end?
@Megan Williams ☆ crédit/ssoveia

Son équipe autour n’avait rien compris. Jo elle-même avait à peine compris ce qui se passait. Et pour tes engagements de demain matin ? C’est pas n’importe quel média Jo, bordel. Elle avait lancé à son attaché de presse le genre de regard venimeux qu’il fallait craindre, s’échappant de sa suite d’hôtel sans cérémonial, le téléphone fiché à l’oreille en espérant qu’au bout du fil, Charlie allait enfin lui répondre. Elle passa donc à côté des derniers messages de Megan, elle passa à côté de ceux de Midas, elle passa à côté de ceux de Thomas qui continuait à la harceler non-stop en lui disant qu’il en avait assez de travailler pour une putain de diva. Rien à foutre de tout ça. Rien à foutre de piquer un scandale à l’aéroport pour avoir le droit à son siège pour le dernier vol de nuit pour Brisbane, et rien à foutre qu’on la fourre en classe éco alors qu’elle avait encore près de 10 000 boules de fringues sur les fesses — sans compter le make-up, les bijoux, et les chaussures ; elle n’avait pris que son passeport et son téléphone, le reste était resté auprès de son équipe, si elle avait encore une équipe à l’heure qu’il était "Décroche." Et merde s’entendit-elle pester en voyant l’hôtesse de l’air s’avancer vers elle pour lui rappeler que l’avion était sur le point de décoller et qu’il fallait qu’elle s’abstienne d’utiliser son téléphone. Elle n’avait prévenu que Megan de son retour-express en ville, et comme elle l’avait fait un nombre incalculable de fois avant de pouvoir jouir du privilège d’être constamment assistée, elle s’était débrouillée toute seule. Pas d’assistante, pas de Marcus, pas de Thomas, absolument personne autour pour l’aider ou la rassurer sur ce qui semblait pourtant être une réalité qu’elle refusait d’entendre : Charlie était morte. Brusquement, elle sentit une bouffée intense d’angoisse monter en elle en matérialisant ce fait dans son esprit, elle sentit la peur irrationnelle qu’elle ressentait beaucoup trop souvent ces derniers temps s’emparer de sa détermination à ne pas flancher, alors elle se cala profondément dans son siège en maintenant le genre de respiration hachurée qui la faisait surement passer pour une demeurée. Déterminée, elle se ferma à l’idée d’une Charlie éteinte. C’est la seule chose qu’elle fut vraiment capable de faire, s’installant dans un déni bien trop facile à alimenter. Elle ne voulait pas y croire, elle refusait d’y croire, et elle le fit durant les presque deux heures qu’elle passa à devoir contenir ce qui se passait dans son corps, dans sa tête, avant de s’astreindre à la garder froide quand le temps fut venu pour elle de se réanimer.

Pas de Marcus, voulait dire pas de voiture prête à l’emploi, alors elle batailla avec d’autres voyageurs pour s’octroyer la primeur d’un taxi dans lequel elle monta vite fait après avoir traversé tout l’aéroport, talons à la mains. Elle se foutait qu’on la reconnaisse, qu’on la prenne en photo, ou qu’on se demande ce qui se passait pour elle ; rien de bon si on considérait l’élan de détresse avec lequel elle marchait vers son but. Elle donna l’adresse des Williams au chauffeur de taxi, et ne prit une respiration uniquement pour prévenir Midas que quelque chose était arrivé, qu’elle lui en dirait plus bientôt, mais qu’elle allait bien, ne voulant pas prendre le risque que qui que ce soit le mette au courant avant qu’elle ne le fasse et qu’elle doive en plus gérer son inquiétude en plus du reste. Merde, dans quel état allait-elle retrouver Megan ? Elle se posa la question tout le long du trajet en taxi, se répétant inlassablement qu’elle, elle devait rester forte et stoïque ; c’est plus ou moins ce qu’elle était quand, dans sa sublime tenue de soirée, pieds nus, ses chaussures oubliées dans le taxi qui fila derrière elle, elle arriva devant chez Damon et Megan, et qu’une fois qu’on lui ouvrit la porte, elle s’engouffra sans délai à l’intérieur en énonçant une demande simple, mais douloureusement directe "Explique-moi. Dis-moi ce qui s’est passé."

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Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveia

 tw overdose, décès

Je n’ai pas touché à mon téléphone pendant les heures qui ont suivi l’annonce du décès de l’une de mes plus proches amies. Je n’ai pas appelé Jo, je n’ai contacté personne. Ramenée à l’appartement par un Damon aux petits soins mais désemparé, je me suis allongée sur le canapé et je n’ai plus bougé. Ce n’est que le lendemain que j’ai émergé de cette horrible torpeur, le coeur toujours ankylosé, le ventre creux mais trop noué pour avaler quoi que ce soit, l’âme brisée, que j’ai demandé à Damon où était mon téléphone. Mon époux l’a retrouvé abandonné sur le siège passager de la voiture garée dans l’allée de notre maison, et lorsque je l’ai pris entre mes doigts, j’ai été mortifiée de ne rien y trouver de particulier. Pas de messages par dizaine. Pas de notifications sur les réseaux sociaux qui sortaient de l’ordinaire. Charlie est morte et le monde a continué de tourner. Sur mon répondeur, un message de la mère de mon amie que je n’ai pas la force d’écouter. La mère en deuil m’a également envoyé un message pour m’informer de la date et du lieu des funérailles de sa fille. Charlie n’est plus là, une jeune femme de vingt-sept ans, et les choses suivent leur cours comme si de rien n’était.

Devoir apprendre la nouvelle à Jo m’a brisé le cœur à nouveau. J’aurais préféré qu’elle ait été prévenue par un autre biais, mais je me doutais toutefois que je jouerais le rôle de l’oiseau de mauvais augure en envoyant mon premier message : si elle l’avait appris, j’aurais eu des dizaines d’appel en absence de sa part entre hier en fin d’après-midi et aujourd’hui. Sommes-nous le matin ? L’après-midi ? Je l’ignore, et les détails purement logistiques dans ce genre n’ont pas la moindre importance. Damon reste avec moi, bien entendu, Damon me serre la main, Damon me prépare un repas, une collation que je ne touche qu’à peine, Damon me brosse les cheveux et me masse doucement le crâne et les épaules et me prend dans ses bras lorsqu’il sent que je vais flancher à nouveau, mais je ne prononce pas beaucoup de mots. J’ai l’impression d’être anesthésiée. Après demain, l’enterrement, je devrai retourner à l’université et je me demande où est-ce que je trouverai la force de le faire.

Jo m’informe qu’elle arrive, qu’elle prend l’avion mais mon esprit ne retient pas l’information. Quand elle frappe à la porte, c’est Damon qui lui ouvre, la salue sans un mot, revient au salon m’embrasser la joue et disparaît dans notre chambre pour nous laisser toutes les deux. Sans doute me glisse-t-il qu’il est là, qu’il ne disparaît pas et que je n’ai qu’à l’appeler au besoin, mais je ne l’entends pas. J’ai la présence d’esprit de me tenter d’arranger mes cheveux - Damon les a tressé mais la coiffure reste approximative - de me redresser, et de lisser maladroitement le haut de mon pyjama en satin que je n’ai pas quitté depuis que Damon me l’a déposé hier soir sur le lit, propre et parfaitement plié, au sortir d’une douche qui n’a pas suffit à laver ma tristesse et m’en débarrasser. « Explique-moi. Dis-moi ce qui s’est passé. » Elle ne me prend pas dans ses bras. Elle ne me garde pas contre elle le temps de partager sa peine avec moi, pas de me soulager de mon fardeau puisqu’elle porte certainement le même, mais de m’aider à le rendre moins insupportable grâce à sa présence. Sa froideur apparente contraste avec l’attitude douce de Damon, avec la tendresse de mon italien. Elle me fait l’effet d’une décharge électrique.

Elle veut que je lui raconte, comme si j’étais une putain de rubrique nécrologique. Je tente de redevenir moi-même, de me rappeler que j’ai un putain d’amour propre, que j’en avais un avant de m’effondrer. « Sa mère m’a appelée parce qu’elle sait qu’on se fréquentait depuis l’université et qu’on se voyait encore beaucoup. » Cette pauvre femme a certainement fait le tour du répertoire de sa fille pour répéter le douloureux exercice auprès de je ne sais combien d’amis proches de sa fille. « C’est arrivé dans la nuit de jeudi à vendredi. Ses chiens ont alerté les voisins, quelqu’un avait les clés de chez elle. » Et a trouvé la jeune femme étendue je ne sais où, je n’ai pas demandé les détails, je ne veux pas les connaître puisque sans eux je suis déjà assaillie d’images morbides et qui me brisent le coeur. « Je vois pas ce que tu veux que je te dise de plus. » Les secours ont été appelés, mais il était bien trop tard. Charlie n’est plus là, et je ne vois pas l’intérêt d’écrire une putain de dissertation au sujet des événements.

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"Je lui ai envoyé plein de messages, mais elle me répond pas." Elle ne le faisait pas exprès. Elle aurait joué la comédie qu’elle n’aurait pas été capable de le faire aussi bien. Ça ne voulait pas rentrer, et ça ne rentrerait pas tant qu’elle n’aurait pas la certitude que ce qu’elle avait appris il y avait à peine quelques heures de ça n’était qu’une mauvaise blague. Quelque chose lui disait pourtant que Megan ne s’amuserait pas avec ce genre de choses, qu’elle ne prendrait pas la peine de mettre sur pied un canular aussi élaboré, qu’elle ne tournerait jamais en dérision un sujet aussi épineux, aussi douloureux, pour elle. Sauf que dans le processus de deuil, Jo était bloquée entre deux étapes : le choc et le déni, l’un se superposant à l’autre pour déterminer qui avait le droit de s’emparer d’elle pour la détruire.

À distance de la jeune femme, elle voyait son état. Elle voyait bien son visage défait, elle voyait bien qu’elle ne présentait pas si bien que d’habitude et qu’au fond de ses iris délavées, il y avait quelque chose qui s’était brisé, mais elle ne réussissait pas à savoir quoi. Parce que ce qu’elle lui rapportait là, ce qu’elle lui avait demandé de lui expliquer, déboulant comme une furie après un vol de dernière minute, ça restait encore et toujours une blague, n’est-ce pas ? Elle essaya de mettre sa mémoire en route, de déterminer si, quand elle l’avait retrouvée après le décès de sa mère, Megan était aussi dans cet état-là, et sa conscience lui souffla que c’était un comparatif malheureux à faire, parce que oui, en effet : une partie d’elle suintait de la même détresse. Ça la fit vaciller de le comprendre, et elle fut prise d’un léger vertige qui partait de son oreille interne. Elle la sentait, la décharge électrique provoquée par le choc qu’elle avait accusé en lisant les messages de Megan agir en différé ; explosant à l’arrière de son crâne, elle le sentit soudain peser lourd sur ses épaules, et très brusquement, ses oreilles se mirent à tinter, l’isolant de tout ce qui se passait. Ça lui fit fermer les yeux au point d’en voir des nuées de têtes d’épingles lumineuses sous ses paupières enduites de paillettes, sa tête pesant toujours aussi lourd, puis prendre une très profonde inspiration pour que son corps n’oublie pas à nouveau comment on faisait pour respirer — il fallait qu’elle tienne, qu’elle ne panique pas. Elle essaya d’ordonner à tout son être de ne surtout pas s’effondrer, de se contrôler, de garder la tête haute, et de ne pas infliger à Megan de devoir s’occuper d’elle d’une quelconque manière.

Elle le ferait seule, comme elle l'avait toujours fait, elle y arriverait. Elle se laissa trois secondes — rien que trois secondes, avant d’ouvrir la bouche "Rien. Rien, Meg." lui répondit-elle sans agressivité quand elle rouvrit enfin les yeux pendant que son amie lui disait qu’elle ne voyait pas quoi lui dire de plus. Elle n’avait pas envie d’avoir de détails non plus, elle en avait déjà bien assez, même s’ils peinaient à se faire leur place au milieu de sa réalité. Elle resta stoïque, sans rien dire, le temps d’une poignée de secondes supplémentaires durant lesquelles elle regarda ses pieds nus, et réalisa qu’elle avait oublié ses chaussures dans le taxi. En même temps, elle constata qu’elle tremblait juste un peu. Le froid sans doute. Ou tout autre chose. Elle s’en moquait "J’ai pas écouté le message de sa mère. Elle était en numéro inconnu, et j’étais occupée à ce moment-là, j'ai pas jugé utile de rappeler." Elle secoua la tête, ce n’était pas important, néanmoins elle éprouva le besoin de se justifier parce que merde, elle n’était jamais présente. Elle était partout, sauf ici, et encore une fois, on devait lui mettre le nez sur l’évidence pour qu’elle se rende compte que quelque chose ne tournait pas rond, trop focalisée sur ce qu’on attendait d’elle et dont elle jouissait largement, starlette qui n’avait jamais attendu que ça de sa vie, qu’on l’adule et la prenne en exemple. Elle s’anima, rejoignant Megan pendant que, enfin, le sentiment de culpabilité cuisant qu’elle couvait depuis qu’elle lui avait parlé des problèmes de Charlie la posséda de part en part, et que malgré ses efforts pour ne pas pleurer, ses yeux se mouillèrent de larmes en même temps qu’encore une fois, elle cherchait à se justifier "Je suis allée la voir après notre rendez-vous, j’ai pas voulu perdre de temps." Elle savait qu’elle n’avait pas fait mouche, qu’elle avait brassé du vent, aussi elle n’avait pas insisté en se disant que, quand elle rentrerait de son prochain voyage, elle la forcerait à admettre qu’elle avait besoin d’aide. Stupidement, elle s’était dit qu’elle avait le temps, que cette grande perche blonde ruminerait sur ce qu’elle lui avait dit en attendant, et que ça la forcerait à se calmer au moins un peu, le temps qu’elle revienne à la charge avec un vrai plan d’action contre lequel elle ne pourrait rien. Elle sentit sa poitrine vibrer sous le liseré splendide de sa robe de soirée, et cette secousse désagréable, elle se réverbéra partout en elle quand, s’autorisant à prendre doucement le visage de Megan entre ses mains, elle voulut qu’elle voit à quel point ce qu’elle s’apprêtait à lui dire était sincère, et qu’elle la regarda dans les yeux comme jamais elle ne l’avait fait auparavant "Je sais que tu comptais sur moi. Je suis tellement, tellement désolée."

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« Je lui ai envoyé plein de messages, mais elle me répond pas. » - « Mais putain qu’est-ce que tu racontes ? » Un espèce de folle reste coincé entre mes lèvres. Il serait injuste, Jo n’est pas l’origine de ma souffrance et ma colère n’est pas dirigée contre elle. Quelques heures plus tôt, lorsqu’elle a parlé d’essayer de la rappeler, j’ai mis ça sur le dos d’un souci de communication. Je me suis dit qu’elle ou son téléphone avait remplacé un mot par un autre dans son message créant ainsi un résultat de très mauvais goût. « Bien sûr qu’elle répond pas. Elle risque pas. » En temps normal, j’aurais insinué une ironie teintée de désagréable amertume dans le ton de ma voix. Là, elle se brise sous le coup de la douleur remuée par le déni de Jo qui semble s’être rabattue à son tour sur les médicaments, pour dire de pareilles inepties. Lors de notre dernière rencontre, la brune a avoué avoir fait appel à des petites pilule pour surmonter je ne sais quoi. Est-ce dont il est question ? Est-elle elle aussi complètement défoncée ?

Je déteste la situation dans laquelle elle me met. Je déteste le fait de devoir être celle qui lui raconte, celle qui lui explique tout ce qu’il s’est passé comme si j’étais assez détachée de cette histoire pour tenir ce rôle. Ces dernières vingt-quatre heures, j’ai fondu en larmes à intervalles réguliers, parfois sans raison, parfois à cause d’une pensée fugace concernant Charlie. J’ai fondu en larmes à chaque fois que, me réveillant d’un répit accordé par quelques minutes ou quelques heures de sommeil, la nouvelle apprise la veille est revenue à moi. Dieu qu’elles sont précieuses, ces quelques secondes où la brume du sommeil n’est pas encore dissipée et que l’ou oublie sa détresse. « Rien. Rien, Meg. J’ai pas écouté le message de sa mère. Elle était en numéro inconnu, et j’étais occupée à ce moment-là, j'ai pas jugé utile de rappeler. » Je me suis effondrée en apprenant la nouvelle et nous avons guère eu le temps de parler. Je ne me souviens que de ses premiers mots, ceux qu’elle m’a dit en parlant à la façon d’un robot. « Elle a pris. » Ma voix se brise. « Elle a pris quelque chose de coupé au fentanyl. Ils en ont retrouvé des quantités importantes dans son sang. » J’ai envie de croire que Charlie a est tombée dans un piège qui se referme sur de plus en plus de jeunes personnes. Qu’elle n’a pas pris cette putain de merde de son plein gré, qu’elle voulait faire la fête, cette imbécile, et qu’elle est tombée sur le mauvais dealeur. J’ai envie d’y croire même si cela ne rend la chose que plus terriblement injuste. « Je suis allée la voir après notre rendez-vous, j’ai pas voulu perdre de temps. » Je me moque de ce que Charlie a pu trouver à redire. Je m’en fous puisque cela ne changera rien, et que cela ne la ramènera certainement pas. Les doigts de Jo enserrent mon visage et, avant même qu’elle n’ouvre la bouche, je suis déjà agitée par un sanglot, la faute à ce contact physique. « Je sais que tu comptais sur moi. Je suis tellement, tellement désolée. » - « T’y es pour rien. Pour absolument rien. » Jo a tenté de l’aider. Moi, je n’ai fait que repousser Charlie et je n’ai même pas été foutu de dire à sa mère la vérité. « Je pourrais pas dire à sa mère que je savais. J’aurais jamais le courage de lui dire que j’étais au courant et que j’ai rien fait. » Mes mains se posent sur les mains de Jo, toujours posées de part et d’autre de mes joues, et mon front se colle au sien, alors que je suis agitée par un nouveau sanglot et que mes larmes se remettent à couler.

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Elle n’appréciait pas le ton de Megan. Elle n’en dit absolument rien cependant, restant sur l’instant dans sa partie de la pièce qu’elle avait rejointe tout de suite après que Damon lui avait ouvert la porte. Elle ne se limita qu’à une chose, et c’était à un regard distrait, vide, dans sa direction. Elle avait perdu des gens Jo, beaucoup trop, de son humble avis, mais elle n’y était pas toujours étrangère. Elle en avait repoussé plus d’un, des proches ou moins proches, les considérant comme morts parce que c’était plus facile comme ça et que dans son inventaire de compétences qui venaient avec le package haut-en-couleurs du personnage qu’elle était, préférer détester la terre entière, c’était en tête de liste, bien avant même de savoir chanter. Pourtant, elle n’avait jamais vraiment connu le deuil, le vrai. Son grand-père était mort quand elle était gamine, mais elle ne pouvait pas le voir en peinture, malgré les belles histoires qu’elle avait entendues de la bouche de nana. D’ailleurs, elle avait été plus triste pour elle qu’autre chose, ne considérant pas que ce vieil homme lui avait apporté quelque chose, si ce n’était un père avec des névroses — et sans doute son talent pour la musique, mais elle préférait ne pas lui en attribuer le mérite, surtout quand elle savait qu’il lui avait aussi légué sa violence. En revanche, elle le redoutait beaucoup, ce même deuil. Elle savait qu’elle devait s’y attendre avec sa grand-mère qui, de jour en jour, mourrait à sa façon, alors elle faisait tout pour ne pas y penser. Charlie, c’était sa première vraie perte, et puisqu’à une époque donnée, elle avait souhaité plus que tout qu’elle crève, c’était particulièrement difficile à encaisser ; que son voeu funeste se soit réalisé, elle n’y avait jamais aspiré. Elle avait rêvé à plein de choses Jo, mais pas à ce que l’une de ses amies meurent subitement, et surtout pas cette amie-là. Le vertige qui lui avait pris quelques instants plus tôt l’avait forcée à fermer les yeux, ainsi quand elle les rouvrit, ce ne fut que pour voir Megan au travers d’un voile de larmes qu’elle ne voulait pas laisser couler sur ses joues, alors elle renifla avant de s’approcher d’elle tandis qu’elle lui expliquait. Elle, elle ne trouva rien à ajouter à ce qu’elle apprenait, elle en voulait juste un peu à Charlie d’avoir été assez conne pour ne pas se reposer sur son expérience en tant que flic pour être plus prudente, à défaut d’être plus responsable. Inutile de fustiger une morte, elle avait toutefois encore le droit de penser ce qu’elle voulait, subissant tout le reste comme si ce n’était pas la réalité, comme si elle s’était retrouvée piégée au beau milieu d’un film particulièrement mauvais.

Elle aurait dû être plus virulente avec Charlie, elle savait pourtant si bien le faire. Mais on lui reprochait tellement d’être vindicative, on lui reprochait tellement d’être violente, que quand elle avait été la trouver, elle avait été tout, sauf ça. C’était peut-être la première fois de sa vie où ça aurait été justifié, et c’était peut-être la première fois de sa vie qu’elle regrettait sincèrement de pas avoir chopé quelqu’un par le col pour le dérouiller "Toi non plus, t’y peux rien." chuchota-t-elle à Megan qui pleurait déjà bien avant qu’elle ne lui prenne le visage dans les mains. Ressentant son chagrin et sa culpabilité en même temps, tachant de l’en libérer en la rassurant en pensant vraiment ce qu’elle lui disait, elle ne chercha pas à sécher ses larmes : elle avait le droit de pleurer si elle en ressentait le besoin, et elle trouva ça ironique, l’indulgence qu’elle accordait à la jeune femme et à ses émotions quand, de son côté, elle s’interdirait de craquer pendant des jours, des semaines entières. Elle prit une profonde inspiration, laissant le front de Megan rentrer en contact avec le sien avant de la prendre pour de bon dans ses bras, et ce sans rien dire l’espace d’un instant, celui qu’il lui fallut pour vite réfléchir à la suite des choses — à ce qu’elles devraient supporter toutes les deux au cours des prochains jours, à la manière dont elles devraient de soutenir la famille de Charlie qu’elle espérait assez bienveillante pour ne pas leur refuser de célébrer leur amie, de lui dire au revoir, surtout. Elle reprit le visage de Megan dans ses mains quand elle rompit leur étreinte continua de chuchoter sans y penser "T’auras rien à lui dire, d’accord ?" Ne rien dire, ce n’était pas mentir, c’était moralement un peu bancal pour le coup, mais elles devaient se protéger, et si ne pas avouer à la mère de Charlie qu’elles savaient toutes les deux ce qui se tramaient en faisait partie, Jo était prête à prendre la responsabilité du plan qu’elle imposait à la jeune femme traumatisée par sa propre expérience à qui, enfin, elle essuya les larmes avec ses pouces sans que ce ne soit pour autant une façon pour elle de lui ordonner d’arrêter de pleurer "On se lâchera pas, on fera tout toutes les deux. Déposer des fleurs, présenter nos condoléances, et assister aux funérailles… tout." Elle savait parfaitement que Damon pouvait jouer ce rôle là pour Megan, il ne s’agissait pas de s’octroyer la place de quelqu’un d’autre, mais de surtout ne pas abandonner la seule vraie amie qui lui restait dans un moment qui était aussi dur pour l’une que pour l’autre, mais qui réveillerait très certainement beaucoup de choses chez Megan dont elle replaça sa tresse de cheveux blonds sur son épaule en lui disant "Si quelqu’un nous pose des questions, tu seras pas obligée de répondre." Un léger mouvement de tête résolu lui donna la force de la regarder de nouveau droit dans les yeux malgré le fait que les siens, autant que ceux de Megan, étaient humides, et ce pour conclure "Je m’en occupe. Je sais faire."

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J’ai envie que Jo s’effondre ou plutôt, j’en ai besoin. Pas parce que j’ai envie de la voir souffrir à cause d’un quelconque sadisme, j’ai beaucoup de défauts mais pas celui-là, mais parce que je nourris le besoin égoïste de sentir que je ne suis pas seule, que ce n’est pas juste mon monde qui s’effondre mais qu’il y a quelqu’un d’autre avec moi, dans mon malheur. Bien sûr, j’ai Damon à mes côtés. Mais le concernant, les choses sont différentes : il restera avec moi, il avancera avec moi main dans la main parce qu’il m’aime, parce qu’il est tendre et protecteur, mais il ne partage pas ce que je ressens. Empathique, il est capable de se glisser dans mes baskets, mais il n’y est pas vraiment, pas tout à fait. Jo était aussi proche de Charlie que moi. Que dis-je, elle était même certainement plus proche d’elle que je ne l’ai jamais été quoi qu’elle en dise. Alors j’ai besoin qu’elle souffre avec moi et, certainement parce qu’elle veut rester forte, elle ne me donne pas satisfaction. Au moins, maintenant, elle prend mon visage en coupe et caresse doucement mes joues. « Toi non plus, t’y peux rien. » - « Dis pas ça. » Je n’ai pas envie qu’elle me souffle des foutaises qu’elle ne pense pas juste pour me faire me sentir bien. « Tu m’en voulais après la dernière fois. Je le sais. » Elle m’en a voulu de la laisser dans cette situation merdique alors je reste persuadée qu’une part d’elle au moins pense que j’ai laissé tomber notre amie commune. Et elle est en droit de le penser. Elle a raison de le penser. Je le pense également. « T’avais raison. J’aurais dû aider, j’aurais dû venir avec toi. » Bien sûr, c’est prétentieux de penser que ma présence aux côtés de Charlie aurait changé quoi que ce soit. Je ne le pense pas d’ailleurs, mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir coupable de ne pas l’avoir fait, malgré tout. « Peut-être que si on avait été deux. Peut-être que si on avait été avec elle ce soir-là, qu’elle était pas sortie… » Si je ne l’avais pas rejetée, Charlie aurait été avec moi le soir de mon anniversaire, comme elle l’était depuis toutes ces années, et qu’elle ne serait pas tombée sur un dealeur malhonnête, elle n’aurait pas pris cette foutue dose frelatée, elle n’aurait pas triomphé du mauvais chemin qu’elle avait emprunté pour autant, mais elle aurait eu une autre chance. Nous aurions eu une autre chance de lui venir en aide.  

« T’auras rien à lui dire, d’accord ? » Cette femme ne mérite-t-elle pas toute la vérité ? Ne mérite-t-elle pas de connaître au moins les circonstances des dernières semaines de sa fille ? N’a-t-elle pas besoin de comprendre ce qu’il s’est passé pour pouvoir faire le deuil de sa fille ? Bien sûr que si mais, égoïste, je ne suis même pas capable de lui donner ça. Jo m’a prise dans ses bras, à présent. Cette étreinte ne fait pas disparaître ma peine d’un coup de baguette magique, bien évidemment, mais je me sens un peu moins seule. Jo ne pleure toujours pas toutefois, quand chacune des mes phrases est lâchée dans d’horribles sanglots et que je demeure inconsolable. « On se lâchera pas, on fera tout toutes les deux. Déposer des fleurs, présenter nos condoléances, et assister aux funérailles… tout. » Au mot funérailles je laisse échapper un hoquet, secouée par mes larmes, et je pose le bout de mes doigts sur mes lèvres. « Pourquoi elle a fait ça ? » J’en veux à Charlie, et je me sens encore plus coupable face à ce constat. Je lui en veux d’avoir été conne, et je m’en veux de nourrir ce genre de sentiments. « Ce que je lui ai dit Jo… Mes derniers messages. » Ils sont horribles. Et sans doute sa mère les lira-t-elle, lorsque le téléphone de sa fille lui sera remis. A cette pensée, ma honte et mes sanglots redoublent. « Si quelqu’un nous pose des questions, tu seras pas obligée de répondre. Je m’en occupe. Je sais faire. » Jo caresse mon dos, essuie mes larmes et replace mes cheuveux à la façon d’une mère. Et ses yeux brillent, ses yeux brillent à elle aussi et ce constat me prouve qu’elle a mal, elle aussi, qu’elle le gère simplement à sa façon. « T’as pas à faire ça. Tu devrais pas avoir à faire ça. » Elle aussi, elle est en droit de pleurer la disparition de son amie.

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"C’est vrai." Qu’elle lui en voulait la dernière fois, qu’elle lui en voudrait encore longtemps après ça, surtout de l’avoir mise dans une position où elle s’en voudrait toute sa putain de vie de ne pas avoir été assez convaincante et réactive pour inspirer à Charlie l’idée de se prendre en main avec l’aide de ceux qui lui tendaient une perche et d’arrêter ses conneries. Mais sur le moment, elle ne pensait pas à la pointer du doigt pour quoi que ce soit. Anesthésiée par le choc et le déni, ses réactions étaient différentes de d’habitude "Mais on n’est pas la dernière fois." lui chuchota-t-elle. Maintenant, elles se retrouvaient là, à devoir composer avec une perte subite qui redistribuerait les cartes et les pousseraient à remettre de l’ordre dans leurs priorités "Peut-être que t’aurais dû, mais tu crois que ça aurait changé quoi dans le fond ? Tu sais comment elle est butée." Elle s’entendit parler de Charlie au présent, seulement elle n’eut ni le courage ni la force de se corriger comme elle réussit à corriger Megan qui s’enfonçait dans la rétrospective de ce qu’elle aurait dû faire ou pas. Elle reprit son visage dans ses mains, sa voix étouffée par les larmes qu’elle ne voulait pas laisser couler "Fais pas ça. Ça sert à rien." Revenir en arrière constamment pour imaginer une fin différente à celle qu’on leur imposait maintenant. Ça lui ferait plus de mal que de bien, et elle savait de quoi elle parlait à ce sujet.

Elle n’avait pas moins mal que Megan. Elle essayait seulement de garder la face parce qu’elle voyait combien elle, elle peinait à le faire. Elle ne la jugeait pas. Elle admirait qu’elle soit capable de laisser son mal-être exhaler pour s’en décharger au moins le temps que ses larmes sèchent, Jo l’y aidant en passant ses pouces sur ses joues, et en prenant les rênes de la suite des évènements sans aucune hésitation. Elle se savait capable de prendre sur elle. Elle essuierait probablement les retombées de tout ça plus tard, mais pour l’instant, elle devait rester relativement placide pour faire face et affronter ce qui les attendait, Megan et elle. Alors peut-être qu’elle ne prenait pas les bonnes décisions sur l’instant, elle s’en foutait pas mal, soulignant la possibilité de laisser la mère de Charlie dans l’ignorance à propos ce qu’elles savaient ou non au sujet des comportements récents de sa fille. Mais elle agissait dans l’urgence, elle avait le droit à une marge d’erreur plus conséquente que d’ordinaire.

"Je sais pas." Elle ne savait pas pourquoi Charlie avait fait ça. Elle n’était pas sûre que le savoir changerait quoi que ce soit. Megan hoquetait, pleurait, et Jo aurait aimé lui dire de se reprendre, d’arrêter de se comporter comme si elle était la seule à avoir perdu quelqu’un, ne serait-ce que pour lui laisser la place de pouvoir pleurer son amie, elle aussi, mais elle savait à quel point ce serait injuste de la secouer maintenant. Elle ne le fit pas, la prenant dans ses bras quand elle mentionna ses derniers messages qu’elle savait virulents, lui murmurant des shh qui vibraient sous son émotion contenue. Son menton sur l’épaule de Megan, elle sentit une traînée chaude filer le long de ses propres joues, et les effaça rapidement d’un revers de main quand, se redressant pour regarder Megan, elle tenta un sourire — sans succès, évidement "Mais je vais le faire quand même, et ça ira, d’accord ?" Venant écraser sa bouche sur le front de Megan après s’être brièvement juchée sur la pointe des pieds pour l’atteindre bien au centre, elle ajouta "Tu vas me prêter quelque chose à me mettre, je vais rester ici ce soir." Elle ne s’imposait pas, elle faisait simplement ce qui lui semblait le plus opportun de faire.

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Megan Williams & @Jo Carter ☆ crédit/ssoveia

 tw overdose, décès

« C’est vrai. Mais on n’est pas la dernière fois. » Jo a la rancune tenace et le pardon compliqué à obtenir. Lorsque je serai moins bouleversée viendra le temps où je m’inquièterai que Jo entretienne une potentielle amertume à mon égard. Pour l’instant, je m’en veux certainement bien plus que ce qu’elle peut et ne pourra jamais m’en vouloir. Je m’en veux de ne pas parvenir à me débarrasser de la haine et la déception qu’on provoquées chez moi les décisions de Charlie, même si elle n’est plus là pour que j’ai quelqu’un à qui en vouloir de façon tangible. Je me déteste d’être comme je suis, intransigeante et si peu prompte à pardonner un certain genre de "crimes". Je m’en veux de ne pas être plus comme Damon qui, quel que soit le mal qu’on lui fait, se laisse piétiner encore et encore plutôt que de perdre ou de blesser quelqu’un qui lui est cher. Je me dis que je gagnerais à être comme ça. Qu’à défaut de pouvoir sauver ma mère ou Charlie, ma relation avec Molly aurait au moins encore une toute petite chance. Sauf que le feu à l’intérieur de mon cœur et de mes tripes ne semble pas avoir envie de s’éteindre pour autant, au contraire, ma rage risque de s’alimenter au fur et à mesure que mon deuil avancera. « Peut-être que t’aurais dû, mais tu crois que ça aurait changé quoi dans le fond ? Tu sais comment elle est butée. » - « Elle serait pas partie en pensant que je la détestais. » Et elle n’avait aucune raison d’en douter, Charlie, je le lui avais dit et écrit. Je le lui avais jeté au visage en lui criant qu’elle me dégoutait et qu’elle gâché tout. Moi, j’ai l’impression que je suis la seule à avoir gâché toutes nos années d’amitié, au bout du compte. « Fais pas ça. Ça sert à rien. » - « Tu sais que c’est vrai. » Je sais que c’est vrai et je n’ai pas l’intention de faire preuve de clémence envers moi-même. Même Damon au fond doit savoir que j’ai raison. Que j’ai été trop dure et que je m’en voudrais toute ma vie. Qu’en étant là, j’aurais peut-être pu empêcher Charlie de flancher.

« Je sais pas. » J’ai besoin de comprendre ce qui motive certaines personnes à tout gâcher de la sorte. J’ai besoin de comprendre pourquoi une mère qui a une fillette à élever préfère la compagnie des paradis artificiels, pourquoi une sœur qui dit vouloir une famille cache ce genre de chose et pourquoi une policière qui qui s’était sortie de ce genre de connerie replonge sans raison apparente. J’ai besoin de comprendre que je n’y suis pour rien, je crois, parce que cela commence à faire beaucoup de putains d’addict autour de moi pour une seule personne. « Mais je vais le faire quand même, et ça ira, d’accord ? » Je n’ai pas la force de lui dire de penser à elle, pas la force de lui tenir tête et de lui dire que je refuse qu’elle assume tous pour nous deux, je n’ai pas la force de lui dire que je dirai la vérité à la mère de Charlie pour aider cette pauvre femme à faire son deuil. Avec un peu de chance, quelqu’un d’autre que nous était au courant et le lui dira. Moi, j’ai toujours été bien trop égoïste pour ça. « Tu vas me prêter quelque chose à me mettre, je vais rester ici ce soir. » Je hoche la tête docilement, avant de resserrer ma prise autour de ses minces épaules et de replonger mon visage dans ses mèches brune qui essuieront mes larmes. « Je vais demander à Damon, il va te donner quelque chose. » Je ne vais pas demander sa permission pour que la chanteuse reste, à ça il ne s’opposera pas. Je me repose simplement sur lui pour tout depuis hier soir, évoluant de mon côté en pilote automatique, et cette affirmation n’est que la preuve de tout ça.

RP terminé.