To my surprise, there's no one to blame
Megan Williams & @Auden Williams ☆ crédit/genuineviolence

Les drames se succèdent et, parfois, je songe que c’est la façon choisie par l’univers pour me faire payer mes choix douteux de ces trois dernières années. Pourtant, Scott méritait que je coule sa carrière, cela ne devrait-il pas compter un peu aux yeux du karma ? Quant à mes mensonges, Damon les a pardonnés depuis longtemps à présent, n’est pas tout ce qui compte ?

S’il s’agit de la méthode choisie par le destin pour que j’expie mes fautes, il a un sens de l’humour plutôt douteux.

La mort de Charlie m’a faite chanceler, la fausse couche m’a mise à terre et, maintenant, vient s’ajouter à ça la nouvelle de la mort de mon beau père dans un hôtel luxueux de je ne sais quel paradis fiscal. Face à Sloan, Damon est resté stoïque, presque trop pour que je ne me fasse pas de souci pour lui. Il n’a pas fondu en larme, il n’a pas claqué les portes de notre jolie villa, il ne s’est pas isolé toute la soirée mais, observatrice, j’ai surpris ses mains trembler pendant qu’il tenait la télécommande pour mettre à Sloan son dessin animé préféré ce matin, tandis que le petit garçon avalait son petit déjeuner. J’ai décidé moi-même de proposer à mon Italien de ramener son petit-frère à son père plutôt que prévu. J’ai habillé le petit garçon, l’ai soudoyé pour qu’il ne fasse pas d’histoire en lui proposant de l’emmener manger des sucreries juste avant de le ramener à son père. La ville organise des festivités sur le thème de la pop culture et, à quelques rues du lieu de rendez-vous fixé avec Auden par message, s’organise un immense banquet sur le thème du sorcier préféré de toute une génération.

Le petit garçon a le sourire jusqu’aux oreilles alors qu’il se gave d’une chocogrenouille plus grosse que sa petite main tout en serrant dans l’autre le sachet de dragées aux parfums surprise. Parce que le sucre panse toutes les plaies, je tiens dans ma main une barbapapa goût bièraubeurre que je touche toutefois à peine. Les récents évènements ont tous contribué à me faire perdre l’appétit. « Je peux regarder moi Harry Potter ? » Amusée, ma main posée sur son épaule puisque les deux mains du petit garçon sont pleines, je secoue la tête doucement. « Non, tu es encore un peu petit. » Le garçonnet fait la moue et, m’agenouillant à son niveau, je lui fais une promesse. « Quand tu auras l’âge, c’est promis, on les regardera tous les deux. » Activité qu’il ne fera certainement pas avec l’un de ses parents - ils n’ont pas l’air d’être ce genre de personne. Mais moi, grande enfant dans l’âme, jeune fille nourrie aux livres d’Heroic Fantasy et de magie, je l’accompagnerai avec un plaisir non dissimulé. « Ah, je vois ton papa. Viens, on va le rejoindre. »

Je me fraie un chemin entre les longues robes noires des curieux déguisés pour l’occasion pour rejoindre Auden Williams. Son frère est mort et il l’a certainement appris en même temps que Damon, lui aussi. Sauf qu’en présence de Sloan, j’ignore si je peux aborder le sujet ou même lui présenter mes condoléances. A la place, je serre l’épaule du petit garçon entre mes doigts et j’adresse au père un simple sourire pour le saluer. « Merci d’avoir accepté de le récupérer un peu plus tôt. » Nous étions supposés garder l’enfant jusqu’à la fin du week-end. « Regarde, Megan m’a acheté une baguette magique ! » Devant les yeux de son père, l’enfant brandit sa baguette flambant neuve qu’il tâche de ses doigts pleins de chocolat.

Je n’ai pas été étonné d’entendre qu’ils voulaient me ramener Sloan un peu plus tôt que ce qui était initialement prévu et, à en juger par les circonstances, je n’ai pas posé la moindre question, pas même alors que les messages sont venus de Megan et non de Damon. En réalité, seul le contraire aurait pu m’étonner et je tente d’interpréter le silence du jeune garçon aussi bien que possible - selon ce que les circonstances peuvent rendre acceptable, du moins. Au loin, la vision d’un Sloan qui s’agite fait remonter un peu mon sourire avec tendresse. Lui ne se doute de rien, notamment parce que j’anticipe déjà qu’aucun des deux jeunes aura eu le courage de lui parler d’un sujet aussi fort que la mort d’un oncle dont il n’a sûrement aucun souvenir. Il s’ajoute à la liste des fantômes de son existence ; liste à laquelle Ginny s’est soustraite depuis très peu de temps seulement. « Merci d’avoir accepté de le récupérer un peu plus tôt. » J’hoche la tête poliment. « C’est normal. » Et je le pense. « Regarde, Megan m’a acheté une baguette magique ! » Et Sloan de la balancer sans aucune retenue autour de lui pour montrer son nouveau cadeau. « C’est Pizza qui va être jaloux. » Pizza qui va surtout la confondre avec un bâton, ce qui va créer une crise de larmes incessamment sous peu. Mais peu importe. Il est heureux de l’avoir pour l’heure et je ne peux pas me plaindre du cadeau, lequel partait d’un bon sentiment sans que je cherche à retirer à Megan cette bonne volonté. Je ne la porte pas en particulière haute estime mais je ne l’imagine pas porter tous les maux du monde. « J’ai vu que y’avait un stand de maquillage, tu veux essayer ? » Je ne sais pas comment pourrait être maquillé un vrai sorcier mais, à dire vrai, je m’en moque un peu. L’enthousiasme de Sloan est déjà omniprésent et il me suffit. « Ouuuuuiii. » J’attrape sa main pour le conduire jusqu’au stand en question, où une maquilleuse s’occupe presque aussitôt de lui. « Je suis juste là, je vais juste parler un peu avec Megan. » J’hoche la tête pour rassurer mon fils, lui qui ne supporte pas l’idée de perdre de vue la figure d’autorité qui se trouve avec lui.

Malgré tout, et même si j’aimerais profiter un peu plus de cet après-midi pour passer du temps avec lui, je cherche surtout à ce que la présence de Megan se retrouve utile pour nous deux. J’avance de quelques pas face au stand, pour avoir une vue sur le garçon mais surtout pour pouvoir parler avec la jeune femme sans crainte que le plus jeune nous entende. « Comment il a réagi ? » Si Saül avait été une quelconque figure positive dans sa vie, j’aurais aussi cherché à savoir comment Megan se porte. Puisque ce n’est pas le cas, je pense que ce serait surtout une perte de temps pour nous. Dans l’équation, pourtant, je pense que notre souci se dirige vers la même personne: Damon. « Je l’ai appris comme vous. » Je ne savais rien, je le promets. Nous étions sur un pied d’égalité. Il est pathétique, ce pied d’égalité qui nous a poussés à entendre la mort d’un proche dans un foutu article de journal, mais il n’en est pas moins le reflet de la réalité. « Sloan sait pas, hm ? » La question est sans doute plus rhétorique qu’autre chose mais je cherche à assurer la continuité pour mon fils et à ne pas lui donner un discours différent de celui qui a pu être donné jusque-là. Je leur fais confiance pour avoir géré la situation au mieux, et selon les circonstances.

To my surprise, there's no one to blame
Megan Williams & @Auden Williams ☆ crédit/genuineviolence

Auden a l’air bien plus doux que ce qu’il m’a toujours semblé être, même si cette opinion n’a jamais été basée que sur l’impression qu’il me donnait de loin, et les échos que je recevais de la part de Damon. Je l’ai toujours imaginé comme un être tyrannique, un peu moins que son aîné, mais loin d’être un homme patient et aimant pour autant. L’inverse de la petite chose fragile que me semble être la mère de Sloan, de fait. Le voir avec son plus jeune fils est une chose étrange. Il le guide doucement jusqu’à un stand de maquillage, me faisant comprendre par la même occasion qu’il compte prolonger un peu cette rencontre. Je doute que ce soit pour savoir comment je me sens ; il n’approuve pas notre relation à Damon et moi, je l’ai compris au travers des propos de mon Italien que ce constat a blessé. Moi, je ne l’ai été que pour lui. « Je suis juste là, je vais juste parler un peu avec Megan. » Parler, mais de quoi ? De Saül ? C’est bien la première fois qu’il a quelque chose à me dire, alors que j’ai épousé son fils il y a deux ans et demi.

« Comment il a réagi ?  » Bien sûr, il est question de Damon et loin d’être amère à cause de ce constat, je suis heureuse de voir qu’il se soucie au moins un peu du bien-être de son fils. Damon mérite bien mieux que l’environnement familial dans lequel il a grandi, mais au moins, quelqu’un s’est souvenu qu’il existait à la mort du patriarche. J’ignore si Elise a envoyé des messages à son fils unique, elle ne l’a pas appelé ou il n’a pas décroché, en tout cas. « Je l’ai appris comme vous. » Je hoche la tête, montrant ainsi que je n’ai pas la moindre intention de remettre ça en question d’une quelconque façon. « Il me donnait pas l’impression d’être un homme qui aimait le sensationnalisme, pourtant. » Saül Williams était un homme régi par les normes et les carcans d’une société presque archaïque. Dans celles-ci, on apprend pas la mort d’un homme comme lui grâce aux gros titres d’un journal. On l’apprend dans l’intimité, de la bouche d’un notaire ou d’un exécuteur testamentaire. « Il a pas dit grand-chose depuis qu’on l’a appris. » Damon s’est refermé comme une huître. L’ambiance est triste chez nous depuis quelques semaines, mais elle est devenue bien lourde depuis la parution de l’article. « Il veut plus qu’on l’appelle son père depuis des mois, vous le saviez ? » Il s’agit de ma façon de lui glisser que je sais que ce n’est pas ce que Saül était, et que je connais parfaitement le rôle qu’Auden a tenu dans la conception du jeune blond. « Mais il l’a été pour lui pendant plus de vingt ans. » Alors, je doute qu’il soit indifférent ou insensible. Ce serait de toute façon aux antipodes de l’homme qu’est mon époux. « Sloan sait pas, hm ? » Je secuoe la tête. « Non, on a fait mine de rien. Mais il a dû sentir qu’il y avait quelque chose de pas normal, il a fait un caprice quand j’ai voulu lui mettre ses chaussures. » Et c’est inhabituel : Sloan est un petit garçon sage. Les attitudes qui sortent de l’ordinaire sont souvent témoins qu’un enfant est agité ou qu’il est angoissé. Sloan l’est certainement parce qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe mais qu’il perçoit la tristesse chez les adultes.

Avoir une conversation avec Megan n’a rien de normal pour moi, mais je m’en accommode sans mal tout en nourrissant l’impression qu’il en est de même pour elle en retour. « Il me donnait pas l’impression d’être un homme qui aimait le sensationnalisme, pourtant. » Je souffle avec une certaine amertume. J’ai beau être son frère, je ne saurais pas dire quel genre d’homme il était. J’ai surtout l’impression qu’il a été tout et son contraire au cours de sa vie et que sa mort n’a rien arrangé à toute cette histoire invraisemblable. Le frère que j’ai connu n'aurait jamais pu s’ôter la vie, et l’homme qui est mort ne semblait pas avoir de meilleure option sous le coude. « C’est une question d’ego. » Il n’aurait pas supporté que sa mort passe inaperçue, sans doute, et voilà sûrement tout ce qui a motivé une façon si rocambolesque d’en finir.

« Il a pas dit grand-chose depuis qu’on l’a appris. » - « Et quel a été le peu qu’il en a dit ? » Elle a peut-être l’impression que ce n’est rien et que ce n’est pas important, mais pour moi qui n’ai pas échangé le moindre mot avec Damon, ça a de l’importance. Le moindre mot est important, aujourd’hui plus que jamais. « Il veut plus qu’on l’appelle son père depuis des mois, vous le saviez ? » A la façon dont elle a de me présenter la situation, je comprends qu’elle va plus loin qu’au-delà d’une simple question d'appellation. J’hoche la tête après avoir longuement posé mon regard dans le sien, à la recherche d’une forme de reproche dans ses mots. « Ca ne m’étonne pas. » Je suis étonné qu’il n’ait pas arrêté plus tôt de faire mention de lui comme étant son père, surtout alors qu’il m’a appelé de cette exacte même manière il y a bien plus longtemps. Malgré tout, je ne reproche rien à Damon sur ce sujet. Il s’est toujours contenté de subir la situation et n’a rien choisi de cette dernière. « Ni qu’il t’en ait parlé. » Je précise ensuite, ne laissant pas davantage de place aux sous-entendus et non-dits. Ce serait mal me connaître.

« Non, on a fait mine de rien. Mais il a dû sentir qu’il y avait quelque chose de pas normal, il a fait un caprice quand j’ai voulu lui mettre ses chaussures. » Mon regard se repose sur mon plus jeune fils. J’apprécie qu’ils n’aient pas pris l’initiative d’aborder un tel sujet avec lui, tout comme j’apprécie que Megan soit assez attentive pour remarquer ce genre de réaction chez Sloan ; et surtout les interpréter de la bonne manière. « Je lui en parlerai pas. Il a pas de souvenir de Saül, il est trop jeune pour ce genre de discussion. » Je n’ai pas envie qu’il soit réellement triste à cause d’un homme qu’il ne connaît pas mais, surtout, qui ne le mérite pas. « Un fils triste, c’est déjà trop de considération pour Saül. » Même si Damon a apparemment refusé de statuer les choses de cette façon face à sa femme, nous savons tous deux qu’il n’en ressent pas moins, justement parce qu’il est Damon et qu’il est égal à lui-même. « Et toi ? Qu’est-ce que t’en penses ? » Je ne cherche pas à connaître l’état de ses sentiments en cet instant, simplement la façon avec laquelle elle compte aborder le problème maintenant que Sloan n’est plus chez eux et qu’ils pourront en parler sans censure.

To my surprise, there's no one to blame
Megan Williams & @Auden Williams ☆ crédit/genuineviolence

« C’est une question d’ego. » - « Il faut peu d’amour propre pour faire ce qu’il a fait. Et il ne faut pas avoir peur de passer pour un lâche aux yeux du monde. C’est surprenant, étant donné le personnage. » Ou en tout cas, de ce que j’en connais. Saül ne m’a toujours montré que ses plus odieux et horribles côtés, mais peut-être n’était-il pas que ça. Peut-être Auden avait le loisir, fut un temps, de voir les autres. Je crois que je n’ai pas envie de l’entendre : je n’ai pas envie de voir Saül Williams autrement que comme un monstre, comme l’homme horrible qu’il est pour ce qu’il m’a fait, ce qu’il a fait à son propre fils et à je ne sais pas combien de gens.

« Et quel a été le peu qu’il en a dit ? » Ah. Pas grand-chose était un euphémisme, pas grand-chose était une façon de parler. « Rien du tout. Il m’a demandé de ramener Sloan. » Et autant ça que son manque de réaction – cela ne lui ressemble pas – en dit long sur les sentiments contradictoires qu’il doit ressentir. « Ça ne m’étonne pas. Ni qu’il t’en ait parlé. » - « On garde plus de secrets l’un pour l’autre. Ça nous réussissait pas particulièrement. » Il reste peut-être des sujets que nous n’avons jamais abordés, mais ils sont tous anodins et sans danger. Toutefois, Auden pique ma curiosité : je me demande à quel point Damon parle de moi, ce qu’il dit de moi pour que son géniteur tienne de pareils propos. De ce que j’en sais, il n’a rien envie d’entendre concernant le mariage de son fils et, par extension, me concernant. Je trouve ça triste, j’aimerais lui montrer à quel point je peux et veux rendre Damon heureux. Est-ce à cause des machinations de son frère, où est-ce simplement ma personne ou ma basse extraction qui lui inspirent du dégoût ? Il ne serait pas le premier. Ma belle-mère n’est pas réellement ma plus grande fan, et elle était déjà virulente à mon égard avant même de connaître toute la vérité sur mes noces avec son fils.

« Je lui en parlerai pas. Il a pas de souvenir de Saül, il est trop jeune pour ce genre de discussion. » Je hoche la tête, signe que cette décision me semble juste et raisonnable. Saül ne mérite pas que l’on se souvienne de lui. Si cela ne tenait qu’à moi, je voudrais qu’il soit condamné au châtiment de damnatio memoriae. « Un fils triste, c’est déjà trop de considération pour Saül. » Et finalement, Auden prouve qu’il connaît au moins un peu le sien. Malgré le peu d’informations en sa possession, il ne croit pas que mon Italien est insensible à la mère de celui qu’il a appelé papa une bonne partie de sa vie. Bien sûr qu’il ne l’est pas. « Et toi ? Qu’est-ce que t’en penses ? » Je croise les bras sous ma poitrine en signe de réflexion. Je n’en ai pas besoin pour connaître ma réponse, j’en ai besoin pour savoir celle que j’ai envie de formuler pour lui. « J’en pense qu’on avait pas besoin de ça maintenant. » Après la mort de Charlie, après ma fausse couche et alors que cette dernière avait été le déclic pour caresser l’idée de vraiment essayer de mener une grossesse à terme, cette fois. « J’ai peur de l’état dans lequel je vais le retrouver en rentrant. » Je ne pourrais pas être plus sincère. En effet, je n’ai pas peur ; je suis terrifiée. « Il ne l’appelait peut-être plus que par son prénom, mais c’est l’homme qui l’a élevé. Et Damon ne sait pas haïr. Pas entièrement. » Il aura bien plus mal qu’il ne sera en colère, et j’ai peur de la force de sa détresse.

« Il faut peu d’amour propre pour faire ce qu’il a fait. Et il ne faut pas avoir peur de passer pour un lâche aux yeux du monde. C’est surprenant, étant donné le personnage. » Je déteste qu’elle parle de cette façon de Saül et je déteste autant l’idée qu’elle vise aussi juste à son sujet, surtout alors qu’elle n’a jamais réellement eu le temps de le connaître. Et bien que je déteste chacun de ses mots, je ne lui reproche rien, je n’en dis rien non plus. Elle a raison et je le sais au fond de moi, même si entendre parler de mon frère de cette manière n’a rien de plaisant: je ne serais pas le dernier à tenir un portrait plus ou moins similaire à son sujet. En cet instant, ce n’est de toute façon pas de mon frère dont j’ai envie de parler : je m’inquiète surtout pour Damon, qui subit cette histoire à un niveau bien différent du mien encore. Pour lui, Saül représente beaucoup de choses encore, même s’il aurait sans doute préféré que ce ne soit jamais le cas. « Rien du tout. Il m’a demandé de ramener Sloan. » J’hoche la tête, un brin déçu de la réponse qu’elle m’offre. Je ne remets pas en question ses mots, loin de là, mais j’aurais aimé avoir plus d’informations sur l’état mental actuel de Damon. « Et tu doutes qu’il sera plus loquace à ton retour ? » Je cherche à savoir si ça servirait vraiment à quelque chose que je lui demande de me tenir informé, ou si ce serait simplement une perte de temps pour nous deux.

« On garde plus de secrets l’un pour l’autre. Ça nous réussissait pas particulièrement. » Ils font mieux, en effet. Sur le papier, c’est ce qu’il y a de mieux à faire pour qu’un couple soit assez fort pour perdurer, et plus encore pour un mariage. Malgré tout, je continue de douter qu’ils puissent être parfaitement forts, eux deux. Je le souhaite à Damon, au moins, mais je continue à émettre des doutes. « Ca réussit sans doute pas à grand monde. » Moi aussi, j’ai fait des efforts pour ne plus avoir le moindre secret envers Ginny, même si cela serait sûrement difficile à accepter à l’heure actuelle et à en juger par la personnalité quotidienne qu’est la mienne. « J’en pense qu’on avait pas besoin de ça maintenant. » - « Damon m’a dit. Je suis désolé. » J’ajoute sobrement, sincère. Je ne la porte pas dans mon cœur, mais je ne lui souhaite pas du mal pour autant. Et je souhaite surtout le bonheur de Damon, auquel elle participe à un niveau bien plus élevé que ce que je peux juger raisonnable. « J’ai peur de l’état dans lequel je vais le retrouver en rentrant. » Je serre les dents, n’ayant pas anticipé cette éventualité. « Je peux te laisser, si tu veux rentrer. » Je comprends sa position et ne lui en veux pas de s’en faire sur un tel sujet. J’aurais dû y penser, surtout. « Il ne l’appelait peut-être plus que par son prénom, mais c’est l’homme qui l’a élevé. Et Damon ne sait pas haïr. Pas entièrement. » Je souffle lentement, longuement. « Il va falloir qu’il apprenne, un jour. Ca va finir par se retourner contre lui sinon. » Parce qu’il n’a jamais choisi d’avoir Saül dans sa vie, mais cela pourrait un jour être le cas d’une personne profondément mal intentionnée. Et Damon laisserait une telle chose se passer simplement parce qu’il ne veut pas mal faire, pas mal paraître, pas mal penser. « Quand il sera de prendre du recul sur tout ça, il fera son deuil. » Et il comprendra que Saül ne l’a pas élevé autant qu’il n’y paraît, qui plus est. Il pourra le détester, comme nous tous.

To my surprise, there's no one to blame
Megan Williams & @Auden Williams ☆ crédit/genuineviolence

« Et tu doutes qu’il sera plus loquace à ton retour ? » Je n’imagine pas Damon rester aussi fermé qu’une huitre, même si ce serait mentir que de prétendre que son mutisme ne m’a pas effrayée, plus tôt dans la journée. Damon est aux antipodes de la façon dont il a réagi face à la nouvelle du décès de son père et j’espère qu’il ne s’agissait que de faire bonne figure devant son petit frère, qu’il ne s’agit pas de la blessure de trop qui aura réussi à le convaincre de tenter de devenir dur et froid pour ne plus laisser le monde le blesser et pour ne plus s’effondrer en présence de témoin. Je n’ai pas envie qu’il s’aventure sur une voie où le seul résultat serait de devenir comme son père, au bout du compte. « Je sais pas. Il finira par me parler, il finit toujours par me parler. » Je crois pouvoir l’affirmer, dire haut et fort que je suis la personne de Damon, celle auprès de laquelle il peut être lui sans se cacher, sans tenter de tricher ou de mentir. Je crois pouvoir me targuer d’avoir réussi à être ce que les Williams n’ont jamais su être pour lui, ce que certains n’ont même jamais essayé d’être. J’ai peur que ça lui fasse bien plus de mal que je ne peux l’anticiper. « J’ai pas envie que Saül réussisse une fois de plus à le détruire, surtout. » Auden savait-il à quel point le père était cruel avec son fils ? Au-delà des sévices physiques, je lui laisse le bénéfice du doute quant à ceux-là, comment pouvait-il ignore à quel point son frère manipulait et brisait son propre enfant ? Comment a-t-il pu le laisser faire ? Si j’osais, j’aurais des milliers de questions.

« Damon m’a dit. Je suis désolé. » Troublée par l’apparente sollicitude d’un homme qui n’a jamais réellement montré la moindre sympathie à mon égard, je déglutis en frôlant brièvement mon abdomen lisse et plat, en songeant qu’il aurait dû commencer à s’arrondir imperceptiblement, à présent. Les lèvres pincées dans une moue qui trahit ma douleur, je hoche la tête. « Merci. » J’ajoute, tout aussi sobrement que lui. « Je peux te laisser, si tu veux rentrer. » Je ne compte pas m’attarder pendant des heures, mais je ne fuirai pas Sloan dans l’urgence, désireuse que le petit garçon ne perçoive rien de ce que vive les adultes. « Je veux que ce soit normal, pour lui. » Je désigne l’enfant du bout du menton. « Je rentrerai directement après, de toute façon. » Pour prendre mon époux dans les bras et, s’il s’est effondré, rester auprès de lui pour qu’il ne se sente ni seul ni honteux de ressentir ce qu’il ressent. « Il va falloir qu’il apprenne, un jour. Ça va finir par se retourner contre lui sinon. » - « Le forcer à être quelqu’un d’autre - » Ne pas le laisser être un jeune homme sensible, rêveur, utopiste. « - et lui faire sentir qu’il devait avoir honte de l’homme qu’il est, c’est ce que Saül a fait toute sa vie. » Damon n’avait pas le droit de ressentir, pas le droit d’être triste, pas le droit de pleurer et, si je pense malgré tout la même chose qu’Auden – Saül ne mérite pas qu’on le pleure, Saül ne mérite pas que son fils soit dévasté par sa mort – je n’ai pas l’intention d’être autre chose qu’une safe place pour mon Italien. « Quand il sera temps de prendre du recul sur tout ça, il fera son deuil. » - « Je l’espère. » J’observe Sloan, le regard triste, avant de soupirer. « Il aurait mérité de naître dans une autre famille. » Je n’ai pas peur d’être cruellement honnête avec l’homme que j’ai en face de moi. Il méritait mieux, Damon, que Saül, Elise, ou même que Auden.

« Je sais pas. Il finira par me parler, il finit toujours par me parler. » Je la crois sans chercher un seul instant à nuancer ses mots. Elle connaît bien plus Damon que ce n’est mon cas, et je suis le premier à avoir du mal à l’accepter. Malgré tout, cela n’en reste pas moins la réalité des faits. « J’ai pas envie que Saül réussisse une fois de plus à le détruire, surtout. » Je pose un instant mon regard sur elle, dubitatif quant au choix de ses mots. Saül n’a pas été tendre avec Damon, je le sais bien, mais de là à parler de détruire ? C’est un poids bien différent, que je ne suis pas certaine de savoir adapté à la situation. « Il le fera plus. » Je réponds malgré tout, sans chercher à nuancer ni même argumenter. Après tout, là où il est, il ne peut exister aucune nuance à ces propos : il ne lui fera plus jamais le moindre mal, d’aucune façon, et c’est au moins un point sur lequel je n’ai plus à me faire de souci.

Malgré ma proposition d’en rester là, la petite blonde semble encore avoir à redire. « Le forcer à être quelqu’un d’autre - et lui faire sentir qu’il devait avoir honte de l’homme qu’il est, c’est ce que Saül a fait toute sa vie. » Elle a une rancune envers mon frère que je ne chercherai pas à apaiser. Il l’a sans doute bien cherché et, de mon côté, j’estime que cela ne me regarde pas. Je me soucie de Damon, pas des personnes qu’il décide d’épouser après un débordement d’hormones. Le regard qu’elle porte sur Saül ne m’importe pas non plus, même si elle me fait nuancer mon propre manichéisme tant le sien est ancré à chacun de ses mots et chacune de ses idées. « Il aurait mérité de naître dans une autre famille. » Ses derniers mots n’en sont qu’une confirmation supplémentaire ; confirmation dont je n’avais aucunement besoin, par ailleurs. « Rentre bien, Megan. » J’ajoute dans un rire simple, sans doute un peu usé aussi. Elle ne réécrira jamais l’histoire. « Sloan, on va y aller ? » Je dégage mon attention en direction de mon fils, dont l’attention se pose depuis longtemps déjà sur les diverses boutiques des environs et tous les objets qu’il rêve d’avoir sans avoir vu les films, et évidemment pas lu les livres non plus. « T’as déjà ta baguette de sorcier, il faut en laisser un peu aux autres, non ? » Il a le temps avant de m’ensevelir sous les demandes diverses et variées.