(bunyip) Le vent rugit à travers les arbres centenaires. Rhett resserre la sangle de son sac à dos, sentant l'excitation électriser son corps. Ils sont de nouveau en pleine aventure. Aujourd'hui, ils chassent le légendaire bunyip. Aujourd’hui, ils vont faire la une de tous les journaux du pays pour avoir été les premiers à réaliser un tel exploit. Une fois qu’ils auront traqué cette chose à travers toutes les rives et autres rivières, ils seront riches et mondialement connus. Ils auront protégé l’Australie toute entière, comme personne n’a été capable de le faire pour le Léviathan aux confins du monde.

Ils progressent en silence, leurs pas feutrés parmi les feuilles mortes. Rhett sent son cœur battre plus fort à mesure qu'ils s'enfoncent dans l'inconnu, son esprit s'imprégnant de la légende du bunyip avec laquelle il a grandi. Il repense aux récits de son enfance, aux avertissements des anciens sur la nature insaisissable de la bête. Il repense à tous les conseils donnés par Jackson, il repense à toutes les insultes que lui a partagées Ruben. Il repense à la promesse qu’il leur a faite de revenir en un seul morceau ; de revenir, tout court. A cette pensée, Rhett serre instinctivement la poignée de son arme, prêt à affronter l'inconnu.

Alors qu'ils avancent plus profondément dans les ténèbres de la forêt, une lueur étrange attire leur attention. Rhett retient son souffle en apercevant une forme massive émerger des eaux troubles d'un marécage. Le bunyip. Son bras se lève et son poing se referme dans un même élan pour faire comprendre à Ezra qu’il doit s’arrêter. Cela n’empêche pas l’homme de le percuter dans la seconde qui suit, n’ayant vraisemblablement pas porté attention au signe en question. « Espèce de sombre petit… » Les insultes sont retenues à la dernière seconde mais le regard noir qu’il lui tend, lui, existe bel et bien. « On traque plus des chiens errants pour les emmener à la fourrière, là, t’as bien capté ça ? » Cette aventure est leur première grande, leur première véritable aussi. Ils doivent redoubler d’effort et faire des efforts, tout court. « Non seulement il s’est enfui mais maintenant il sait qu’on le cherche, super. » Et à travers le chemin dont la boue lui remonte jusqu’aux chevilles, il continue avancer, désormais passablement énervé de la situation.

Tout ce qu’il avait retenu des informations qui lui avaient été communiquées, en réalité, c’était qu’il allait se faire un paquet d’oseille. C’était d’ailleurs pour cette raison là qu’il s’était lancé dans cette aventure: le pactole promis était alléchant, et la gloire éternelle s’y rattachant attirerait à peu près n’importe qui dans ses filets. Elle avait attiré Ezra, lui qui pourtant n’était pas aventurier pour un sous d’ordinaire, parce-qu’il savait que la récompense et la gloire pourraient changer le cours de sa vie et de celle de sa famille qui ne savait même plus joindre les deux bouts désormais.

C’était peut-être en ayant ses pensées perdues dans cette direction là qu’il se trouva à ne plus être autant attentif sur le chemin qu’il avait pu l’être jusque maintenant, et ce fut peut-être pour cette même raison qu’il rentra dans le corps de Rhett qui lui s’était arrêté de marcher. Chancelant un instant, faisant un pas en arrière pour ne plus le coller, il finit par voir qu’il avait le poing levé. C’était… « Espèce de sombre petit… » … le signe pour qu’il s’arrête et évite justement de lui rentrer dedans, ce qui allait attirer l’attention de la bête sur eux. Merde. Il avait pourtant écouté plus ou moins les instructions avant de partir. « On traque plus des chiens errants pour les emmener à la fourrière, là, t’as bien capté ça ? » - « Ouais, j’sais, désolé. J’t’avais pas vu. » Il n’avait surtout pas regardé, mais ce n’était pas pour autant qu’il n’avait pas compris que c’était important aujourd’hui. « Non seulement il s’est enfui mais maintenant il sait qu’on le cherche, super. » Ezra déglutit avec peine, se gratter l’arrière de la tête de la main. « Avec les traces qu’on laisse dans la boue en même temps… » Forcément que la bête allait rapidement les voir.

Il fronça les sourcils, une idée passant dans son esprit. « Ce… Bunyip, là. » Il fit un signe du menton en direction du marécage où il était jusque maintenant et duquel il s’était enfui. « Il laisse pas des traces aussi dans la boue, lui ? » Parce-que si c’était le cas, ce serait beaucoup plus simple pour le suivre d’où il venait de partir, puisqu’ils étaient surs qu’il était dans le marécage l’instant d’avant.

« Ouais, j’sais, désolé. J’t’avais pas vu. » Rhett grommelle, n’ayant en réalité rien de plus à dire. Il le déteste pour être aussi maladroit, mais il n’a pas le temps de lui faire la morale en cet instant puisque ce serait particulièrement contre-productif. Ce n’est ni le lieu, ni l’endroit pour ce genre de choses. Ils doivent réfléchir vite, et agir bien plus vite encore. « Fais gaffe. » Il souffle simplement en guise de dernier avertissement. « Avec les traces qu’on laisse dans la boue en même temps… » Il trouve à redire sur la méthode de pistage qu’ils utilisent, là où Rhett ne voit pas le problème : la bête est face à eux, non derrière ; elle n’aurait jamais dû pouvoir savoir qu’elle était traquée, et certainement pas à cause de traces laissées dans la boue. S’ils avaient été consciencieux, tout se serait passé simplement. « Tu comptes avancer en volant ? » Il demande, amer et surtout bien conscient que leur traque n’est pas parfaite mais qu’elle a au moins le mérite d’exister.

« Ce… Bunyip, là. Il laisse pas des traces aussi dans la boue, lui ? » Les pas de Rhett ralentissent, sans jamais s’arrêter pour autant. « On sait pas. » Il avoue, penaud. Il aurait aimé avoir davantage d'informations. Il aurait surtout aimé être capable d’avoir la stratégie quant à la meilleure façon d’attraper cette chose. « C’est un animal marin, mais il peut aussi vivre sur la terre… C’est une putain de sale bête. » Les marécages sont tout indiqués pour le traquer tant il peut jouir des deux environnements mais sans qu’ils le perdent totalement de vue dans des eaux profondes. A en juger par sa taille incomparable, il ne pourrait même pas être totalement caché dans les marécages. « On raconte que c’est le mélange de plusieurs espèces… Je crois que j’ai même pas envie de savoir à quoi il ressemble vraiment. » Il avoue malgré lui face à Ezra, déjà particulièrement apeuré de la silhouette qu’il a pu observer de loin. Il se demande ce qu’il en sera quand ils seront plus proches de lui. « T’as pas oublié les explosifs, hein ? » En cas de nécessité, ils auront besoin de rien de moins que ça.

« Fais gaffe. » - « Ouais, désolé. » Il faisait ce qu’il pouvait, il n’avait pas été initialement taillé pour ce type de mission; il était venu parce-qu’il était nécessaire de se mobiliser, rien de plus.

« Tu comptes avancer en volant ? » - « Non, j’dis juste que y’a pas que moi qui fais du bruit qui peut être gênant. » Ils traquaient une bête qui semblait être différente de toutes les autres, qui pourrait même être plus maligne et comprendre leurs agissements; alors Ezra soulignait que même s’ils faisaient attention, ils laissaient forcément leurs traces sur le sol et que ce n’était pas à leur avantage… sauf si le monstre faisait de même et qu’ils pouvaient se servir de cet élément là pour avancer dans leurs aventures. « On sait pas. C’est un animal marin, mais il peut aussi vivre sur la terre… C’est une putain de sale bête. » Soupirant quelque peu, Ezra opina du chef. Il aurait aimé avoir une bonne idée pour une fois, mais Rhett n’était pas capable de lui dire si c’était le cas ou non. « On raconte que c’est le mélange de plusieurs espèces… Je crois que j’ai même pas envie de savoir à quoi il ressemble vraiment. » Il eut froid dans le dos. « Et personne arrive à s’en débarrasser. » Et c’était là un grand regret.

« T’as pas oublié les explosifs, hein ? » Il secoua son visage, tapotant le sac qu’il tenait contre lui depuis qu’ils étaient partis de la ville. « J’ai pris double dose, comme on sait pas comment c’est grand cette bête là. » Il passant sa main au dessus de sa tête, il décrocha l’arme qu’il avait placé ici avant leur départ. « J’ai pris un harpon aussi. Comme t’as dit que ça pouvait être comme un poisson… J’me suis dit ça pourrait être utile. » C’était aussi la seule chose qu’il avait pu trouver de facile à transporter qui lui semblait faire l’affaire pour cette sortie au clair de lune. « T’as pris de quoi l’attacher au cas où il veuille s’enfuir ? »

« Non, j’dis juste que y’a pas que moi qui fais du bruit qui peut être gênant. » Certes. Rhett le sait aussi, mais il a beau y réfléchir, il ne voit à cela aucune résolution possible. « Et personne arrive à s’en débarrasser. » Puisqu’il ne souhaite pas le laisser s’apitoyer davantage, Rhett reprend rapidement. « Nous on y arrivera. On est les meilleurs. » Un bien grand mot pour surtout dire qu’ils sont les deux seules personnes assez folles dans tout le pays pour oser se lancer à la poursuite d’une bête mythique en échange seulement de trois sous. Ils ne gagneront même pas pour leur famille s’ils décèdent. « On est là pour ça. » Plus que tout, ils doivent y arriver. Ils n’ont aucune autre sorte de solution possible et la mort n’en est certainement pas une.

Alors, il fait le poids sur leurs (maigres) moyens à leur disposition, les explosifs étant sans doute tout ce qui s’offre à eux dans ce genre de situation. « J’ai pris double dose, comme on sait pas comment c’est grand cette bête là. » - « Et je pense qu’ils ont développé une peau en cuir, ou quelque chose comme ça. Sinon ils auraient jamais survécu. » Ils doivent être forts, sacrément forts ces sales bêtes. « J’ai pris un harpon aussi. Comme t’as dit que ça pouvait être comme un poisson… J’me suis dit ça pourrait être utile. » Il ne sait pas ce qu’ils peuvent en faire dans l’immédiat mais il vaut mieux être paré de toutes les façons possibles plutôt que le contraire. « T’as pris de quoi l’attacher au cas où il veuille s’enfuir ? » - « J’ai de la corde tressée. J’ai pas pu trouver mieux que ça, personne a l’air de chasser le Buntip tous les quatre matins en ville. » Et tous l’ont pris pour un fou, avec ses requêtes de matériel bien spécifique, aussi. Mais ça, peu importe. Être pris pour un fou n’a aucune importance, si jamais ils arrivent à tous survivre. « Hey, tu… Tu crois qu’on va y arriver, sincèrement ? » Il balaie un instant son regard derrière lui, en direction du visage d’Ezra qu’il veut sonder sur la question.

« Nous on y arrivera. On est les meilleurs. » Il aimerait le croire sur parole, il aimerait se dire que c’était aussi simple - mais des années de traques prouvaient que ce n’était pas si facile, justement. Peut-être étaient-ils les meilleurs et que c’était la raison pour laquelle personne n’y était arrivé jusque là - ça ne changeait pas qu’Ezra avait froid dans le dos malgré tout. « On est là pour ça. » - « Tu mets la pression là un peu. » Il aurait aimé le dire avec un rire, mais c’était trop demandé pour lui.

Bien sur qu’Ezra avis pris les explosifs, parce-qu’il n’était pas fou non plus et ne comptait pas venir ici les mains vides. « Et je pense qu’ils ont développé une peau en cuir, ou quelque chose comme ça. Sinon ils auraient jamais survécu. » - « J’ai fait mon propre mélange justement, pour une partie des explosifs. Pour tester, quoi. » Ils ne perdaient rien. Il avait aussi pris des objets qui pourraient être utiles sur les poissons, ou animaux de cette espèce, comme il lui avait mentionné cette caractéristique. Il n’était pas sur de s’en servir, mais cela ne coutait rien d’avoir tout à portée de main. Qu’avait apporté Rhett de son côté ? « J’ai de la corde tressée. J’ai pas pu trouver mieux que ça, personne a l’air de chasser le Buntip tous les quatre matins en ville. » Il eut un rire gras: effectivement, ce n’était pas l’activité favorite des habitants. « C’est divertissant pourtant. » Disait-il avait un frisson de froid dans le dos. « On m’a fait les gros yeux aussi, t’sais, quand j’ai acheté le matériel pour les explosifs. »

« Hey, tu… Tu crois qu’on va y arriver, sincèrement ? » Il soupira quelque peu, tournant aussi son visage vers Rhett. Il allait tenter de trouver les mots rassurants, mais son regard passa au dessus de l’épaule de son acolyte; et il eut du mal à déglutir, perdant douze nuances de couleurs sur son visage. « On va vite le savoir. » Parce-qu’avec une allure si peu ragoutante, forcément que ce qui se tenait derrière Rhett était la bête qu’ils cherchaient.