C'est en fauteuil roulant mais joyeux que je sors de la boulangerie. Je m'immobilise un instant sur le trottoirs afin de mettre le pain aux céréales dans mon sac à dos puis, l'accrochant à nouveau aux poignets du fauteuil, je commence à rouler tranquillement le long de la rue. Je suis d'excellente humeur et ce pour une raison bien évidente : mes progrès en rééducation reprennent enfin, après un trop long moment de latence. Hier j'ai enfin réussi à faire un allé retour complet entre les barres parallèles ! Les derniers pas furent durs et mes genoux ont presque flanchis mais j'ai réussi à m'assoir dans mon fauteuil ! Et nous avons arrêté là-dessus. Je n'aurais de toute manière pas put continuer la séance tant ce simple exercice m'a fatigué.

Mais ce matin je me suis senti en forme comme jamais. J'ai réussi à faire des pas seul, en rasant les murs jusqu'aux toilettes. Là j'ai été obligé d’appeler Hayden pour qu'il m'emmène mon fauteuil étant donné que je n'arrivais plus à me lever, mais peu importe ! C'est un exploit que je vais sans problème réussir à refaire. Un jour prochain. Demain en rééducation ? Évidement. Mais pour l'instant je me repose. Ou du moins ne vais-je plus rien tenter de ce genre. J'ai décidé de sortir me balade un peu en ville.

Et c'est comme ça que je suis arrivé devant cette boulangerie. J'ai acheté du pain pour Hayden et moi pour ce soir, deux croissants et un sandwich. Les croc, je vous dis ! Le pain et les croissants ont trouvé leur place dans mon sac et je m'immobilise un peu plus loin sur le trottoir pour déballer mon sandwich. J'en profite pour faire faire quelques mouvements à mon épaule droite. L'opération date seulement d'il ya deux semaines, c'est encore relativement frais, d'autant que les agrafes ne sont pas encore retirés. Mais le médecin ne m'a pas interdit de me déplacer en fauteuil. Au contraire, il a dit que ces mouvement de rotation ne pourrait que faire du bien à mon épaule pour la mobilisation. Je crois d'ailleurs qu'il a fait quelque chose à la cicatrice pour qu'elle tienne mieux. Ma plus grande crainte avait été que je ne puisse plus aller en rééducation, mais même là il n'y avait pas de souci.

N'empêche que je ressens toujours une gêne lorsque je roule un peu trop longtemps. Enfin, de toute manière il ne me reste plus beaucoup de chemin à parcourir. Je prendrais le métro qui me ramène presque jusque devant le loft de Hayden. Donc ça devrait le faire ! Mais d'abord, le sandwich. Je le déballe et le porte à ma bouche. Mais, au moment de mordre dedans, mon regard se pose sur une jeune femme assis à terre à mes côtés. Le regard dans le vide, la bouche légèrement entre ouvert, pâle et tremblante malgré la chaleur du printemps, je me doute directement que quelque chose de va pas. Je l'observe quelques instants, plissant légèrement les yeux. Elle semble totalement amorphe comme si … comme si elle n'avait plus rien manger depuis plusieurs jours. Je soupire discrètement, mon regard passant de mon sandwich à la jeune femme. Je fini par m'approcher d'elle, me penche en avant et lui tend le pain.

 « Tien, je pense que tu as plus besoin que moi » disais-je en souriant. Moment de générosité : on.

Tout a changé, en l’espace de quelques mois seulement. Comme quoi, une vie peut chavirer en l’espace d’un instant, un très court instant. Mon père a reçu une balle en plein coeur, abattu de sang froid par un homme dont on ne connaît pas l’identité. Le pire dans tout ça, c’est que la police ne semble pas avoir cherché vraiment partout. Après avoir fait quelques recherches de mon côté, j’ai compris, assez vite. Mon père faisait partie de la mafia russe. Pas la plus clémente, évidemment. Je ne sais pas bien ce qu’il a trafiqué, mais il s’est fait prendre à son propre piège. Je n’aimais pas particulièrement mon père, il na jamais été très tendre avec moi, bien au contraire. Ce n’est pas pour autant que je n’ai pas été touchée le jour où j’ai appris qu’il était décédé. Ma mère a pris peur, mon frère a suivi, et ils sont tous les deux repartis à Moscou. Ici, j’avais tout ce que je voulais, j’étais à deux doigts de réaliser mon rêve le plus profond, celui de devenir danseuse étoile. A deux doigts. Et tout s’est effondré. Plus de père, plus de famille, plus d’argent, plus d’appartement. Je me suis retrouvée seule, à la rue. Impossible pour moi de ne plus danser, et pourtant, sans un sou, je ne pouvais plus payer le conservatoire et finir ainsi mon année scolaire. J’ai donc dû changer un peu mes plans, et j’ai donné quelques cours, histoire de continuer à danser, et surtout à gagner un peu d’argent pour pouvoir manger.

Et puis la vie suit son cours, des rencontres, des évènements. Une personne qui m’héberge chez elle et me demande de faire comme si c’était chez moi, un autre qui me repère dans la rue pour me proposer un contrat pour une pub. Des hauts et des bas, des jours dans la rue sans manger, des nuits chez des inconnu(e)s pour perpétuer la tradition, des journées à poser devant un objectif dans de magnifiques tenues, et le lendemain à nouveau assise sur un carton à quémander de l’argent aux passants. Rien n’est plus difficile que de sentir sur soi les regards emplis de pitié des gens qui passent devant moi. Oh bien sûr, je pourrai tomber dans la faciliter, voler dans les magasins, vendre de la drogue, mais tout ça, j’y suis déjà passée. Et même si Kelya m’héberge, j’ai comme le besoin parfois de revenir ici, pour repenser à tout ça. Parce que rien n’est donné dans la vie, ça n’est que prêté, et un jour il faut le rendre.

Assise sur le sol froid de ce mois de novembre, contre un mur d’une grande allée piétonne, je regarde les gens passer. Je suis fatiguée. Fatiguée de devoir me battre contre cette vie qui ne m’aide en rien. J’ai bien penser abandonner ma passion, mon art, mais c’est ce qui me tient en vie, alors si je dois passer le reste de mes journées ici à mendier pour manger, avant d’aller en cours de danser, je continuerai. Heureusement, j’ai déjà un endroit où dormir, c’est mieux que rien. Le regard dans le vague, grelottant à moitié au passage d’un coup de vent, je remonte légèrement mes épaules pour cacher mon cou. Je crois bien que j’ai chopé la crève. Mes yeux sont lourds et ils me brûlent. C’est sans compter ma gorge irritée à force de tousser. Soudain, j’entends une voix semblant s’adresser à moi. Je tourne un peu la tête et pose mon regard dans le jeune homme en fauteuil roulant. « Tiens, je pense que tu as plus besoin que moi. ». Mes yeux se posent alors sur le sandwich qu’il me tend et j’entends déjà mon ventre parler à ma place. Mais je ne sais pas pourquoi, aujourd’hui, je ne suis pas de bonne humeur. J’ai froid, je suis malade, et remontée contre cette putain de vie qui me fait vivre toutes ces merdes. Ça veut dire quoi ? J’accepte son sandwich et je vais devoir lui rendre la monnaie de sa pièce. Non. « Je fais si pitié que ça ? » Mon ton est sec, à couper au couteau, et d’autant plus avec mon léger accent russe que j’ai gardé malgré les dix ans passés en Australie. « Passe ton chemin avec ta générosité à deux balles. » Ok c’est pas cool, en plus il a l’air gentil. Mais là j’ai vraiment pas envie de faire ma gamine gentille qui sourit pour dire merci. Merde !

Lorsque je vois cette jeune femme, les yeux dans le vide et la bouche entre ouverte, je sais que je ne peux pas manger ce sandwich en ayant bonne conscience. Je suis le premier à détester la pitié dont pourrait faire preuve mon prochain, mais là ce n'est pas la même chose. Qui sait, peut-être qu'elle n'a plus rien mangé depuis plusieurs jours et qu'elle est meurt si je ne lui donne pas mon sandwich ou qu'elle ne mange pas directement ? Que je la retrouve le lendemain morte, affamé ? Il se peut aussi qu'elle joue la comédie, ce n'est pas à exclure. Mais dans le doute je préfère sérieusement lui donner mon sandwich.

Sauf qu'elle ne l'accepte pas. Elle me dit, en gros, d'aller me faire foutre avec ma générosité à deux balles. J'arque un sourcil et l'observe longuement, sérieusement étonné de sa réaction. Elle a un trop plein de fierté je crois, non ? Je soupire doucement et me penche en avant pour poser le sandwich sur ses genoux.   « Prends le ou pas, ça m'est égale.» disais-je, ne lui laissant que très peu le choix   «Mais ce serait dommage de gâcher le sandwich, non ?  » Je lui souris doucement   « Ne crois pas que je le fasse par dépie. Je serais content si tu l'acceptais » je me redresse   « Mais après tout, c'est toi qui vois» j'hausse les épaules   « Bonne journée » je bloque la roue gauche de mon fauteuil et pousse sur la droite afin de commencer à rouler et partir.

Aujourd’hui, je suis de mauvaise humeur. Je n’ai pas envie de sourire, pas envie de dire merci aux gens qui viennent avec leur pitié. J’en ai marre. Marre de me retrouver là chaque jour à devoir faire la manche pour arriver à m’acheter un truc à manger. Alors ce jeune homme qui arrive avec sa bonté là, j’ai envie de vomir. En plus, j’ai même pas faim. Je préfèrerai encore du fric. Je sais que c’est pas cool de ma part de l’envoyer bouler, mais là, c’est plus fort que moi. Je suis fatiguée. Fatiguée de cette situation, de tout ça. Fatiguée d’être obligée d’être là immobile à attendre quelque chose des gens qui me prennent en pitié. Ras le bol. Alors il fallait que ça tombe sur lui, tant pis. Il soupire et je préfère encore ne pas le regarder. Il vient déposer le sandwich sur mes genoux croisés en tailleur.  « Prends le ou pas, ça m'est égal.» Je ne le regarde toujours pas et soupire à mon tour. « Mais ce serait dommage de gâcher le sandwich, non ?  Ne crois pas que je le fasse par dépit. Je serais content si tu l’acceptais ». Je me mords l’intérieur de la joue. Il nous fait quoi là ? Il nous la joue sauveur de ces dames, bon petit samaritain qui a décidé de faire de ce jour son jour de bonté. « Mais après tout, c'est toi qui vois » Justement, c’est moi qui vois. Et j’en ai pas envie. Qu’il me lâche la grappe !! Il hausse les épaules et lâche un simple « Bonne journée » avant de faire demi-tour. Je le regarde faire, avec son fauteuil roulant, et je me dis que je suis conne quand même. Lui aussi doit avoir droit à tous ces gens qui essaient de l’aider par pitié. Je regarde le sandwich, puis je repose les yeux sur le fauteuil du jeune homme qui s’éloigne. Sans vraiment réfléchir plus longtemps, je me lève et cours dans sa direction avant de poser ma main sur les poignées de son fauteuil et ainsi le freiner. « Hey ! » Il se retourne, surprise, et je grimace un peu lorsqu’il est face à moi. « J’suis désolée. On peut pas dire que la bonne humeur soit de la partie aujourd’hui. » Je hausse les épaules et lui rends son sandwich. « J’ai pas faim, vaut mieux que tu le manges toi plutôt qu’il parte à la poubelle. » Je pose à mon tour le sandwich sur ses jambes, et enfouis les mains dans les poches de ma veste, hésitante. « Par contre, si t’as quelques dollars pour m’offrir un café, je suis pas contre.. » Je me pince un peu les lèvres, parce que je n’aime pas vraiment réclamer, mais j’aurai bien besoin d’un truc un peu chaud.

Je n'aurais peut-être pas du m’arrêter. J'aurais, comme tout les autres gens, du ignorer cette jeune femme. Je ne me serais pas fait remballé comme une grosse merde et elle ne m'aurait pas ainsi prit de haut. Elle n'aurait pas crut que je la considère avec pitié et je n'aurais pas ce sentiment de honte qui m'abrite en cet instant. Je lui ai laissé le sandwich, peu importe s'il finit à la poubelle ou non. J'aurais au moins essayer. Sans un regard de plus, je me retourne et la laisse derrière moi. Mais c'est sans compter sur le fait qu'elle ne met pas longtemps avant de changer d'avis.

Je suis un instant déstabiliser lorsque les freins manuels de mon fauteuil s’enclenchant. Quelque peu paniqué je cherche, pendant une petite fraction de seconde, si ce n'est une roue qui a un problème, avant de reconnaître la voix de la jeune femme. Je regard au dessus de mon épaule puis pousse sur mes roues pour avancer avant de me tourner vers elle. Je l'observe qui s'excuse, arguant avec le fait que la bonne humeur ne soit pas trop de la partie aujourd'hui. Je lui offre un petit sourire et fait un rapide signe de la main pour lui signifier que ce n'est rien.  « Je comprends, la vie n'est pas toujours très simple »

Elle me rends ensuite mon sandwich qu'elle pose sur mes jambes et m'explique qu'elle n'a pas très faim. Je la regarde un instant, me disant qu'elle doit sans doute dire ça par pure fierté, mais je préfère ne rien dire, ne voulant pas la contrarier.  « T'es sûre ?» demandais-je tout de même une dernière fois avant d'hausser les épaules et ranger le sandwich dans mon sac à dos. Je m’apprête à lui dire au revoir une deuxième fois et m'en aller lorsque l'incroyable se produit : elle me demande clairement si je n'ai pas quelques dollar pour lui offrir un café.

Je l'observe un instant, essayant de savoir si elle est sincère ou pas, avant de finalement hocher la tête en souriant  « Bien sûr, vient, suit moi » lui indiquais-je en me mettant en route. J'ai du temps à perdre de toute manière, autant lui faire ce plaisir, non ? Je désigne un café dans lequel nous entrons. Dans le fond de la pièce, je me transfert rapidement sur un des fauteuils qui sont bien plus confortable que le mien puis enlève ma veste.  «Les cafés ici sont vraiment excellent, tu verras  » je lui souris puis incline la tête sur le côté  « Au fait, moi c'est Nathan»

Pas toujours facile de ranger sa fierté, surtout pour la demoiselle Malikov. J’ai toujours appris à me démerder par moi-même, et d’autant plus depuis dix mois que mon père est mort. Il faut bien que je m’habitude à n’attendre rien des autres. C’est une manière de vivre qui n’est pas tous les jours facile, mais je m’en tire pas trop mal je trouve. Heureusement il y a Kelya qui m’héberge la plupart du temps, mais parfois je suis obligée de me retrouver là, assise au milieu d’une rue, pour arriver à récupérer quelques sous, au moins pour m’habiller, ce genre de trucs quoi. Alors je me force un peu et me lève pour rejoindre le jeune homme. Je ne suis pas de nature méchante, même si j’ai tout un tas d’autres défauts. Egoïste, chiante, colérique, manipulatrice, fuyante, froide, cynique, mais pas méchante. Pas volontairement du moins. Je m’excuse auprès du jeune homme, c’est le mieux que je puisse faire, même si les mots ‘désolée et pardon’ ne font généralement pas partie de mon vocabulaire.  « Je comprends, la vie n'est pas toujours très simple » Je hausse les épaules, fuyant légèrement son regard avant de revenir poser mes iris azur dans les siennes. Je lui rends son sandwich, parce que ce serait bête qu’il finisse à la poubelle. Il y a vraiment des gens qui meurent de faim. « T'es sûre ?» « Certaine. » Il range alors le sandwich dans son sac et s’apprête à repartir mais je l’arrête rapidement pour lui demander s’il ne veut pas m’offrir un café. Enfin, un truc chaud quoi. Le temps s’est rafraichi, et même si ça ne vaut pas le froid de ma Russie natale, quand on est dans la rue la plupart du temps, ce n’est pas facile à gérer. Je le sens un peu hésitant, et finalement, il prend la parole.  « Bien sûr, viens, suis moi ». Il se remet en route et je ne perd pas de temps pour le suivre, trottinant presque pour me mettre à sa hauteur. Il choisir un café tout près et je l’aide à pousser la porte pour qu’il puisse entrer, avant de le suivre pour nous trouver une table sympa. Il sort de don fauteuil pour s’asseoir dans celui du café, et je ne le quitte pas des yeux. « Les cafés ici sont vraiment excellent, tu verras  ». Je hoche la tête silencieusement et retire ma veste, il fait bon ici. « Au fait, moi c'est Nathan ». Nathan. C’est joli Nathan. J’esquisse un fin sourire dont j’ai le secret et lui fais un petit signe de tête comme pour dire que je suis enchantée. « Kyrah. ». Je me frotte un peu les cuisses pour me réchauffer et déjà le serveur arrive. Nathan nous commande deux cafés gourmands. « Je t’ai jamais vu dans le coin, t’es d’ici ? » En même temps, il avait l’air de connaître le café, c’est un peu une question con. Je ris un peu en secouant la tête d’un air mi amusé mi mal à l’aise. « J’suis pas douée pour les questions bateau pour faire connaissance… » Je grimace un peu et passe mes mains dans mes cheveux. « Tu dois me prendre pour une sauvage… »

Au final, la jeune femme me demande tout de même de l'aide. Elle veut un café. Un simple café. J'allais lui offrir un sandwich qu'elle a refusé, je ne vais donc pas l’envoyer balader maintenant alors qu'elle semble réellement démunie. Je pense bien que la situation ne lui convient pas. Le regard fuyant, les épaules arqués, la tête baissée et les bras croisés, prouvent bien à quel point elle ne semble vraiment pas à l'aise. Alors je préfère ne pas envenimer la situation et l'invite dans un des café du coin. Là, une fois confortablement installé sur un des fauteuils mit à disposition, je lui explique rapidement que les cafés ici sont vraiment très bon puis nous commande deux cafés gourmand. Autant lui offrir un petit truc à manger en plus, non ?

Dans tous les cas, celle qui s'est présenté comme étant une certaine Kyrah, décide de briser le silence, me demandant si je suis bien d'ici étant donné qu'elle ne m'a encore jamais vu dans le coin. Le fait qu'elle se reprennent rapidement, disant d'elle même ne pas être douée pour faire connaissance et que je dois sûrement la prendre pour une sauvage, ne fait qu'augmenter le fais que je pense bien qu'elle n'est pas à l'aise avec cette situation. Je lui offre un doux sourire qui se veut rassurant  « T'inquiète pas, va » disais-je  «Les meilleures conversations commencent bien souvent par des questions bateaux » j'hausse doucement les épaules puis secoue la tête  «Et non je ne suis pas d'ici. Enfin … je suis déjà venu deux ou trois fois dans ce coin, mais sans plus » je me recule contre le dossier du fauteuil en soupirant légèrement  « Mais je ne suis pas Australien si tu veux savoir» continuais-je  « Je viens d'Angleterre, Cambridge pour être plus précis, tu connais ?» j'incline légèrement légèrement la tête sur le côté. J'ai remarqué que la plupart des gens ici connaissent le Cambridge américain. Enfin peu importe  « Je suis ici, à Brisbane depuis … 7 ou 8 mois. Voire moins … ou plus. Enfin pas depuis longtemps en tout cas » je me redresse lorsque le serveur revient avec nos deux cafés et le gratifie d'un sourire et d'un hochement de tête  « allez, fais-toi plaisir» indiquais-je finalement en désignant le plateau gourmand posé devant Kyrah.

Je ne sais pas ce qu’il m’a pris de lui demander un café. J’aurai sans doute mieux fait de lui dire merci poliment lorsqu’il m’a donné son sandwich, et ne pas broncher. Finalement, je ne peux men prendre qu’à moi-même. Bon, après tout, être ici au chaud, ce n’est pas si mal. Je me sens mal à l’aise, je n’aime pas les gens en général, je suis plutôt du genre à les fuir, alors me retrouver là en face d’un jeune homme que je ne connais pas, je ne suis pas dans mon assiette. J’essaie pourtant de faire un effort pour me présenter, du mieux que je peux. « T'inquiète pas, va. Les meilleures conversations commencent bien souvent par des questions bateaux » J’esquisse un mince sourire en guise de répondre, simplement pour rester polie. Moi, les ‘meilleures conversations’, je ne connais pas. J’aime mieux me taire, le silence est mon meilleur ami. Il n’y a pas beaucoup de gens avec qui j’aime parler pendant des heures. A vrai dire, il n’y en a pas. Je n’ai jamais été une grande bavarde, à part quand je suis énervée et alors là, les mots sortent en cascade sans que je ne m’en rende compte. «Et non je ne suis pas d'ici. Enfin … je suis déjà venu deux ou trois fois dans ce coin, mais sans plus. Mais je ne suis pas Australien si tu veux savoir » Je l’écoute en essayant de paraitre attentive. Après tout, il m’offre un café au chaud, je ne vais pas ne pas l’écouter non plus. Je suis sauvage mais pas ingrate. Enfin. Pas toujours. « Je viens d'Angleterre, Cambridge pour être plus précis, tu connais ? » Je secoue la tête à la négative avant de hausser les épaules. « Non. Je viens de Russie, je suis arrivée ici y’a 10 ans, mais j’ai jamais connu que ces deux pays. » Je parle plutôt bien pour une Russe, j’en connais beaucoup qui ont gardé leur accent, moi, on ne l’entend quasiment pas, ou plus. « Je suis ici, à Brisbane depuis … 7 ou 8 mois. Voire moins … ou plus. Enfin pas depuis longtemps en tout cas » J’esquisse un mince sourire avant que le serveur ne vienne nous apporter nos cafés. Autour, il y a plein de petites choses qui ont l’air délicieuses, et la gourmande en moi a presque des coeurs dans les yeux. « allez, fais-toi plaisir » Je relève les yeux vers lui comme une enfant qu’on mettrait devant un plat de bonbons et à qui on dirait qu’elle a le droit de tout manger. J’essaie pourtant de ne pas passer pour une goinffre, et j’y vais doucement, tout en gardant toujours ma main libre autour de ma tasse pour me réchauffer. « Et alors, qu’est-ce que tu es venu faire ici, si tu étais en Angleterre avant ? » J’ai du mal à décoller mes yeux des morceaux de gâteaux qui composent mon café gourmand, mais je le fais, par politesse, toujours. « C’est délicieux, merci. »

En général, je n’invite pas des inconnus comme ça, à boire un café avec moi. Je suis bien plus méfiant en temps normal. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui j’ai décidé d’être généreux. Et puis, de toute manière, ce n’est pas comme si j’avais affaire à un gros pervers moche. Non. Bien que je ne sous-estime pas la force de caractère et la force physique de cette femme, je n’ai pas peur de passer quelques instants avec elle. Et puis, ça lui fait plaisir, non ? C’est ce que je crois comprendre en la voyant lorgné sur les gourmandises qui lui sont mis à disposition avec le café. Je lui indique qu’elle peut se servir tout en lui expliquant venir de Cambridge. Elle me répond ne pas connaître cette ville étant donné qu’il y a dix ans elle est directement venu de Russie pour habiter ici. J’hoche doucement la tête.

« Tu viens d’où exactement de Russie ? C’est un pays réellement intéressant duquel on entends beaucoup parler … mais surement un peu trop en mal et pas assez en bien » je lui souris doucement, démontrant ainsi mon très sincère intérêt. Elle a l’air de n’en avoir pas grand-chose à faire du fait que je vienne de Cambridge, mais ça m’est égal. Au moins nous parlons et nous sommes tranquillement assis dans un café. C’est déjà bien, non ?

Au final, s’attaquant à ses gâteaux, Kyrah me demande pourquoi je suis ici étant donné que je suis originaire d’Angleterre. Je baisse les yeux sur mon café et observe quelques instants la fumé. C’est ça le problème d’avoir cet accent et d’être fier de ses origines : quand les gens apprennent d’où on vient, ils veulent savoir pourquoi on est ici, maintenant, ce qui nous a poussé à tout quitter. Mais je pourrais me venger plus tard en lui demandant ce qu’il en est d’elle.

«Les aléats de la vie » répondais-je finalement en relevant mon regard sur la jeune femme «J’ai perdu mon père et mon chien dans un incendie et je me suis moi-même retrouvé dans cet état» lui expliquais-je calmement avec une pointe d’amertume dans la voix en désignant mon fauteuil roulant d’un coup de tête «Cette histoire à fait le tour de la ville, si bien qu’au final tout le monde connaissait l’histoire des Potter. Et le regard de gens, le fait que des inconnus m’accostent dans la rue pour me parler de tout ça, ça me mettait tellement mal à l’aise que j’ai fini par le retirer. Je n’avais en quelque sorte plus de vie. Je ne vivais qu’entre le mur de notre appartement et … voilà. J’ai décidé de me reprendre en main et d’emménager chez ma cousine ici » je passe, évidement, sous silence tout ce qu’il s’est passé ensuite. «Et toi alors ? Pourquoi tu as quitté la Russie il y a 10 ans ? »

Je ne sais pas si ce jeune homme est du genre à faire ça - je veux dire, inviter une sans abris comme moi à boire un café, discuter. Je me demande si lorsqu’il m’a donné son sandwich il pensait déjà à faire une bonne action de ce type. De toute manière, ça ne changera pas grand chose, surtout que ce café gourmand est juste une tuerie. « Tu viens d’où exactement de Russie ? C’est un pays réellement intéressant duquel on entends beaucoup parler … mais surement un peu trop en mal et pas assez en bien » Je hausse un peu les épaules. « Ouais, c’est pas le genre de destination paradisiaque… je suis née à Moscou, et là bas, y’a pas grand chose à part la vodka. » Je grimace légèrement et détourne le regard. Je n’aime pas Moscou, je n’aime pas la Russie, et d’ailleurs, c’est pour cette raison que je n’ai pas voulu repartir avec ma mère et mon frère quand ils sont rentrés après la mort de mon père. Oui, j’ai choisi la rue, plutôt que le retour en Russie. Je n’aime pas trop parler de moi, je ne sais jamais quoi raconter à vrai dire. Alors je reste un peu silencieuse, plongée dans mon café. Mes doigts se réchauffent un peu et je finis par lui poser une question, m’intéressant un peu à lui. « J’ai perdu mon père et mon chien dans un incendie et je me suis moi-même retrouvé dans cet état » Je relève les yeux dans sa direction, choquée par sa révélation. Il n’y va pas de main morte. Merde alors. Je cligne un peu des paupières , attendant qu’il poursuive, me racontant un peu plus de son histoire. «Cette histoire à fait le tour de la ville, si bien qu’au final tout le monde connaissait l’histoire des Potter. Et le regard de gens, le fait que des inconnus m’accostent dans la rue pour me parler de tout ça, ça me mettait tellement mal à l’aise que j’ai fini par le retirer. Je n’avais en quelque sorte plus de vie. Je ne vivais qu’entre le mur de notre appartement et … voilà. J’ai décidé de me reprendre en main et d’emménager chez ma cousine ici » Je ne l’ai pas lâché des yeux tout le long de sa tirade, restant silencieuse. « Je… je suis désolée. » C’est con, j’ai toujours détesté cette phrase, ça n’a jamais servi à rien, mais là, j’ai senti que c’était nécessaire. «Et toi alors ? Pourquoi tu as quitté la Russie il y a 10 ans ? » J’esquisse un mince sourire, avant de baisser à nouveau les yeux, et de boire une gorgée de café. « Mon père avait trouvé du boulot ici. J’ai pas cherché à comprendre plus loin, on a déménagé, et voilà. Sauf que quand mon père est mort l’année dernière, j’ai appris que si on avait déménagé y’a 10 ans, c’est parce qu’il fuyait la mafia. Et visiblement, ils l’ont retrouvé. » Je hausse une fois encore les épaules, me perdant dans le noir de mon café. « Tu vois, c’est des rumeurs quand on entend que des mauvaises choses sur la Russie ! » Je me pince un peu les lèvres dans une petite grimace et soupire légèrement. « Enfin, c’est pas grave. Je suis là maintenant ! Alors, tu te sens bien à Brisbane ? »

« je suis désolé ». Voilà ce que me répond la jeune femme. Désolé ? De quoi ? D'avoir posé la question ? Que ça m'est arrivé ? Je ne saurais le dire. Je n'ai jamais réellement compris le sens de cette question, au final. Et puis on y répond quoi ? 'c'est pas grave' ? 'Tu ne pouvais pas savoir' ? Je n'en sais rien. J'hausse donc simplement les épaules sans rien dire, pensant qu'il est préférable que je me taise en ce moment même. Je fini donc par changer de sujet après avoir prit une gorgé de mon café et lui retourne la question.

Elle me répond que si elle a déménagé en Australie c'est parce que son père avait trouvé un travail ici. C'est souvent le cas, l'immagration dans un autre pays parce qu'un parent y a trouvé du travail. Ce n'est parfois pas plus mal que ça, parfois c'est bien plus chiant qu'autre chose. Là, chez Kyrah en l'occurence, c'est parce qu'au final son père faisait partie de la mafia russe. Il a été retrouvé et assassiné l'année dernière. Je grimace, compatissant et hoche la tête.  « Merde ...» soufflais-je. C'est vraiment pas cool. Ils ont fuient un endroit pour se retrouvé prisonnier dans un autre. La mafia retrouve ses membre, peu importe où ils vont. C'est horrible.

Elle me dit ensuite que ce n'est pas que des rumeurs, toutes les merdes qu'on entends sur la Russie. J'hoche doucement la tête et hausse les épaules  « Malheureusement, ouais. Cest dommage que les Russe ont une telle réputation. Je pense que ce pays pourrait être tellement intéressant. Mais … enfin j'en connais plein qui n'y iront jamais tant que le plan politique reste ce qu'il est maintenant » j'hausse les épaules  «Mais ouais, maintenant tu es ici et au moins on à la mer  » je rigole doucement avant d'hausser les épaules  « Ouais. Ouais je me plais bien ici. Brisbane est une ville très accueillante et vraiment sympatique. Plutôt accessible pour moi, en plus, sauf quelques endroits malheureusement assez intéressant » je souris doucement  « Mais en général ouais j'm'y plait ici» je fini mon café et pose la tasse sur la table  « Et toi ?»

« Merde …» Je me pince un peu les lèvres, il a presque l’air plus désolé que je ne le suis moi-même. On ne peut pas dire que j’étais proche de mon père, et du coup, sa perte ne m’a pas tellement affectée. Il était mon géniteur, certes, mais ses manières de faire n’ont jamais été vraiment de mon goût. A vrai dire, j’ai plus été affectée par l’abandon de ma mère et de mon frère, que par la perte de mon père. Mais bref, tout ça est un autre sujet, et je ne vais pas en déblatérer avec un jeune homme que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam. Finalement, nous en venons à parler de la Russie, dans sa globalité. Les rumeurs qu’on peut entendre qui pour la plupart sont vraies. Ce n’est pas pour rien que la Russie n’a pas le monopole des touristes. «Mais ouais, maintenant tu es ici et au moins on à la mer  » Mon rire étonnamment timide se mêle au sien. « Ouais. Ouais je me plais bien ici. Brisbane est une ville très accueillante et vraiment sympatique. Plutôt accessible pour moi, en plus, sauf quelques endroits malheureusement assez intéressant » Je grimace légèrement quand il parle de l’accessibilité. C’est vrai que quand on ne connaît personne en fauteuil roulant, on ne pense pas vraiment à ces choses là. Ça ne nous saute pas aux yeux, mais les infrastructures ne sont pas toujours à leur avantage. « Mais en général ouais j'm'y plait ici.  Et toi ? » J’amène ma tasse à mes lèvres pour en boire une gorgée, et je pique dans l’assiette un nouveau gâteau pour caler ma faim. « Si je ne m’y plaisais pas, je pense que j’aurai été ailleurs. » Je lui souris légèrement et hausse les épaules d’un air un peu nonchalant. « Et puis, je me suis attachée à cette ville, les habitants sont dans l’ensemble assez gentils, j’ai jamais eu trop de problèmes, même en dormant dans la rue. Je vais pas me plaindre». Je laisse échapper un petit soupir et regarde l’assiette vide et me mordille la lèvres inférieure. « Merde, je crois que j’ai tout englouti, je suis désolée ! » Je laisse échapper un petit rire mignon et le regarde, attendrie. Il a réussi à dompter la bête sauvage qui dormait en moi, et c’est un exploit. « En tout cas, merci, Nathan. » Je n’ai jamais été très douée pour montrer ou dire mes sentiments, mais il est vrai que prendre ce café avec lui m’a fait penser un peu à autre chose, le temps d’un instant, et j’en avais réellement besoin.

Cette rencontre avec cette jeune SDF ne s'est finalement pas si mal déroulée que ça. Je n'ai peut-être pas réussi à la convaincre de prendre mon sandwich, mais j'ai au moins put lui payer un café gourmand et lui apporter un peu de chaleur. Autant physique qu'humaine. Je sens, au fur et a mesure de la discussion que la jeune Kyrah se détends de plus en plus. Elle fini même par me confier d'où elle vient, ce qu'elle fait ici et … voilà. Elle reste tout de même pas mal évasive, mais c'est tout à fait normal. Quoiqu'il en soit, nous discutons bien. Si bien qu'elle ne se rend compte d'avoir manger toutes les gourmandise à elle seule que lorsqu'il n'y en a plus.

Sa réaction est mignone, et je ne lui en veut absolument pas. Pas le moins du monde. J'aurais fait la même chose à sa place je crois.  «Ce n'est rien Kyrah, t'inquiète pas » lui assurais-je lorsqu'elle s'excuse. Je fini mon propre café avant d'hausser les épaules  « Ne me remercie pas, c'est normal » Normal ? Non je ne crois pas que ce soit normal d'inviter les inconnus comme ça, pour un café.

Mais cette Kyrah m'a inspirée confiance dès le début. Pourquoi pas, donc ? Enfin. Nous discutons encore pendant plusieurs minutes, de tout et de rien, avant de finalement se rendre compte que nous devrions partir. Je suis moi-même en retard déjà pour manger chez mon frère. Je paye donc pour nos deux boissons, puis ressort avec Kyrah. Une fois dans la rue, je lui fait un signe de la main te nous nous quittons. Si nos chemins sont à nouveau amené à se croiser ? Seul l'avenir nous le dira.